Dossier : Construire un Monde Durable

Enrayer la Pollution de l'Eau

État des lieux

Malgré quelques améliorations ponctuelles, la qualité de l'eau sur la planète continue de s'altérer. Des mesures d'assainissement drastiques s'imposent.

Des millions de morts par an : tel est aujourd'hui le coût humain de la pollution de l'air et de l'eau dans le monde. La situation est particulièrement critique en Chine : 16 des 20 villes les plus polluées de la planète se trouvent dans l'Empire du milieu. L'état des principaux fleuves chinois est tout aussi alarmant : 54 % contiennent une eau impropre à la consommation. Bien que les évaluations précises soient difficiles, cette pollution des eaux par les matières organiques, métaux lourds, bactéries et autres parasites est incriminée dans la forte mortalité infantile par diarrhée et la fréquence des cancers digestifs dans les campagnes chinoises. "On observe aujourd'hui en Asie des niveaux de pollution équivalents à ceux des pays européens dans les années 1940 ou 1950", résume Denis Zmirou, professeur à la faculté de médecine de Nancy et ancien directeur scientifique de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement (Afsse).

LA POLLUTION DE L'EAU SEVIT PARTOUT DANS LE MONDE
AU SUD, ELLE EST VECTEUR DE MALADIES
Dans de nombreux pays, la qualité des eaux est menacée par le rejet de composés organiques. La faute aux déchets domestiques (ordures ménagères, excréments), agricoles (lisiers) ou industriels (papeteries, tanneries, usines agroalimentaires...) parfois rejetés dans la nature sans avoir été traités. Biodégradables, ces déchets peuvent néanmoins entraîner l'asphyxie de la faune aquatique s'ils sont présents en excès.
Si la pollution des eaux frappe le Nord comme le Sud, elle n'a pas les mêmes conséquences partout. Et pour cause : alors que dans les pays développés, les stations d'épuration sont légion, en Afrique et en Asie, les eaux usées sont souvent déversées dans la nature sans traitement. Résultat, une contamination des eaux à l'origine de maladies graves (choléra, typhoïde, etc.). Selon l'OMS, 32 % des cas de maladies diarrhéiques seraient évités par un meilleur assainissement.
1,1 milliard de personnes dans le monde n'ont pas accès à une eau de qualité.
2,6 milliards de personnes ne disposent pas de système d'assainissement de base.

Le tableau est-il aussi noir pour l'eau ? La réponse est oui. D'abord parce que la ressource est inégalement distribuée sur la planète, ce qui n'est pas sans poser problème à l'agriculture. Mais surtout parce que la qualité de cette eau est souvent médiocre. Ainsi, selon le programme mondial d'évaluation des ressources en eau de l'Unesco, dans les pays en développement, 70 % des effluents industriels ne font l'objet d'aucun traitement avant d'être déversés dans la nature. En zones rurales, les habitants sont très exposés aux pollutions, car obligés de boire l'eau en l'état ; et dans les villes, les systèmes d'égouts et de distribution d'eau peinent à suivre la croissance démographique. Au total, seuls 49 % des Asiatiques et 24 % des Africains ont l'eau courante, et 18 % et 13 % d'entre eux, respectivement, sont raccordés à un réseau de tout-à-l'égout. Dans le même temps, la consommation mondiale d'eau en bouteille bat des records : elle a plus que doublé depuis 1997, pour atteindre, selon l'institut américain Worldwatch, 164,5 milliards de litres en 2005. La majorité de ces bouteilles en plastique ne sont pas recyclées et finissent, elles aussi, par polluer l'environnement.
Qu'en est-il dans les pays développés ? "En France, la qualité des eaux superticielles s'est très nettement améliorée par rapport aux années 1960 pour les paramètres liés à la vie aquatique, comme les matières organiques ou l'ammonium", explique Jean-Pierre Tabuchi, de l'Agence de l'eau Seine-Normandie. D'énormes progrès ont été réalisés pour limiter les rejets de métaux toxiques comme le mercure ou le chrome, le durcissement des législations ayant entraîné une diminution de l'utilisation de ces métaux et favorisé leur recyclage.>
Mais ce n'est pas le cas pour certaines pollutions diffuses, comme celles liées à l'agriculture. La pollution par les nitrates continue d'augmenter en surface et dans les nappes souterraines - avec des concentrations supérieures à 20 mg/l dans plus de la moitié des points de mesure en 2003 (Institut français de l'environnement, L'Environnement en France, 2006). Il en est de même pour les pesticides, dont la consommation mondiale a doublé tous les dix ans de 1945 à 1985 et dont certains sont cancérigènes ou suspectés de perturber les équilibres hormonaux.

SEULEMENT AU STADE DE L'INVENTAIRE

Et la liste des micropolluants potentiellement toxiques à des concentrations infimes ne cesse de s'allonger. Dérivés de médicaments, phtalates contenus dans les plastiques... "Nous en sommes seulement au stade de l'inventaire", explique Philippe Hartemann, directeur du département Environnement et santé publique de la faculté de médecine de Nancy. Certes, les procédés actuels de traitement de l'eau potable - comme l'utilisation de charbon actif associée à une filtration poussée ou même la nanofiltration - permettent de réduire les taux de pesticides et de distribuer ainsi une eau conforme aux normes sanitaires. Mais on ne sait pas tout détecter. Les molécules mises sur le marché sont toujours plus complexes, davantage miscibles dans l'eau et actives à des doses plus faibles, donc plus difficiles à repérer. Un défi de plus à relever dans la lutte contre les pollutions.

Pistes et Solutions

STOPPER LES ÉMISSIONS DE POLLUANTS À LA SOURCE

Les spécialistes sont unanimes : pour préserver l'air et l'eau, il faut agir à la source. Et donc limiter les émissions de polluants. Même leitmotiv pour l'eau, en particulier pour les rejets agricoles. "La première mesure à prendre, la plus logique, est de diminuer l'application de polluants à la surface du sol pour éviter qu'ils pénètrent dans les masses d'eau souterraines", affirme Didier Pennequin, chef du service eau du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Pour limiter les entrées de micropolluants comme les médicaments, "on réfléchit aussi à des traitements spécifiques des effluents des hôpitaux, ce qui n'est pas fait actuellement", renchérit Philippe Hartemann, directeur du département Environnement et santé publique de la faculté de médecine de Nancy. L'urgence étant de protéger les zones de captage d'eau potable. Mais de telles mesures ne résoudront pas du jour au lendemain le problème de la pollution des nappes souterraines car l'eau peut y séjourner des centaines d'années, voire davantage.

DÉPOLLUER GRÂCE À LA LUMIÈRE NATURELLE

Purifier l'air et l'eau qui nous entourent grâce au soleil : tel est l'espoir soulevé par la photocatalyse. Le principe directeur de ce procédé ? Exploiter les propriétés de certains semi-conducteurs, comme le dioxyde de titane, qui absorbent les rayons ultraviolets et génèrent à leur surface des radicaux libres. Ces intermédiaires chimiques à très courte durée de vie réagissent immédiatement avec les polluants (hydrocarbures, colorants ou pesticides par exemple) en les oxydant, pour ne donner au final que des minéraux, du gaz carbonique et de l'eau. La méthode, qui fait l'objet de recherches intenses, est également à l'étude pour se débarrasser des virus.
Quelques applications pratiques existent déjà. Des expériences pilotes concernent la dépollution de l'eau. Dans le cadre du projet européen Aquacat, des chercheurs viennent ainsi de mettre au point un appareil destiné aux populations vivant dans des zones semi-arides : il permet d'obtenir en toute autonomie un mètre cube d'eau potable par jour à partir d'eau polluée ou contaminée par des micro-organismes. L'eau circule dans des tubes exposés au soleil et se trouve dépolluée par photocatalyse. Pionnière dans sa catégorie, la plateforme solaire d'Almeria, en Espagne, emploie aussi la photocatalyse pour éliminer les polluants non-biodégradables de l'eau grâce à la seule énergie solaire. Ces expériences sont-elles appelées à se généraliser ? "La photocatalyse n'est pas un procédé miraculeux, mais un outil qui interviendra à un moment ou à un autre dans les mécanismes de traitement, estime Eric Puzenat, de l'Institut de recherches sur la catalyse et l'environnement de Lyon.

RÉUTILISER LES EAUX USÉES

Sur les 162 litres d'eau potable consommés chaque jour par un Français, seuls 3 % sont utilisés pour la boisson ou la cuisson des aliments. Le reste part dans les bains et les douches, le ménage, l'arrosage des jardins... Toutes les eaux usées, plus ou moins sales, rejoignent ensuite les égouts, puis la station d'épuration, avant de regagner les rivières ou la mer. "C'est complètement aberrant, estime Joel Casanova, du BRGM. On ne peut plus fonctionner ainsi avec un réseau unique et en dissociant l'approvisionnement de l'assainissement". Sans aller, comme à Singapour, jusqu'à faire de l'eau potable à partir d'eaux usées, on peut cependant les faire circuler sur des boucles plus courtes, en les réutilisant localement. Les eaux usées urbaines sont alors épurées plus simplement que dans le circuit habituel, et peuvent servir pour arroser les espaces verts ou refroidir des installations industrielles, par exemple. S'il est peu développé en France, le système est déjà adopté par de nombreux pays, comme l'Australie, les Etats-Unis, Israël, l'Espagne ou l'Afrique du Sud. La région métropolitaine de Durban y propose ainsi depuis 1999 ses eaux traitées aux industries locales. Et Israël réutilise aujourd'hui plus de 80 % de ses eaux d'égout pour l'irrigation des cultures (Rapport mondial des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau, L'Eau, une responsabilité partagée, 2006). L'idée étant toujours d'adapter le traitement à l'usage : a-t-on besoin d'eau potable pour laver sa voiture ou tirer sa chasse d'eau ?

RECHARGER LES NAPPES SOUTERRAINES

Plutôt que de rejeter les eaux épurées dans les rivières, pourquoi ne pas les renvoyer directement dans les nappes phréatiques ? Et réalimenter ainsi ces réserves souterraines qui, dans certaines régions, se rétrécissent comme peau de chagrin à force d'être pompées ? Plusieurs villes ont déjà adopté ce système de recharge artificielle avec les eaux usées urbaines, en Israël, en Australie, en Californie, en Espagne ou en Allemagne. La méthode la plus simple et la plus répandue - choisie par Berlin, par exemple - consiste à déverser les eaux dans des bassins d'infiltration, où elles percolent à travers le sol jusqu'à la nappe. On profite alors des capacités naturelles de filtration et d'oxydation du sol, qui continue à épurer l'eau sans apport d'énergie. Une autre solution est d'injecter directement l'eau sous terre, via des puits d'injection. La technique demande une eau plus propre, mais permet d'accéder à des nappes plus profondes et évite d'avoir à stocker l'eau en surface.
Quelles sont les conséquences à long terme de ces pratiques sur la qualité des eaux souterraines ? Pour le savoir, encore faudrait-il mieux comprendre les échanges qui se déroulent en sous-sol. "Pour l'instant, tout est réalisé selon le principe de la boîte noire : on contrôle ce qui entre, on contrôle ce qui sort, mais pas ce qui se passe entre les deux", souligne Joel Casanova, du BRGM. Comment les micro-organismes présents dans les eaux usées entrent-ils en compétition avec ceux qui peuplent le sol ? Qu'advient-il des micropolluants comme les métaux lourds ? Autant de questions qui mobilisent les chercheurs. "L'idée est de résoudre un problème à l'échelle locale avec des solutions non pas forcément high-tech - cela on sait faire - mais low cost et pérennes", résume Joel Casanova. En clair : arriver à faire simple, durable et peu coûteux.

ÉPURER AVEC DES BIO-RÉACTEURS À MEMBRANE

Inventés dans les années 1960-70, les bioréacteurs à membrane bouleversent aujourd'hui l'épuration des eaux usées. "C'est vraisemblablement la technique d'avenir", estime Jean-Pierre Tabuchi, de l'Agence de l'eau Seine-Normandie. Compacts, modulaires, "ils ont une souplesse de conception telle qu'ils pourront s'adapter à un large spectre de pollution", commente Claire Albasi, du laboratoire de génie chimique de Toulouse.
Ainsi, dans une station d'épuration traditionnelle, l'eau sale est déversée dans de grands bassins. On y accélère les processus naturels de dépollution par les bactéries présentes dans l'eau, qui se nourrissent et se multiplient en assimilant les polluants organiques venus des excréments et autres déchets. Une phase de décantation permet ensuite de séparer les bactéries, qui se déposent au fond et donnent les boues d'épuration. L'eau, moins polluée mais non-potable, est alors rejetée dans les rivières. L'originalité du bioréacteur ? L'étape de décantation y est supprimée. L'eau sale passe à travers une membrane qui la filtre et retient les bactéries. Résultat : un gain de place, moins de boues, une épuration plus fiable et plus constante. Plusieurs centaines de bioréacteurs fonctionnent aujourd'hui en Europe, pour traiter les rejets des industries textile, automobile, agroalimentaire et pharmaceutique, et pour épurer les eaux urbaines. On teste à présent leur capacité à éliminer des micropolluants comme les pesticides ou les médicaments. Une solution serait de diminuer la taille des pores des membranes. Mais cela augmente d'autant l'énergie nécessaire à la filtration et les risques de colmatage. Or ces deux points constituent justement les principales limites des bioréacteurs actuels. Cela n'empêche pas certains d'imaginer des bioréacteurs équipés de nanomembranes qui transformeraient directement les rejets des égouts en eau potable. Pour Mark Shannon, de l'université de l'Illinois, aux Etats-unis et ses collègues, "le design flexible et la mise en ouvre automatisée des bioréacteurs à membranes les rendent idéaux pour le traitement localisé et décentralisé des égouts dans le monde en développement".

7/ Enrayer la pollution de l'air - Enrayer la pollution de l'eau

L.S. - SCIENCE & VIE Hors Série > Juin > 2008
 

   
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