Monde ANIMAL (Eucaryotes Invertébrés) : ARTHROPODES, Hexapoda,
Insecta : Près de 1,3 million d'espèces (près de 10.000 nouvelles espèces inventoriées par an).
Pterygota, Neoptera, Holometabola, Hymenoptera (entre 1 et 5 millions d'espèces, 1 centaine de familles), Apocrita, Aculeata, Formicidae (358 genres, +12000 espèces)

Le Monde des Fourmis de Feu (Solenopsis invicta)
Myrmicinae (149 genres, 2500 espèces), Solenopsis (266 espèces)

L'Insubmersible Radeau de la Fourmi de Feu

D.L. - LE MONDE > 17 Janvier > 2024

La Fourmi de Feu en Europe

POUR LA SCIENCE N°552 > Octobre > 2023

Le Radeau des Fourmis

A.V. - NATIONAL GEOGRAPHIC N°256 > Janvier > 2021

Les Fourmis de Feu Siphonnent l'Eau

N.H. - LE MONDE > 14 Octobre > 2020

La Guerre des Sexes est Déclarée

Chez les fourmis Wasmannia, les reines transmettent leurs seuls gènes d'une génération à l'autre. Par réaction, les mâles se clonent également. Une guerre des sexes qui défit toutes les lois de l'évolution !

La question de l'hérédité est aussi ancienne que la civilisation : Babyloniens et Egyptiens, il y a 6000 ans, avaient déjà compris l'avantage de croiser des plantes ou des animaux pour améliorer les rendements agricoles. Mais c'est le Grec Empédocle (495-435 av. JC) qui formule le premier l'hypothése que l'embryon est issu de la combinaison de matériel sexuel male et femelle. Une prescience, vérifiée au XVIIè siècle par l'Anglais William Harvey. L'Autrichien Gregor Mendel (1822-1884) pose les principes de la génétique moderne. Les chromosomes sont découverts en 1875 par les Allemands Walther Flemming et Eduard Strasburger.

Au cour des fourmilières de Wasmannia auropunctata, la petite fourmi de feu, un complot larvé fait vaciller l'autorité des reines. Les coupables ? Les mâles. Il y en a pas un pour rattraper l'autre... puisqu'ils ont exactement le même génome. Une situation exceptionnelle. Car les mâles de cette espèce transmettent à leurs fils l'intégralité de leur patrimoine génétique, sans l'associer à celui des femelles. Une révolte ? Non, une révolution ! On ne connaissait en effet aucun animal de sexe masculin capable de se cloner ainsi. Cette découverte, on la doit à des chercheurs du CNRS de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et de l'université de Lausanne. C'est en étudiant le matériel génétique de la fourmi de feu dans 34 fourmilières réparties sur cinq sites, en Guyane, qu'ils ont pu le constater : toutes les reines, d'une part, et tous les mâles, d'autre part, ont exactement les mêmes gènes. Autrement dit, ce sont des clones.
Comble de l'insolence, c'est dans l'organisme des femelles, seul capable d'assurer leur developpement, que grandissent les clones mâles. Les reines dépensent donc de l'énergie pour des organismes auxquels elles ne sont même pas affiliées. Une situation inconfortable du point de vue de la théorie de l'évolution, qui postule que le but de tout organisme est de faire passer au plus de descendants possibles son matériel génétique. Simple perfidie masculine ? Pour l'équipe de chercheurs, il s'agit plutôt de légitime défense.

LA CONTRE-ATTAQUE MASCULINE

Parthénogenèse : mécanisme par lequel un organisme sexué se reproduit sans intégrer le matériel génétique d'un autre organisme. On parle de clonalité si le descendant est strictement identique à son géniteur, c'est-à-dire s'il possède l'ensemble de son matériel génétique.
Haploïde : détenteur d'une seule copie de chacun de ses chromosomes. Par opposition à diploïde : qui possède deux copies de chacun de ses chromosomes.
Les reines (5 mm) trasnmettent la moitié de leurs gènes aux ouvrières (env. 1,5 mm). ->

Pour comprendre, il faut savoir que chez les fourmis, la reproduction est confiée aux mâles et à certaines femelles, les reines. Les ouvrières, chargées de protéger la fourmilière, de chercher la nourriture et d'élever les jeunes sont stériles. Dans la plupart des cas, les femelles sont issues d'une reproduction sexuée classique : l'ovule et le spermatozoïde, tous deux haploïdes - ayant un jeu de chromosomes, fusionnent lors de la fécondation. Les femelles qui en proviennent sont diploïdes : la moitié de leurs gènes provient du père et l'autre moitié, de la mère. Quant aux mâles, ils sont issus d'un processus original : un ovule non fécondé se divise pour devenir un individu. Comme l'ovule dont il est issu, l'individu adulte est haploïde. Cette reproduction sans fécondation se nomme parthénogenèse : on la rencontre aussi chez d'autres femelles d'insectes, d'amphibiens, de poissons... Chez Wasmannia auropunctata, les reines ont recours à une variante de cette technique pour produire d'autres reines, diploïdes. "Dans les cellules reproductives à l'origine des futures reines, il n'y a pas ou peu de recombinaison", explique Arnaud Estoup, de l'Inra Montpellier. Par un mécanisme atypique ces cellules héritent non pas de la moitié des chromosomes de la mère, mais de tous. L'individu qui se développe alors, sans fécondation, est strictemeut identique à celui qui lui a donné naissance. On parle alors de reproduction clonale.
Une mauvaise affaire pour les mâles Wasmannia ! Exclus de la procréation des futures reines, ils ne leur transmettent pas leurs gènes. S'ils n'avaient pas recours à un artifice, seules les ouvrières, stériles, hériteraient de leur matériel génétique. Ce qui les condamnerait à n'être jamais grands-pères. Pour les chercheurs, c'est peut-être cette "guerre des sexes", initiée par les femelles, qui a conduit à la contre-attaque masculine : la transmission de leur génome par clonage. Comment parviennent-ils à réduire leurs partenaires à des mères porteuses ? "Peut-être détruisent-ils les gènes femelles dans l'ovule. Mais je penche pour une autre hypothèse : la fécondation d'ovules anormaux, vides de tout matériel génétique", indique Julien Foucaud, l'un des chercheurs. En tout cas, ce mode de reproduction ouvre des perspectives inattendues. Le biologiste David Queller, de l'université Rice (Etats-Unis), souligne que les génomes masculins et féminins ne se mélangent que dans les ouvrières, stériles. "Si cette évolution séparée des deux génomes se confirme, je crois qu'ou aurait toutes les raisons pour classer mâles et femelles dans... deux espèces différentes, puisqu'ils n'ont pas de descendance fertile, ce qui est la définition même d'une espèce !", souligne-t-il. Autre interrogation cette étonnante lutte de pouvoir entre sexes est-elle un accident récent et néfaste, qui entraînera la disparition du groupe ? Pour l'heure, il semble plutôt avantager la dissémination de l'espèce. La petite fourmi de feu est un modèle de succès évolutif : originaire d'Amérique centrale, elle s'est répandue comme une traînée de poudre partout ou l'homme l'a introduite, en Afrique, dans les zones tropicales, et sur les îles du Pacifique. Non sans dégat. "Elle aide les pucerons à se multiplier dans les plantations, pullule dans les maisons et menace la biodiversité en supplantant les espèces natives, ce qui met en difficulté tortues, lézards et oisillons, énumère Denis Fournier, de l'université libre de Bruxelles. C'est d'ailleurs pour étudier les clés de ces succès invasifs que je me suis intéressé à cette fourmi".

En quoi sa stratégie reproductive éclaire-t-elle sa réussite ? Première constatation d'Arnaud Estoup : "Mâles et reines se reproduisent à l'identique donc à chaque génération, les ouvrières se ressemblent comme des sours. Si ces ouvrières sont adaptées à leur nouvel environnement, elles le colonisent facilement. À l'inverse, en cas de brusque changement dans l'environnement, leur diversité même relative, suffit peut-être a garantir qu'un nombre suffisant survive pour subvenir aux besoins des mâles et des reines." Ces derniers ne profitent pas de la diversité liée au sexe. Mais puisqu'ils vivent dans un environnement stable, les changements extérieurs ont peu d'impact sur leur survie.

CHEZ D'AUTRES INSECTES ?

Ce mélange des systèmes reproductifs sexués et clonaux serait une première clé du succès. Deuxième piste, la coopération entre fourmilières. Il est bien connu que deux fourmis se battent si elles ne se reconnaissent pas comme des affiliées. Mais puisque les ouvières Wasmannia, même de deux fourmilières distinctes, se ressemblent comme des sours, elles agissent peut-être comme si elles étaient issues de la même colonie. Dégagées des obligations guerrières, elles utiliseraient leur énergie à trouver de la nourrittire. Un moyen sûr de prospérer ! À priori, on pourrait donc penser que ce mode de reproduction a été adopté par d'autres insectes, même si on ne l'a encore jamais observé. Ce qui ouvre des perspectives nouvelles pour les entomologistes. Cette logique de compétition entre génomes masculins et féminins aurait-elle abouti au même résultat chez d'autres espèces ? Une grande "fouille" devrait commencer. Fourmilières, nids, ruches : des centaines de prélèvements vont avoir lieu, pour percer le mystère de l'hérédité.

M.R.V. - SCIENCE & VIE > Septembre > 2005
 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net