Archaeopteryx n'est Plus l'Ancêtre des Oiseaux

Archaeopteryx : le Dinosaure qui voulait Devenir Oiseaux

R.M. - SCIENCES ET AVENIR N°862 > Décembre > 2018

Archaeopteryx n'est Plus l'Ancêtre des Oiseaux

Un siècle et demi que ce fossile ralliait à son plumage l'origine des oiseaux. Mais voilà : Archaeopteryx s'est trouvé un cousin... et il s'agit d'un dinosaure ! Tout est à réécrire.

Porté 150 ans presque jour pour jour au pinacle ; un statut indéboulonnable de célébrité paléontologique ; un maillon irremplaàable dans la compréhension de l'évolution en général et de l'origine des oiseaux en particulier... Et tout àa pour se retrouver soudain déchu par une petite pintade préhistorique qui s'avère en plus être sa plus proche cousine. il y a mieux comme cadeau d'anniversaire ! C'est pourtant la déconvenue qui vient de s'abattre sur le célébrissime Archaeopteryx, à la suite de la récente découverte d'un membre inconnu de sa famille par le paléontologue chinois Xing Xu. Conscient que le sujet est sensible, l'éminent professeur prévient que de nouveaux fossiles pourraient éventuellement infirmer ses conclusions... Mais en attendant, celles-ci frappent : Archaeopteryx n'est pas l'ancêtre des oiseaux ; il n'est pas non plus l'oiseau le plus ancien ; il n'est d'ailleurs même plus un oiseau du tout !

C'ÉTAIT "l'OISEAU RARE"

Hermann von Meyer, son découvreur, doit se retourner dans sa tombe. Alors que Charles Darwin venait de publier deux ans plus tôt son Origine des espèces, l'incroyable fossile, mis au jour en Bavière en 1861, confirmait la théorie de l'évolution : avec ses griffes et ses plumes, Archaeopteryx (que l'on peut traduire par "aile ancienne") présentait une mosaïque parfaite de traits sauriens et aviens. Vieux de 150 millions d'années et vivant à la fin du Jurassique, il constituait un des mystérieux "chaînons manquants" entre les espèces prédits par la théorie darwinienne. "Il était le chaînon entre nos oiseaux et les dinosaures, la preuve que les premiers descendent des seconds. Il a acquis d'emblée un statut à part, et le changer provoque donc beaucoup de réticences", constate le paléontologue Eric Buffetaut. D'autant que, pendant plus d'un siècle, l'animal resta l'unique dinosaure à plume connu : "On ne connaissait aucun cousin à cet 'oiseau rare', poursuit le spécialiste. C'est donc à bon droit qu'il était considéré comme l'oiseau le plus primitif".

SOUS LES PLUMES, UN DINOSAURE...

Vieux de 155 millions d'années, Xiaotingia zhengi pesait 800 g. Son fossile, comme celui d'Archaeopteryx, ressemble à un oiseau primitif... mais son crâne, ses avant-bras et sa queue osseuse en font un déinonychosaure.

Tout a changé avec l'arrivée de la Chine sur la scène paléontologique dans les années 1990 (voir encadré ci-dessous), et la mise au jour de dizaines de nouvelles espèces de sauriens duveteux... Dont le nouveau venu, baptisé Xiaotingia zhengi. "Le fossile a été découvert dans le Jianchang (province de Liaoning) par un paysan qui l'a vendu au muséum d'Histoire naturelle de Shandong Tianyu, raconte le professeur Xing Xu. Je suis tombé dessus en 2009, et j'ai aussitôt réalisé qu'il s'agissait d'un parent d'Archaeopteryx : c'était une découverte si importante que les informations qu'on a pu en tirer ont changé la base de l'arbre évolutif des oiseaux !" Car dans le nouvel arbre phylogénétique des espèces que cette découverte redessine, Archaeopteryx a quitté la branche des "Avialae" ou "aves", dont les derniers survivants sont les oiseaux modernes, pour rejoindre le vicieux Velociraptor de Jurassic Park dans celle des "déinonychosaures" (les "lézards à griffe terrible"). Pourtant pour un œil profane, avec ses plumes et sa fourchette (fusion des clavicules), Xiaotingia ressemble à un oiseau primitif comme son illustre cousin. Sauf que son crâne triangulaire au museau court et aux larges ouvertures s'avère, lui, très "deinonychosaurien" (il est plus haut et court chez les oiseaux). Comme le sont ses avant-bras longs et robustes ou, au niveau des pattes, son pouce renversé haut placé, sans parler de sa queue osseuse.

JARGON : Définir un oiseau paraît simple : c'est le seul animal à avoir des plumes. Les choses étaient plus floues au Jurassique, il y a 150 millions d'années, lorsque cohabitaient petits dinosaures à plume et premiers oiseaux primitifs dotés de dents et d'une queue. D'où l'obligation, pour les distinguer, d'additionner des traits moins parlants comme le fossé anté-orbitale ou le processus préacétabulaire de l'ilion...
FOSSILES : L'ELDORADO CHINOIS
"Depuis 15 ans, la Chine révolutionne la paléontologie : ces couches fossilifères recèlent des pièces très bien conservées avec des plumes, de la peau parfois... Avant leur découverte, on ne savait presque rien sur l'origine des oiseaux", note le paléontologue éric Buffetaut. Ces gisements sont une chance extraordinaire... Et en même temps une source d'erreurs : le fait que l'écrasante majorité des données vienne d'un seul endroit créait un biais. Avant, ce biais était bavarois, comme les 10 fossiles connus d'archaeopteryx ; aujourd'hui, "dans l'arbre au niveau de l'origine des oiseaux, ils sont presque tous chinois : Epidexipteryx, Confuciusornis..., souligne Jean Le Loeuff. Si on trouvait des choses ailleurs, on aurait de nouveaux bouleversements". Comme dans le gisement géant découvert en janvier 2010 en Charente ?

IL N'Y A PLUS DE TRAITS CLAIRS

Alors, oiseau ou dino ? La question est plus complexe qu'il n'y paraît. Il faut dire "qu'avec les nouveaux fossiles proches de la transition oiseau-dinosaure, il est devenu difficile de distinguer ceux qui sont apparus juste avant ou juste après, souligne Eric Buffetaut. S'il est aujourd'hui facile de séparer un oiseau d'un reptile, àa l'était beaucoup moins au Jurassique !" En effet, plus on découvre de fossiles, plus les choses se compliquent ! "Il y a 10 ans, les choses étaient simples : si on avait une plume, on avait un oiseau. Ce n'est plus le cas : il n'y a plus de traits d'identification clairs", explique Jean Le Loeuff, directeur du musée Dinosauria. A présent, "la subtilité de la classification est dans le détail de dizaines et dizaines de termes anatomiques obscurs", renchérit Eric Buffetaut.
L'anatomie de Xiaotingia (->) a perturbé le subtil équilibre qui prévalait jusqu'ici. Comme le pointe le professeur Xing Xu, "elle suggère que des traits considérés comme aviens sont en fait antérieurs". Si bien que lorsque l'équipe chinoise a entré ses données morphologiques dans un ordinateur pour qu'il calcule ses liens de parenté avec Archaeopteryx, les déinonychosaures et les Avialae primitifs, le logiciel en a fait un déinonychosaure - un dinosaure, à plume certes, mais un dinosaure quand même. À dire vrai, ce n'est qu'une demi-surprise : les paléontologues avaient déjà constaté la ressemblance d'Archaeopteryx avec eux - ce qui avait permis de conclure à l'origine saurienne des oiseaux. Mais c'est un peu comme si personne n'avait eu le cœur de sauter le pas... L'ordinateur, lui, n'a pas eu de scrupules !
Les spécialistes guettent déjà le prochain trouble-fête. Perturbera-t-il aussi l'arbre de l'origine des oiseaux ? Révélera-t-il une famille oubliée ? En attendant, "les oiseaux les plus primitifs connus seraient plutôt Epidexipteryx et Epidentrosaurus, vieux de plus de 160 millions d'années", indique Xing Xu. Néanmoins, "vu la place particulière de ce fossile dans l'histoire de la paléontologie et de l'évolution, il ne faudrait pas que les créationnistes en profitent pour dire que l'évolution ne marche pas", soupire Jean Le Loeuff. La profusion révélée par ces fossiles prouve pourtant la faàon dont elle procède : jamais en ligne droite, toujours à expérimenter sans logique. Et si la plupart de ces créatures ont fini sans descendance, d'autres, elles, ont pris leur envol.

E.R. - SCIENCE & VIE > Octobre > 2011
 

   
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