Vivre Sans Vieillir

Et s'il devenait possible de vivre jusqu'à 100 ans, en pleine possession de ses moyens ? Possible et même banal. Ce rêve, la biologie commence à lui donner consistance. Car à force de percer les mystères du vieillissement, c'est la possibilité d'en retarder les effets qui se fait jour. Jusqu'à s'en affranchir totalement ?

Jusqu'où Vieillir est-il Inéluctable ?

C'est un fait : toutes les espèces ne son pas égales devant le vieillissement. La faute aux hormones ? Aux gènes ? Les pistes ne manquent pas. Qui pourraient livrer des parades...

2099. La France compte plus de 150.000 centenaires, heureux bénéficiaires du "Grand plan Vieillissement" lancé par l'État face à l'inflation des dépenses de santé. Un coup de pouce décisif donné à un domaine de recherche ouvert depuis que l'homme a découvert son premier cheveu blanc... Vous vous sentez moins vif, la peau moins ferme, alors que vous allez gaillardement sur vos 105 ans ? Offrez-vous le check-up complet des polycliniques spécialisées ! Le bilan hormonal s'impose, puisqu'on sait depuis longtemps que le taux de certaines hormones baisse avec l'âge ; vous recevrez le complément adéquat. Vous craignez un dysfonctionnement plus sévère alors que votre cour, votre système immunitaire et votre cerveau se font moins perfonnants ? Pas de panique : en cette fin de XXIè siècle, la médecine régénératrice sait mobiliser les précieuses cellules souches disséminées un peu partout dans notre corps afin d'en renouveler les tissus altérés... Et si l'hérédité vous est défavorable, les thérapies géniques sont là pour y remédier. Sans compter qu'on ne manque pas de spécialistes de la préservation et de la stabilité du genome. Bref, il est désormais possible de vivre bien plus de 120 ans en parfaite santé. Délire futuriste ? Certes, mais ce qui paraît inéluctable aujourd'hui le sera-t-il encore demain ?

UNE VÉRITABLE ÉNIGME

Le vieillissement survient dans la cellule qui, biologiquement, ne peut se diviser indéfiniment. À partir de là, le fonctionnernent cellulaire finit par s'altérer (->).
Pas si sûr. Car jamais la quête d'une pilule de jouvence ne s'est autant appuyée sur la recherche scientifique (voir "contexte"), et toutes les prouesses virtuelles évoquées ne sont que l'extrapolation de travaux développés actuellement. Ces prouesses pourraient devenir réalités, à condition que médecins et biologistes fassent quelques découvertes majeures. Car il faut le dire : le vieillissement reste une énigme, malgré son caractère quasi universel. Au point qu'en obtenir une simple définition semble illusoire. Et pour cause : chez les animaux, il y a presque autant de façons de vieillir que d'espèces - de l'hydre qui se régénère perpétuellement au saumon qui meurt brusquement, en pleine force de l'âge, dès son devoir de reproduction accompli. Tandis qu'au niveau de la cellule, "deux processus différents se cachent derrière le tenne de vieillissement : celui dit 'réplicatif, car une cellule ne peut se répliquer indéfiniment, et le vieillissement 'métabolique', qui correspond à l'altération du fonctionnement cellulaire lorsque la cellule ne se divise plus", pose le professeur Annie Sainsard-Chanet, responsable du laboratoire Sénescence et longévité au Centre de génétique moléculaire du CNRS de Gif-sur-Yvette.

Contexte : Les avancées de la médecine ont permis d'allonger la durée de vie (en France : 65 ans en 1950, plus de 80 aujourd'hui) et de multiplier le nombre de seniors, toujours plus âgés (16.000 centenaires en 2005, une centaine en 1900). Un progrès à double tranchant car il s'agit également de permettre à chacun de vivre au mieux ces années gagnées. Une volonté qui a un coût, car le grand âge est associé à de multiples maladies. Mieux vaut donc prévenir en s'attaquant directement au vieillissement...

Sources de confusion, les différences entre espèces n'en sont pas moins des sources d'informations pour les biologistes, puisqu'ils peuvent ainsi sélectionner un système modèle selon leur objet d'étude : par exemple, la levure pour percer les secrets du vieillissement réplicatif, ou la souris pour le vieillissement métabolique s'il s'agit d'obtenir des résultats plus proches de nous. Côté vieillissement métabolique, il est un coupable qui revient régulièrement dans les publicités des produits cosmétiques : les radicaux libres. Soit de petites molécules instables dérivées de l'oxygène qui attaquent tout ce qui passe à leur portée et auxquelles il est difficile d'échapper car elles viennent pour beaucoup des mitochondries, les centrales énergétiques de nos cellules. Plus précisément, les mitochondries transforment par une série de réactions enzymatiques, lors de la "chaîne respiratoire", l'oxygène en énergie. Or, ce processus produit des déchets toxiques : les fameux radicaux libres, qui s'attaquent aux cellules ! Un mécanisme crucial dans le vieillissement qui a inspiré "la théorie du cercle vicieux", commente le professeur Sainsard-Chanet. Et d'expliquer : "La mitochondrie serait à la fois la source et la cible des radicaux, qui attaqueraient son ADN, y causant des mutations, elles-mêmes responsables d'un dysfonctionnement de la chaîne respiratoire et d'une surproduction de radicaux. Certains faits semblent appuyer cette hypothèse, d'autres non. On note ainsi une élévation, avec l'âge, des marqueurs du stress oxydant lié aux radicaux dans les mitochondries, mais aucun bénéfice clair de la prise d'antioxydants."

CAUSES OU CONSÉQUENCES ?

Voilà toute la difficulté dès que l'on cherche à en savoir plus sur le vieillissement : différencier causes et conséquences tient de la gageure ! En clair, tel mécanisme est-il l'instigateur ou, au contraire, un effet de la vieillesse ?
Restent, sur ces radicaux, quelques expériences bluffantes. Chez le champignon Podospora, la mutation d'un gène interrompant la chaîne respiratoire augmente plus de... 3000 fois sa longévité ! Pour survivre et continuer à générer de l'énergie, la cellule active en fait d'autres enzymes. D'où cette question que pose le professeur Sainsard-Chanet, à l'origine de la découverte : "On peut se demander si l'expression d'une telle enzyme dans les mitochondries animales qui ne la possèdent pas pourrait compenser le dysfonctionnement de la voie respiratoire dans certaines pathologies. On peut rêver... "Sachant que tout rêve à un prix : ce champignon paie sa quasi immortalité d'une activité ralentie associée à une stérilité. Anémié et sans descendance : on est ici loin de l'idée qu'on se fait de vieillir en bonne santé.
Existe-t-il un moyen moins rédhibitoire de retarder l'échéance ? Eh bien, les hormones ouvrent ici une piste. De fait, "la variation des taux d'hormones avec l'âge est l'un des rares facteurs qui concerne tout le corps, mais cela de manière différentielle selon les organes, explique le professeur Emile-Etienne Baulieu, de l'Inserm. Par exemple, avec l'âge, la formation de certains neurostéroïdes, comme la prégnénolone, diminue dans l'hippocampe, une structure du cerveau importante dans la mémoire. Or, on constate une corrélation significative entre cette baisse et la perte de mémoire spatiale. Si on prend des animaux à qui manque de cette neuro-hormone/neurostéroïdes et qu'on y supplée via des injections, ils récupèrent la mémoire tant qu'on poursuit la perfusion ! Certaines pertes associées à l'âge sont donc réversibles et, en l'occurrence, la possibilité d'une 'Pilule de mémoire' existe... Mais pour le moment, on en est encore à administrer directement l'hormone déficitaire à travers le crâne de l'animal." Perspective alléchante, donc, mais pas dans l'immédiat... Cela dit, d'autres pistes hormonales font actuellement l'objet de nombreuses études. Oui, mais de la DHEA et la prégnénolone jusqu'à l'insuline ou le resvératrol, elles n'ont pas encore livré de résultat probant...

ALLONGER LA VIE DES CELLULES

L'avenir est-il plus clair du côté du vieillissement réplicatif, celui qui signe le déclin des capacités de réplication des cellules ? On sait depuis 1965 et les expériences de Hayflick que les cellules ne peuvent se multiplier à l'infini en boîte de Pétri : passé une centaine de divisions, chez l'homme, il y a blocage. Un blocage lié à un raccourcissement des télomères, ces sortes de "capuchons" qui protègent les extrémités des chromosomes. De là, un espoir : rallonger les télomères ne pourrait-il augmenter la vie de nos cellules et, par là même, celle des organes qui pâtiraient de leur disparition ?
"Dans un organisme, ça ne se passe pas comme ça", réfute tout de suite Eric Le Bourg, chercheur au CNRS à l'université Paul-Sabatier de Toulouse, qui donne un contre-exemple frappant : "Les souris ont des télomères plus longs que les nôtres, elles vivent pourtant bien moins longtemps..." Qui plus est, parmi nos cellules, les seules qui trouvent le moyen de rallonger leurs télomères sont... cancéreuses. De quoi freiner les ardeurs. Faut-il alors se tourner vers des cellules dont on sait qu'elles gardent naturellement leur jeunesse ?

LE GÉNOME DE VIEILLARDS ÉTUDIÉ

Les chercheurs y ont bien sûr pensé, via les fameuses cellules souches qui, tapies dans les recoins de nos organes, en assurent en partie la réparation et le renouvellement. Certes, on est ici loin des capacités de régénération de certains animaux, qu'elle soit membranaire comme chez la salamandre ou carrément totale, à l'instar de l'hydre. (La capacité de régénération de l'hydre fascine les scientifiques. Aurait-elle trouvé le secret de l'immortalité ? ->) Il n'empêche, les biologistes commencent à domestiquer ce processus délicat pour quelques types cellulaires et les recherches de thérapies menées depuis une dizaine d'années évoluent, notamment contre des pathologies liées à l'âge comme la chorée de Huntington. À suivre, donc. Ou plutôt, à creuser. Car voilà qui incite à plonger plus profondément au cour de nos cellules, jusqu'à leur noyau où se cachent les gènes. De fait, on sait aujourd'hui que des gènes qui gèrent le devenir et le bon fonctionnement des cellules adultes peuvent être impliqués dans ces pathologies et dans la longévité. À preuve : "En réduisant l'activité de certains gènes, par des mutations, on double la longévité du ver C. elegans, et même plus si on les cumule", indique le professeur Simon Galas, responsable de l'équipe Génétique moléculaire de la sénescence à l'université Montpellier I-CRBM/CNRS. Des effets similaires ont également été obtenus sur des animaux plus complexes, notamment des souris. À quel prix ? Car l'impact constaté sur le vieillissement est un effet secondaire de la manipulation de gènes appartenant à d'autres mécanismes biologiques : y toucher, c'est prendre le risque de tout dérégler. Au risque de problèmes de fertilité ou de vie au ralenti comme évoqué plus tôt.

Un espoir dans la thérapie des pathologies liées à l'âge : les cellules souches ->.
On le voit, l'extrême complexité du vieillissement met à rude épreuve les hypothèses des chercheurs. Et le projet Chronos, lancé à Paris en 1991, n'a pas échappé à la règle, lui qui s'était donné pour mission de trouver les "gènes des centenaires" en étudiant le génome de vieillards. Après un début en fanfare et la "découverte" de deux gènes candidats, l'enthousiasme est vite retombé en l'absence de piste sérieuse et après que l'un des candidats s'est avéré un leurre. Il semble donc présomptueux, pour l'instant, de chercher une molette à resserrer, génétique ou autre...
Ce qui ne veut pas dire que la recherche n'avance pas. Car l'épineuse question du "pourquoi" commence, elle, à trouver des réponses. "Beaucoup de théories se sont succédé pour expliquer le vieillissement, résume le professeur Simon Galas. Elles ont même refait toute l'histoire des sciences : on a d'abord cherché un mécanisme unique, avant de se rendre compte de la difficulté de décrire quelque chose d'aussi complexe avec un seul mécanisme. On s'est alors tourné vers des approches se calquant sur la biologie du développement." Ces approches, ce sont les théories évolutives. Qui livrent une nouvelle clé du vieillissement, et pas des moindres. Le postulat de ces théories est simple : l'évolution reposant sur la sélection du plus adapté, le vieillissement ne semble procurer aucun avantage, que ce soit en termes de reproduction ou de prise en charge de la descendance. À quoi bon vieillir alors ? À rien... Car la sélection naturelle ne fonctionne à plein que jusqu'à l'âge de la reproduction ; ce qui se passe après échappe à son contrôle, puisque l'individu a déjà transmis son patrimoine génétique. Du reste, il semble que des gènes clés de la reproduction soient ceux qui précipitent le vieillissement...

"LA DURÉE DE VIE N'EST PAS FIXE"

Cette vision "évolutive" change évidemment la donne, au point de chapeauter désormais les théories "physiologiques" (radicaux libres, hormones, etc.), dont les hypothèses "sont contestées, car elles n'expliquent pas tout et donnent des résultats contradictoires", précise le professeur Simon Galas. Pour sa part, le professeur Baulieu constate "qu'il y a un côté aléatoire, incompris, dans le vieillissement qui ne s'explique peut-être pas. Un hasard que l'on ne contrôle pas, même dans les conditions expérimentales les plus serrées. On ne pourra sans doute jamais prévoir la durée de vie exacte d'un individu."
Entre une vision mécaniste trop simpliste et une vision théorique qui en rappelle le caractère intrinsèque à la vie et à son évolution, le vieillissement n'a, à l'évidence, pas fini de nous donner des cheveux blancs. Doit-on pour autant ranger notre scénario de science-fiction au placard des utopies ? Pas si vite. Le mouvement est lancé et il n'est pas prêt de s'arrêter, en restant tout de même dans certaines limites biologiques. "Déjà, la durée de vie, et pas seulement son espérance moyenne (qui croit de 3 mois par an), augmente, constate le professeur Baulieu sur la base d'études de l'état civil suédois. Et l'extraordinaire, c'est que depuis 1969, cette augmentation est passée de 0,4 à 1,1 année par 10 ans. L'idée généralement admise que la durée de vie est fixe est donc fausse. On va vivre de plus en plus vieux... Mais cela progressivement, bien sûr, pas du jour au lendemain." Plus vieux, et en meilleure santé ? Il semble qu'il soit déjà possible d'agir sur la longévité et la qualité de vie, ne serait-ce qu'en exploitant au mieux le potentiel dont la nature nous a dotés. La recette ? Elle tient en trois consignes : manger moins, bouger plus et penser plus. Rien que du bon sens, direz-vous. Oui, mais étayé désormais par une bonne dose de science.

UN ETERNEL FANTASME
Trouver la fontaine de jouvence et s'épargner les outrages du temps... Cette quête n'en finit pas de traverser les âges sans prendre une ride depuis le temps où les hommes invoquaient les dieux, la coupe du Graal ou encore l'alchimie pour gagner la jeunesse éternelle ! Car le désir de longue vie reste d'actualité et la recherche a pris un aspect plus (ou moins) "scientifique". Ainsi, au début du XXè siècle, certains se firent-ils greffer des testicules de bouc pour prolonger leur vigueur, puisque reproduction et longévité sont liées. Sans succès... Si l'expérience prête plus à rire qu'à confusion, d'autres tentatives, sous couvert de noms prestigieux, sont plus ambiguës. Longtemps lié à l'université de cambridge, l'informaticien Aubrey de Grey, pour ne citer que lui, prétend avoir découvert les "sept causes profondes du vieillissement" (perte de cellules, mutations de l'ADN, déchets intra et extracellulaire...), enfonçant du même coup autant de portes ouvertes, et comment les combattre. Il annonce sur son site web que : "L'âge moyen de décès de ceux nés dans les pays développés une quarantaine d'années avant le second millénaire dépassera les 5000 ans." Il est aussi impliqué dans le prix et la Fondation Mathusalem qui organise une compétition mondiale de prolongement de la durée de vie des souris de laboratoire.

E.R. - SCIENCE & VIE > Décembre > 2007
 

   
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