Le Sommeil et la Pleine Lune

La Pleine Lune nous Empêche bel et bien de Dormir

Malgré la croyance populaire, personne n'avait jamais prouvé que la pleine lune influe sur notre comportement. Jusqu'à ce que des chercheurs suisses démontrent qu'elle affecte notre sommeil. Et pas qu'un peu ! Une totale surprise...

Le chercheur en est resté abasourdi. Il en a passé des heures, plongé dans ses statistiques, à la recherche de la moindre erreur cachée. "Nous étions tous perplexes à propos de nos résultats, admet-il aujourd'hui. Pour être franc, je n'attendais vraiment rien de cette étude". Mais avec ses collègues de l'université de Bâle, en Suisse, le chronobiologiste Christian Cajochen s'est finalement fait une raison et il a publié ses résultats, en bonne et due forme : aux alentours de la pleine lune, tous les 29 jours environ, notre sommeil se trouve raccourci d'une vingtaine de minutes, sa qualité est revue à la baisse et il ne s'agit pas d'une simple impression. Nous subissons de plein fouet les effets de la pleine lune, un peu comme des loups-garous...
Il y a de quoi rester perplexe. Augmentation du nombre d'accouchements, agressivité des animaux, ou pics de violence, l'effet de la pleine lune fait l'objet de nombreuses croyances populaires ; mais celles-ci ont jusqu'ici été systématiquement rejetées par des études statistiques (encadré). Certes, il existe bien quelques rares animaux marins, coraux, mollusques et poissons, dont on sait qu'ils sont influencés par les phases de la lune : mâles et femelles se calent sur la lumière de la la pleine lune pour synchroniser leurs émissions de gamètes, et ainsi maximiser les chances de fécondation. Mais ces cas restent isolés, et jusqu'à présent, personne n'avait pu prouver que les mammifères, ou même n'importe quel animal terrestre, soient influencés de la sorte. L'étude suisse apparait donc comme une grande première scientifique.

CELA RESTE À PROUVER...
L'influence de l'astre nocturne est une croyance très partagée
. Une étude réalisée à l'hôpital de Louisville (États-Unis) a révélé que 80 % des infirmières et 64 % des médecins urgentistes étaient convaincus de son effet sur diverses admissions dans leurs services, en particulier sur les naissances. Pourtant, cette augmentation des naissances (+ 0,5 % les soirs de pleine lune) est totalement indécelable pour un observateur local. Et les pics d'excitation supposée des animaux ? Le nombre d'admissions pour morsure ne varie pas. Idem pour les hospitalisations pour violences humaines. Reste que la police londonienne, pour rassurer la population, double ses effectifs les nuits où la lune est ronde.

PRESQUE PAR HASARD

À l'origine, Christian Cajochen et ses collègues étudiaient l'influence de l'âge et du sexe sur la qualité du sommeil. Entre 2000 et 2003, ils ont enregistré plusieurs paramètres associés au sommeil de 33 participants en laboratoire. Ce n'est que 6 ans plus tard, réunis un soir dans un bar, qu'ils décident de revenir sur leurs données pour les comparer avec le cycle lunaire. "À plusieurs reprises, nous avions entendu parler de personnes souffrant de troubles du sommeil les soirs de la pleine lune, raconte Christian Cajochen. Cela nous a amusés, et nous étions curieux de savoir si ce phénomène transparaissait dans notre étude". Et la corrélation n'a pas tardé à apparaître : "À notre grande surprise, le sommeil de nos volontaires semblait tout à fait affecté par le cycle lunaire.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes (voir courbes). Le temps total de sommeil et le temps avant endormissement chez les volontaires étaient affectés les nuits où la lune est ronde. En moyenne, les participants mettaient 5 minutes de plus à s'endormir les nuits de pleine lune, et leur temps total de sommeil était réduit de 20 minutes. D'autre part, le taux de mélatonine, une hormone synthétisée en majorité la nuit par le cerveau, centrale dans la régulation de nos rythmes chronobiologiques, était largement plus bas à la pleine lune. Enfin, les électro-encéphalogrammes montrent une baisse de 30 % de l'activité cérébrale à la pleine lune pour les ondes delta, émises par notre cerveau lors du sommeil profond, ce qui est caractéristique d'une mauvaise qualité de sommeil, d'ailleurs souvent signalée par les personnes étudiées elles-mêmes.

LA TOUTE PREMIÈRE ÉTUDE PHYSIOLOGIQUE

"Cette étude a deux points forts, commente le biostatisticien Marc Lavielle. Premièrement, il n'y a pas 1, mais 5 paramètres du sommeil affectés les soirs de pleine lune, allant tous dans le même sens. Deuxièmement, ni les chercheurs ni les patients ne savaient à l'époque que l'étude porterait sur le cycle lunaire. Aucune influence humaine, volontaire ou non, n'a donc pu biaiser la récolte de données. Ces résultats sont en accord avec une autre étude, publiée en 2006, qui trouvait en moyenne 19 minutes de sommeil en moins lorsque la lune est entière, mais qui n'était basée que sur des comptes rendus. Ici, ce sont les véritables paramètres physiologiques qui ont été enregistrés. De quoi inciter à repasser à la loupe toutes les études réalisées sur le sommeil humain, d'y détecter une fois de plus les traces de rythme lunaire déroutant.
Reste à comprendre comment cela est possible ? Comment ce gros caillou orbitant au-dessus de nos têtes à tout de même près de 400.000 km pourrait-il bien influencer notre sommeil ? Le chercheur a longtemps cherché la réponse. "Nous avons tout d'abord pensé à l'attraction gravitationnelle pour expliquer notre découverte, mais cela est vite apparu peu probable". En effet, si la différence d'attraction au cours du cycle lunaire affecte les marées des océans, elle n'agit que de façon très minime sur les petits volumes. Les lacs, par exemple, sont très peu perturbés. Il parait donc peu probable que cette légère différence de gravitation puisse contrôler à ce point notre sommeil. La variation du champ magnétique terrestre pourrait-elle être à l'origine de ce phénomène ? Le géophysicien Gauthier Hulot a bien du mal à croire à cette hypothèse : "La différence du champ magnétique de la Terre à la pleine lune est extrêmement faible au sol, à tel point que nous avons bien du mal à la mesurer". Il parait donc impensable qu'elle soit assez puissante pour nous empêcher de dormir.
Pour Christian Cajochen et ses collègues, l'explication la plus probable est finalement la plus évidente, celle qui saute aux yeux : ce serait la lumière qui nous influence. L'astre sélène, réfléchissant directement la lumière du Soleil, accroit grandement la luminosité au sol lorsqu'elle est pleine. Le chercheur est pourtant formel : les participants n'étaient exposés à aucune lumière la nuit.

UN CYCLE CIRCALUNAIRE ?

"Enfermés dans un laboratoire sans fenêtre pendant plusieurs jours, il est impossible qu'ils aient été affectés par la lumière provenant de la lune, ou par un quelconque effet psychologique". Mais l'hypothèse implique un autre rôle - évolutif celui-là - pour la lumière réfléchie par la Lune. La luminosité plus ou moins élevée aurait pu jouer un rôle dans le développement de nos ancêtres, et nous programmer pour que nous possédions un cycle calé sur les 29,5 jours du cycle lunaire. Rester éveillé une nuit plus lumineuse confère des avantages, notamment pour la chasse. Selon les chercheurs, le cycle lunaire serait donc intégré dans notre cerveau depuis des temps ancestraux, et nous aurions, comme certains mollusques ou certains coraux, un cycle circalunaire qui régulerait notre sommeil.
L'explication convainc le neurobiologiste Malcolm von Schantz de l'université de Surrey (Grande-Bretagne) : "L'existence d'une horloge interne qui suit le cycle solaire de 24 heures ne fait plus de doute. Il n'est pas inconcevable qu'il existe également une horloge lunaire en nous". À l'horloge circadienne, ce tic-tac bien connu des scientifiques qui régit l'alternance du jour et de la nuit, il faudrait donc maintenant annexer une horloge dite circalunaire, calée sur les phases de la lune, dont les ressorts biologiques restent à trouver. Il faut donc d'ores et déjà s'y préparer : le 19 octobre prochain, sans forcément nous changer en loup-garou, la pleine lune passera le plus clair de son temps à nous empêcher de dormir.

SIMON DEVOS - SCIENCE & VIE > Octobre > 2013
 

   
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