Les Molécules Cachées du Réchauffement |
Les Molécules Cachées du Réchauffement ; Au-delà du CO2 et du Méthane |
SO2F2, c-C4F8... Depuis 10 ans, les chimistes découvrent dans l'atmosphère la présence de gaz industriels passés jusqu'ici inaperçus. Or, ces gaz ont un effet de serre bien plus dévastateur que celui du CO2 ! Qu'ils viennent à se répandre, et le réchaufiement s'emballera... Voici les huit plus menaçants.
CO2 ici, CO2 là : la formule chimique résonne comme un slogan. Un slogan désormais scandé aux quatre coins du monde. Depuis le Sommet de la Terre de Rio, en 1992, la dioxyde de carbone est en effet devenu l'ennemi public numéro un.
C'est officiel, et cela ne suscite plus aucun doute chez les scientifiques : ce gaz, émis par la combustion des ressources fossiles, est le grand responsable du réchauffement global en cours. Et il mérite, à ce titre, d'être partout traqué, dénoncé.
Tant et si bien que, dans l'esprit de tous, la lutte contre le dérèglement climatique se résume au combat livré contre le CO2 et, à la rigueur, contre le méthane (CH4) : fuites de gaz naturel, émanations du bétail, putréfaction des déchets... Fort bien. Sauf que depuis environ 10 ans, les chimistes multiplient les découvertes dans l'atmosphère, révélant qu'il existe de nombreux autres gaz à l'effet de serre inquiétant.
DES PROPRIÉTÉS DIABOLIQUES

Ces gaz méconnus n'ont jusqu'ici guère été suspectés ni étudiés, et surtout ils ont été largement occultés par le dioxyde de carbone et le méthane. Sauf que leurs rejets croissants menacent, à plus ou moins long terme, d'ajouter au chaos climatique.
Concrètement, il s'agit de composés artificiels relâchés par l'industrie, souvent en toute impunité. À l'image du tributylamine (PFTBA pour les intimes) dont l'existence a été révélée en décembre dernier. Songez que chaque molécule de ce PFTBA présente un pouvoir réchauffant 7.100 fois supérieur à celui d'une molécule de CO2 ! Ce n'est, hélas, qu'un exemple parmi beaucoup d'autres gaz (voir les images), dont les noms imprononçables ou les formules alambiquées ne sont connus que d'une poignée de laborantins et d'ingénieurs...
Certes, ces espèces moléculaires n'évoluent pour l'instant dans l'environnement qu'à des concentrations infimes. Certes, leur influence sur le climat terrestre demeure, à l'heure actuelle, très marginale. Mais chacun de ces invités inattendus illustre à sa manière l'incapacité fondamentale de l'humanité à juguler ses rejets vers l'atmosphère cet immense dépotoir.
ENJEUX : Depuis 1896 et les travaux du Suédois Svante Arrhenius, les scientifiques savent que le dioxyde de carbone et la vapeur d'eau réchauffent l'atmosphère. Dans la seconde moitié du XXe siècle, cette propriété a été reconnue à d'autres molécules (méthane, protoxyde d'azote). Or, aujourd'hui, les chimistes découvrent une noria de molécules artificielles à l'effet de serre immense. |
L'enjeu n'est pas mince... Après tout, qui aurait pu croire au milieu du XIXe siècle que les émanations de CO2, encore subtiles à l'époque, allaient devenir un problème mondial ? Le problème ici, c'est que ces molécules affichent des propriétés diaboliques.
En premier lieu, leur pouvoir réchauffant est jusqu'à plusieurs milliers de fois supérieur à celui du si redouté dioxyde de carbone ! De fait, ces gaz fabriqués de toutes pièces sont gorgés de fluor : "Les liaisons entre atomes de carbons (C) et de fluor (F), ou entre atome d'azote (N) et de fluor (F) ont la propriété singulière d'absorber une large partie du rayonnement infrarouge émis par la Terre, et donc d'augmenter le réchauffement", détaille Johannes Laube, chimiste de l'atmosphère à l'université d'East Anglia (Norwich, en Angleterre).
Deuxième particularité redoutable : Ces gaz séjournent dans l'atmosphère des centaines, voire des milliers d'années, soit beaucoup plus longtemps qu'une molécule typique de CO2 (dont la durée de vie est de 120 ans)", relève le climatologue Piers Forster, de l'université de Leeds (Angleterre).
Explication : à la différence du CO2, ces éléments sont totalement artificiels, tous synthétisés par l'industrie. Autrement dit, la nature ne les intègre pas dans ses rouages et ils ne sont absorbés ni par les végétaux, ni par les océans, ni par les sols... Tandis "qu'ils ne se laissent que très difficilement détruire par les rayons ultraviolets de la stratosphère", renchérit Michael Prather, professeur en sciences du système Terre à l'université d'Irvine (Colorado, États-Unis).
MÉCONNAISSANCE ET OMERTA
Résultat : ces gaz délétères et tenaces s'accumulent littéralement dans l'atmosphère. D'autant que, troisième caractéristique inquiétante, leurs rejets augmentent imperturbablement : jusqu'à 11 % par an, sans frein et sans entrave... Il était temps que les scientifiques s'emparent de la question. Ce pan de l'histoire de la contamination atmosphérique est resté longtemps inconnu. Et pour cause : "Nous n'orientons jamais nos outils de détection vers les espèces exotiques", reconnait Jean-Daniel Paris, du Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement à Saclay. La quasi totalité de la communauté des sciences du climat s'est toujours focalisée sur les gaz condamnés par le protocole de Kyoto, qui saturent les détecteurs. Alors que ces petits diables, particulièrement volatils et dilués, passent à travers les mailles de leurs filets... Tout a changé au début des années 2000, lorsque les chimistes voués à la surveillance des gaz destructeurs de la couche d'ozone ont mis au point des outils d'une grande sensibilité. Surprise : de curieux pics sont alors apparus sur ces chromatographes à phase gazeuse. Depuis, les découvertes sont allées en s'enchainant.
Une véritable traque s'organise à travers une dizaine de stations de mesures réparties sur tous les continents. Des capteurs sont même installés à bord de vols long-courriers. Mais les chercheurs épluchent également les archives de l'immense programme d'échantillonnage de l'air mis en place à Cape Grim, sur l'île de Tasmanie. Là, loin du monde industriel, à l'orée de l'Antarctique, la quintessence de l'atmosphère y est aspirée depuis 1978. Il faut se rendre alors à l'évidence : même le ciel le plus pur est pollué de toutes sortes de produits chimiques imprévus employés pour des activités furieusement modernes, comme la gravure de semi-conducteurs, la fabrication d'écrans plats, la réfrigération, le transport d'électricité...
La faute à qui ? Aux industriels qui les ont laissés s'échapper pendant la synthèse de ces composés, durant leur transport, au cours de leur utilisation ou encore, plus tard, avec la mise au rebut d'appareils aux réservoirs encore à moitié pleins. À leur décharge, le danger leur échappait, comme à tout le monde, scientifiques compris... A priori, aucun industriel n'a en effet intérêt à voir fuir de ses installations ces gaz plutôt onéreux. Mais s'il ne s'agissait que de cela ! Outre ces fuites gazeuses plus ou moins conscientes, plus ou moins volontaires, plus ou moins évitables... les chercheurs mesurent en réalité dans l'atmosphère des quantités de gaz au moins 2 fois supérieures à celles déduites des quelques statistiqnes diffusées par l'industrie sur ces fuites - lorsqu'elles existent. Pourquoi diable ?
"Dans leurs déclarations, les acteurs n'envisagent qu'un fonctionnement optimal de leurs procédés", estime Michael Prather. Et puis, il y a les inconnues propres à la chimie : "Lorsqu'ils sont émis, certains produits forment des coproduits délétères dont les ingénieurs n'ont pas forcément connaissance", explique Dave Oram, chimiste à l'université d'East Anglia.
L'hypothèse d'un mode d'utilisation incunnu n'est pas non plus à exclure. À cette méconnaissance se greffe une certaine omerta. Selon Jens Muhle, de l'université de San Diego (États-Unis), "les industriels ne veulent pas révéler in extenso les molécules qu'ils utilisent pour des raisons de propriété industrielle. En outre, la convention cadre des Nations unies, qui oblige à déclarer certains de ces gaz, ne concerne pas les pays en développement", comme la Chine, l'Inde, le Brésil... Pris isolément, ces composés ne paient pas de mine. Ce sont surtout leurs effets conjugués qui, dans un siècle ou deux, pourraient avoir un impact. D'autant que l'imagination des chimistes parait sans limite.
D'AUTRES BATAILLONS À VENIR
"À la lecture des rapports de l'industrie électronique, j'ai découvert une zoologie impressionnante de composés très persistants, s'inquiète Jens Muhle. L'atmosphère contient certainement de nombreux gaz de synthèse qui n'ont même pas encore été détectés". Plus que jamais, le fond de l'air effraie... Sachant que la lutte contre le CO2 doit rester une priorité, affirment tous ces spécialistes de l'atmosphère. Seulement, "pourquoi émettre tous ces gaz annexes si nous pouvons éviter de le faire ?", suggère Dave Oram.
Restreindre ces émissions, par la loi s'il le faut, semble relever du bon sens. "Si personne n'y prend garde, nous risquons d'oublier tous ces composés et de les laisser s'accumuler dans l'atmosphère de nos lointains descendants", avertit Michael Prather. Preuve que le diable du réchauffement se niche, aussi, dans les détails.
ET AUSSI... CFC 112, 112a, 113a, HCFC 133a... Début mars, des chercheurs anglais ont révélé la présence dans l'atmosphère de 4 nouveaux gaz destructeurs de la couche d'ozone. Inquiétant car leur concentration augmente en dépit des traités internationaux... |
V.N. - SCIENCE & VIE N°1160 > Mai > 2014 |
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Un Nouveau Polluant dans l'Air |
Un nouveau gaz à effet de serre vient d'être mesuré dans l'atmosphère. Sa nocivité potentielle et sa durée de vie sont exceptionnelles, mais pour le moment, sa contribution au réchauffement de la planète est encore négligeable.
La liste des gaz à effet de serre s'allonge. Une équipe de chercheurs britanniques, allemands et américains vient en effet de détecter un gaz jusqu'alors inconnu dans l'atmosphère, le SF5CF3. Depuis la conférence internationale de Kyoto, en décembre 1997, six gaz sont surveillés pour leur rôle majeur dans le réchauffement de la planète : le méthane (CH4), le dioxyde de carbone (C02), l'oxyde d'azote (N20), les hydrofluorocarbones (HFC), les hydrocarbures perfluorés (PFC) et l'hexafluorure de soufre (SF6).
Les scientifiques qui ont découvert ce nouveau gaz à effet de serre ont d'abord pensé qu'il s'agissait d'un dérivé du SF6, provenant des installations électriques à haute tension. Mais Carl Brenninkmeijer chercheur a la division chimie atmosphérique de l'Institut Max Planck en Allemagne, qui a participé à ces travaux, estime qu'il faut chercher ailleurs : "Ce gaz pourrait résulter d une réaction parasite liée à un procédé industriel autre que la fabrication de SF6". Cependant ce procédé n'a toujours pas éte identifié Quelle que soit l'hypothèse retenue, SF6 ou pas l'émission de SF5CF3 semble liée a l'activité humaine.
Le SF5CF3 a pu être isolé par des prélèvements de carottes glaciaire.
SCIENCE & VIE > Octobre > 2000 |
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