L'Intelligence

Les Gros Neurones font les Gros Q.I.

T.C.-F. - SCIENCE & VIE N°1231 > Avril > 2020

L'Intelligence serait d'abord une Affaire de Connexions

L'intelligence ? À cette vaste question, des chercheurs américains et slovènes apportent un éclairage nouveau : elle pourrait être liée, en partie, a l'intensité des connexions entre le cortex préfrontal gauche et le reste du cerveau.

L'efficacité de cette connectique globale serait responsable de 10 % des variations d'intelligence entre les individus, alors que 6,7 % de celles-ci viendraient de la taille du cerveau et 5 % du niveau d'activité du cortex préfrontal même.

F.G. - SCIENCE & VIE > Novembre > 2012

Est-il vrai que l'Homme est de plus en plus Intelligent ?

L'idée selon laquelle l'intelligence humaine ne cesse de progresser est largement partagée. Mais est-elle juste ?

"Nous avions le même cerveau au XVIIe siècle, et pourtant les élèves de quatrième sont à l'aise avec des notions qui ont dérouté les contemporains de Descartes pendant près d'un siècle souligne le psychologue Joël Bradmetz, de l'université de Reims. Mais en fait, le monde est surtout compliqué quand on ne le comprend pas. C'est le propre de l'intelligence de requalifier sans cesse le complexe en simple". Aussi, bien qu'il soit tentant de penser que l'intelligence humaine a toujours progressé, il reste très difficile de le prouver. Sauf que, depuis la mise au point, en 1911, par le psychologue Alfred Binet, d'une "échelle métrique" de développement de l'intelligence, une batterie de tests a été mise au point, permettant de comparer la capacité de mémoire, d'apprentissage ou de raisonnement au fil des générations. Aboutissant à une mesure générique appelée score total de quotient intellectuel, le fameux Q.I., dont la valeur moyenne est fixée par définition à 100.
En 1997, 52 experts mondiaux se sont réunis pour proposer une définition qui fait toujours référence : "L'intelligence est une capacité très générale, qui implique l'aptitude à raisonner, planifier, résoudre des problèmes, penser de manière abstraite, comprendre des idées complexes, apprendre de l'expérience". Et d'ajouter : "L'intelligence ainsi définie peut être mesurée, et les tests d'intelligence la mesurent bien".

SEUIL DE L'INTELLIGENCE : Ainsi, même si le Q.I. ne saisit pas l'intelligence dans toutes ses facettes, il permet de pointer l'évolution des capacités intellectuelles mesurées. Or, depuis des décennies, des milliers d'individus sont régulièrement soumis à des tests d'intelligence. Leur analyse minutieuse a montré qu'en moyenne, l'intelligence progresse. Tous les 10 ans, depuis 1940, le Q.I. mondial gagne 3 points. Cependant, en France, les scores de Q.I. ont, entre les années 1980 et 2000, certes évolué à la hausse... mais à un rythme déclinant. Pis, les résultats les plus récents venus des pays scandinaves montrent que le Q.I., après avoir atteint un pic, y est en léger déclin. Tous les pays développés vont-lis suivre ? Les prochaines décennies le diront. Avec, en toile de fond, l'idée qu'il pourrait exister un seuil au-delà duquel l'intelligence humaine cesserait de progresser...

F.L. - SCIENCE & VIE QUESTIONS RÉPONSES N°7 > Mai > 2012

L'Intelligence Est-elle Gage de Bonheur ?

Bien que le bonheur dépende du regard que l'on porte sur le monde, regard positif et optimiste ou sombre et désespéré, le stéréotype de l'imbécile heureux n'est pas totalement erroné.

En effet, une grande intelligence peut être anxiogène car elle génère beaucoup de questions, souvent sans réponse. Difficile dans ces conditions d'être serein, affirme Jeanne Siaud-Facchin, auteur de Trop intelligent pour être heureux (éd. Odile Jacob), l'un des seuls livres consacrés aux adultes surdoués. À quoi les reconnaît-on ? Enfant ou adulte, explique la psychologue clinicienne qui a créé Cogito'Z, premiers centres français de diagnostic et de prise en charge des troubles d'apprentissage scolaire, le surdoué n'est pas précoce mais différent dès sa naissance, comme d'autres sont gauchers. La différence est qualitative et se situe au niveau de l'architecture de son intelligence : les zones activées dans son cerveau par n'importe quel type de tâche intellectuelle ne sont pas les mêmes que chez les autres individus. Le surdoué diffère également par sa réactivité émotionnelle, en particulier par une grande vulnérabilité de l'amygdale, zone du cerveau qui repère les émotions dans l'environnement, les gère et les traite. Résultat, ses émotions, déjà intenses, sont encore amplifiées comme par une caisse de résonance et lui confèrent une puissance émotionnelle à la fois très élargie et très aiguë. L'intrication de ces deux particularités, extra lucidité et hyperémotivité, rend son adaptation à son environnement plus complexe que pour des êtres moins intelligents. L'intelligence ne rend pas malheureux pour autant, souligne Jeanne Siaud-Facchin, mais lorsqu'un surdoué va mal, il présente deux caractéristiques : une espèce de douleur existentielle autour de la quête de sens, douleur sourde et qui parfois prend des proportions envahissantes, et une grande labilité émotionnelle, c'est-à-dire des émotions qui changent de tonalité extrêmement vite, non pas par phases comme chez un bipolaire, mais d'un instant à l'autre, par exemple de l'euphorie à la détresse absolue puis à la colère. Cette labilité est liée à une très grande rapidité des connexions des neurones qui fait que tout va très vite et change tout le temps. Si vous vous êtes reconnu et si, au terme d'une longue errance thérapeutique, vous ne vous sentez toujours pas heureux, si vous traînez une impression d'immense solitude, d'incompréhension à votre égard et de décalage permanent avec votre environnement, demandez-vous si vous n'êtes pas surdoué. "La question, encore sujet de risée, peut être une porte ouverte vers un mieux-être qu'il faut emprunter", insiste la spécialiste.

Agnès Diricq - ÇA M'INTÉRESSE HS > Février > 2010

Cerveau : l'Intelligence Naît aussi des Synapses

On pensait que la complexité cérébrale dépendait, entre autres, du poids du cerveau relativement à celui du corps, et que l'intelligence était liée au nombre de neurones. Mais d'autres facteurs entrent en jeu. En s'attaquant aux synapses, ces jonctions qui permettent aux neurones de communiquer, les neurosciences donnent aujourd'hui un éclairage nouveau sur l'origine de notre cerveau et ses incroyables capacités.

Jusqu'ici, la science avait établi une relation simple entre l'évolution du cerveau et les capacités cognitives : l'intelligence d'une espèce dépend fortement de l'accroissement, au cours de l'évolution, de la taille relative du cerveau (voir encadré) et du nombre de neurones qui le composent. Ainsi, Homo sapiens présente-t-il des comportements plus complexes que le hérisson, le rapport entre masse du cerveau et masse corporelle étant beaucoup plus élevé dans son cas que dans celui du petit mammifère. De même, le cerveau humain renferme des milliards de neurones quand les vers nématodes n'en possèdent guère plus de quelques centaines dans tout leur système nerveux. Imparable... mais plus suffisant ! Car voici qu'une étude menée par des scientifiques du Wellcome Trust Sanger Institute, à Cambridge, et des universités d'Edimbourg et de Keele, au Royaume-Uni, vient de révéler que ces facultés cognitives sont aussi liées à un autre facteur auquel la communauté scientifique ne s'était jusqu'à présent pas intéressée : l'évolution, au fil des âges, de la composition moléculaire des synapses, ces connexions par lesquelles les neurones communiquent entre eux via l'influx nerveux.
"Le cerveau humain possède des millions de milliards de synapses, soit environ quelques millions de fois plus que de neurones, explique le professeur Seth Grant, qui a dirigé l'étude. Et nous savons que chacune d'elles est composée d'environ un millier de protéines qui forment une machinerie moléculaire à l'intérieur de la synapse, un peu comme une puce d'ordinateur qui traiterait les données en transit d'un neurone à l'autre". Les synapses sont donc bien plus nombreuses encore que les neurones, mais pas pour autant beaucoup plus étudiées. "Bien que de multiples études se soient penchées sur le nombre de neurones, note le chef du projet, aucune n'a analysé la composition moléculaire des connexions neuronales". Un manque que le chercheur et ses collègues, travaillant au programme "Des gènes à la cognition", ont aujourd'hui un peu comblé.

Spectrométrie de masse : technique qui permet d'identifier des molécules en les fragmentant.
Génomique : étude du génome (molécule d'ADN qui contient les gènes, plans de montage des protéines), avec pour but d'identifier les gènes et leur fonction (quelles protéines ils codent) et de déterminer le rôle du reste de l'ADN.
Protéomique : étude de l'ensemble des protéines d'une cellule, d'un tissu, d'un organisme : leur rôle, leur structure, leur localisation, leurs interactions...

UNE BASE DE 150 MOLÉCULES

Grâce aux techniques de la protéomique (identification et analyse des protéines) et de la génomique (identification et analyse des gènes), les chercheurs ont reconstitué l'évolution des synapses du cerveau. Ils ont plus précisément étudié 600 des 1000 protéines qui sont présentes dans les synapses de mammifères et appartenant à des complexes de molécules synaptiques impliqués dans l'apprentissage et la mémoire, en particulier les complexes dits PSD et MASC. Ils se sont penchés sur les gènes qui codent ces protéines, et ont examiné le génome de 19 espèces, comprenant des vertébrés, comme la souris ou l'homme, des invertébrés, telle la drosophile, et un animal unicellulaire, la levure. "Ces espèces représentent un large balayage de l'évolution", explique Seth Grant.
"C'est un travail extrêmement difficile qu'ils ont mené, et très intéressant, souligne Philippe Vernier, directeur de l'unité Développement, évolution, plasticité du système nerveux à l'Institut de neurobiologie Alfred-Fessard, à Gif-sur-Yvette. Un véritable exploit technique qui nécessite des moyens expérimentaux considérables, notamment pour l'analyse par spectrométrie de masse de milliers d'échantillons de protéines synaptiques extraits du cerveau de la mouche drosophile et qu'ils ont ensuite comparées aux protéines homologues d'une vingtaine d'espèces différentes."
Les résultats sont tout aussi impressionnants : leur étude montre que près d'un quart des gènes synaptiques (23 % environ) présents dans le cerveau humain existe déjà chez les animaux unicellulaires, comme la levure, qui pourtant n'ont pas de système nerveux. Ainsi, même les êtres vivants les plus simples seraient dotés d'un cour de base de 150 molécules, commun avec les êtres les plus complexes. Les chercheurs ont nommé cet ensemble ancestral de protéines synaptiques "la proto-synapse". Plus fort : leurs travaux montrent que l'origine des protéines cérébrales ne daterait pas, comme on l'a souvent cru, des animaux pluricellulaires, les premiers à être pourvus de cellules nerveuses, mais remonteraient, bien avant dans l'évolution, aux animaux unicellulaires. Un surprenant paradoxe que Seth Grant résume bien : "Curieusement, un grand nombre de molécules du cerveau sont apparues chez des animaux qui n'ont pas de cerveau."

À quoi peuvent bien servir ces protéines chez des organismes qui ne sont pas dotés d'un système nerveux ? Selon les chercheurs, "la protosynapse" permettrait aux unicellulaires de réaliser les comportements les plus essentiels, comme répondre à un stimulus : un stress, un manque de nourriture ou un changement de température, par exemple... Qui plus est, les scientifiques ont remarqué que ce "kit de base" ne comportait pas le même nombre de protéines chez les invertébrés que chez la levure : "Il y en avait deux fois plus", souligne Seth Grant. En effet, environ 45 % des protéines de mammifère étudiées existent également chez les invertébrés, comme les mouches et les humbles vers nématodes. Ce qui laisse supposer que la proto-synapse aurait été complétée, mais aussi complexifiée, lors de l'apparition des premiers animaux multicellulaires, il y a quelques milliards d'années.

À LA SOURCE DU CORTEX

Enfin, les chercheurs ont remarqué un accroissement des composants clés de la synapse, tels que les récepteurs, les protéines du cytosquelette ou les protéines d'échafaudage... Autant d'éléments qui ont permis à la protosynapse de se transformer en une sorte de "puce infonnatique plus puissante", compare Seth Grant. Une seconde vague de perfectionnement, avec un nouveau doublement des protéines et diversification, se serait ensuite produite, il y a 500 millions d'années, lors de l'émergence des vertébrés. C'est-à-dire des animaux dotés d'un crâne avec un gros cerveau comme les poissons, les oiseaux, les mammifères...
"Quand la mouche (invertébré) possède une protéine pour remplir une fonction unique, la souris (vertébré) en possède 4, 5, 6 ou 7 différentes pour assumer en gros la même fonction, mais avec à chaque fois des petites variations, explique Philippe Vernier. Autrement dit, la mouche a la capacité de répondre à un type de stimulus de manière stéréotypée, tandis que la souris pourra répondre à des stimuli différents de 5 ou 6 manières, dans diverses combinaisons. Cela permet une gamme de réponses beaucoup plus étendue, et des capacités d'adaptation, mais aussi d'apprentissage, bien plus importantes. Une conclusion qui était certes un peu attendue, mais cela n'avait encore jamais été démontré."

Toutefois, un mystère demeure : "Nous avons calculé que les synapses les plus complexes sont apparues des centaines de millions d'années avant l'apparition du grand cerveau des mammifères, indique Seth Grant. Nous nous sommes donc demandés si cette apparition précoce avait été la condition préalable à la croissance et l'expansion du système nerveux chez les grands mammifères". Pour tenter de répondre, les scientifiques anglais ont recherché 65 protéines synaptiques, dont 56 présentes dans le complexe MASC, dans 22 régions d'un cerveau de souris. Verdict : "Nous avons constaté que les protéines [et donc les gènes] apparues le plus récemment sont celles qui ont contribué à la genèse des différentes régions cérébrales, comme le cortex, le cervelet ou la moelle épinière", explique Seth Grant. En d'autres termes, l'évolution moléculaire a été nécessaire pour faire naître le grand cerveau des humains, des primates ou d'autres vertébrés évolués. Seth Grant va même jusqu'à penser que "les protéines synaptiques ont pu participer à certains égards au processus de sélection naturelle", inventé par Charles Darwin. De même, Richard Ernes, l'un des principaux auteurs de l'étude, pense que leur travail à mis en lumière le processus d'évolution darwinienne qui, à partir d'un système sensoriel simple comme celui de la levure, permet de bricoler la synapse complexe des mammifères nécessaire à l'apprentissage et à la cognition".

CETTE COMPLEXITÉ A UN PRIX

Au passage, l'équipe britannique a aussi pu constater que le cerveau humain était encore plus complexe qu'on ne le croyait, au point d'affirmer que "la vue simpliste selon laquelle 'plus de neurones' expliquerait une plus grande puissance cérébrale ne résiste pas à notre étude, souligne Seth Grant. En un mot, le nombre de neurones n'est pas la seule différence entre les espèces".
Mais attention, si le fait d'être pourvu de davantage de protéines synaptiques et de protéines plus complexes confère aux animaux un plus large éventail de comportements, cette complexité a un prix : celui de pouvoir être plus facilement déréglé. "Lorsque les nouveaux gènes acquis ne fonctionnent pas correctement, s'ils mutent, cela peut provoquer des maladies mentales et des troubles de l'apprentissage, souligne Seth Grant. Du coup, la protéomique nous donne de nouveaux moyens de recherche des maladies du cerveau." Une bonne nouvelle, sachant toutefois que les liens entre les mécanismes moléculaires et les comportements sont encore loin d'être élucidés. Car il ne suffit peutêtre pas de bien connaître une puce informatique pour comprendre le fonctionnement d'un ordinateur.

Comportements complexes et poids du cerveau sont liés
Le poids du cerveau chez les vertébrés est proportionnel à la taille de l'animal, c'est ce que montra en 1973 le neurobiologiste américain H.J. Jerison dans L'Evolution du cerveau et l'intelligence. Pour cela, il compara la taille du cerveau de nombreux mammifères et établit sur un graphique une ligne correspondant à la taille de cerveau attendu en fonction du poids. Mais d'après ce graphique, certaines espèces (celles qui se situent au-dessus de la ligne oblique) ont un cerveau plus gros que d'autres. "Chez les mammifères, l'homme ou les primates ont plutôt un gros cerveau par rapport à leur taille, contrairement au hérisson, explique Philippe Vernier, de l'Institut de neurobiologie Alfred-Fessard. Et cela est vrai pour tous les groupes d'animaux". Par ailleurs, de nombreux travaux ont montré une corrélation entre une taille relative de cerveau plus importante et des comportements plus complexes. "Les animaux qui ont des gros cerveaux sont en général des espèces sociales, poursuit Philippe Vernier. C'est le cas de l'homme, mais aussi celui du perroquet, des corvidés et des étourneaux. Ils vivent dans des sociétés très élaborées, avec des chefs, des sous-chefs, qui guident et apprennent aux autres... Ils possèdent des langages complexes. Croire que tous les mammifères ont des cerveaux plus gros par rapport à leur taille que les oiseaux, par exemple, est faux. Néanmoins, chez les mammifères, ce sont les êtres humains modernes qui ont le plus gros cerveau relativement à la taille du corps : il représente 2 % du poids. Nous voilà rassurés.

Florence Heimburger - SCIENCE & VIE > Décembre > 2008
 

   
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