Dossier : Construire un Monde Durable

Les Civilisations à l'Épreuve de la Durabilité

Nous ne sommes pas les premiers... D'autres sociétés ont épuisé leurs ressources, au point de mettre en péril leur propre survie. Mais certaines ont su réagir à temps. Exemples à méditer.

Il n'y a pas de déterminisme environnemental. Les groupes humains qui ont survécu avaient fait de meilleurs choix.

Ceux qui ont disparu...

L'ILE DE PAQUES

Lorsque les premiers colons polynésiens découvrirent l'île de Pâques aux environs de l'an 900, ses 180 km² étaient couverts d'une forêt subtropicale diversifiée. Sa population augmenta progressivement pour atteindre, selon certains historiens, près de 20.000 personnes.
En conséquence, la forêt fut progressivement coupée, à la fois pour dégager des terres cultivables et pour récolter du bois. Celui-ci servait à cuire les aliments, à incinérer les morts, à fabriquer les pirogues, et surtout les rails pour traîner les 857 statues (moai) depuis la carrière où elles furent fabriquées jusqu'à leurs lieux d'érection. Un trajet qui pouvait mesurer 14 km ! Les statues représentaient les ancêtres des familles dominantes et servaient à asseoir leur autorité politique et religieuse. En 1400, le déboisement aurait été à peu près complet. Il fallut alors remplacer les pirogues par des radeaux sommaires qui ne permettaient plus de s'éloigner des côtes : les gros poissons comme le thon, ainsi que les marsouins et les phoques disparurent de l'alimentation, qui s'appauvrit considérablement. La plupart des espèces d'oiseaux nichant sur l'île furent détruites par la pression de chasse (ainsi que par les rats importés), tandis que les sols des pentes s'érodèrent. En 1722, lorsque Pâques fut découverte par les Européens, les statues gisaient dans la poussière et l'île portait 1000 à 2000 habitants, décrits comme "petits, maigres, effarouchés et misérables".

LES INDIENS ANASAZIS

Au sud-ouest des USA, dans l'actuel Nouveau-Mexique, se trouvent de vastes étendues désertiques où serpentent de rares rivières. Difficile d'y imaginer une civilisation agraire. Pourtant, à parti de l'an 600, des Anasazis y vécurent 5 siècles, édifiant les constructions en pierre les plus hautes d'AZmérique du Nord avant les gratte-ciels. Leur nombre dépassa probablement les 5000 vers 1150. Mais peu à peu, les forêts de pins à croissancelente, qui fournissaient leurs matériaux de construction, disparurent sous leurs haches. Une déforestation qui raréfia le gibier. Leurs canaux d'iirigation se tranformèrent peu à peu en profond ravins lors des pluies violentes, emportant la terre fertile alentour. Enfin, une chasse dirigeante au train de vie dispendieux se forma. Probablement déclenché par une succession d'années sèches, l'effondrement des Anasazis se produisit vers 1250.

LES MAYAS

Bien que la société Maya ait pris naissance vers 2500 avant notre ère, c'est surtout à partir de 250 après J.C. qu'elle se déploie sous la forme la plus brillante (période classique). Les Mayas forment alors une société nombreuse, étendue (400.000 km²), qui utilise abondamment l'écrit, maîtrise les mathématiques et l'astronomie, et surtout bâtit des édifices dont les ruines suscitent aujourd'hui encore l'admiration.
La civilisation maya était divisée en plusieurs villes rivales et ne put jamais s'unifier, ce qui l'obligea à subir d'incessants conflits. De plus, elle ne disposait d'aucun animal de trait, et reposait presque entièrement sur le maïs, une céréales relativement peu nutritive. Il semble que les Mayas, suite à une croissance démographique très importante, se répandirent en grand nombre sur les versants bordant les vallées qu'ils occupaient, déboisant massivement, ce qui aurait provoqué à la fois une importante érosion et un assèchement général du climat, qui s'ajouta à une sécheresse naturelle. Les habitants refluèrent alors vers le centre des vallées, les versants, dont la terre s'épuisait, étant devenus trop exigus. Selon beaucoup d'historiens, à partir du IXè siècle environ, et dans un contexte de guerre civile, entre 90 et 99 % de la population disparut. Les grandes cités mayas furent englouties par la forêt tropicale avant d'être retrouvées, quasiment intactes, aux XIXè siècle.

LES VIKINGS DU GROENLAND

Il y a 1000 ans, le Norvégien Erik le Rouge découvrait le Groenland. Deux fjords profond protégés des icebergs, des vents glacés et des embruns acceuillirent des colonies vikings.
Elles survécurent là 450 ans, atteignant jusqu'à 5000 âmes, avant de disparaître. Car plutôt que de vivre de pêche et de chasse aux phoques, comme les Inuits, qui peuplaient le nord de l'île, les colons, à la norvégienne, construisaient des églises, pratiquèrent l'élévage du bétail. or, aux environs de 1400, survint un refroidissement, soupçonné d'avoir fait basculer un système en voie d'épuisement. Les troupeaux détériorèrent les prairies dont la croissance ralentissait, les forêts cessèrent de se régénérer, le vent emporta les sols qui avaient perdu leur couverture végétale. Les vikings périrent ainsi jusqu'au dernier. Dans le même environnement, les Inuits survivent depuis 2000 ans.

Et ceux qui ont survécu...

LES HABITANTS DE TIKOPIA

L'île de Tikopia, perdue dans le pacifique, abrite depuis 3000 ans une population de 1200 habitants sur une surface de... 5 km². Comment ses habitants ont-ils réussi à preserver ses ressources ?
Sans doute par une conscience aiguë des limites de l'île. D'où la mise en place d'une vrai politique de régulation des naissances, passant par le mariage tardif, l'utilisation de plantes contraceptives, abortives, voire par l'infanticide. La surpêche fût évitée en limitant la consommation de poissons. des porcs furent introduits dans l'île vers 1200, puis, jugés trop couteux en ressources, volontairement éradiqués. Par ailleurs, la forêt de Tikopia est constituée presque exclusivement d'arbres productifs sélectionnés ou favorisés par la population. Enfin, les écarts sociaux sont très réduits, les chefs coutumiers n'étant pas héréditaires et partageant pour l'essentiel le sort commun.

LES JAPONAIS DE L'ÈRE TOKUGAWA

Le destin d'une autre île menacée par la disparition de ses ressources est riches d'enseignements. ILs s'agit du Japon, qui de 1603 à 1867, durant l'ère Tokugawa, vécut coupé du monde selon le choix de ses dirigeants, les shoguns.
Cette ère de paix et de prospérité se traduisit par un accroissement rapide de la population. Les constructions étaient alors en bois, qui servait aussi de sources d'énergie. Résultat : alors qu'en 1550 un quart seulement du Japon était déboisé, en 1710 ne subsitaient des forêts que sur les sites les moins accessibles. Ceici provoqua une intense érosion, des inondations dans les basses terres et une perte de la fertilité des terres agricoles, traditionnellement fertilisées avec la litière forestière. Une politique volontariste fur alors enclenchée : reglementation strictes des coupes et interdiction du défrichement par le feu, reboisement, protection des semis contre le bétail et rationnement de l'utilisation du bois. Selon qu'ils étaient paysans, chef de village ou de région, un japonais avait droit à 4, 8 ou 30 poutres pour sa maison. En outre, la fertilisation par les produit de la mer fut développée, tout comme la pêche. Enfin, une politique de limitation des naissnces fut mise en place, reposant comme à Tikopia sur le mariage tardif, l'utilisation des plantes, mais aussi sur l'infanticide. Du coup, entre 1720 et 1828, la population n'augmenta que de 4 %. La forêt regagna du terrain. Aujourd'hui encore, 65 % de la surface du Japon est boisée.

3/ Les civilisations à l'épreuve de la durabilité

Yves Sciama - SCIENCE & VIE Hors Série > Juin > 2008
 

   
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