Les Animaux Malades de l'Homme

Les Animaux Malades de l'Homme
BIODIVERSITÉ

L'histoire est connue : dans les années l98O, les alligators du lac Apopka, en Floride, devinrent stériles à cause des rejets d'une usine. Depuis, les exemples s'accumulent, révélant à quel point les animaux sont confrontés à des changements radicaux de leur environnement : pollution chimique, lumineuse ou sonore, urbanisation...

L'influence de l'homme se fait sentir à tous les niveaux. Ce qui conduit certaines espèces à leur perte, mais provoque surtout l'apparition de comportements "anormaux", comme autant de tentatives désespérées de s'adapter à un milieu brutalement transformé. La preuve en images, avec sept cas particulièrement spectaculaires...

LES OISEAUX MIGRATEURS, MALADES DES GRATTE-CIEL

Chaque année, rien qu'aux États-Unis, un milliard d'oiseaux trouveraient la mort dans des collisions avec des surfaces vitrées, selon les ornithologues.

Ce qui constituerait la deuxième cause de mortalité d'animaux attribuable à l'homme, après la destruction des habitats. En dehors des périodes migratoires où s'accumulent les cadavres, le phénomène reste souvent invisible. Daniel Klem, professeur d'ornithologie et de biologie de la conservation (Muhlenberg College, États-Unis), a étudié, en 2009, 73 sites de Manhattan (New-York).

Nombre d'étages, étendue des surfaces vitrées... pour le chercheur, il n'existe aucune configuration architecturale sans risque (le traumatisme crânien subi étant mortel une fois sur deux) : "Les oiseaux ne peuvent tout simplement pas voir les surfaces vitrées comme des barrières à éviter". Les seules façons de réduire la mortalité seraient de diminuer la proportion de verre des bâtiments et de restreindre le couvert végétal. La nuit, réduire les éclairages peut limiter les confusions avec les étoiles et la lune, qui servent de repères aux oiseaux.

L'OURS POLAIRE, MALADE DE LA FONTE DES GLACES

Juillet 2011, Nouvelle-Zemble : un ours polaire est aperçu escaladant une falaise à pic au-dessus des eaux de l'océan Arctique russe, tentant d'atteindre des nids de guillemots de Brunnich.

En avril 2010, un autre plantigrade avait été observé dans une posture similaire dans la baie d'Hudson (Canada). Les ours qui se risquent à ces acrobaties sont des spécimens bientôt adultes. Disposant de moins de réserves de graisse hivernale que leurs congénères expérimentés, ils sont en quête de nourriture lorsque la banquise fond et qu'ils doivent rester à terre, où ils n'ont plus accès aux phoques qui constituent leur ordinaire. Les oufs et les poussins des oiseaux marins sont un pis-aller dont ils ont de plus en plus besoin.
Pour Ian Stirling, chercheur émérite de l'université d'Alberta (Canada) et spécialiste de l'ours polaire, le cas des ours escaladeurs est alarmant : "Cette nouvelle activité exploratoire est juste dictée par la faim, ce n'est pas une adaptation au changement climatique, juste du désespoir.
À terre, la nourriture n'est tout simplement pas suffisante". Alors que la banquise fond de plus en plus tôt et se reforme de plus en plus tard, les périodes de jeûne s'allongent. Certaines populations méridionales pourraient disparaître rapidement, faute de nourriture.

LES SURICATES, MALADES DES ROUTES

Même lorsqu'elle est discrète dans un environnement, l'activité humaine peut avoir un impact sur la faune sauvage.

C'est ce qu'ont démontré deux chercheurs suisses qui se sont intéressés à la réponse apportée par les suricates à un nouveau défi pour leur espèce : les routes qui sillonnent l'immense étendue du désert du Kalahari, situé dans la sud de l'Afrique.
Leurs travaux, publiés dans Plos one en février 2013, montrent que ce petit mammifère aux mours sociales altruistes a "appris" à traverser. À l'approche d'une route, les colonies se recomposent : la femelle dominante tend à laisser passer quelques subordonnés en éclaireurs, avant de se risquer à son tour sur la route. Pour Nicolas Perony, premier auteur de l'étude, "les suricates ont adupté une réponse évolutive 'ancienne', liée au franchissement d'obstacles tels que les clairières, à un contexte nouveau posé par l'homme". Si la dominante cherche ainsi à se protéger, c'est peut-être pour préserver la stabilité du groupe dont la survie repose sur elle. Une recomposition sociospatiale à l'approche des routes a aussi été observée chez le chimpanzé de Guinée. Pour les chercheurs, ces exemples soulignent la capacité des espèces sauvages à s'adapter à l'empiétement croissant de l'homme dans leur environnement.

LES LÉOPARDS, MALADES DE LA PROMISCUITÉ

En Inde, attiré par la présence du bétail et des animaux domestiques dans les villages, et malgré les chasses punitives dont il fait l'objet, le léopard est devenu l'équivalent du renard s'invitant dans les basses-cours.

En un peu plus dangereux : 560 attaques sur l'homme, le plus souvent nocturnes, ont été répertoriées au cours des dix dernières années dans l'Etat de l'Uttarakhand, dans le nord, et 240 dans le Maharashtra, dans l'ouest, le deuxième Etat le plus peuplé du pays. C'est là qu'une équipe de chercheurs a posé ses caméras en novernbre et décembre 2008 pour tenter de quantifier la menace représentée par le félin. Leurs résultats, publiés dans la revue en ligne Plos one le 6 mars 2013, révèlent une densité de 4,8 léopards aux 100 km² - pour se figurer ce que représente cette cohabitation, il suffit de s'imaginer 5 léopards déambulant librement dans Paris intra-muros...
Mais Vidya Athreya, coauteure de l'étude, souligne que "le léopcrd ne tue pas les gens aussi souvent qu'on le pense", notamment parce que l'animal, qui évite naturellement le contact direct, "a adapté son comportement à la présence humaine et reste inactif toute la journée, ne se déplaçant que la nuit venue". Il s'aventure alors à proximité immédiate des habitations pour tuer les chiens, les chats ou les chèvres.

LES CÉPHALOPODES, MALADES DU BRUIT

En 2001 et 2003, les biologistes ont relevé des taux d'échouages anormaux de calmars géants sur la côte des Asturies, dans le nord de l'Espagne.

Les animaux présentaient des lésions des statocystes, l'organe situé dans le cartilage crânien qui leur permet de s'équilibrer et de s'orienter grâce à la gravité, sur le même principe que chez les vertébrés. En raison de la proximité immédiate de bateaux de prospection sismique utilisant des canons à air comprimé, les ondes sonores ont été suspectées. Ce n'est qu'en 2011 qu'une première preuve des lésions induites chez les céphalopodes par la pollution sonore a pu être apportée dans la revue Frontiers in ecology and the environment.
Exposés à des ondes de 50 à 400 Hz, 87 seiches, calmars et pieuvres d'espèces communes ont présenté des lésions des cils sensoriels garnissant leurs statocystes. Ainsi, les céphalopodes, rendus incapables de s'orienter correctement, se mettraient à suivre des trajectoires aberrantes... jusqu'à s'échouer. Michel André, directeur du Laboratoire d'applications bioacoustiques de l'université polytechnique de Catalogne (Espagne), qui a mené l'étude, estime qu'il s'agit "de traumatismes acoustiques de nature à compromettre leur survie et d'une portée similaire à ceux que l'on observe chez les oiseaux ou les mammifères terrestres exposés à des sources sonores d'une grande intensité". Tout en soulignant que ces travaux doivent être maintenant complétés par des données de terrain, pour démontrer le lien avec les échouages.

LES TORTUES MARINES, MALADES DE L'ÉCLAIRAGE

Lorsqu'ils émergent du sable après l'éclosion, les nouveau-nés des tortues marines cherchent à rejoindre la mer au plus vite.

Ils s'orientent vers l'horizon le plus lumineux, censé être celui de la mer, la pente de la plage, les vagues et différents repères visuels servant de signaux secondaires. Mais la présence croissante de lumière artificielle sur les sites de ponte, due aux activités anthropiques (principalement le tourisme), leur complique singulièrement la tâche. Désorientées, les jeunes tortues errent sur la plage, risquant de se perdre, de se faire écraser ou attraper par des prédateurs, de s'épuiser inutilement ou de mourir de déshydratation.
Plusieurs études ont déjà mis en évidence des différences de sensibilité entre les espèces en fonction des longueurs d'onde émises et de la nature de l'éclairage (lampe à sodium basse pression ou à vapeur de mercure), ce qui permet d'adapter les moyens de lutte contre la pollution lumineuse. Mais en 2012, une étude australienne publiée dans la revue Marine and freshwater behaviour and physiology a révélé qu'il existait aussi des différences intraspécifiques : au lieu de fuir les longueurs d'onde correspondant au jaune comme leurs consours de Floride, les tortues caouannes australiennes sont au contraire attirées par cette couleur.

LES PASSEREAUX, MALADES DES CIGARETTES

Certaines espèces d'oiseaux utilisent pour la confection de leurs nids des herbes aux qualités antiseptiques, insecticides ou fongicides, notamment du genre Nicotiana, dont fait partie la plante de tabac commun.

Pour s'approvisionner en ville, deux passereaux communs, le moineau domestique et le roselin du Mexique, auraient trouvé une solution alternative : les mégots de cigarettes. C'est ce qu'a démontré une équipe mexicaine dont les résultats ont été publiés dans Biology Letters fin 2012.
Les chercheurs ont relevé la présence d'acétate de cellulose, provenant de filtres de cigarettes, dans les nids de ces espèces. Puis, au moyen de pièges à parasites, ils ont constaté que les mégots étaient deux fois plus efficaces que les filtres non fumés pour éloigner mites et acariens. Ces oiseaux pourraient avoir adapté leur arsenal de lutte contre les parasites en fonction de la disponibilité de ces nouvelles ressources. Reste à prouver qu'ils collectent les mégots intentionnellement... Et que les effets positifs recherchés ne sont pas contrebalancés par des effets nocifs sur leur santé.

L.B. - SCIENCE & VIE > Juin > 2013
 

   
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