Faute de la trouver, de plus en plus d'astrophysiciens envisagent de se passer de cette entité qui constituerait pourtant, avec l'énergie sombre, 95 % de notre univers. Une révolution ?

Imaginez un martien égaré sur Terre qui cherche à découvrir le plus gros mammifère de la planète : faute d'éléphant, on lui présente un bout de peau grise poilue et fripée. Comment fera-t-il pour deviner la forme du pachyderme au vu de ce minuscule échantillon de trompe ? Tel est le défi qu'affrontent aujourd'hui les cosmologistes qui, au bout de leurs télescopes, estiment n'observer que 0,5 % de l'Univers, la part qui brille. Elle-même ne représentant qu'un dixième de la matière ordinaire, environ 5 % du cosmos ! Pour expliquer le ciel, depuis plusieurs décennies, les astrophysiciens se sont ainsi retrouvés à devoir postuler l'existence de deux entités, des plus mystérieuses : une matière noire, invisible, et une énergie sombre énigmatique. Deux inconnues qui formeraient donc 95 % de l'Univers...
Mais aujourd'hui, de plus en plus de voix s'élèvent, notamment en France mais aussi en Pologne, en Finlande, en Israël et aux États-Unis, pour envoyer les deux au diable. Selon ces chercheurs, matière noire et énergie sombre ne seraient qu'illusion. En réalité, elles n'existeraient même pas ! À les entendre, le contenu de l'Univers ne se résumerait qu'à ce que nous observons. Est-ce possible ? Pour l'heure, ceux qui y travaillent ne sont "pas encore assez nombreux pour changer la donne, estime Françoise Combes, de l'observatoire de Paris. Il est toujours difficile de rompre avec un dogme établi". Et quel dogme !

On a longtemps dit des cosmologistes, les scientifiques qui étudient l'évolution de l'Univers, qu'ils se trompaient souvent mais ne doutaient jamais. Aujourd'hui, ils se trompent moins souvent, mais leurs doutes ont grandi de façon gigantesque.

Après des décennies de recherche, les cosmologistes sont désormais assez confiants pour affirmer que l'Univers est né il y a 13,82 milliards d'années, très vraisemblablement comme une bulle d'espace plus petite qu'un atome. Pour la première fois, ils ont dressé la carte du fond diffus cosmologique (le rayonnement émis quand l'Univers n'avait que 378.000 ans), avec une précision de 0,001 %.
Mais ils ont aussi estimé que toutes les étoiles et les galaxies détectées dans le ciel ne représentaient que 5 % de l'Univers observable. La majorité invisible serait constituée à 27 % de matière noire et à 68 % d'énergie sombre. Qui restent toutes deux des énigmes. On suppose que la matière noire est l'élément qui sculpte les draperies et les spirales dans ces galaxies, formant la structure à grande échelle de l'Univers. De quoi est-elle constituée ? Nul ne le sait. Quant à l'« énergie sombre », elle est plus mystérieuse encore.

LE MAILLAGE INVISIBLE DE L'ESPACE
L'attraction gravitationnelle de la matière noire modèle ce que nous voyons depuis l'intérieur de la Voie lactée.
Cette simulation réalisée par un supercalculateur offre une reconstitution du maillage de matière noire à l'origine de la position actuelle des galaxies. Celles-ci s'agrègent là où de gigantesques filaments sombres se croisent. L'amas de la Vierge réunit des milliers de galaxies à lui seul. SIMULATION ET RECONSTITUTION : STEFFEN HESS ET FRANCISCO-SHU KITAURA INSTITUT LEIBNIZ D'ASTROPHYSIQUE POTSDAM. MISE EN IMAGE : TOM ABEL ET RALF KAEHLER.

Par Timothy Ferris / Photographies de Robert Clark