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9 Milliards de Planètes Habitables dans la Voie Lactée

Aujourd'hui Habitables, Demain Habitées ?

Deux remarquables missions d'exploration spatiale viennent de rendre leurs conclusions en même temps. Les données collectées par le télescope spatial Kepler démontrent qu'il existe environ 9 milliards de planètes habitables dans notre galaxie. Celles analysées par le robot Curiosity depuis la surface martienne attestent que tous les éléments nécessaires à l'épanouissement de la vie telle que nous la connaissons étaient disponibles autrefois sur notre plus proche voisine.

À elles deux, ces missions nous invitent à repenser la probabilité de l'existence de vies extraterrestres, et à relancer nos efforts pour les identifier. Elles marqueront une date dans l'histoire des sciences. Manque de connaissances doublé d'un excès de prétention ? Il n'est pas inutile de nous souvenir que nous avons cru, des siècles et des siècles durant, que notre Terre trônait au centre de l'Univers. Ce ne fut pas rien d'apprendre que c'est elle qui gravite auteur du Soleil, et non le contraire. Ce fut une autre chose encore de réaliser que ce même Soleil n'était qu'une étoile ordinaire, modeste à tous égards, orbitant elle aussi en banlieue d'une galaxie comme il en existe des milliards. Puis, plus récemment, une autre encore de découvrir que d'autres planètes que celles de notre système solaire gravitaient autour d'autres étoiles (les exoplanètes). Avec le recul qui nous est aujourd'hui permis, on est tenté de penser qu'il fallait être un peu sot pour imaginer que les guirlandes d'étoiles qui nous entourent n'étaient là que pour enchanter nos nuits. Sans doute n'avons-nous pas été beaucoup mieux inspirés plus tard en imaginant qu'à défaut d'occuper une position centrale, notre Terre ne ressemblait à aucune autre. Avec ces nouvelles révélations, est-il encore raisonnable de penser que ces guirlandes d'étoiles ne brillent que pour nos yeux ?

SCIENCE & VIE N°1157 > Février > 2014

9 Milliards de Planètes Habitables

la question "l'Univers est-il propice à l'apparition de la vie ?", la science a enfin la réponse : c'est oui. Il y a même 9 milliards de raisons pour qu'il existe dans notre galaxie une autre Terre. Et cette certitude change tout : ce ne sont plus des planètes habitables qu'il s'agit désormais de trouver, mais des planètes habitées !

Le 4 novembre 2013, les astronomes Erik Petigura, Geoffrey Marcy, de l'université de Californie, à Berkeley, et Andrew Howard, de l'université de Hawaï, annonçaient leurs résultats. Les données du télescope Kepler, qui a quatre années durant traqué les exoplanètes autour de 150.000 étoiles, révèlent que 22 % des soleils possèdent une planète de la taille de la Terre, à une distance leur permettant d'abriter de l'eau liquide. Elles sont donc 9 milliards dans notre galaxie.

Le 9 décembre 2013, les membres de la mission Mars Science Laboratory publiaient leurs conclusions. Il n'y a plus de doute : la forme des cailloux, l'organisation des sédiments, la composition des roches... toutes les données envoyées par le robot Curiosity qui roule sur la planète rouge depuis un an et demi indiquent que l'environnement martien a un jour été favorable à l'évolution de la vie, voire son apparition.

Voilà. C'est définitif. On sait enfin : la Terre n'est plus seule. Elle n'est plus l'unique havre de paix de la galaxie. Deux grandes nouvelles viennent de tomber simultanément, offertes par les deux plus ambitieuses missions spatiales de ces 20 dernières années : il existe une planète habitable de plus dans le système solaire, et il en existe 9 milliards d'autres dans notre galaxie. Le rover Curiosity a apporté la preuve que Mars a été dans le passé un lieu idéal pour que la vie se développe et s'épanouisse. Le télescope spatial Kepler vient, lui, de démontrer que 9 milliards de planètes semblables à la Terre, des rocheuses dotées d'une atmosphère et qui pourraient avoir de l'eau liquide à leur surface, gravitent autour des soleils de la Voie lactée. En un mot, deux sondes viennent de répondre à deux grandes questions : oui, les Martiens ont pu exister ; et oui, les extraterrestres ont des milliards de refuges. La Terre n'est pas la seule planète hospitalière. "C'est un moment très spécial dans l'histoire des sciences, le travail le plus important auquel j'ai jamais participé", réagit Geoffrey Marcy, l'un des grands spécialistes mondiaux des exoplanètes.
Car il faut s'en souvenir, les astronomes reviennent de loin. "Y a-t-il oui on non d'autres lieux que la Terre capables d'abriter la vie ? Cela a toujours été la grande question, rappelle Sara Seager, astrophysicienne au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Avant même de voir les exoplanètes, on cherchait à savoir s'il pouvait exister d'autres Terre, et surtout, si elles étaient fréquentes"... Seulement à la fin des années 1990, la découverte d'une profusion de Jupiter chauffées à blanc tout près de leur étoile a commencer à faire douter les chercheurs. Se pourrait-il que la Terre soit une exception parmi des milliards de géantes gazeuses aux conditions infernales ? Jusqu'à ce que les scientifiques reprennent confiance ces dernières années, en découvrant des dizaines de "presque Terre" : des astres 10 fois plus massifs que le nôtre qu'ils ont appelés "super-Terre". "Il n'y avait aucune raison qu'il y ait un trou dans la bestiaire : qu'il y ait beaucoup de géantes, beaucoup de super-Terre et aucune Terre, précise François Fressin, spécialiste du sujet à l'université Harvard. Mais il fallait en être sûr !"
De son côté, la quête de l'habitabilité de Mars connaissait, elle aussi, son lot de rebondissements depuis... le XIXè siècle, lorsque les astronomes, observant ce qu'ils croyaient être des canaux à sa surface, se sont mis à croire à l'existence d'une vie intelligente sur la jumelle de la Terre. Mais en 1976, les sondes Viking ont douché leurs espoirs en révélant une planète 3 fois stérile : Mars a un sol oxydant, elle est dépourvue de la moindre molécule d'eau et croule sous une pluie de radiations mortelles. "Viking a porté un coup d'arrêt aux missions d'exploration de l'habitabilité de Mars", rappelle Francis Rocard, responsable des programmes d'exploration du système solaire au Centre national des études spatiales (Cnes). Mais c'était avant que l'espoir renaisse au début des années 2000 quand les orbiteurs Mars Express et Mars Reconnaissance Orbiter ont révélé la présence d'argiles qui n'avaient pu se former qu'en présence d'eau liquide.

UN VÉRITABLE DÉFI TECHNOLOGIQUE

Requinqués par la profusion de super-Terre et ces indices de la présence passée d'eau liquide sur Mars, les astrophysiciens ont senti que la réponse à la grande question était à leur portée. Restait à déployer les grands moyens : d'une part, retourner sur Mars avec une sonde qui, cette fois, serait capable de véritables analyses et, d'autre part, détecter des milliers de planètes pour en tirer des statistiques sur celles qui pourraient bénéficier de conditions favorables à la vie (infographie ->), pour pouvoir ensuite entrer dans le cercle si convoité des planètes habitables... Rien que cela. Pour relever ces défis, un robot géologue, bourré de dizaines de kilos d'instruments, s'est envolé vers Mars, tandis que prenait place en orbite autour du Soleil un télescope spatial ultraprécis, capable de surveiller 150.000 étoiles comme du lait sur le feu et de distinguer l'ombre de planètes. Deux bijoux de technologie. Deux premières.

DES MOIS D'ANALYSES ET DE CALCULS

Avant Kepler, personne ne croyait même possible qu'un télescope puisse être assez précis pour surveiller des milliers d'étoiles en permanence. Pour convaincre de sa faisabilité, William Borucki, l'ingénieur de la Nasa à l'origine de la mission, a dû retaper l'un des vieux télescopes de l'Observatoire de l'université de Californie : "Nous avons dû le reconstruire entièrement ! Le dôme ne tournait plus, il n'y avait pas de plancher... même pas de quoi brancher un ordinateur ! Mais nous y sommes parvenus avec les technologies, toutes récentes à l'époque, de caméras CCD". De même, avant Curiosity, aucun rover n'avait pu être posé avec précision sur un site que les scientifiques estimaient, grâce aux études menées en orbite, prometteur. Aucun rover non plus n'avait été qualifié pour parcourir plusieurs dizaines de kilomètres au cours de sa mission. Enfin, aucun n'avait eu le pouvoir de prélever des échantillons et de les préparer avant de les analyser...
Et voilà les deux instruments, le robot hyperactif et le patient télescope qui, en même temps, auront eu le dernier mot, comme s'ils s'étaient concertés. Arrivé au terme de sa mission au mois de mai dernier, Kepler a fourni assez de données pour qu'une équipe américaine publie pour la première fois le nombre de jumelles de la Terre. Et elles sont nombreuses, ces petites planètes qui orbitent juste à la bonne distance de leur soleil pour bénéficier d'un climat propice au développement de la vie. Incroyablement nombreuses. Après 3 ans de calculs afin de purger les données de Kepler de tous leurs biais, les chercheurs les évaluent à 9 milliards dans la Voie lactée ! "Ce chiffre est un événement, réagit François Fressin. C'est la première estimation sérieuse. Avant, il ne s'agissait que d'extrapolations fantaisistes". Et il est à la hauteur des espoirs... Il existerait assez de terres habitables pour qu'il soit permis de rêver de trouver la vie (voir article suivant). "Il nous dit que les petites planètes sont très communes", s'enthousiasme Natalie Batalha, membre de la mission Kepler à la Nasa.

DEUX PREUVES... INDUBITABLES

De leur côté, les membres de la mission Curiosity viennent enfin, après des mois d'analyse des données transmises par le robot, de publier leurs conclusions : tous les indices, depuis la forme des cailloux jusqu'à la composition des roches, prouvent que le sol de Mars était, il y a 3,5 milliards d'années, habitable. Michel Cabana, du Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales à Paris et Guyancourt, va même plus loin : "Cet environnement était non seulement compatible avec la préservation et l'évolution de la vie, mais aussi avec son apparition". Voici donc la réponse à la grande question doublement entérinée : "Nous confirmons qu'il existe dans le système solaire un autre environnement qui a pu accueillir la vie", affirme Doug Ming, l'un des membres de la mission Curiosity. Suivi par Geoffrey Marcy, qui déclare de son côté "qu'il existe dans la Voie lactée d'autres planètes pouvant accueillir la vie".
Tel Galilée découvrant le monde lunaire, tel Christophe Colomb posant le pied sur une nouvelle terre, les astronomes explorateurs d'aujourd'hui ont découvert qu'il existe d'autres mondes hospitaliers. La quête des mondes habitables s'achève... Celle des mondes habités peut commencer.

CURIOSITY A PROUVÉ QUE MARS A PU ABRITER LA VIE

Les preuves ont commencé à tomber à peine la sonde avait-elle posé ses roues sur le sol rouge.
Dès la fin août 2012, 27 jours après "l'amarsissage" de Curiosity (mis en orbite le 26 novembre 2011), ses caméras ont révélé des cailloux si lisses et si arrondis que les spécialistes du Jet Propulsion Laboratory, à Pasadena (États-Unis), ne pouvaient avoir de doutes : ils avaient sous les yeux un ancien lit de rivière. Et pas un vulgaire ruisseau intermittent, comme ceux découverts par d'autres missions. Non, les images sont formelles : il s'agit cette fois des traces d'un torrent violent, dont la hauteur d'eau atteignait plusieurs dizaines de centimètres et qui aurait pu s'écouler pendant des dizaines de millions d'années. "C'est la première preuve d'un écoulement pérenne d'eau sur Mars", se réjouit Michel Cabane, du Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales à Paris et Guyancourt. Lorsque le rover parvient à Yellowknife Bay, une dépression sur le plancher du cratère Gale, tout s'accélère : le site est couvert de sédiments. "Cela a été un véritable ravissement", se rappelle Nicolas Mangold, du Laboratoire de planétologie et géodynamique de Nantes. Rapidement, les instruments à bord de Curiosity - notamment le ChemCam, capable de déterminer à distance la composition des roches en tirant dessus au laser puis en analysant la lumière émise - mettent en évidence la présence des 6 éléments chimiques nécessaires à la vie : carbone, hydrogène, azote, oxygène, phosphore et soufre. Les images en haute définition dévoilent quant à elles des sédiments particulièrement fins dans les strates les plus basses, "preuve qu'il s'agit du limon cimenté du fond d'un lac", explique le chercheur. Il y a 3,5 milliards d'années, Yellowknife était un lac d'eau douce d'une cinquantaine de kilomètres de longueur pour 5 km de largeur, alimenté par des rivières descendant des reliefs.
Une possible vie bactérienne : L'analyse des échantillons de deux forages révèle ensuite la minéralogie du site : feldspaths, pyroxènes, olivine, sulfures de fer, sulfates de calcium, minéraux argileux... Ce qui traduit la présence d'une eau pas trop chaude, peu salée et non acide. Une eau qui, en prime, contenait des espèces chimiques ayant pu servir de source d'énergie à des bactéries. Tout concorde : eau fraîche et pérenne, milieu non acide, source d'énergie... Comme le résume Nicolas Mangold, "cet environnement lacustre constituait un milieu dans lequel des bactéries auraient très bien pu s'épanouir". Il y a 3,5 milliards d'années, Mars était donc habitable. "Les conditions étaient idéales pour assembler des acides aminés afin de former des protéines, conclut Pierre Thomas, au Laboratoire de géologie de l'École normale supérieure de Lyon. C'est une excellente nouvelle". La preuve est définitive : dans notre système solaire, et a fortiori dans l'Univers, une autre planète que la Terre a pu servir de refuge à la vie !

KEPLER A DÉMONTRÉ QU'IL Y A 9 MILLIARDS DE TERRES DANS LA GALAXIE

"C'est la première vraie plongée dans les données de Kepler, le premier chiffre qui ne soit pas spéculatif", s'enthousiasme Natalie Batalha, l'une des responsables de la mission à la Nasa. Toute la difficulté consistait à trouver un échantillon de planètes assez grand, assez varié... bref, assez représentatif pour pouvoir être extrapolé. Erik Petigura, Geoffrey Marcy (université de Californie à Berkeley) et Andrew Howard (université de Hawaï) ont commencé par trier les données collectées par le télescope spatial pendant 4 ans : il a recueilli la lumière de 150.O00 étoiles en ciblant une petite portion du ciel, entre les constellations du Cygne et de la Lyre. Ils ont d'abord éliminé toutes les étoiles qui n'étaient pas de type solaire - il en restait 42.557. Puis, à l'aide du logiciel Terra, ils ont traqué les planètes. "Lorsqu'une planète passe devant son étoile, elle atténue un tout petit peu sa lumière, détaille Geoffrey Marcy. Ce sont ces transits que nous avons cherchés. Ils indiquent que l'étoile a un compagnon, et donnent une valeur à la taille de ce compagnon". Les chercheurs ont abouti à une liste de 16.227 modifications suspectes de la lumière des étoiles, laissant penser que quelque chose leur est passé devant. Un premier résultat affiné en éliminant celles qui n'étaient pas périodiques, et devaient être de simples variations de la luminosité des soleils. Il n'en restait plus que 836. "Nous avons alors dû déterminer s'il s'agissait de planètes ou d'étoiles doubles", précise Geoffrey Marcy. Intéressés par les petites planètes, les astronomes ont rejeté tous les corps de plus de 20 fois le rayon de la Terre"... Enfin, leur échantillon était prêt : 603 planètes au total dont 10 habitables (voir ci-dessus).
Un soleil sur cinq abrite sa propre Terre : Mais il fallait encore procéder à une multitude de vérifications. Ils ont alors pointé le télescope Keck 1 (10 m de diamètre), situé à Hawaï, sur les étoiles sélectionnées pour vérifier leur taille. "Kepler donne une mesure très précise du rapport entre le rayon de la planète et celui de l'étoile... mais pour connaître vraiment le rayon de la planète, il fallait d'abord mesurer celui de l'étoile à l'aide d'un gros télescope terrestre", explique Erik Petigura. Les astronomes ont aussi calculé le nombre de planètes que Kepler aurait ratées simplement parce qu'elles sont trop inclinées. Et en prenant exemple sur les physiciens des particules, qui testent leurs détecteurs avec de fausses données, ils ont même injecté des planètes fictives dans leur logiciel pour vérifier la sensibilité réelle de Kepler et extrapoler précisément ses mesures. "Cela a été l'une des plus grandes difficultés, raconte le chercheur. Nous avons dû en tester 40.000 pour nous faire une idée". Le calcul a duré 3 ans. Et il a donné ce chiffre : 22 % des étoiles solaires ont une autre Terre qui leur tourne autour !
Certes, ce chiffre est encore imprécis : les marges d'erreurs indiquent qu'il pourrait se situer entre 14 % et 30 %. Il est donc encore débattu : les frontières de la zone habitable sont loin d'avoir été tracées de manière définitive. Il sera sans doute affiné dans les années qui viennent. "Pour analyser à fond les données de Kepler, on en a encore pour 10 ans", estime Christophe Lovis, à l'Observatoire de Genève. Il n'empêche, voici l'ordre de grandeur tant attendu. Et il peut être décliné à l'infini : un soleil sur cinq abrite une exoterre qui pourrait receler de l'eau liquide à sa surface. Et sachant que la Voie lactée compte 200 milliards d'étoiles, dont 20 % de soleils, ce sont 9 milliards de jumelles de notre planète bleue qui gravitent dans notre galaxie... La plus proche des rocheuses habitables ne serait éloignée que de 12 années- lumière, et son étoile serait visible à l'oil nu depuis la Terre. Bref, la vie pourrait être là, partout.

M.F. et M.G. - SCIENCE & VIE N°1157 > Février > 2014

Et maintenant, Cap sur la Vie Extraterrestre

9 milliards de planètes habitables, mais combien d'habitées ? Des sables de Mars aux confins de la Voie Lactée, la traque est lancée.

Voici à quoi pourraient ressembler les milliards d'autres Terre de la Voie Lactée. Kepler 62f (->) est la première rocheuse habitable à avoir été découverte. Reste à savoir si elle abrite la vie...

Trouver des planètes habitables, c'est fait. Le robot Curiosity et le télescope Kepler viennent de prouver que la Terre n'est pas le seul monde hospitalier de la Voie lactée. Reste maintenant à trouver des planètes habitées, ou qui l'ont été... Les astronomes n'attendaient que ça : passer à l'étape suivante. Cela fait des années qu'ils peaufinent leur programme pour chasser l'extra-terrestre. Ils ont patiemment affûté le mode opératoire, débattu des difficultés. Ils ont dessiné les plans, développé les technologies... "Les résultats de Curiosity montrent qu'il est nécessaire de ramener des échantillons martiens sur Terre pour analyse", défend David Vaniman, l'un des membres de la mission au Planetary Science Institute à Los Alamos (États-Unis). "Avec la profusion d'autres Terre que nous avons tirée des données de Kepler, la prochaine étape est claire : nous devons étudier la composition des atmosphères exoplanétaires en detail pour chercher des signes de vie", assure de son côté Geoffrey Marcy, chasseur d'exoplanètes à l'université de Californie, à Berkeley.

SONDER LES ATMOSPHÈRES

L'heure est à l'effervescence. Des missions sont lancées. Certaines reviennent à la vie après avoir passé 20 ans à prendre la poussière dans des cartons. D'autres émergent de l'imagination débridée des spécialistes : forer sur les planètes lointaines ; ramener des échantillons de sol ; sonder les atmosphères exoplanétaires... La chasse aux traces de vie extraterrestre, quelles qu'elles soient, est en train de se lancer. Au sein du système solaire d'abord. Et c'est Curiosity - encore lui - qui ouvre le bal. Car il pourrait bien être capable de détecter des molécules organiques, dont certaines pourraient être le signe indubitable d'une activité biologique passée ou présente sur Mars. Il en a même collecté quelques-unes et les analyses sont en cours pour déterminer s'il s'agit bien de composés martiens ou si elles ont été déposées par des météorites, voire amenées depuis la Terre... Mais les spécialistes craignent que, pour exhumer des molécules organiques d'origine biologique, il faille forer au-delà des quelque 6 centimètres autorisés par le robot. En effet, des radiations délétères en provenance de l'espace criblent en permanence le sol martien. Aussi, en 2018, l'Agence spatiale européenne (Esa) enverra-t-elle un autre robot sur la planète rouge dans le cadre d'une mission nommée ExoMars. Et celui-ci sera capable de creuser jusqu'à 2 mètres de profondeur. Ensuite, dès le début de la prochaine décennie, un rover nommé Mars 2020, collectera, pour la Nasa, des échantillons de sol martien qu'il mettra à l'abri jusqu'à ce qu'une autre sonde, peut-être d'ici à 2030, ne les ramène dans les laboratoires terrestres, seuls endroits où ils pourront être analysés avec la précision nécessaire pour conclure à la vie...
À moins que d'ici là, le concept du généticien Greg Venter ne se concrétise. En collaboration avec la Nasa, l'Américain est en effet en train de mettre au point une machine qui pourrait analyser in situ des échantillons biologiques, en séquencer l'ADN et transférer automatiquement toutes les informations nécessaires à leur reconstruction sur Terre ! Plus besoin de retours d'échantillons risqués et coûteux, les exobiologistes pourraient travailler à distance... Même si, comme le note Pierre Thomas, au Laboratoire de géologie de l'Ecole normale supérieure de Lyon, "chercher de l'ADN extraterrestre, c'est croire que ce qu'utilise la vie terrestre - l'ADN, donc - est la seule possibilité".

DES LUNES PLEINES DE PROMESSES

Ou à moins, encore, que d'ici là, les astronomes se focalisent sur d'autres contrées habitables, préférant aux roches rouges de Mars, les glaces des lunes Encelade et Europe, qui gravitent autour des géantes Saturne et Jupiter et qui, sous leur surface inhospitalière, cachent de gigantesques océans d'eau liquide. "Europe est une planète formidable, puisqu'il n'est pas impossible qu'une vie ait pu apparaître et se maintenir dans son océan sous-glaciaire", s'enthousiasme Michel Cabane, au Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales à Paris et à Guyancourt. "Eau, matière organique... Encelade présente un cas de figure très intéressant pour les exobiologistes relève de son côté François Raulin, au Laboratoire des systèmes atmosphériques, à Créteil. Mais pour atteindre les deux refuges souterrains, les difficultés sont nombreuses : la mise en orbite sera un défi à cause de la monstrueuse force d'attraction des géantes Jupiter et Saturne ; l'alunissage sera une gageure en l'absence d'atmosphère pour des parachutes ; et même, une fois sur place, il restera à forer des dizaines de kilomètres, une opération à la limite du possible... sur Terre ! Mais des sondes qui se fraieraient un chemin dans la glace en utilisant la chaleur de leur générateur ont été imaginées... Sans compter que d'autres pourraient utiliser la géologie particulière des deux lunes qui ont la bonne idée de propulser dans l'espace une partie de leur matière souterraine sous la forme de geysers, qu'il suffirait de traverser et d'analyser.
Pour la recherche d'exoterres habitées dans la Voie lactée, au-delà du système solaire, la stratégie est differente : distance oblige, il s'agit d'analyser les atmosphères des exoplanètes avec des télescopes pour y débusquer des gaz comme le méthane, le dioxyde de carbone ou l'ozone, qui signeraient la présence d'une vie répandue à leur surface. "Il nous faut étudier la composition des planètes semblables à la Terre situées à 10 ou 20 années-lumière de nous, précise Geoffrey Marcy. Et si nous trouvons une planète avec de grandes quantités de gaz à effet de serre, nous sentirons de la vie". À la profusion d'exoterres habitables découverte par Kepler, cette stratégie paraît sur le point de se concrétiser. D'ambitieux projets qui avaient été proposés dans les années 1990 avant d'être enterrés sont de nouveau sur les lèvres et dans tous les courriers électroniques. En novembre dernier, lors de la conférence qui faisait le bilan des résultats du télescope spatial, les astronomes de la Nasa consacraient un long exposé à un projet nommé New Worlds Explorer : un télescope spatial d'au moins 6 mètres accumpagné d'un immense panneau qui, en masquant la lumière des étoiles, pourra révéler la lueur des Terre qui gravitent à leurs côtés. Tandis que la spécialiste Sara Seager expliquait il y a quelques mois dans la revue Science que "tous les chemins mènent à Terrestrial Planet Finder" un projet, encore plus grandiose, constitué d'une constellation de 5 télescopes spatiaux, qui joueraient le rôle d'un instrument de 50 mètres... ils pourraient par conséquent analyser, molécule par molécule, les atmosphères des Terre. "C'est sûr, le chiffre de Kepler donne un coup de fouet à tous les projets, analyse Christophe Lovis, à l'Observatoire de Genève. Rien n'est encore lancé officiellement, mais ces grandes missions vont revenir sur le tapis, et plutôt tôt que tard"...
De nouveau, les astronomes affichent de grandes ambitions. "II nous faut trouver une planète qui ressemble le plus possible à la nôtre, un petit point bleu pâle. Et il nous faut voir ses continents, les mouvements et la composition de son atmosphère", insiste Natalie Balatha, une des responsables de la mission Kepler à la Nasa. "Il faut que l'Agence européenne et la Nasa s'allient avec le Jappn, la Chine, l'Inde pour construire un télescope spatial", renchérit Geoffrey Marcy. Ils commencent même à envisager un calendrier : "Dans les années 2020, je suis sûr que quelque chose volera", affirme ainsi François Fressin, à Harvard. "New Worlds Explorer sera lancé dans 30 ans et Terrestrial Planet Finder dans 50", prédit de son côté Natalie Balatha.
Dans cette nouvelle quête qui s'ouvre, 6 projets se distinguent (infographie ->). Six missions pour 4 cibles : chercher des molécules organiques d'origine biologique sur Mars ; traquer les signes de vie dans l'océan souterrain d'Europe ; chasser les composés prébiotiques dans les geysers d'Encelade ; partir à la chasse aux biomarqueurs dans les atmosphères exoplanétaires. Et un seul objectif : trouver la vie extraterrestre. "Durant des milliers d'années, les homes se sont demandés : sommes-nous seuls ?, rappelle Sara Seager. Pour la première fois dans l'histoire, nous allons pouvoir nous attaquer à cette question". La grands aventure ne fait que commencer.

AU MOINS 2 SIGNES BIENTÔT À PORTÉE DE TÉLESCOPES
"C'est juste pour donner un ordre de grandeur", prévient Sara Seager. Spécialiste des exoplanètes au MIT, la chercheuse a repris la célèbre formule de l'astronome Franck Drake, qui liste sept facteurs dont il suffit de faire le produit pour connaître le nombre de civilisations extraterrestres détectables. "Drake partait du principe que pour pouvoir être détectée, une vie devait envoyer des signaux radio, rappelle la chercheuse. Maintenant on sait qu'elle peut être trahie par la composition de son atmosphère". En tenant compte de la capacité du télescope JWST qui sera lancé en 2018, du nombre d'étoiles, du nombre de planètes habitables et en supposant que 10 % d'entre elles sont habitées, la nouvelle équation de Drake donne une réponse : 2. Il y aurait deux signatures de vie détectables. C'est peu. Mais c'est déjà beaucoup. Surtout qu'avec l'arrivée de missions spécialisées dans l'étude des exoterres, le chiffre devrait exploser.

M.F. et M.G. - SCIENCE & VIE N°1157 > Février > 2014

Mille Milliards de Mille Planètes

Dans notre galaxie, chaque étoile aurait au moins une planète, ont conclu deux chercheurs français en appliquant une méthode statistique à six années de données.

Les astronomes avaient réussi jusqu'alors le tour de force de détecter plus de 700 exoplanètes... et voilà que l'on apprend qu'il y en aurait plusieurs centaines de milliards ! Qu'elle semble loin la première découverte d'une planète en orbite autour d'une étoile autre que notre Soleil... et pourtant, ce n'était qu'en 1995. À cette époque, bien des astronomes étaient persuadés que seul notre astre avait l'apanage d'un cortège planétaire. La découverte de 55 Pegasi par Michel Mayor et Didjer Queloz, de l'observatoire de Genève, avait déjà mis à mal leurs certitudes. Depuis, les découvertes de planètes extrasolaires n'ont cessé de se succéder. Jusqu'à cette annonce d'Arnaud Cassan et Jean-Philippe Beanlieu, de l'Institut d'astrophysique de Paris (IAP) : dans la Voie lactée, chaque étoile aurait au moins une planète ! Et des étoiles, on en compte plusieurs centaines de milliards...
Il y a 3 manières principales de détecter la présence d'une planète autour d'une étoile. La première est celle des vitesses radiales, par laquelle on repère un mouvement de l'étoile dû à la perturbation gravitationnelle de la planète. La seconde repose sur le phénomène de "transit" d'une planète, de son passage devant son astre durant lequel l'astronome perçoit une diminution de sa luminosité. Mais le défaut de ces deux méthodes est qu'elles ne permettent de détecter que des planètes assez proches de leur étoile. Aussi, c'est la troisième méthode, celle des "microlentilles", qui a bouleversé notre vision de l'Univers. Elle est fondée sur la relativité générale d'Einstein, qui stipule que la lumière est déviée par des masses importantes. Lorsqu'un système formé par une étoile et sa planète passe devant une étoile située à l'arrière-plan, la masse du système planétaire courbe la lumière en provenance de l'astre, comme une lentille optique dévie la lumière. "L'étoile et sa planète se comportent alors comme une microlentille, provoquant un flash lumineux durant un mois, dû à l'étoile, et un autre de quelques heures dû à la planète. Depuis la Terre, l'étoile d'arrière-plan parait alors plus lumineuse", précise Arnaud Cassan, de l'IAP.
Problème, la méthode des microlentilles ne fonctionne que si la planète est strictement alignée avec l'observateur et l'étoile, un moment unique dans l'orbite d'une planète que l'observateur a peu de chance de surprendre. Arnaud Cassan et ses collaborateurs ont donc analysé six années complètes de données concernant plusieurs millions d'étoiles : ils ont relevé 3247 effets de microlentilles. Puis, à partir de méthodes statistiques, ils ont pu déduire le nombre probable de planètes. Bonne nouvelle pour les rêveurs d'autres mondes : parmi ces centaines de milliards de planètes nouvelles, un certain nombre devrait ressembler à la Terre. L'avenir des exobiologistes, à la recherche de la vie extraterrestre, est assuré.

A.Kh. - SCIENCE ET AVENIR N°781 > Mars > 2012
 

   
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