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Galaxies et Matière Noire

Les Galaxies Spirales défient la Matière Noire

S.B. - POUR LA SCIENCE N°470 > Décembre > 2016

Galaxies : leur Matière Noire sort de l'ombre

On en sait enfin plus sur l'insondable matière noire. Si certaines galaxies naines en possèdent une part importante, c'est que leur gaz a été subtilisé par une galaxie hôte. Intriguant !

REPÈRES : Chaque galaxie contient une part de matière noire. Fritz Zwicky s'en apperçoit dès les années 30. Il observe que, dans de nombreuses galaxies, si les étoiles en périphérie gravitent à une vitesse anormalement élevée, c'est qu'une matière invisible leur sert de "ciment". D'où le postulat de la présence dans l'Univers d'une matière invisible, ou "matière noire", dont la distribution varie selon les objets observés.

Elles se nomment Draco, Ursa Minor ou bien Andromeda IX. En bonnes galaxies naines, toutes trois gravitent autour de grande galaxies spirales : la Voie Lactée pour les 2 premières, ou sa voisine, Andromède pour la troisième. Elles entretiennent leur côté obscur, car non seulement elles ont cessé de former des étoiles il y a 10 milliards d'années, mais sutout, elles possèdent une quantité incroyablement grande de "matière noire", cette matière qui échappe aux télescopes classiques et dont la véritable nature physique est l'une des plus grandes énigmes de l'astrophysique actuelle. Certes, toutes les galaxies possèdent leur part de matière sombre, mais dans le cas de ces 3 naines, elle apparaît excessive : la matière noire représente jusqu'à plusieurs dizaines de fois leur part de matière visible, autrement dit leurs étoiles. Ce qui est presque 10 fois plus que chez leurs consours situées sur des orbites plus lointaine ! Voilà ce qui intrigue les astrophysiciens. Car parmis la vingtaine de galaxies naines détectées en orbite autour de notre galaxie et celle d'Andromède, ces trois-ci ont en commun la particularité d'être situées sur des orbites proches - de 147.000 à 280.000 années-lumière -, alors que les autres gravitent au-delà de 650.000 années-lumière. Des autres qui, contrairement au trio, ont continué à former des étoiles pendant plusieurs milliards d'années après elles.
Si bien que les scientifiques s'interrogent : comment Draco, Ursa Minor et Andromeda IX se sont-elles formées ? Sont-elles nées avec si peu de gaz que leurs étoiles ont cessé de se former très tôt ? Ont-elles perdu ce gaz en route ? Y a-t-il un lien entre leurs orbites proches et leur excès de matière noire ? L'enjeu est d'importance car, en filigrane, c'est le problème des "satellites manquants" qui se pose. Ou pourquoi on observe si peu de galaxies naines, alors que le modèle cosmologique prédit leur existence par centaines (voir dessous). Reste que pour répondre à ces questions, les astrophysiciens se sont longtemps heurtés à d'insurmontables difficultés théoriques : il leur fallait tenir compte de tous les phénomènes physiques mis en jeu tels que les effets de marée, le vent stellaire ou le rayonnement ultraviolet, mais aussi disposer d'une puissance de calcul suffisante pour arriver à modéliser ceux-ci précisément.

"Ce modèle est intéressant car il propose non seulement une explication à la très grande concentration de matière noire dans certaines galaxies naines primordiales, mais il tente également de répondre à l'une des grandes énigmes de la cosmologie : le problème des satellites manquants. En effet, le modèle cosmologique prédit la présence d'au moins 100 galaxies naines en orbite autour de la voie lactée ; or seulement une dizaine a été observée. Jusque-là, on pensait que ces satellites manquants pourraient être des galaxies naines n'ayant pas réussi à former des étoiles. Mais les simulations réalisées ici montrent qu'il pourrait s'agir plutôt de galaxies ayant formé des étoiles très tôt dans l'histoire de l'univers et de manière inefficace, car elles se seraient aventurées trop près de leur galaxie hôte : elles auraient ainsi perdu l'essentiel de leur matière visible. Reste à montrer que le processus est assez efficace pour expliquer tous les satellites manquants. Il faut aussi tenir compte des galaxies naines de marées qui peuvent naître lors de collisions entre galaxies spirales massives, même si elles possèdent moins de matière noire."
Pierre-Alain Duc : Astrophysiscien au laboratoire AIM, CEA Saclay.

UN SCÉNARIO PASSIONNANT : C'était avant de disposer des super-calculateurs de l'université de Zurich, en Suisse, et du Pittsburgh Supercomputing Center, dans l'Etat de Pennsylvanie, aux États-Unis. Car gràce à eux, une équipe d'astrophysiciens, emmenée par Lucio Mayer, a finalement pu aboutir à des simulations... qui ont livré le mystère de la formation des trois intruses. C'est la galaxie spirale autour de laquelle elles gravitent qui, en formant ses propres étoiles, a rendu leur gaz stérile, avant de le leur subtiliser par de puissants effets de marée ! Un véritable rapt cosmique, dont elles ne se sont pas remises. Pourtant, le défi était de taille, comme le rappelle un des membres de l'équipe, Stelios Kazantzidis : "Il a fallu tenir compte de tous les effets environnementaux présents au moment de la formation des galaxies naines il y a 10 milliards d'années, afin d'obtenir le modèle théorique le plus cohérent possible. Ensuite, nous avons dû recourir à des supercalculateurs travaillant en parallèle durant deux mois, soit la simulation la plus approndie jamais réalisée sur ce sujet".

Concrètement, les scientifiques ont décomposé leur simulation en deux temps. Tout d'abord, une simulation cosmologique à grande échelle censée reconstituer la formation des galaxies et de leur halo depuis le big bang, il y a 13,7 milliards d'années, jusqu'à il y a 10 milliards d'années en arrière, date à laquelle s'est accrété notre trio de galaxies naines. Cela fait, ils ont alors utilisé les conditions environnementales obtenues à la fin de cette première simulation (température, densité de matière, intensité du rayonnement ou encore la concentration de matière noire) comme point de départ pour une seconde simulation, essentiellement concentrée, elle, sur l'évolution de la Voie lactée et d'une galaxie naine satellite fictive, jusqu'à aujourd'hui (simulation). Et c'est là que le scénario devient passionnant. Imaginez : nous sommes il y a 10 milliards d'années et la Voie lactée forme alors beaucoup d'étoiles. Un baby-boom qui s'avère lourd de conséquences pour son environnement immédiat et, notamment, pour la jeune galaxie naine se trouvant sur une orbite proche. Car en produisaut un puissant rayonnement ultraviolet, cette explosion de naissances stellaires provoque un réchauffement qui est fatal au gaz contenu dans la galaxie naine. En effet, cette hausse de la température (jusqu'à 10.000°C) provoque une agitation thermique telle que le gaz ne peut s'effondrer sur lui-même et former tranquillement des étoiles. Autrement dit, le gaz est devenu stérile. Et ce n'est pas tout : la puissante force gravitationnelle de la Voie lactée se met à engendrer de gigantesques effets de marées sur sa petite voisine, la privant progressivement de son gaz, qui se répand en immenses gerbes dans le milieu interstellaire. Et cette formidable pression exercée par le gaz de la Voie lactée crée une sorte de tempête galactique, chassant encore plus de gaz de l'imprudente galaxie naine...

GAZ ET ÉTOILES SONT EXPULSÉS : Conséquence ? Dès la première révolution de la galaxie naine autour de la Voie lactée, effectuée en 1,7 milliard d'années, les forces de marées et les vents stellaires sont si dévastateurs qu'ils provoquent la perte de 60 % de son gaz. Après une seconde révolution, la totalité du gaz a disparu, avalé par la Voie lactée. Et la matière noire ? Contrairement au gaz, et selon le modèle cosmologique actuel, elle n'est soumise qu'aux forces de gravité et aux effets de marées. Elle ne subit donc pas les effets du vent stellaire ; mais sa densité est tout de même divisée par 4 pendant les 10 milliards d'années que dure la simulation. Au final, la galaxie naine modélisée présente des caractéristiques tout à fait comparables à celles d'objets effectivement détectés autour de la Voie lactée, tels que Draco ou Ursa Minor : orbite, absence de gaz, faible luminosité, forte concentration de matière noire, vitesse de rotation, tout concorde ! Ce qui fait dire à Frédéric Bournaud, astrophysicien au CEA de Saclay, que "cette interprétation est tout à fait possible, le mécanisme proposé fonctionne". Pour autant, il n'hésite pas à pointer un bémol : "On ne sait pas si les galaxies naines qui aujourd'hui sont proches de la Voie lactée l'étaient suffisamment il y a 10 milliards d'années pour subir des effets de marées aussi intenses".
Un bon moyen de vérifier cette hypothèse serait d'observer directement ce genre d'objets, c'est-à-dire des galaxies naines autour de grosses galaxies spirales à une distance de 10 milliards d'années-lumière, soit tels qu'ils étaient il y a 10 milliards d'années. Mais "observer des galaxies naines à de si grandes distances nécessiterait des télescopes beaucoup plus puissants que ceux qui existent aujourd'hui, regrette Lucio Mayer. C'est pourquoi nous n'avons que des exemples pour des naines proches de nous, ou bien pour des galaxies plus lointaines mais plus massives". Et justement, une équipe internationale d'astronomes menée par Luca Cortese de l'université de Cardiff, au Pays de Calles, vient de repérer un parfait exemple de "rapt de gaz a grande échelle, commis cette fois par un amas de galaxies (l'amas Abel 2667) sur une grosse galaxie spirale située à 3,2 milliards d'années-lumière de nous. Cet événement a été repéré grâce à des observations combinées de télescopes spatiaux tels que Hubble, Chandra et Spitzer, et d'observatoires terrestres comme le Very Large Telescope au Chili et le Keck, à Hawaï. Gràce à toutes les longueurs d'onde ainsi mises en évidence, les astrophysiciens ont pu observer avec précision les effets de marées titanesques exercés sur cette galaxie spirale qui est en train de plonger dans l'amas. La faute au puissant champ gravitationnel qu'exercent conjoin tement les centaines de galaxies de l'amas, l'incontournable matière noire ainsi que le gaz présents au sein de l'amas. Par ailleurs, le gaz de l'amas, porté à plusieurs dizaines de millions de degrés, provoque une véritable tempête stellaire.
Résultat : le gaz et de nombreuses étoiles de la galaxie sont littéralement expulsés, formant l'équivalent d'une queue de comète. C'est d'ailleurs pour souligner cette comparaison que les scientifiques ont joliment surnommé cette galaxie, "la galaxie comète". La "galaxie comète" fonce vers l'amas de galaxies Abeil 2667 (en bas, à droite), qui lui subtilise son gaz, formant une traînée bleue.
Mais en attendant l'arrivée à la fin de la prochaine décennie de télescopes géants permettant l'observation d'objets très peu lumineux à plusieurs milliards d'années-lumière de distance, et donc de repérer des galaxies naines très lointaines, la mission Global Astrometric Interferometer for Astrophysics (GAIA), prévue pour 2011, est attendue avec impatience. Cette mission "astrométrique", qui doit déterminer avec précision les mouvements propres de milliards d'étoiles, validera ou non plusieurs hypothèses, notamment celle de la quantité de matière noire contenue dans les galaxies naines. Car celle-ci pourrait être moins élevée que prévu, comme le souligne Frêdéric Bournaud : "Les étoiles des galaxies naines pourraient être accélérées aujourd'hui par des effets de marées de notre galaxie, laissant la fausse impression d'un grand contenu en matière noire". Les galaxies naines sont-elles vraiment si sombres qu'elles en ont l'air ? Réponse en 2011.

Cyrille Baudouin - SCIENCE & VIE > Mai > 2007
 

   
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