Océans : Menacés de Toutes Parts

La Carte des Mers malmenées par l'Homme

D.S. - NATIONAL GEOGRAPHIC N°211 > Avril > 2017

Les Menaces qui Pèsent sur nos Océans

Réchauffement, surpêche, acidification, pollution. Les dangers ont nombreux et majeurs. Et ils impactent déjà toutes les régions du monde.

OCÉAN ATLANTIQUE

FICHE D'IDENTITÉ : Avec 92 millions de km², c'est la seconde plus vaste masse océanique de la planète après le Pacifique. Il abrite de nombreuses zones très poissonneuses - comme celles situées à la jonction du courant froid du Labrador et du courant chaud du Gulf Stream.
LA SURPÊCHE : Selon l'Institut de recherche pour le développement (IRD), la moitié des stocks de poissons de l'Atlantique connaît une surexploitation. Certaines zones sont très touchées, comme la mer du Nord, où 88 % des ressources marines subissent une forte pression. Cette surpêche a provoqué la disparition de stocks entiers, comme la morue de Terre-Neuve ou le thiof (grand mérou) du Sénégal. L'épuisement des ressources en surface pousse les chalutiers à exploiter les grands fonds, touchant alors des espèces à reproduction lente (sabre noir, grenadier, lingue bleu). Ce genre de pêche industrielle entraîne aussi la multiplication des prises "accessoires", avec le rejet de poissons trop petits ou qui ne correspondent pas à l'espèce ciblée.
PLASTIQUES ET PESTICIDES : L'Atlantique est victime d'une forte pollution, dont la principale source est terrestre : métaux lourds de l'industrie charriés par les fleuves, accumulation de déchets plastiques, déversement de pesticides et d'engrais utilisés pour l'agriculture. S'ajoutent les rejets en pleine mer d'hydrocarbures et de produits chimiques, lors des dégazages et déballastages des pétroliers et des navires de commerce.

OCÉAN INDIEN

FICHE D'IDENTITÉ : Sur les rives de cet espace de 75 millions de km² vit un tiers de l'humanité. Ses littoraux sont les plus densément peuplés de la planète. Il est le plus exposé aux phénomènes météorologiques et aux changements climatiques : cyclones, tsunamis, salinisation des deltas.
LE TRAFIC PÉTROLIER : Avec l'essor économique de la Chine et de l'Inde, l'océan Indien, bordé à l'ouest par les immenses réserves d'hydrocarbures du Moyen-Orient et du golfe Persique, est devenu un carrefour stratégique majeur. 70 % du trafic pétrolier mondial y transite. Cet enjeu énergétique est renforcé par les récentes découvertes de gisements, notamment ceux du canal de Mozambique. L'exploitation de ces derniers pourrait mettre à mal cette zone unique pour sa biodiversité, où se concentrent requins-baleines, tortues et oiseaux marins, ainsi que le colacanthe, un poisson préhistorique qui n'a pas évolué depuis 350 millions d'années.
LA MORT DU CORAIL : Ses 11.000 km² de récifs coralliens (8 % de la totalité de la planète) sont durement touchés par le réchauffement climatique, qui provoque le blanchissement et la mort des coraux. «Or ces superorganismes constituent, à l'image des arbres d'une forêt, la clé d'écosystèmes entiers», explique Anne-Gaëlle Verdier, coordinatrice Outre-Mer du WWF France. Leur disparition entraîne, par un effet domino, celle des herbiers, des mangroves, des poissons qui s'en nourrissent, puis de leurs prédateurs.

OCÉAN PACIFIQUE

FICHE D'IDENTITÉ : Avec une superficie de 180 millions de km², le plus grand des océans pourrait contenir toutes les terres immergées de la planète. C'est aussi le plus profond (- 11.054 mètres, dans la fosse des Mariannes). On y trouve les deux plus importantes barrières de corail du monde, au large de l'Australie et de la Nouvelle-Calédonie.
LA MONTÉE DES EAUX : D'après les projections du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), la hausse des températures (entre 0,3 et 4,8°C d'ici 2100), en faisant fondre les calottes polaires, va entraîner une montée des eaux à l'échelle de la planète. Les prévisions les plus pessimistes tablent sur une augmentation du niveau des mers de 0,98 mètre. Cette menace pèse en particulier sur les atolls de Mélanésie et de Polynésie française. Parmi ces derniers, qui culminent rarement au-dessus de 3 mètres, 85 sont d'ores et déjà classés à risques. Des territoires entiers pourraient être inondés impliquant des déplacements de personnes. D'après le rapport de l'Internal Displacement Monitoring Center (IDMC), les réfugiés climatiques, en 2013, étaient déjà plus nombreux que les personnes déplacées suite à des conflits. Un nouveau défi pour le XXIè siècle ?
LA FRAGILITÉ DES ÉCOSYSTÈMES : Les profondeurs du Pacifique abritent une forte concentration de nodules polymétalliques, concrétions rocheuses riches en cuivre, nickel et cobalt. L'exploitation future de ces ressources attise l'appétit des grandes puissances minières, à commencer par celui de la Chine. Les conséquences d'un ratissage en règle de ces fonds marins, aux écosystèmes encore mal connus, pourraient être dramatiques.

OCÉAN ARCTIQUE

FICHE D'IDENTITÉ : C'est le plus petit océan de la planète, avec une surface totale de 14 millions de km². Couvert en partie d'une banquise qui peut atteindre 4 mètres de profondeur, il est très vulnérable au réchauffement planétaire.
LA FONTE DE LA BANQUISE : Chaque année, la couche de glace recouvrant l'océan Arctique fond partiellement, avec un dégel maximal en septembre. Or cette banquise estivale ne cesse de rétrécir. Selon le National Snow and Ice Data Center, sa surface n'atteint plus, depuis dix ans, la moyenne habituellement mesurée de 6,5 millions de km². En 2012, elle ne s'étalait plus que sur 3,4 millions de km². Cette fonte des glaces fait disparaître l'habitat naturel de certains animaux, comme les phoques ou les ours polaires. Elle ouvre aussi de nouvelles voies au transport maritime et à l'exploitation pétrolière.
LE TAUX D'ACIDIFICATION : Selon une étude parue en 2015 dans la revue américaine Oceanography, le taux d'acidification des eaux est plus important dans l'Arctique que dans les autres océans. Un tel phénomène risque de bouleverser le fragile écosystème sous-marin, en entraînant un appauvrissement du zooplancton, moins gras, donc moins nourrissant. «Ces changements auront des répercussions sur les populations arctiques, du chasseur inuit au pêcheur norvégien», estime Clive Tesar, du programme arctique du WWF.

OCÉAN AUSTRAL

FICHE D'IDENTITÉ : Uniquement constitué de haute mer, il couvre 20 millions de km². Grâce au traité sur l'Antarctique (1959), qui en fait une zone dédiée à la science et à la paix, il est l'océan le mieux protégé. La pêche notamment y est très contrôlée. On y a enregistré les vents les plus puissants de la planète (plus de 300 km/h), ainsi que la température la plus basse (- 89,2°C).
LA DISPARITION DU KRILL : Cette petite crevette foisonne dans l'océan Austral et constitue la base de la chaîne alimentaire polaire. Riche en protéines et en vitamines, le krill fait aussi l'objet d'une pêche humaine qui est, pour le moment, durable (moins de 1 % de la biomasse totale est prélevée chaque année). Mais selon Bob Zuur, spécialiste Antarctique chez WWF, le développement d'une filière chinoise industrielle, qui entend multiplier les prises par sept, pourrait mettre à mal les stocks. La fonte des glaces pèse aussi sur cet animal qui s'abrite sous la banquise durant l'hiver et y trouve une algue pour se nourrir. Une étude, parue en 2013 dans Nature, estime qu'un déclin significatif de sa population aura lieu au cours du prochain siècle avec de graves conséquences sur la vie des mammifères marins et des oiseaux.
LE MANQUE DE RÉSERVES : Après avoir créé, en 2009, la première Aire marine protégée (AMP) en haute mer, la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marine peine désormais à multiplier ce type de zones. En 2013, la proposition de créer deux nouvelles AMP a ainsi été retoquée par la Russie et l'Ukraine.

PAR EMMANUELLE JARY, TEXTES ET LÉONIE SCHLOSSER (CARTES).

GEO EXTRA N°3 > Août-Octobre > 2015

Océans : ils sont Menacés de Toutes Parts

Un rapport alarmant, à paraître l'année prochaine, pointe du doigt sept fléaux liés aux activités humaines. Et s'inquiète surtout de la vitesse des changements qui affectent les océans...

Hausse des températures, acidification, appauvrissement en oxygène, explosion du nombre de zones mortes, surexploitation, pollution, dégradation de l'habitat... Un rapport alarmant sur la santé des océans devrait sortir l'année prochaine. Concocté par un panel d'experts réunis au sein du Programme international sur l'état de l'océan (Ipso), il ne manquera pas de susciter de profondes inquiétudes : on pourra y lire que les océans font face à un dangereux cocktail de perturbations liées aux activités humaines.
Deux constats devraient plus particulièrement jaillir de cette synthèse de l'abondante littérature scientifique consacrée aux océans. Le premier, c'est que si ces perturbations ne sont pas nouvelles, des études récentes indiquent que leur synergie a pour conséquence d'amplifier leur impact. Le second ressort de l'analyse du rythme auquel les océans se réchauffent, s'acidifient, et se vident de leur oxygène. "La vitesse à laquelle ces changements opèrent est sans précédent depuis des dizaines de millions d'années", explique Alex Rogers, biologiste de l'université d'Oxford et directeur de l'Ipso. À tel point que le visage des océans ressemblerait dangereusement à celui qu'ils affichaient avant les grandes crises biologiques de l'histoire de la Terre. "Nous vivons peut-être aujourd'hui, sans bien le réaliser, la première phase d'une extinction de masse dans les océans", ajoute Alex Rogers. Revue de détail des sept maux qui tourmentent aujourd'hui les mers, et menacent conjointement de les transformer de manière irréversible.

RÉCHAUFFEMENT : IL MENACE DE DISPARITION LES RÉCIFS CORALLIENS

Le blanchissement du corail est un symptôme de sa mort prochaine.le réchauffement des eaux serait responsable d'une multiplication de ces phénomènes.

Pour un organisme fixe comme le corail, le réchauffement des océans peut s'avérer fatal : au-delà d'un certain seuil, il rompt la délicate symbiose entre le polype et l'algue microscopique qui lui donne vie. Cette rupture provoque le blanchissement des coraux, et leur mort s'ils ne parviennent pas à accueillir de nouvelles algues.

En 1998, année parmi les plus chaudes, 16 % des coraux de la planète ont blanchi, et seule une infime partie d'entre eux s'en sont remis. La fréquence et la sévérité des épisodes de blanchissement devraient croître avec le réchauffement. Combinés à la surpêche et à l'acidification, ils menacent l'ensemble des coraux de disparition à l'horizon 2050.

ACIDIFICATION : ELLE PÉNALISE LES ORGANISMES CALCAIRES

Quelques gagnants, beaucoup de perdants : telles sont les répercussions biologiques de l'absorption croissante de CO2 par les océans. Si elle stimule la photosynthèse des algues, l'accumulation de gaz carbonique entrave en revanche la croissance des mollusques, crustacés, coraux, oursins et algues calcaires.

L'acidité des océans a en effet grimpé de 30 % depuis le début de l'ère industrielle, réduisant du même coup la disponibilité des ions carbonates nécessaires à la fabrication de coquilles ou de squelettes calcaires. Très marquée au niveau des pôles (le CO2 est plus soluble dans l'eau froide), la baisse du pH y serait telle que les coquilles seront même dissoutes dans certaines zones de l'océan Arctique dès 2018.

ZONES MORTES : LEUR NOMBRE A EXPLOSÉ

La prolifération d'algues (ici, une "marée rouge" en Alaska) prive d'oxygène les organismes marins.

Depuis 1960, le nombre de zones mortes double tous les dix ans. On dénombre aujourd'hui 534 zones côtières dans lesquelles la teneur en oxygène dissous dans l'eau est insuffisante pour la survie des organismes marins. En cause : la prolifération d'algues en surface, favorisée par les rejets d'azote provenant des zones agricoles et urbaines.

Une fois mortes, ces algues tombent et sont décomposées par des bactéries qui consomment au passage l'oxygène de l'eau. Au-dessous d'une concentration de 0,5 ml par litre, les organismes peu mobiles vivant sur le fond décèdent en masse par hypoxie (manque d'oxygène).

HYPOXIE : ELLE GAGNE DU TERRAIN AVEC LE RÉCHAUFFEMENT

Le suivi des "zones de minimum d'oxygène" au cours des cinquante dernières années met en évidence l'expansion de ces masses d'eaux pauvres en oxygène, notamment sous les tropiques.

Situées au large, à des centaines de mètres de profondeur, elles doivent leur existence à la stratification thermique des océans, qui limite les échanges gazeux avec l'atmosphère, et à la dégradation de la matière organique produite en surface, qui pompe leur oxygène.

Ce phénomène naturel est amplifié par le réchauffement et la hausse de la teneur en CO2. Ces eaux participent à la création des zones mortes lorsqu'elles remontent le long des côtes, sous l'effet des courants marins.

DESTRUCTION DE L'HABITAT : ELLE AFFECTE DES ÉCOSYSTÈMES ENTIERS

Un champ fraîchement labouré, tel est l'aspect des fonds marins après le passage des chaluts de fond. Ce mode de pêche consiste à racler le plancher océanique avec un filet en forme d'entonnoir. Il est considéré comme le plus destructeur pour les habitats naturels et la biodiversité qu'ils abritent.

Plus de 20 millions de km² de fonds marins seraient ainsi ratissés le long des côtes, et la multiplication des passages laisse peu de temps aux écosystèmes pour se remettre. Le chalutage des grands fonds, pratiqué depuis les années 1960, affecte, lui, les écosystèmes des profondeurs, encore largement inconnus des scientifiques.

POLLUTION : ELLE EMPOISONNE LES OCÉANS

Des dizaines de milliers de fragments de plastique au kilomètre carré. Voilà ce que l'on peut récolter à la surface des océans dans les zones où ces déchets s'accumulent du fait des courants marins. La moitié du plastique produit dans le monde finirait dans l'océan.

Leur effet le plus visible est l'asphyxie qu'ils provoguent chez les animaux qui les ingèrent (oiseaux et tortues de mer). Plus difficile à évaluer : l'impact des fragments microscopiques, ainsi que celui des additifs qu'ils contiennent (tels que le bisphénol A). En outre, d'autres molécules toxiques présentes dans l'eau, comme les PCB et les hydrocarbures polycycliques aromatiques, se fixent sur les micro particules de plastique et rentrent par ce biais dans la chaîne alimentaire.

SUREXPLOITATION : ELLE TOUCHE UN TIERS DES STOCKS DE POISSON

Depuis quinze ans, les pêcheurs remontent de moins en moins de poissons dans leurs filets. Le signe d'une prise de conscience de la nécessaire préservation de cette ressource vitale ? Non, plutôt le résultat d'un appétit sans cesse croissant qui a dépassé la capacité de renouvellement de certaines espèces.

La proportion des stocks de poissons considérés comme surexploités ou effondrés a ainsi triplé en trente-cinq ans, pour atteindre plus du tiers des effectifs. À l'image de la morue, dont les captures ont fondu de 90 % au début des années 1990 dans le nord-ouest de l'Atlantique, ou du thon rouge, dont le nombre d'individus en âge de se reproduire a été divisé par cinq en quarante ans.

B.B. - SCIENCE & VIE > Septembre > 2011
 

   
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