La Symétrie chez les Espèces Vivantes

La Suprême Harmonie du Monde
MATHÉMATIQUES

Depuis les spirales du coquillage jusqu'à l'agencement des molécules du vivant, la symétrie est inscrite au cour de la nature. Coupe longitudinale d'un nautile (->).

En ce jour de l'an 1610, l'astronome Johannes Kepler prépare un cadeau pour son ami et protecteur à la cour de Rodolphe II, Wackher von Wackhenfelds. Il l'accompagne d'un texte ainsi dédicacé : "Je ne suis pas sans savoir combien vous aimez le Rien... Quel que soit l'objet qui vous agrée comme évocation du Rien. Il faut qu'il soit de mince importance, de petite taille, de prix minime, et qu'il ne soit guère durable, c'est-à-dire qu'il soit presque Rien".
Ce rien offert par Kepler est un flocon de neige. À Prague où il réside, il en tombe alors des milliards, de ces cristaux éphémères voltigeant en bourrasque. Aux yeux de l'astronome, ce Rien est Tout. Sa symétrie dévoile jusqu'à la structure du monde, à l'image des orbites des planètes que Kepler voit comme des figures géométriques imbriquées, mais aussi des alvéoles d'une ruche ou encore des grains de grenade qui s'ordonnent en rangs serrés au cour du fruit. Le flocon est un objet "cosmopoétique", explique Kepler, littéralement "fabricateur du monde". Éphémère, mais ayant la permanence du Cosmos. Pour l'astronome empreint de mysticisme, reconnaitre sa régularité et l'honorer, c'est rendre hommage au Créateur qui a semé çà et là des preuves de sa grandeur infinie. De cette symétrie qui enchante Kepler, les mathématiques ont fourni au XXe siècle une définition unificatrice : il s'agit du caractère invariant d'un objet par rapport à certaines opérations géométriques comme la rotation, la translation ou la superposition. Ainsi, flocon ou papillon ne sont superposables qu'après une rotation de 180°, comme nos mains qui ne se recouvrent que pouce contre pouce.
La notion de symétrie n'est apparue que tardivement dans l'histoire. Les penseurs de l'Antiquité cultivaient plutot un sens esthétique fondé sur l'harmonie, étymologiquement "les justes proportions" : en témoignent la figure du cercle assimilé à, la trajectoire des astres, la forme des pyramides et les constructions érigées dans le respect du nombre d'or. Mais à la Renaissance, le concept s'impose. L'humaniste néerlandais Erasme fait l'éloge du peintre Durer en déclarant : "La symétrie est la manifestation suprême de l'harmonie". À l'instar de Léonard de Vinci qui dans son dessin l'Homme de Vitruve souligne le caractère symétrique d'un corps parfait, Durer précise les dimensions exactes des canons de beauté.

FIL D'ARIANE MATHÉMATIQUE

Aujourd'hui, comme l'avait pressenti Kepler, cet ordre caché est devenu une idée "cosmopoétique" pleinement à l'ouvre. Les physiciens des matériaux l'exploitent pour trouver des propriétés optiques particulières : formes cristallines, conductivité thermique ou électrique. Les biologistes suivent sa piste pour décrypter la croissance des plantes et la différenciation cellulaire. Les chimistes l'utilisent pour interpréter l'efficacité des protéines. Tandis que les spécialistes de la matière traquent ses intimes manifestations : la symétrie d'un noyau atomique est garant de sa stabilité, celui d'un élément radioactif présentant une dissymétrie. Sans compter qu'au Cern, les physiciens recherchent les particules symétriques en tout point à celles déjà identifiées. Ce fil d'Ariane mathématique s'est révélé très fructueux. Une régularité apparente cache toujours une symétrie par rapport à un axe privilégié. Tout écart à cette règle apparaît comme une énigme, preuve qu'un événement singulier a eu lieu.
La régularité des formes fut d'abord explorée dans le monde minéral. Pour quelle étrange raison les faces du calcite ou du quartz, mais aussi du cristal de pyrite (sulfure de fer) que l'on trouve dans les mines, présentent-elles toujours le même angle ? Les mineurs attribuaient à celui-ci un pouvoir sacré avant que ne débute l'étude mathématique des cristaux à la fin du XVIIe siècle. "Dans son essai fondateur, paru en 1784, le cristallographe René Just Hauy raconte qu'un cristal de calcite lui aurait échappé des mains, rapporte Bernard Maitte, professeur d'histoire des sciences à l'université de Lille. Il se serait brisé en un très grand nombre de morceaux tous semblables. Etonné, Hauy l'aurait fragmenté encore et encore et observe sous la loupe les débris, tous de forme rhomboédrique". En racontant cette fable, Hauy ne tenterait-il pas de masquer le travail de son rival Jean-Baptiste Romé de l'Isle, père de la cristallographie ? Toujours est-il qu'il détermine le plus petit fragment ayant la forme du cristal de pyrite tout entier, qu'il baptise "molécule "intégrante", notion aujourd'hui désuète.
En réalité, en observant la symétrie des fragments du cristal, Hauy est parvenu à reconstruire la disposition des molécules dans l'espace. Ce qu'il a identifié est la "maille élémentaire" du cristal, dont la répétition à l'infini forme le minéral. Ses élèves Auguste Bravais et Gabriel Delafosse se douteront que les propriétés physiques des cristaux (dureté, conductivité électrique...) sont en lien avec leur structure dans l'espace, mais ils ne parviendront guère à formuler cette intuition. Pour cela, il faudra attendre le XXe siècle : on apprend alors que la matière est composée d'atomes agencés pour former des molécules. Lorsqu'un corps est pur - c'est-à-dire fait d'un seul élément chimique, comme le gaz de dioxygène que nous respirons -, sa molécule est symétrique : deux boules identiques reliées entre elles, à l'image d'un haltère. Mais dès lors que l'on fabrique un composé, dont les molécules sont formées d'atomes différents - donc de tailles variées -, la symétrie est rompue... Ainsi, les grosses molécules organiques à base de carbone qui interviennent dans la constitution du vivant présentent une structure spatiale asymétrique : le carbone est logé au centre d'un tétraèdre dont les sommets sont occupés par des assemblages d'atomes différents. Ce type de molécule a pris le nom de "chirale" - de kheir, la main en grec. Car comme notre main, elle n'est pas superposable à son image dans un miroir.
Toute molécule chirale présente 2 variétés, ou "énantiomères" dans le jargon des chimistes, aux propriétés physico-chimiques différentes malgré une même composition chimique. L'une peut être bactéricide, l'autre pas. L'une capable de former des solvants organiques, l'autre pas. Pour les distinguer, il faut examiner leurs propriétés optiques : l'une dévie la lumière polarisée vers la droite, l'autre vers la gauche. Or, les molécules du vivant sont exclusivement de la variété gauche, sans qu'on sache pourquoi...
Quant à l'origine de l'apparence symétrique des êtres, là aussi, l'énigme est totale. Ainsi les pétales des fleurs sont ordonnés suivant une symétrie radiale, tandis que le corps des insectes comporte plusieurs segments identiques.

De gauche à droite (->) : ces flocons de neige ou cette fleur équatoriale présentent une symétrie radiale, alors que celle du coléoptère Pyrrhidium sanguineum est axiale.
Quant au sulfure de fer, il est constitué de structures cristallines régulières qui se répétent.

La symétrie bilatérale l'emporte chez les vertébrés. Pourquoi cette constance ? "La symétrie des êtres vivants est souvent une adaptation aux conditions environnementales", répond Bernard Maitte. Elle permet d'optimiser les dépenses en énergie en fonction de la masse. Ainsi, elle est bilatérale pour un mammifère soumis au champ gravitationnel, tandis qu'elle est radiale pour une bactérie privilégie la capture de l'énergie solaire". Reste qu'aujourd'hui, pour son cadeau, Kepler n'aurait que l'embarras du choix : des coquillages dont le sens de l'enroulement est caractéristique de l'espèce, une fleur à la corolle ordonnée ou une bouffée d'oxygène, tous éphémères et porteurs de symétrie, visible ou invisible.

A.Kh. - SCIENCES ET AVENIR HS N°166 > Octobre-Novembre > 2011


À quoi sert la Symétrie observée chez la Plupart des Espèces Vivantes ?

Apparus il y a 600 millions d'années, les organismes complexes (dotés d'organes) sont presque tous structurés par rapport à un axe central (symétrie radiale) ou par rapport à un plan (symétrie bilatérale).

Un phénomène en rapport avec leur mode de vie. En règle générale, la symétrie radiale est associée à la sédentarité d'animaux fixés à un substrat (anémones de mer, coraux...) et aux plantes. Cette symétrie permettrait à ces organismes d'avoir une plus grande surface de contact avec leur environnement et une disposition optimale de leurs organes. Quant à la symétrie bilatérale, elle est caractéristique des organismes mobiles. Elle permet une pénétration aisée de l'animal dans son milieu et une disposition adaptée des organes.

La symétrie bilatérale est ainsi à l'origine de la céphalisation (concentration des organes sensoriels et des centres nerveux dans la tête). Certains organismes peuvent même passer d'une symétrie à l'autre au cours de leur vie : c'est le cas des oursins ou des étoiles de mer, dont la symétrie est bilatérale chez la larve mais pentaradiée (symétrie radiaire de base cinq) chez l'adulte.

D.O. - SCIENCE & VIE > Août > 2009

 

   
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