Malgré quelques améliorations ponctuelles, la qualité de l'eau sur la planète continue de s'altérer. Des mesures d'assainissement drastiques s'imposent. Des millions de morts par an : tel est aujourd'hui le coût humain de la pollution de l'air et de l'eau dans le monde. La situation est particulièrement critique en Chine : 16 des 20 villes les plus polluées de la planète se trouvent dans l'Empire du milieu. L'état des principaux fleuves chinois est tout aussi alarmant : 54 % contiennent une eau impropre à la consommation. Bien que les évaluations précises soient difficiles, cette pollution des eaux par les matières organiques, métaux lourds, bactéries et autres parasites est incriminée dans la forte mortalité infantile par diarrhée et la fréquence des cancers digestifs dans les campagnes chinoises. "On observe aujourd'hui en Asie des niveaux de pollution équivalents à ceux des pays européens dans les années 1940 ou 1950", résume Denis Zmirou, professeur à la faculté de médecine de Nancy et ancien directeur scientifique de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement (Afsse).
Le tableau est-il aussi noir pour l'eau ? La réponse est oui. D'abord parce que la ressource est inégalement distribuée sur la planète, ce qui n'est pas sans poser problème à l'agriculture. Mais surtout parce que la qualité de cette eau est souvent médiocre. Ainsi, selon le programme mondial d'évaluation des ressources en eau de l'Unesco, dans les pays en développement, 70 % des effluents industriels ne font l'objet d'aucun traitement avant d'être déversés dans la nature. En zones rurales, les habitants sont très exposés aux pollutions, car obligés de boire l'eau en l'état ; et dans les villes, les systèmes d'égouts et de distribution d'eau peinent à suivre la croissance démographique. Au total, seuls 49 % des Asiatiques et 24 % des Africains ont l'eau courante, et 18 % et 13 % d'entre eux, respectivement, sont raccordés à un réseau de tout-à-l'égout. Dans le même temps, la consommation mondiale d'eau en bouteille bat des records : elle a plus que doublé depuis 1997, pour atteindre, selon l'institut américain Worldwatch, 164,5 milliards de litres en 2005. La majorité de ces bouteilles en plastique ne sont pas recyclées et finissent, elles aussi, par polluer l'environnement. SEULEMENT AU STADE DE L'INVENTAIRE Et la liste des micropolluants potentiellement toxiques à des concentrations infimes ne cesse de s'allonger. Dérivés de médicaments, phtalates contenus dans les plastiques... "Nous en sommes seulement au stade de l'inventaire", explique Philippe Hartemann, directeur du département Environnement et santé publique de la faculté de médecine de Nancy. Certes, les procédés actuels de traitement de l'eau potable - comme l'utilisation de charbon actif associée à une filtration poussée ou même la nanofiltration - permettent de réduire les taux de pesticides et de distribuer ainsi une eau conforme aux normes sanitaires. Mais on ne sait pas tout détecter. Les molécules mises sur le marché sont toujours plus complexes, davantage miscibles dans l'eau et actives à des doses plus faibles, donc plus difficiles à repérer. Un défi de plus à relever dans la lutte contre les pollutions.
STOPPER LES ÉMISSIONS DE POLLUANTS À LA SOURCE Les spécialistes sont unanimes : pour préserver l'air et l'eau, il faut agir à la source. Et donc limiter les émissions de polluants. Même leitmotiv pour l'eau, en particulier pour les rejets agricoles. "La première mesure à prendre, la plus logique, est de diminuer l'application de polluants à la surface du sol pour éviter qu'ils pénètrent dans les masses d'eau souterraines", affirme Didier Pennequin, chef du service eau du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Pour limiter les entrées de micropolluants comme les médicaments, "on réfléchit aussi à des traitements spécifiques des effluents des hôpitaux, ce qui n'est pas fait actuellement", renchérit Philippe Hartemann, directeur du département Environnement et santé publique de la faculté de médecine de Nancy. L'urgence étant de protéger les zones de captage d'eau potable. Mais de telles mesures ne résoudront pas du jour au lendemain le problème de la pollution des nappes souterraines car l'eau peut y séjourner des centaines d'années, voire davantage. DÉPOLLUER GRÂCE À LA LUMIÈRE NATURELLE Purifier l'air et l'eau qui nous entourent grâce au soleil : tel est l'espoir soulevé par la photocatalyse. Le principe directeur de ce procédé ? Exploiter les propriétés de certains semi-conducteurs, comme le dioxyde de titane, qui absorbent les rayons ultraviolets et génèrent à leur surface des radicaux libres. Ces intermédiaires chimiques à très courte durée de vie réagissent immédiatement avec les polluants (hydrocarbures, colorants ou pesticides par exemple) en les oxydant, pour ne donner au final que des minéraux, du gaz carbonique et de l'eau. La méthode, qui fait l'objet de recherches intenses, est également à l'étude pour se débarrasser des virus. RÉUTILISER LES EAUX USÉES Sur les 162 litres d'eau potable consommés chaque jour par un Français, seuls 3 % sont utilisés pour la boisson ou la cuisson des aliments. Le reste part dans les bains et les douches, le ménage, l'arrosage des jardins... Toutes les eaux usées, plus ou moins sales, rejoignent ensuite les égouts, puis la station d'épuration, avant de regagner les rivières ou la mer. "C'est complètement aberrant, estime Joel Casanova, du BRGM. On ne peut plus fonctionner ainsi avec un réseau unique et en dissociant l'approvisionnement de l'assainissement". Sans aller, comme à Singapour, jusqu'à faire de l'eau potable à partir d'eaux usées, on peut cependant les faire circuler sur des boucles plus courtes, en les réutilisant localement. Les eaux usées urbaines sont alors épurées plus simplement que dans le circuit habituel, et peuvent servir pour arroser les espaces verts ou refroidir des installations industrielles, par exemple. S'il est peu développé en France, le système est déjà adopté par de nombreux pays, comme l'Australie, les Etats-Unis, Israël, l'Espagne ou l'Afrique du Sud. La région métropolitaine de Durban y propose ainsi depuis 1999 ses eaux traitées aux industries locales. Et Israël réutilise aujourd'hui plus de 80 % de ses eaux d'égout pour l'irrigation des cultures (Rapport mondial des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau, L'Eau, une responsabilité partagée, 2006). L'idée étant toujours d'adapter le traitement à l'usage : a-t-on besoin d'eau potable pour laver sa voiture ou tirer sa chasse d'eau ? RECHARGER LES NAPPES SOUTERRAINES Plutôt que de rejeter les eaux épurées dans les rivières, pourquoi ne pas les renvoyer directement dans les nappes phréatiques ? Et réalimenter ainsi ces réserves souterraines qui, dans certaines régions, se rétrécissent comme peau de chagrin à force d'être pompées ? Plusieurs villes ont déjà adopté ce système de recharge artificielle avec les eaux usées urbaines, en Israël, en Australie, en Californie, en Espagne ou en Allemagne. La méthode la plus simple et la plus répandue - choisie par Berlin, par exemple - consiste à déverser les eaux dans des bassins d'infiltration, où elles percolent à travers le sol jusqu'à la nappe. On profite alors des capacités naturelles de filtration et d'oxydation du sol, qui continue à épurer l'eau sans apport d'énergie. Une autre solution est d'injecter directement l'eau sous terre, via des puits d'injection. La technique demande une eau plus propre, mais permet d'accéder à des nappes plus profondes et évite d'avoir à stocker l'eau en surface. ÉPURER AVEC DES BIO-RÉACTEURS À MEMBRANE Inventés dans les années 1960-70, les bioréacteurs à membrane bouleversent aujourd'hui l'épuration des eaux usées. "C'est vraisemblablement la technique d'avenir", estime Jean-Pierre Tabuchi, de l'Agence de l'eau Seine-Normandie. Compacts, modulaires, "ils ont une souplesse de conception telle qu'ils pourront s'adapter à un large spectre de pollution", commente Claire Albasi, du laboratoire de génie chimique de Toulouse.
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