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Une Terre Unique ?

Notre galaxie contient des milliards de planètes semblables à Mars, Vénus ou... la Terre : telle est la vertigineuse découverte des astronomes lancés dans la traque aux exoplanètes. De quoi renforcer l'idée que la vie existe forcément dans l'Univers ? Pas si vite ! Car plus les "autres Terre" sortent de l'ombre, et plus notre planète bleue semble une exception. Et cela change tout...

"Au moins 30 % des étoiles solaires sont entourées de petites planètes". À elle seule, cette récente déclaration de l'astronome suisse Michel Mayor, célèbre pour être le premier découvreur d'une planète extrasolaire en 1995, suffirait à susciter l'enthousiasme. Mais, lorsque de leur côté, les chercheurs de l'université d'Arizona, sous la houlette de Michael Meyer, affirment au même moment que 60 à 80 % des jeunes étoiles ont des planètes terrestres en formation l'affaire prend une toute autre ampleur.

Car au travers de ces froids pourcentages, c'est une pure révolution qui se dessine. Et une révolution aussi bien dans le domaine de l'astronomie que dans la conscience métaphysique que l'homme a de sa place dans l'Univers. Car que disent ces statistiques ? Rien de moins que ceci : sachant que notre galaxie brille de 200 à 500 milliards d'étoiles, cela signifie qu'elle contient probablement plus de mille milliards de planètes... et parmi elles, cent milliards de "Terre" ! Par "Terre", il faut ici entendre des petites planètes telluriques, denses, recouvertes ou non d'une atmosphère, comme le sont, dans notre système solaire, Mercure, Vénus, Mars et... la Terre. Or, jusqu'à il y a peu, c'était essentiellement l'autre grand type de planètes, à savoir des géantes gazeuses telles que Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune, qui tenaient le haut du pavé de l'exploration des systèmes extrasolaires. La découverte que notre galaxie, la Voie lactée, est peuplée de milliards et de milliards de planètes "terrestres" bouleverse radicalement la donne. Car désormais, le Graal clairement assumé consiste à trouver, parmi ces myriades de "Terre", de véritables sours jumelles de notre petite planète bleue, au climat tempéré, à l'atmosphère respirable, à l'eau vive et accueillante... bref, une planète habitable ou habitée. On n'en est pas encore là, mais les candidates se bousculent déjà au portillon de la postérité : plusieurs planètes trouvées ces dernières années sont peut-être aptes à abriter une forme de vie.
Des centaines de milliards d'autres Terre ? À vrai dire, ce chiffre vertigineux circulait depuis quelque temps parmi les astronomes, mais sans qu'aucune donnée scientifique objective ne parvienne à l'étayer. C'est que dix ans durant, depuis la découverte fondatrice de la toute première planète extrasolaire par Michel Mayor et Didier Queloz, les astronomes pratiquaient plutôt la "pêche à la ligne" : une planète ici, une autre là, péniblement repérées surfant sur les vagues de l'espace infini.

PÊCHE AU GROS ASTRONOMIQUE

>Mais depuis le début du XXIè siècle, ce sont des nasses aux mailles fines que les astronomes ont lancées dans les profondeurs cosmiques, via cinq techniques capables de faire mouche. Nous connaissons près de 350 exoplanètes grâce aux 5 techniques d'observations. les exoplanètes dont les caractéristiques physiques sont les mieux connues sont celles qui sont observées par 2 méthodes différentes simultanément.

Or, cette "pêche au gros" astronomique fait presque insensiblement entrer les chercheurs dans l'ère de la statistique. Désormais, de nombreuses équipes trouvent des planètes partout, là où on les attendait... mais aussi là où personne n'imaginait qu'elles existent : autour d'étoiles naines blanches et rouges, autour de géantes, autour d'étoiles mortes, absolument partout... Au point que, dans les observatoires, on plaisante volontiers sur l'incongruité que serait la découverte d'une étoile sans planète ! "Si l'on prend en compte toutes les exoplanètes qui sont encore indétectables pour des raisons techniques, on s'aperçoit que toutes les étoiles possèdent peut-être des planètes !", ajoute Michel Mayor.
D'où vient cette belle et récente assurance ? D'une double convergence. D'abord, les astronomes disposent aujourd'hui de plus de dix ans de recul : depuis 1995, ils n'ont cessé de surveiller des milliers d'étoiles, afin de détecter leurs planètes. Or, la durée est décisive pour la découverte de planètes : pour détecter leur mouvement, qui trahit leur présence, autour d'une étoile, il faut que les planètes parcourent au moins la moitié de leur orbite. Au tout début des observations, les chercheurs ne trouvaient donc que des planètes forcément très proches de leur étoile, puisque bouclant leur orbite en quelques jours ou quelques semaines, à l'instar de Mercure qui fait le tour de notre Soleil en seulement 88 jours.
Plus de dix ans plus tard, les astronomes ont la possibilité de détecter des planètes tournant en quelques mois, voire quelques années ; elles sont donc plus lointaines ! Et le temps passant, ils trouveront de plus en plus de planètes circulant sur des orbites lointaines, comme Jupiter, Saturne, Uranus ou Neptune dans notre propre système. Parallèlement, la précision des instruments de mesure s'est améliorée, via des spectrographes bien plus précis et des télescopes beaucoup plus grands, permettant de découvrir des planètes de plus en plus petites. Résultat de cette double convergence : les équipes les plus en vue, comme celle de Mayor et Queloz en Europe et celle de Geoffrey Marcy, de l'université de Berkeley, aux États-Unis, ont désormais des échantillons statistiques complets : en clair, les chercheurs peuvent affirmer qu'ils ont trouvé toutes les planètes, jusqu'à telle masse, jusqu'à telle distance, de tant d'étoiles. Et c'est ici que les choses basculent. Car forts d'avoir accroché, à la date du 1er septembre 2008, quelque 350 exoplanètes à leur tableau de chasse cosmique, les astronomes disposent maintenant d'un échantillon qu'ils peuvent dire représentatif. Suffisant, en tous les cas, pour projeter combien de planètes existent dans la Voie lactée, dans les autres galaxies... dans l'Univers tout entier ! Et si les statistiques demeurent neutres, un peu abstraites, les zéros qui s'alignent sur les ordinateurs des centres de recherche donnent le tournis...
S'il existe cent milliards de "Terre" dans notre seule galaxie, combien de mondes comparables au nôtre existent-ils alors dans l'Univers ? Le calcul, que tous les astronomes ont fait sur un coin de nappe, en dînant avec les collègues à la fin d'un colloque d'exoplanétologie, est vite fait : puisque l'on compte environ cent milliards de galaxies dans la seule partie visible de l'Univers, on obtient le chiffre de dix mille milliards de milliards ou, plus sobrement, 10 puissance 22.

UN TERRAIN DE JEU QUASI INFINI

Un chiffre vertigineux, qui fait jubiler les astronomes, mais également les exobiologistes, ces scientifiques spécialisés dans la recherche de la vie extraterrestre. Et pour cause : alors qu'il y a 20 ans, personne ne savait s'il y avait d'autres planètes dans l'Univers, aujourd'hui, leur terrain de jeu paraît quasi infini ! Et ce n'est pas tout. Car derrière la fascinante découverte de myriades de planètes, une autre découverte s'annonce, plus fondamentale encore. Pour comprendre, il faut savoir que depuis la Renaissance et les fondateurs de la science moderne que furent Galilée, Copernic et Newton, l'astronomie n'a fait qu'établir, valider et consolider le "principe copernicien" selon lequel notre petit coin de l'Univers est banal. De fait, pas de raison, a priori, pour que notre système solaire soit une exception dans l'Univers. Et ce "principe de banalité" est d'une puissance et d'une efficacité formidables, puisqu'il permet, à partir d'observations locales, d'établir des lois universelles. Certes, il conduisit l'un de ses principaux défenseurs, Giordano Bruno, au bûcher de l'Inquisition, celle-ci étant fort peu encline à renoncer à l'exception divine de notre petite planète. Mais le mouvement était lancé et tout au long des quatre siècles de progrès astronomiques, le principe copernicien a ouvert la voie à la découverte des étoiles, des galaxies, du cosmos dans son ensemble, et des lois physiques qui le régissent.
Ainsi vivons-nous, a priori, autour d'une étoile banale, située dans une région banale d'une galaxie banale, elle-même située dans une région banale du cosmos. Tout cela est tellement vrai que pas une seconde les astronomes ne se sont demandé si le principe de Copernic s'appliquait aussi au système solaire. Cela semblait aller de soi. À tel point que lorsque plusieurs équipes ont commencé à chercher des planètes en dehors de notre propre système, dans les années 1990, elles ont scruté les parages d'étoiles qui paraissaient des sours jumelles du Soleil.

L'EXCEPTION DE NOTRE SYSTÈME

Avec bonheur, puisque chacun sait que la première exoplanète a été trouvée autour de l'étoile 51 Peg, un clone quasi parfait du Soleil. Bien sûr, la planète trouvée, une géante gazeuse circulant tout contre son étoile, était très surprenante, "exotique" disent les astronomes ; mais cette "bizarrerie" fut comprise comme un simple "biais d'observation" puisque, à l'époque, seules les planètes circulant sur des orbites ultracourtes étaient détectables. En substance. Mayor et Queloz étaient tombés sur un astre très rare, une exception planétaire, qui ne préjugeait en rien des découvertes à venir... Alors, les chercheurs sont retournés à leurs télescopes et ont continué à chercher, parmi les étoiles, d'autres systèmes planétaires semblables au nôtre. Seulement voilà : plus de 12 ans après le début de leur quête, ils n'en ont pas encore trouvé ! Pis, au fur et à mesure des découvertes, une évidence s'est imposée : ce sont les planètes qualifiées d'exotiques qui s'avèrent la règle, tandis que les planètes supposées banales, comme celles de notre système solaire, semblent l'exception ! Ainsi, les astronomes sont-ils en train de réaliser que nous vivons peut-être dans un système très singulier : pour la première fois depuis quatre siècles de recherches astronomiques, le principe de Copernic est violé. "Nous nous trouvons à un tournant dans notre vision de l'Univers, confirme l'astronome Franck Selsis du Laboratoire d'astrophysique de Bordeaux. Les systèmes planétaires que nous découvrons depuis une douzaine d'années présentent une effarante diversité face à laquelle notre système solaire fera peut-être bientôt figure d'exception.

UNE FORMATION ATYPIQUE

Pourtant, comme notre système solaire paraissait bien "construit", avec ses petites planètes denses et rocheuses sagement regroupées aux abords du Soleil, puis ses légères géantes rassemblées aux confins ! Surtout que la théorie expliquait de façon lumineuse cette élégante architecture : lors de sa formation il y a 4,6 milliards d'années, le disque de poussière et de gaz entourant le jeune Soleil avait été soumis au rayonnement de notre jeune étoile. Dans les parages de celle-ci, seuls les matériaux réfractaires avaient pu résister à la chaleur : Mercure, Vénus, la Terre et Mars, constituées essentiellement de silicates et de métaux, durs, denses, solides. Enfin, aux confins du système, dans un environnement plus froid, les géantes s'étaient condensées à partir de glaces et de gaz. Imparable. C'était avant que par dizaines, puis par centaines, les autres systèmes planétaires ne révèlent aujourd'hui que ce processus de formation, non seulement n'est pas le seul possible, mais apparaît complètement atypique ! Franck Selsis détaille : "Nous trouvons des systèmes très différents du nôtre, avec des planètes géantes à très courte période orbitale, des planètes qui ne tournent pas sur des orbites circulaires mais très elliptiques, des planètes de masse intermédiaire entre les rocheuses et les géantes, un cas de figure inconnu dans le système solaire"...

LES EXOPLANÈTES LES PLUS EXOTIQUES
HAT-P-1 B - Plus grande que Jupiter mais deux fois moins massive, c'est la plus légère des exoplanètes jamais découvertes. Sa densité, 0,25, est quatre fois inférieure à celle de l'eau ! Cette immense bulle de gaz tourne autour d'une étoile de la constellation du Lézard. POLLUX B
La planète Pollux b est menacée : son étoile, Pollux, est une vieille géante rouge qui va bientôt terminer son existence en expulsant une grande partie de sa masse dans l'espace. Pollux b sera peut-être détruite par son souffle.
WASP 12 B - Wasp 12 b se situe à moins de 3 millions de kilomètres de son étoile ! Une année de cette planète géante, chauffée à près de 2000°C, dure 24 heures seulement. Wasp 12 b est la plus proche planète de son étoile actuellement connue. B1620-26
Située dans un ancien amas d'étoiles, à 12 mille années-lumière de la Terre, c'est la plus lointaine et la plus vieille exoplanète connue. B 1620-26 est âgée de plus de 12 milliards d'années.
GD 66 B - C'est la première planète découverte autour d'une naine blanche, le résidu d'une étoile morte. GD 66 b a résisté aux radiations et aux gaz brûlants émis par son étoile à la fin de son existence. MOA-2007-BLG-192L B - Cette super Terre est la plus petite exoplanète connue : deux fois plus grande que notre planète, elle tourne autour d'une étoile naine rouge et est plongée dans un froid sidéral : -220°C.

UNE NOUVELLE RÉVOLUTION

Du coup, pour tenter d'expliquer cette diversité et, parallèlement, l'inattendue singularité du système solaire, les chercheurs font une nouvelle "révolution copernicienne", mais à rebours ! Les pionniers de la recherche expérimentale, Descartes, Giordano Bruno, Copernic, Galilée, Newton avaient fondé leur science sur l'universalité des lois de la nature ; si ce fondement de la démarche scientifique n'est évidemment pas remis en cause, en revanche, les savants doivent désormais renoncer à cette confortable pétition de principe que "notre place dans l'Univers est banale"... Et tandis que les observations révèlent des systèmes qui ne ressemblent pas au nôtre, les théoriciens commencent, eux aussi, à les découvrir dans des équations décrivant leur formation. Ainsi, dans la revue Science du 8 aout dernier, Edward Thommes, Soko Matsumara et Frederic Rasio, chercheurs à la Northwestern University à Evanston (Illinois) expliquent comment ils ont utilisé un superordinateur pour créer virtuellement des systèmes planétaires et suivre leur évolution. La formidable puissance de calcul mise à leur disposition a permis à ces théoriciens de simuler pour la première fois plus de cent systèmes différents à partir d'un disque de poussières et de gaz en rotation. Ils ont d'abord vérifié ce que les astronomes soupçonnent depuis longtemps, à savoir que la naissance des planètes est extrêmement chaotique : les interactions entre le disque et les planètes naissantes précipitent ces dernières vers leur étoile, tandis que les interactions entre planètes perturbent leurs orbites, en les rendant fortement elliptiques. Dans ce jeu de billard originel, nombre de planètes tombent directement dans leur étoile ou sont expulsées des systèmes - ainsi existe-t-il probablement entre les étoiles des milliards de planètes, invisibles et glaciales, perdues à jamais dans l'abîme de l'espace.

DES PLANÈTES HABITABLES ?

Modélisé sur un super-ordinateur à partir d'un nuage de gaz et de poussières en rotation autour d'une étoile naissante, les systèmes ressemblant au nôtre (flèche) sont l'exception plutôt que la règle.

Mais surtout, les astronomes théoriciens Thommes, Matsumara et Rasio ont fait une trouvaille décisive : la formation d'un système comparable au nôtre, où les planètes rocheuses et géantes tournent sagement sur des orbites presque parfaitement circulaires, exige des conditions initiales extrêmement précises... et très rares ! Trop dense, le disque protoplanétaire entraîne une formation planétaire violente et chaotique ; s'il est trop peu dense, seules quelques petites planètes se forment, mais pas de géantes, lesquelles ont probablement une importance décisive dans l'apparition de la vie sur les planètes terrestres... La conclusion de Edward Thommes est sans appel : "Les observations et nos simulations nous amènent à prédire que dans l'ensemble des systèmes planétaires de l'Univers, ceux qui ressemblent au nôtre sont l'exception plutôt que la règle".
Question académique au regard des myriades de systèmes planétaires qui peuplent notre seule galaxie ? Pas sûr : s'il s'agit pour les chercheurs de trouver des planètes habitables, voire habitées dans l'Univers, il faut que celles-ci passent des critères de sélection drastiques. Et voilà bien tout le paradoxe de l'état de l'art en exoplanétologie : d'un côté, les systèmes planétaires émergent des vagues de l'espace par dizaines de milliards ; de l'autre, ceux qui sont susceptibles d'accueillir des formes de vie, comme le nôtre, semblent nous échapper au fur et à mesure que nous les étudions...

 Faut-il encore Chercher la Vie hors de la Terre ?

La vie existe-t-elle ailleurs ? En repérant dans notre galaxie une "zone habitable", les exohiologistes savent en tout cas où chercher aujourd'hui parmi la multitude des planètes. En vain, affirment pourtant ceux pour qui la Terre est unique...

La petite dernière a été baptisée MOA-2007-BLG-192L b. Et dès l'annonce de sa découverte, en juin dernier, elle a suscité un fol espoir : plus petite exoplanète rocheuse jamais repérée, elle ressemblait par bien des aspects à la Terre. Et qui dit Terre dit vie... Las ! Les calculs ont montré qu'elle tourne finalement autour d'une minuscule étoile naine rouge et qu'il doit régner à sa surface une température inférieure à -220°C ! Pour découvrir une trace de vie extraterrestre, les exobiologistes devront donc encore patienter.

QUARANTE CANDIDATES À LA VIE

La vraie raison de cette déconvenue ? MOA-2007-BLG-192L b ne se trouve pas dans la zone habitable de son étoile. La "zone habitable" ? Le mot est lâché. Car aujourd'hui, c'est bien sur ce concept qu'ils ont forgé que s'appuient les exobiologistes pour déterminer statistiquement si une planète est susceptible d'accueillir la vie. Concrètement, cette zone habitable correspond à la distance de l'étoile calculée pour que les températures régnant sur la planète permettent à l'eau de subsister à l'état liquide. Sachant que le mantra des biologistes est "sans eau, pas de vie".

400 ANS DE QUETE D'UNE VIE AILLEURS
La quête de la vie ailleurs n'est plus un tabou depuis qu'à la Renaissance, Copernic et Galilée ont "décentré" le monde. Comprenant que la Terre n'était pas au centre de l'Univers, ces pionniers ont ouvert la voie à de nouvelles hypothèses : si la Terre n'est qu'une planète parmi d'autres, et le Soleil une étoile parmi d'autres, alors les étoiles peuvent accueillir une infinité de Terre et donc, pourquoi pas, une infinité d'autres civilisations. L'idée était, voici 400 ans, profondément révolutionnaire et subversive pour l'Eglise, qui n'avait pas prévu de versions du Nouveau Testament pour les Martiens, les Ewoks ou les Klingons : pour elle, le philosophe Giordano Bruno fut sacrifié sur l'autel de l'Inquisition. passé la Renaissance et les Lumières, l'idée qu'il existe une "vie ailleurs" a longtemps fait florès, au point qu'à la fin du XIXè siècle, l'astronome et écrivain Camille Flammarion décrivait doctement les habitants de la Lune, Vénus et Mars...
Mais voilà, les sondes spatiales envoyées ces dernières décennies dans tout le système solaire ont refroidi les ardeurs, révélant ici des déserts torrides, là des étendues glaciales, mondes hostiles, inhabités, inhabitables. Même Mars semble finalement décevoir les espoirs placés en elle. Exit le système solaire, donc, et c'est désormais vers la Voie lactée et ses centaines de milliards de planètes que les scientifiques tournent leurs télescopes. Avec une nouvelle discipline en fer de lance : l'exobiologie, dont l'ambition est d'étudier la vie extraterrestre. Or, faute pour l'instant de bactérie martienne à mettre dans une éprouvette, celle-ci étudie l'habitabilité de l'Univers et tente de déterminer si la vie existe ailleurs, où, et avec quelle fréquence ? Avec, en toile le fond, cette question : au fond, que cherche-t-on ? Après une trentaine d'années de réflexion et de débats, les scientifiques ont décidé de chercher les formes de vie telle que nous la connaissons : un assemblage de molécules basé sur la chimie du carbone, utilisant l'eau liquide comme milieu d'accueil. L'étude de formes de vie exotiques, basées sur le silicium ou l'ammoniac, a finalement été abandonnée, d'abord parce que les observations ont montré que la chimie du carbone est bien plus riche en possibilités de combinaisons moléculaires, ensuite parce que personne ne sachant comment elles se manifesteraient ni comment les reconnaître, les chercher apparaît vain.

Dans notre système solaire, la zone habitable commence après l'orbite de Vénus et s'achève après celle de Mars. Entre les deux se trouve la Terre, merveilleusement placée, comme chacun sait, pour retenir l'eau liquide à sa surface. Toutefois, la zone habitable est à géométrie variable : autour d'une étoile naine, elle sera très proche de l'étoile, autour d'une géante, plus lointaine... Académique jusqu'à ces dernières années, la question de la zone habitable apparaît désormais centrale à mesure que sont découvertes à l'intérieur de ses limites des planètes résolument terrestres. Ainsi, l'équipe européenne de Michel Mayor et Didier Queloz a-t-elle révélé en juin dernier "suivre actuellement une quarantaine de candidates". L'annonce officielle de leur découverte ne devrait pas tarder... En attendant, les chercheurs poursuivent l'étude des "super Terre", ces planètes rocheuses certes plus massives que la nôtre, comme MOA-2007-BLG-192L b, mais dont les caractéristiques - diamètre, composition chimique, etc. - s'avèrent proches de celles des planètes telluriques du système solaire. Ainsi, pour Franck Selsis, du Laboratoire d'astrophysique de Bordeaux, "les super Terre peuvent être désertiques comme Mars, nues comme Mercure, recouvertes d'une épaisse atmosphère, voire, comme la Terre, être recouvertes d'une grande quantité d'eau...".
Outre MOA-2007-BLG-192L b, quatre autres super Terre ont déjà été repérées par les astronomes : HD 40307 b, Ogle-05-390L b, Gliese 581 c et Gliese 581 d. Si la première est une fournaise portée à plus de 500°C et la seconde une planète plongée dans une nuit glaciale par -220°C, les deux dernières, en revanche, naviguent dans les parages de la fameuse zone habitable...
Reste que ce sont des milliards d'autres mondes potentiels que le ciel promet. Et si, comme les astronomes l'envisagent depuis quatre siècles, la vie est un processus chimique banal dans l'Univers, initié à chaque fois que certaines conditions sont réunies, le nombre de planètes habitées dans notre galaxie devrait alors s'avérer fantastique ! Sauf qu'il y a une quarantaine d'années, les astronomes ont découvert que nos plus proches voisines, Vénus et Mars, à partir de conditions initiales pourtant très proches des nôtres, avaient divergé : pour la première, en fournaise, pour la seconde, en glacière. De quoi s'interroger sur ce qui distingue la Terre, seule planète habitée connue, de ses sours et cousines célestes. Et, au passage, miner quelque peu le bel optimisme qui envisageait de la vie potentiellement partout dans l'Univers. Un optimisme encore plus mal en point depuis que les chercheurs sont forcés de faire ce constat paradoxal : plus le nombre de planètes connues dans l'Univers augmente, plus la Terre paraît singulière ! De fait, le système solaire semble, contre toute attente, une "bizarrerie cosmique". Partant, notre petite planète pourrait bien en être une aussi... Qui plus est, le fait qu'il existe d'autres Terre habitées est d ésormais discuté. Au point qu'il semble loin le temps où, dans les années 1970, la Nasa, certaine que la vie pullule dans l'Univers, envoie les sondes Pioneer et Voyager porteuses de messages destinés aux extraterrestres... La faute aux biologistes, pour qui, paraphrasant Clémenceau, "la vie est une chose trop sérieuse pour être confiée aux seuls astronomes", et qui ont nourri de complexité le débat scientifique sur la naissance de la vie dans l'Univers. C'est que pour apparaître et, surtout, évoluer, la vie a besoin de temps, de beaucoup de temps...
Sur Terre, elle serait apparue voici un peu plus de 3,5 milliards d'années, soit environ un milliard d'années après la formation de notre planète. Puis trois milliards d'années durant, elle serait restée confinée dans l'eau des océans, sous la forme simple de bactéries, les fameuses "algues bleues", avant de se diversifier et de littéralement exploser, au Précambrien, voici environ 700 millions d'années, pour finalement, envahir tous les milieux, eau, terre, air, avec le succès que l'on sait.

DE FORMIDABLES COÏNCIDENCES

Ce scénario est-il universel ? Eh bien non, ont affirmé dès la fin des années 1990 deux chercheurs américains, l'un paléontologiste, Peter Ward, l'autre astronome, Donald Brownlee, en publiant leur provocante hypothèse de la "Terre rare".

Que dit cette hypothèse ? Que notre présence ici, est le résultat d'un extraordinaire concours de circonstances, tellement improbable que notre planète serait en définitive la seule, dans toute la Galaxie, à être habitée par des organismes complexes. À l'époque, nombre d'exobiologistes accueillirent l'idée en levant un sourcil dédaigneux, pensant déceler un nouveau finalisme religieux dissimulé derrière l'hypothèse scientifique, d'autant que le concept d'Intelligent Design apparaissait aux États-Unis... Il n'en demeure pas moins que la théorie de Ward et Brownlee met en lumière un certain nombre de coïncidences qui, dans le système solaire, ont permis à la vie d'évoluer jusqu'à nous. Ainsi, en plus d'être située exactement dans la zone habitable du système solaire, la Terre est accompagnée d'un satellite exceptionnellement massif, la Lune, qui lui sert de "balance gravitationnelle" et l'empêche de basculer sur son axe, un équilibre qui la protège de bouleversements climatiques catastrophiques.

Les 5 facteurs qui rendent la Terre propice à la vie (->)

Pour les partisans de la théorie de la "Terre rare", la présence d'une vie complexe sur nôtre planète est la conséquence d'une extraordinaire série de coïncidences, qu'il est très improbable de retrouver ailleurs dans l'Univers.

LE DANGER DES SUPERNOVAE

Autres étonnantes singularités : notre planète profite d'un intense champ magnétique qui l'isole des radiations solaires et cosmiques ; tandis qu'elle possède une tectonique des plaques très active qui régularise les échanges thermiques et gazeux entre son cour et sa surface, et qui a favorisé l'évolution en brassant et en isolant tour à tour les espèces. Enfin, la Terre possède un "garde du corps" puissant, Jupiter, la plus grande des planètes du système solaire, dont la masse attire, tel un aimant, un grand nombre de comètes et d'astéroïdes. Cela protège notre planète, au moins en partie, d'impacts trop nombreux, comme en témoigne la chute en 1994 de la comète Shoemaker-Lévy 9 sur Jupiter. Autant de coïncidences vraiment extraordinaires.
Lors de la publication de leur théorie, popularisée dans leur ouvrage Rare Earth paru en l'an 2000, Ward et Brownlee ignoraient à quoi ressemblaient les autres systèmes planétaires. Mais à la lumière des plus récentes découvertes, leur hypothèse prend une saveur nouvelle. Ainsi, Franck Selsis constate : "Nous ne savons pas encore si les répliques du système solaire et de la Terre sont rares, mais on sait déjà que les systèmes 'exotiques' sont communs, et donc pas si exotiques. C'est au contraire nous qui vivons peut-être sur un monde très exotique !"
Autre indice que le système solaire n'est pas nécessairement un "standard" galactique : la rareté des exoplanètes dans les amas globulaires, ces immenses condensations d'étoiles qui tournent autour de la Voie lactée. L'équipe américaine de Ron Gilliland a surveillé une semaine durant des dizaines de milliers d'étoiles de l'amas 47 Toucan à l'aide du télescope spatial Hubble, afin d'observer des transits de planètes devant leur étoile, comme le fait le satellite Corot dans le disque de notre galaxie. Statistiquement, 17 exoplanètes géantes devaient être détectées ; Hubble n'en a trouvé aucune ! "Nous ne savons pas encore pourquoi", concède Franck Selsis. Mais le constat est là : cette région où pullulent pourtant les étoiles semble beaucoup moins riche en systèmes planétaires que notre environnement solaire...
Une fois commencé le "détricotage" du principe affirmant que la Terre et notre système solaire seraient banals dans l'Univers, les chercheurs ne s'arrêtent plus ! Car aujourd'hui, les exobiologistes s'interrogent sur l'existence d'un autre type de zone habitable, cette fois non plus à l'échelle des étoiles, mais à celle de la galaxie entière. Et pour cause : les progrès de l'astronomie aidant, les chercheurs découvrent chaque jour un peu plus que la Voie lactée, bien loin d'être favorable à la vie, lui est largement hostile. Une dangerosité liée, en premier lieu, au fait qu'il explose dans notre galaxie plus de dix mille supernovae tous les millions d'années ! Or, cette mort explosive des étoiles, si elle survenait à une trentaine d'années-lumière de la Terre, bouleverserait complètement sa haute atmosphère, détruirait sa couche d'ozone, irradierait sa surface et provoquerait probablement une extinction massive. Mais il y a aussi les hypernovae, causées soit par l'effondrement d'une étoile supergéante en trou noir, soit par la collision de deux étoiles : leur titanesque explosion est environ un million de fois plus puissante que celle d'une supernova.

UNE ZONE HABITABLE LIMITÉE

Enfin, heureusement que le trou noir tapi au centre de notre galaxie semble inactif (aucune matière - gaz interstellaire ou étoile - ne se précipite dedans). Car si ce n'était pas le cas, les éventuelles Terre proches subiraient de colossaux et fatals rayonnements : les astronomes supposent que dans certaines galaxies, l'émission de radiations du trou noir central a éradiqué toute forme de vie !
On le voit, il ne fait pas bon vivre n'importe où dans une galaxie. Et si la Terre a échappé au pire, c'est parce qu'elle se trouve dans la zone habitable du système solaire... mais également dans celle de la Voie lactée, affirment aujourd'hui certains exobiologistes, à l'instar de Guillermo Gonzalez. Qui détaille : "Il s'agit d'une région extrêmement limitée, dessinant un tore étroit dans le disque de la Voie lactée, très éloignée du centre galactique, où les explosions de supernovae et d'hypernovae sont moins fréquentes". Oui, mais est-on si sûr que la Terre a évité cette ribambelle de catastrophes cosmiques ? Avec d'autres, le célèbre astronome anglais Sir Martin Rees en doute. Et d'expliquer : "La vie terrestre est restée sous une forme primitive pendant 3 milliards d'années ; cela suggère que d'importantes barrières peuvent bloquer l'émergence d'une vie complexe."

UN MAL POUR UN BIEN

En clair, l'évolution de la vie terrestre a peut-être été bridée par une succession de catastrophes célestes. Le calme relatif dont nous bénéficions depuis 500 millions d'années environ serait dû uniquement à la position du système solaire dans la zone habitable... Ce qui n'empêche pas que les astronomes américains Adrian Melott et Brian Thomas de s'interroger sur la responsabilité des hypernovae dans certaines extinctions majeures, comme celle de l'Ordovicien supérieur, intervenue voici 445 millions d'années, et au cours de laquelle 60 % des formes de vie terrestres ont disparu... L'explosion d'une supernova (ici, celle du Crabe) à proximité d'une planète habitée pourrait la stériliser. ->
Mais cette idée même de "dangerosité" pour l'existence dans notre galaxie est contestée par certains chercheurs. Nicolas Prantzos, astronome à l'Institut d'astrophysique de Paris, est de ceux-là. Et d'expliquer : "En réalité, on ne peut rien conclure sur la probabilité d'une stérilisation définitive d'une planète hors de cette supposée zone habitable. Parce que même si la létalité due à l'explosion d'une supemova était de 100 % à la surface d'une planète, la vie marine y survivrait probablement, puisque les radiations sont absorbées par seulement quelques mètres d'eau... D'ailleurs, la vie terrestre a démontré sa robustesse ; et puis, il ne faut pas oublier qu'une catastrophe cosmique peut même accélérer l'évolution." Pour preuve, l'extinction massive survenue à la fin de l'ère secondaire et très probablement due à la chute d'un astéroïde d'une dizaine de kilomètres dans le golfe du Mexique : si elle a occasionné la disparition des dinosaures, elle a aussi favorisé l'apparition de l'espèce humaine...

TERRE RARE, OU UNIVERSELLE ?

Le débat n'est pas donc prêt de se clore entre les tenants d'une Terre rare et ceux qui défendent l'idée de l'universalité de la vie dans l'Univers. Pour les premiers, de 5 à 10% seulement des étoiles de la Voie lactée seraient situées dans la zone habitable. Pour les seconds, à l'instar d'un Nicolas Prantzos qui réfute ce concept, "la Galaxie toute entière est peut-être habitable"...

Serge Brunier - SCIENCE & VIE > Octobre > 2008
 

   
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