Sommes nous Tous Drogués ?

Alcool, héroïne, tabac, ecstasy, somnifères, sexe, sport, pouvoir... Nous sommes tous drogués à quelque chose. Parce que notre cerveau sécrète une molécule, la dopamine, qui nous pousse à rechercher le plaisir. Plaisir à haut risque quand il ne se satisfait que dans l'abus...

Plus les scientifiques avancent dans l'étude des drogues et de leur étrange action sur le cerveau, plus il apparait que la dopamine joue un rôle spécifique, comme si elle était la cible privilégiée des narcotiques les plus divers. Alcool, cannabis, héroïne, cocaïne, médicaments psychotropes, ecstasy, LSD... : tous ces produits influent sur la dopamine.

Dopamine : la molécule du plaisir
Les neurones qui contrôlent le plaisir se servent de la dopamine comme moyen de communication. Ils sont situés dans l'une des régions les plus primitives du cerveau (aire tegmentale ventrale), et ils irradient vers le noyau accumbens et vers le cortex frontal, siege des fonctions supérieures. Dans la synapse, le neurone émetteur libère la dopamine. Elle se fixe sur les récepteurs du neurone receveur. Le message est transmis. L'excédent de dopamine est ensuite recapturé par le neurone émetteur et recyclé, ou encore détruit par une enzyme, la MAO.

Pourquoi sommes-nous programmés pour jouir des drogues ?

Calmants, stimulants, hallucinogènes, même combat. Ces drogues augmentent la production ou - ce qui revient au même - empêchent la dégradation de la dopamine dans le cerveau. Curieusement, la nourriture, l'orgasme, le stress ou l'exercice physique en font de même.
Quelle est donc cette étonnante molécule, qui surgit dès lors qu'il est question de désir et de plaisir ? Pour de nombreux biologistes, elle est au cour de ce qu'on appelle aujourd'hui les "comportements de dépendance". Ses effets sur le comportement seraient si puissants qu'elle serait responsable, chez certaines personnes, de la perte de contrôle caractéristique de la grande toxicomanie. Pour faire monter leur taux de dopamine, les drogués consommeraient n'importe quel produit, au risque de mettre en péril leur équilibre physique, psychique et social.
Il est pourtant difficile d'imaginer que la nature nous a dotés d'un système biochimique essentiellement destiné à jouir de l'usage des drogues et à entretenir l'addiction. On peut aussi se demander dans quelle mesure une minuscule molécule explique des comportements humains si complexes.
Dans le cerveau, la dopamine est rare. Ce "neuromédiateur" est le moyen de communication d'un petit nombre de neurones, les neurones "dopaminergiques". Ils ne représentent guère plus de 0,3 % des cellules du cerveau mais sont impliqués dans de nombreuses fonctions. La dopamine est sécrétée par des neurones situés dans l'une des régions les plus primitives du cerveau, le mésencéphale, au sommet du tronc cérébral. Plus précisément, ces neurones se trouvent dans l'aire tegmentale ventrale du mésencéphale (ci-dessus), et ils dirigent leurs terminaisons (axones) vers une aire proche, le noyau accumbens, véritable centre du plaisir, logé dans le striatum ventral du cerveau limbique. De là, d'autres neurones dopaminergiques étendent leurs axones jusque dans le cortex frontal, siège des fonctions supérieures (associatives) du cerveau.
Une partie de ces neurones à dopamine intervient, notamment, dans le contrôle des mouvements. Leur défaillance provoque les tremblements caractéristiques de la maladie de Parkinson. Mais ceux qui nous intéressent ici entrent en jeu dans des circonstances très particulières, lorsque la personne ou l'animal éprouve du désir et du plaisir. Le taux de libération de la dopamine serait une sorte de "baromètre de l'humeur", selon l'expression du biologiste Hervé Simon, de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), à Bordeaux. En fait, toute expérience qui procure du plaisir - déguster un carré de chocolat, faire l'amour, apprécier un morceau de musique, gagner au jeu... - se traduit par une décharge de dopamine dans le noyau accumbens.
Chez tous les vertébrés, le système dopaminergique participe au renforcement des comportements favorables à la survie de l'individu autant qu'à celle de l'espèce. Car, si le désir et l'acte sexuel ne provoquaient pas un afflux de dopamine dans les synapses du noyau accumbens, nous ne nous y adonnerions pas si volontiers, et l'espèce ne pourrait se perpétuer.

Tout est bon pour atteindre les paradis artificiel

LE HASCHISCH EST-IL DANGEREUX ?

Peut-on être "accro" au cannabis ? Les prohibitionnistes mettent en avant des travaux qui montrent l'existence d'un syndrome de manque ; les partisans de la légalisation ne retiennent que les articles qui indiquent le contraire. Tout en condamnant l'usage du cannabis, un récent rapport de l'Académie des sciences recommande l'intensification de la recherche. Car, sur le plan scientifique, l'affaire n'est pas claire.
Deux articles récemment parus dans la revue américaine Science semblent prouver, l'un, que le cannabis agit sur la dopamine par l'intermédiaire des mêmes récepteurs que les opiacés ; l'autre, que le sevrage de souris intoxiquées induit un manque physique temporaire. On aurait donc affaire à un toxique puissant, capable d'entraîner une dépendance radicale. Heureusement, parmi les 4 millions de Français qui avouent avoir déjà fumé du cannabis, les toxicomanes sont une infime minorité.
Face à ces affirmations, publiées au plus fort de la campagne prohibitionniste aux Etats-Unis, d'autres scientifiques ne ménagent pas leurs critiques. Certains montrent que le cannabis et les opiacés n'agissent pas sur les mêmes récepteurs. D'autres font remarquer que l'article de Science sur le manque relate une expérience peu conforme à la réalité. Les auteurs ont en effet provoqué le manque en injectant aux souris un antagoniste du cannabis à l'action immédiate. "C'est comme si l'on arrêtait une voiture lancée à pleine vitesse en faisant surgir un mur sur son trajet", dit Jean-Pol Tassin, de l'INSERM. Le cannabis est lentement éliminé par l'organisme : il n'entraîne donc pas de crise de manque physique lorsqu'on cesse d'en consommer.
Et la dépendance psychologique ? Elle existe certainement chez les usagers réguliers, qui n'imaginent pas de passer une journée sans "fumer". Les risques qu'ils encourent sont mal connus. On évoque, sans véritable démonstration, un affaiblissement des défenses immunitaires. Il est probable que, chez des personnalités psychologiquement fragiles, de fortes doses de cannabis peuvent induire des troubles du comportement. Il est également possible que le cannabis nuise à l'apprentissage et à la concentration. Deux certitudes cependant : la conduite automobile sous l'effet du cannabis est dangereuse, et la fumée de cannabis est nocive pour les poumons.

Prendre une drogue ne serait donc rien d'autre qu'un moyen artificiel d'activer ce système, lui-même très naturel. Il n'est, dès lors, pas étonnant que certains animaux se droguent, comme les grives qui se soûlent avec les grains de raisin fermentés.
C'est justement parce que les bêtes sont susceptibles de se droguer que les hommes ont pu étudier les effets des drogues sur le cerveau et sur le comportement. Les scientifiques se sont vite aperçus que les animaux de laboratoire s'injectent volontiers, outre la cocaïne, toutes les substances capables d'entraîner une toxicomanie chez l'homme. Et ils ne ménagent pas leurs efforts pour atteindre les paradis artificiels, comme l'illustre une expérience menée sur des singes. Le distributeur fournit la drogue chaque fois que le primate appuie sur le levier. Ensuite. l'expérimentateur augmente progressivement le nombre de pressions nécessaire à l'obtention d'une dose. Les singes appuient jusqu'à 12.800 fois sur le levier pour obtenir une seule dose de morphine et jusqu'à 6400 fois pour une dose d'alcool. Ce qui confirme, au passage, que les opiacés ont un pouvoir "addictif" plus fort que l'alcool. Les animaux fournissent donc un bon modèle pour l'étude de certains aspects de la pharmacodépendance humaine. On a compris grâce à eux que toute toxicomanie est liée à la dopamine.
Cependant, toutes les drogues ne provoquent pas de la même façon l'élévation du taux de dopamine dans le cerveau. La cocaïne, par exemple, bloque un système de régulation des neurones aujourd'hui bien connu : la recapture des neuromédiateurs. Après la libération de la dopamine dans la synapse, l'excédent de neuromédiateur qui n'a pas été absorbé par le neurone receveur est recapturé par le neurone émetteur. En se fixant sur les molécules chargées de la recapture, la cocaïne fait augmenter la quantité de dopamine disponible dans la synapse. Les amphétamines et l'alcool, eux, augmentent la sécrétion de dopamine par un processus encore mal compris. La nicotine en fait autant, tandis qu'une autre substance de la fumée du tabac, encore méconnue, s'attaque à la monoamine oxydase, une molécule chargée de dégrader la dopamine recapturée.

"CHERCHEURS DE SENSATIONS FORTES"

Que toutes les drogues agissent sur le taux de dopamine paraît incontestable. Pourtant, parmi ceux qui ont un jour goûté à l'alcool, fumé quelques cigarettes ou quelques "joints", apprécié l'émotion d'un gain à la roulette ou la langueur induite par un sirop pour la toux contenant un dérivé de l'opium, rares sont ceux qui ont sombré dans la dépendance. Pourquoi ces derniers sont-ils plus vulnérables à la drogue ? La doparnine serait-elle en cause ?
Les neurologues ont observé que, chez l'homme comme chez l'animal, les individus peuvent ètre classés en deux catégories ceux qui ont tendance à éviter la nouveauté, le stress, les trop vives stimulations, et ceux qui ont un goût prononcé pour les sensations fortes. Les uns sont baptisés LSS (low sensation seekers, "chercheurs de faibles sensations"), les autres, HSS (high sensation seekers). Les HSS, humains ou animaux, ont nettement plus tendance à consommer des drogues. Or, il apparaît que les animaux HSS produisent plus de dopamine dans le noyau accumbens que les LSS. Leur appétit pour les drogues serait donc fonction de leur taux de dopamine. Lorsqu'il baisse, ils éprouvent le besoin impérieux de le ramener au niveau satisfaisant. Ces animaux sont généralement plus sensibles aux psychotropes que les autres.
En va-t-il de même chez l'homme ? Les éléments rassemblés à ce jour sont insuffisants pour répondre à cette question. Cependant, certains individus sont naturellement protégés contre la drogue elle ne leur procure aucun effet, ou un effet désagréable. Ils n'ont donc pas de raison d'y goûter de nouveau. Inversement, d'autres personnes y sont très sensibles et peuvent très vite se retrouver "accrochées". Et il semble bien que ces personnes, du moins, une partie d'entre elles, manifestent un comportement de type HSS.
Mais ces différences individuelles peuvent-elles se résumer à une différence de taux de dopamine ou de qualité des récepteurs de cette molécule ? Les biologistes ont cherché à savoir si elles avaient une origine génétique. Ils ont donc étudié les gènes de la dopamine et de ses récepteurs, dans l'espoir de découvrir des mutations qui expliqueraient la propension de certaines personnes à se droguer. Les résultats de ces travaux sont assez décevants. La prédisposition génétique à se droguer n'est pas clairement établie chez l'animal et pas du tout chez l'homme, même pour la plus étudiée des drogues, l'alcool. L'histoire de l'individu et les circonstances qui précèdent ou accompagnent la toxicomanie joue certainement un rôle plus déterminant dans l'attirance pour les drogues.

TOXICOMANIE DE CIRCONSTANCE

On sait que les alcooliques et les autres toxicomanes se recrutent plus souvent chez les personnes confrontées à des difficultés famliales ou sociales. De même, les animaux privés de contacts avec leurs congénères s'injectent de la drogue plus volontiers que ceux qui ont participé à une vie de groupe. On a également remarqué que la même substance ne produit pas les mêmes effets selon les circonstances dans lesquelles elle est administrée. Par exemple, lorsqu'on injecte régulièrement de l'héroïne à des souris, elles souffrent d'un manque physique lors du sevrage, mais ne sombrent pas dans la dépendance à long terme, contrairement à celles qui se sont elles-mêmes injecté la drogue. Idem chez l'homme, pour qui le risque de dépendance à long terme est moindre, voire inexistant, lorsque la drogue est administrée en traitement ou dans des situations de stress intense. Les spécialistes citent souvent le cas des soldats américains "accrochés" à l'heroine pendant la guerre du Vietnam, dont la plupart se sont aisément desintoxiqués au retour.
La première difficulté que rencontre le toxicomane lorsqu'il veut se libérer de la drogue, c'est le manque physique qu'il éprouve lors du sevrage. Ce phénomène peut en partie être lié à la raréfaction soudaine de dopamine dans son novau accumbens. Mais l'effet des drogues est complexe. Ainsi, il n'est pas certain que la cocaïne agisse uniquement sur la recapture de la dopamine. Des expériences en cours semblent indiquer qu'elle conserve un effet sur le comportement d'une nouvelle lignée de souris dépourvues de système de recapture de la dopamine, chez lesquelles la cocaïne n'a donc théoriquement plus de site d'action.

DES DROGUES "ENDOGÈNES"

La dopamine n'est donc pas la seule molécule en cause dans le phénomène de dépendance. Les perturbations qu'engendrent l'héroïne, la morphine et les opiacés en général dans la production de neurotransmetteurs nommés enképhalines sont désormais bien connues. Normalement, ces drogues inhibent l'action des neurones à noradrénaline, impliqués dans les sensations de malaise et dans la vigilance. Les opiacés, chimiquement apparentés aux enképhalines, prennent leur place dans le cerveau. Face à cette abondance tout artificielle, les neurones producteurs d'enképhalines réduisent leur activité. Lorsque la drogue vient à manquer, ils n'ont pas le temps de reprendre la production. Le toxicomane ressent alors des douleurs et un malaise physique généralisé le manque. Les enképhalines peuvent aussi entraîner des formes de dépendance sans drogue l'addiction au sport, par exemple. En effet, le sportif acharné sollicite quotidiennement ses neurones à enképhaline. Lorsque les circonstances l'obligent à cesser son activité, il peut alors souffrir d'un véritable manque physique. Il existe ainsi des addictions sans drogue, entretenues par la dépendance du cerveau à ses propres sécrétions. il en irait de même du stress professionnel, qui engendre une activité neurochimique intense dans laquelle interviennent des hormones telles que le cortisol, et des neuromédiateurs comme l'adrénaline et la dopamine. L'individu "accro" au travail, aux activités dangereuses ou au jeu rechercherait donc frénétiquement des situations dans lesquelles son cerveau est inondé par ces drogues endogènes.
Cependant, les spécialistes s'accordent pour reconnaître que la manque physique ne dure que quelques jours, une semaine au maximum. A l'issue d'une cure de désintoxication, il disparaît, mais laisse place à une sournoise insatisfaction, principal motif de la rechute : le manque psychologique. Les biologistes le traquent dans les recoins du cerveau et retombent sur la dopamine.

Des dopeurs de dopamine
Les amphétamines sont des psycho-stimulants utilisés pour lutter contre la fatigue. Ces molécules stimulent directement la sécrétion de dopamine et peuvent ainsi engendrer de très fortes dépendances. D'autres médicaments sont à l'origine de toxicomanies : principalement les barbituriques, les anxiolytiques et les antidépresseurs. Mais tous n'agissent pas directement sur la dopamîne, et leurs modes d'action ne sont pas toujours élucidés.
"Accro" au boulot
Les neurones à noradrénaline sont suractivés par le stress. Pour réguler cet excès, les neurones à enképhaline redoublent d'activité, libérant de fortes doses d'enképhalines. Mais, lorsque le stress disparaît, il n'y a plus assez d'enképhalines pour contrôler la sécrétion de noradrénaline. L'individu ressent tout à la fois un "manque" (d'enképhalines) et un malaise dû à l'hypersécrétion de noradrénaline. Une explication biologique de certains aspects de la dépendance au stress professionnel et au sport.

Jean-Pol Tassin, chercheur au Collège de France (INSERM, unité 114), avance l'hypothèse selon laquelle la stimulation des neurones dopaminergiques pourrait entraîner un phénomène rare mais durable : la synchronisation. L'activité électrique de ces neurones, connectés en réseau, entrerait en phase et deviendrait simultanée - cela ne se produirait qu'à partir d'un certain seuil de stimulation. Dans ces conditions, les réactions à la stimulation seraient très intenses, et le seuil d'activation serait plus bas qu'en l'absence de synchronisation. Le chercheur pense que le toxicomane serait alors condamné à la recherche éperdue du seuil de stimulation. Il pourrait être amené à augmenter les doses pour pallier un phénomène de tolérance, et il maintiendrait ensuite un niveau d'intoxication constant.
La synchronisation pourrait n'être que faiblement réversible, ce qui expliquerait la permanence de la sensibilité au toxique pendant presque toute la vie et la difficulté de s'en libérer. Mais ce n'est là qu'une hypothèse de travail, que le chercheur met à l'épreuve de l'expérimentation animale.

LA FORCE DE L'HABITUDE

Le conditionnement est un autre processus capable d'expliquer certains aspects de l'addiction. Les circonstances dans lesquelles une drogue est consommée jouent un rôle dans le renforcement de la dépendance. Les fumeurs sevrés savent à quel point la tentation de fumer est forte lorsqu'ils se retrouvent dans des situations habituellement associées à leur toxicomanie - après un bon repas, pendant un effort de réflexion, au cours d'une conversation téléphonique, etc. Pour l'héroïnomane, le simple fait de repasser dans la rue où il se fournissait peut le pousser à rechuter. L'évitement des situations associées à la consommation de drogue est d'ailleurs l'une des stratégies les plus efficaces de groupes thérapeutiques tels que les Alcooliques anonymes. Pour Eric Loonis, psychologue clinicien à l'université de Toulouse, une chose est sûre : "On ne se libère pas d'une addiction qui a duré quelques mois ou quelques années. On peut simplement se contrôler par une abstinence rigoureuse."
Le cerveau humain, particulièrement développé s'enorgueillit d'un cortex préfrontal capable de contrôler l'impulsivité de régions plus primitives. Nos élaborations mentales, notre affectivité et nos liens sociaux agissent sur nos pulsions et en dépendent tout à la fois. Les avatars d'une seule molécule, la dopamine, ne sauraient rendre compte de la subtilité de nos comportements. D'autant que les états de notre cerveau se modifient et évoluent sous la pression des événements. Même chez l'animal, l'histoire de l'individu influe sur ses réactions futures. Lorsqu'on stresse une souris pendant la grossesse, sa progéniture est beaucoup plus prompte à s'injecter des amphétamines ou d'autres drogues que des souris ayant connu une vie prénatale paisible.
Nous avons tous dans le cerveau des circuits neuronaux dopaminergiques, ou d'autres, qui renforcent les comportements qui nous procurent du plaisir. Le cerveau favorise donc naturellement les conduites qui nous amènent à modifier notre état de conscience, à rechercher l'euphorie. Ce qui fait dire à Eric Loonis, dans le titre de son livre : "Notre cerveau est un drogué" (Presses universitaires du Mirail). Il cite Blaise Pascal, qui en avait l'intuition quand il écrivait dans ses Pensées : "Rien n'est si insupportable à l'homme que d'être dans le plein repos, sans passion, sans affaire, sans divertissement, sans application. (...) Incontinent, il sortira du fond de son âme l'ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir."

TOUS DÉPENDANTS !

Partant de ce constat, Eric Loonis remarque que le cerveau produit ce qu'il appelle un "bruit de fond", résultat de l'activité électrochimique incessante des neurones. Bruit de fond désagréable, qui se double d'un bruit de fond psychique fait de pensées indéterminées, d'une insatisfaction latente, que nous chercherions à masquer par tous les moyens. D'après Loonis, tous nos gestes répétitifs, nos mouvements rythmiques, les pleurs et les rires, les rêveries, méditations, raisonnements, etc., sont des comportements d'évitement dont nous serions dépendants. Sans eux, la vie nous serait insupportable. Nous serions donc tous victimes d'une sorte d'addiction minimale, exprimée à travers les mille et une façons de nous détourner du sourd malaise dans lequel nous plonge l'inaction totale. Le recours à un produit toxique n'est qu'un de ces moyens d'occultation.

On l'a vu, on peut se droguer à bien d'autres choses qu'à des substances chimiques plus ou moins légalement acquises. Mais, s'il nous est impossible d'échapper à la dépendance, tout est affaire de contrôle, de dosage. La plupart d'entre nous s'en tirent bien, préservant leur équilibre social, au besoin à coup de somnifères, d'antidépresseurs, de tabac, de quelques verres d'alcool, de quelques kilomètres de course à pied, mais sans jamais tomber dans l'excès, dans la "compulsion". D'autres vont plus loin...
Mais il ne faut pas s'y tromper : ce n'est pas leur pharmacodépendance qui est pathologique, c'est le trouble psychique qui leur fait perdre le contrôle. La signification que prend la toxicomanie dans le psychisme d'un individu, la logique qui le conduit à choisir cette dérive échappent à la biologie. Cependant, celle-ci, en affinant ses connaissances sur la neurochimie de la dépendance, découvre des drogues - on parle de produits de substitution - capables de limiter les effets subjectifs des drogues, comme la méthadone le fait avec l'héroïne. Produits qui, lorsqu'ils sont prescrits en accompagnement d'un soutien psychologique bien mené, aide les toxicomanes à reprendre le contrôle d'eux-mêmes.

Esclave du tabac
La nicotine du tabac stimule directement la production de dopamine, tandis qu'une autre substance, encore mal identifiée, inhibe la monoamine oxydase (MAO), une enzyme chargée de dégrader la dopamine. Résultat : un afflux de dopamine dans le cerveau dont le fumeur devient l'esclave.
Le piège de la "coke"
La cocaïne bloque le processus " normal de recapture de la dopamine par le neurone émetteur. La dopamine reste piégée dans la synapse (jonction entre deux neurones).
L'activité dopaminergique est donc plus intense. Cependant, comme presque toutes les drogues, la cocaïne agit non pas seulement sur la dopamine mais sur quantité d'autres neuromédiateurs.

Philippe Chambon - SCIENCE & VIE > Septembre > 1997

SCIENCE & VIE > Septembre > 2001
 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net