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Galaxies : On sait enfin Comment elles Naissent

Quelle a été l'histoire des galaxies durant les 13,7 milliards d'années écoulées depuis le big bang ? Comment sont-elles nées et ont-elles évolué ? Dès leur découverte par Edwin Hubble dans les années 1920, la question a hanté les scientifiques. Ils pensaient que les grandes galaxies actuelles étaient le produit de fusions entre des petites galaxies primordiales, mais aujourd'hui, un nouveau scénario vient tout bouleverser.

Depuis quelques mois, le petit monde des astrophysiciens est en effervescence. Ils pensent avoir enfin percé une énigme vieille de 80 ans : celle de la naissance des galaxies. Car comment diable ces gigantesques réserves de gaz et de milliards d'étoiles, seules îles de matière dans notre Univers quasiment vide, ont-elles bien pu se former ? Tantôt elliptiques, pareilles à des essaims d'abeilles, tantôt spirales, comme notre Voie lactée avec ses majestueux bras enroulés, sont-elles le fruit de milliards d'années de lente évolution ? Ou issues de violents chocs cataclysmiques ? À quoi pouvaient ressembler les premières galaxies qui peuplaient l'Univers moins d'un milliard d'années après le big bang ? Et comment ont-elles allumé leurs premières étoiles ? Toutes ces questions, des générations de scientifiques ont tenté d'y répondre, à commencer par Edwin Hubble lui-même, lorsque le grand astronome américain découvrit les galaxies à travers le télescope Hooker du mont Wilson, aux Etats-Unis, dans les années 1920. Or, depuis quelques années, l'embarras des astrophysiciens allait grandissant. Car plus les télescopes leur fournissaient des images détaillées de l'Univers lointain, révélant peu à peu son enfance, moins le scénario qu'ils avaient échafaudé tenait la route.

UNE ÉNIGME VIEILLE DE 80 ANS - Dans les années 1970, le classement "évolutionniste" de Hubble fit place au scénario "hiérarchique" (ci-dessous), lui-même aujourd'hui reconsidéré.
Dès qu'il les a découvertes, dans les années 1920, Edwin Hubble a cherché à classer les galaxies selon leur morphologie, de la plus simple à la plus complexe. Son classement (->), utilisé aujourd'hui encore par les astrophysiciens pour nommer les galaxies, commençait donc par les plus rondes, les elliptiques (EO, E3, E7), puis venaient les lenticulaires (S0), possédant un disque central, et enfin les spirales, avec leur disque plat et leurs bras enroulés, subdivisées en spirales simples (Sa, Sb, Sc) et barrées (SBa, SBb, SBc). "Sur les images que fournissaient les télescopes de l'époque, Hubble ne pouvait pas connaître les tailles relatives des galaxies, raconte Frédéric Bournaud, du CEA Saclay. Il imaginait que les galaxieselliptiques étaient plus petites que les spirales, et qu'elles étaient donc des sortes de noyaux qui auraient formé les bulbes des futures spirales. "Une vision très évolutionniste des galaxies (il parlait d'ailleurs de type "précoce" pour les elliptiques et de type "tardif" pour les spirales), qui changea radicalement dans les années 1970. Les astrophysiciens comprirent au contraire que c'était les galaxies spirales qui pouvaient évoluer en galaxies elliptiques, en fusionnant entre elles. Pensant que les fusions galactiques étaient le moteur de leur évolution, ils mirent au point le scénario dit "hiérarchique", selon lequel de multiples fusions entre des galaxies naines et irrégulières (en bas) auraient fini par former les galaxies spirales, leur gaz s'aplatissant au cours des fusions. Aujourd'hui, les scientifiques parviennent à simuler la formation d'une galaxie spirale simplement à partir de courants de gaz froid arrivant sur un disque de gaz plus chaud, créant des superamas géants d'étoiles qui finissent par se regrouper pour former son bulbe et ses bras spiraux (ci-dessus). Et tel semble désormais le bon scénario...

Mais voilà qu'une équipe d'astrophysiciens israéliens et français vient proposer une solution pour sortir de l'impasse. Grâce à des calculs théoriques validés par des simulations informatiques, le début de cette fantastique histoire reprend forme : tout a vraisemblablement commencé par... de grands courants de gaz froid. "Un peu comme des cordons ombilicaux, ces courants cosmiques ont nourri en gaz frais les embryons de galaxies qui émergeaient alors", décrit Romain Teyssier, de l'Institut de recherches sur les lois fondamentales de l'Univers du CEA (Commissariat à l'énergie atomique), à Saclay, qui a dirigé les simulations. Et l'arrivée de ce gaz frais dans ces embryons galactiques - qui n'étaient encore que des grands rassemblements de gaz chaud primordial sous l'effet de la gravitation - les a déséquilibrés, provoquant des flambées d'étoiles en cascade : les premières générations d'étoiles de l'histoire de l'Univers. Le cour des galaxies s'est alors mis à battre.

FIN DU SCÉNARIO HIÉRARCHIQUE

"Ce nouveau scénario des 'courants froids' a déclenché une véritable frénésie chez les astrophysiciens", décrit Romain Teyssier. Beaucoup d'équipes travaillent dessus désormais. Et cela pour une bonne raison : il évite les écueils auxquels se heurtait de plus en plus le scénario que les astrophysiciens avaient longuement peaufiné, le scénario "hiérarchique". Ce que disait ce scénario ? En résumé, que les grandes galaxies très structurées que l'on connaît aujourd'hui, avec leurs centaines de milliards d'étoiles, se sont formées à force de collisions et de fusions entre des galaxies plus petites et irrégulières, possédant quelques millions d'étoiles seulement, sortes de galaxies "primitives" qui peuplaient l'Univers à ses débuts. D'où l'appellation "hiérarchique". "Cette idée, les astrophysiciens l'ont développée à partir des années 1970, lorsqu'ils ont observé que les collisions de galaxies étaient courantes dans l'Univers", raconte Frédéric Boumaud, spécialiste de la morphologie et de l'évolution des galaxies au CEA de Saclay. Ils ont ainsi compris que la fusion de deux galaxies spirales, avec leur disque plat et leurs étoiles bien ordonnées, donnait naissance à une galaxie elliptique, plus ronde et dont les étoiles ont, du fait de la collision, des trajectoires complètement désordonnées. Les fusions étaient donc un moteur de l'évolution galactique. De là à imaginer qu'elles étaient à l'origine de leur formation... il n'y avait qu'un pas. Que les astrophysiciens ont franchi. D'autant que lorsque l'Univers était encore jeune, l'expansion de l'espace n'avait pas encore fait son ouvre : "Les galaxies étaient beaucoup plus proches les unes des autres, et il devait y avoir beaucoup plus de fusions entre elles", explique Frédéric Bournaud. Et, cerise sur le gâteau, ces fusions - les astrophysiciens le savent par l'observation - provoquent des flambées de naissances d'étoiles via les gigantesques mouvements de compression du gaz galactique qu'elles entraînent. Voilà qui expliquait à merveille la naissance des premières générations d'étoiles ! Il ne restait plus qu'à attendre la confirmation des télescopes géants. Car ceux-ci allaient fournir, dans les années 2000, des images de l'Univers primitif, quelques milliards d'années après le big bang. À coup sûr, on allait voir des multitudes de galaxies naines en fusion. Et... ce ne fut pas le cas !
"Déjà, au début des années 2000, les théoriciens ont commencé à avoir des doutes, raconte Frédéric Bournaud. Car lorsque deux galaxies fusionnent, les simulations montrent que les étoiles se concentrent dans une sphère au centre. Donc toutes les galaxies spirales devraient avoir un gros bulbe central plein d'étoiles. Or, notre Voie lactée, pour ne citer qu'elle, a un bulbe modeste qui ne renfenne que 20 % de ses étoiles. Sans parler d'une galaxie comme Messier 33, qui n'en a pas du tout !" La Voie lactée et Messier 33 n'avaient donc pas pu se former par fusion.

COUP DE GRÂCE DU VLT

Et effectivement, quand, en 2004, le télescope spatial Hubble a livré son "Hubble Ultra Deep Field ->", l'image la plus profonde jamais réalisée d'une portion du ciel, la déception fut grande ! Non seulement les galaxies lointaines n'avaient pas l'air de fusionner plus que les galaxies actuelles. Mais en plus, aucune ne possédait de gros bulbe. Le coup de grâce fut asséné en 2006 par le VLT, le plus grand observatoire astronomique terrestre, au Chili.
Grâce à un instrument installé sur l'un de ses quatre grands télescopes, le spectrographe infrarouge Sinfoni (<-), une équipe dirigée par Reinhard Genzel, du Max Planck Institute de Garching, en Allemagne, a réussi la prouesse de reconstituer la forme et le mouvement d'une galaxie qui existait trois milliards d'années après le big bang. Stupeur : non seulement il s'agissait d'une galaxie ressemblant déjà étrangement à notre Voie lactée moderne, aussi massive qu'elle et avec un disque en rotation, mais, en plus, elle fabriquait des étoiles à un taux incroyablement élevé : 100 fois plus que la Voie lactée aujourd'hui ! Cette fois, impossible de tergiverser. Une telle galaxie si massive, formant des étoiles à un rythme si effréné, ne pouvait absolument pas être le résultat de fusions successives de galaxies naines, et cela, à peine 3 milliards d'années après le big bang. Ou alors, il aurait fallu que toutes les galaxies de l'époque soient en fusion. Ce qui n'était visiblement pas le cas. Mais alors, comment diable cette galaxie si "évoluée" s'était-elle formée ?
À l'université hébraïque de Jérusalem, le théoricien Avishai Dekel avait une petite idée sur la question. Depuis 2003 en effet, il travaillait sur le concept des "courants froids", né de la théorie. Ces courants, présents dans l'Univers primordial, n'étaient rien d'autre que de grands flux de gaz mus par les effets de la gravitation. Ils étaient concentrés, comme toute la matière présente dans l'Univers à l'époque, le long des lignes de la grande toile d'araignée cosmique, toile dessinée par les fluctuations de l'Univers primordial. Aujourd'hui, on peut encore voir dans le ciel la relique de cette toile primordiale, que les scientifiques appellent "le rayonnement cosmologique fossile".

DES FLAMBÉES D'ÉTOILES

Or, ces courants, plus froids que le reste du gaz cosmique (10.000 degrés au lieu de 10 millions), mais aussi plus denses, finissaient par tomber sur les intersections des fils cosmiques, c'est-à-dire là où se trouvaient les plus gros grumeaux de matière, autrement dit... là où se trouvaient les embryons des futures galaxies ! Et si c'était eux qui avaient tout déclenché ? C'est ce qu'ont rapidement pensé Avishai Dekel et ses collègues israéliens. "Lorsque l'équipe de Reinhard Genzel et d'autres équipes d'observateurs sont venues nous voir avec leurs galaxies lointaines dont ils n'arrivaient pas à expliquer pourquoi elles produisaient tant d'étoiles, nous leur avons dit : 'Nous avons la solution juste là", se souvient Avishai Dekel. Car nous avions prévu qu'aux débuts de l'Univers, ces courants froids amenaient du gaz dans les galaxies très rapidement, et de manière continuelle. Or, c'est exactement ce qu'il faut pour créer de nouvelles étoiles !" Les courants froids auraient donc suffi, en tombant sur les embryons galactiques, à créer des flambées d'étoiles, les premières de l'Univers. Restait à valider cenouveau scénario d'un point de vue statistique.
Or, au même moment, Romain Teyssier au CEA et son équipe française du projet "Horizon" achevaient tout juste la plus grande simulation jamais réalisée de la formation de galaxies : 1000 heures de calculs sur le supercalculateur espagnol Mare-Nostrum, reconstituant l'émergence et l'évolution de 100.000 galaxies virtuelles (->) ! Une simulation où l'on voyait justement les fameux courants froids se déplacer dans les filaments cosmiques. "En découvrant la simulation de Romain Teyssier à une conférence, nous nous sommes dit : "Merveilleux, maintenant, nous voyons les courants froids à grande échelle", se souvient Avishai Dekel. Les deux équipes ont alors travaillé ensemble pour vérifier si les prévisions théoriques des uns correspondaient aux simulations informatiques des autres, notamment sur le nombre de galaxies naissant des courants froids et leur taux de formation d'étoiles. Et tout concordait ! "Aujourd'hui, on peut vraiment dire que les courants froids sont le principal mode de formation des galaxies, assure Avishai Dekel. Les galaxies actuelles sont ce qu'il reste de ces temps glorieux, il y a 10 milliards d'années, lorsque la majeure partie de la masse des galaxies a été assemblée, et la plupart des étoiles se sont formées". Quant aux collisions galactiques, elles ont quand même joué un rôle à cette époque, mais un rôle minoritaire. Elles auraient été à l'origine de la formation d'un quart environ des galaxies, les courants froids assurant la formation des trois autres quarts. "Chaque galaxie s'est vue ainsi remplir de gaz froid avec un débit phénoménal, et elle a digéré ce gaz en fonnant des étoiles", raconte Romain Teyssier. D'après la simulation, ces courants, entre 1 et 4 par galaxie, ont apporté l'équivalent, en masse de gaz, de 100 Soleil par an, provoquant la naissance d'autant d'étoiles. Quand les courants froids ont fini par s'épuiser, l'Univers avait presque atteint la moitié de son âge, soit environ 6 milliards d'années. Après cela, et jusqu'à aujourd'hui, ce sont les collisions qui ont repris le rôle principal dans l'évolution des galaxies, plus particulièrement les fusions de galaxies spirales donnant naissance à des elliptiques.

Fin de l'histoire ? "Non, ce n'est que le début. Il y a encore beaucoup à faire, tout n'est pas résolu", explique Avishai Dekel. À Saclay, Frédéric Bournaud est déjà en train de réaliser des simulations pour montrer dans le détail comment une galaxie spirale, avec son bulbe et ses bras, naît des mouvements de gaz déclenchés par les courants froids. Ces mouvements créent en effet des superamas géants d'étoiles dont certains migrent au centre de l'embryon galactique pour former le bulbe, pendant que d'autres, restés en périphérie, dessinent les bras spiraux. D'autres équipes imaginent comment elles pourraient observer, avec des télescopes, les courants froids dans l'Univers primordial. "C'est un gros sujet d'étude en ce moment, confirme Romain Teyssier : On devrait pouvoir observer leur lumière, soit en 'absorption', c'est-à-dire en ombre chinoise sur la lumière d'un quasar [noyau de galaxie très lumineux] en arrière-plan. Soit en 'émission', c'est-à-dire en lumière directe, et il s'agirait alors d'un rayonnement ultraviolet. Les premières estimations montrent que c'est encore impossible avec les instruments actuels, mais peut-être avec la prochaine génération... "Un nouveau champ d'investigation s'est en tout cas ouvert à tous les astrophysiciens. Gageons qu'il sera fécond.

V.G. - SCIENCE & VIE > Juin > 2009
 

   
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