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Paludisme : Vers un Traitement aux Herbicides

En découvrant un élément végétal dans le parasite responsable du paludisme, des biologistes lui ont trouvé un point faible : un herbicide pourrait alors s'attaquer à lui. Et ça marche !

Plus d'un million. C'est le nombre d'individus que le paludisme terrasse chaque année. Les traitements existent, mais ils ne sont malheureusement pas éternels. "Des antipaludiques pour lesquels il n'existe pas de résistance ? Il n'y en a aucun", lance, désabusé, Pierre Druilhe, directeur de l'unité de parasitologie biomédicale à l'Institut Pasteur. C'est que le parasite responsable de ce fléau, Plasmodium falciparum (->), présente une incroyable faculté à muter. Et donc à développer des résistances aux médicaments censés l'éradiquer. Quant à un éventuel vaccin, il ne faut pas y compter dans l'immédiat, à en croire le parasitologue. Mais alors comment lutter contre un adversaire si redoutable ? En trouvant de nouveaux angles d'attaque. En cherchant une éventuelle faille dans cette machine de guerre qu'est devenu Plasmodium. Et justement, une faille, des biologistes en ont décelé une voici une dizaine d'années, sous la forme d'une curiosité de la nature : le parasite renferme une petite structure d'origine... végétale, qui s'avère primordiale pour sa survie. Du coup, des herbicides ne pourraient-ils éliminer le parasite? Pour surprenante qu'elle paraisse, cette solution apparaît aujourd'hui pertinente car l'une de ces molécules montre des résultats prometteurs chez l'homme.

Chaque année, plus de 500 millions de personnes dans le monde sont atteintes de paludisme, et plus d'un million en meurent, selon l'OMS. La capacité du parasite à l'origine de la maladie, Plasmodium falciparum, à développer des résistances aux traitements rend la lutte antipaludique périlleuse. Or, à l'heure actuelle, il n'existe aucune alternative efficace aux associations médicamenteuses comportant de l'artémisinine, molécule issue de la pharmacopée chinoise. Quant à un vaccin, bien peu de candidats prometteurs ont été mis au point. On comprend donc l'urgence de rechercher de nouveaux traitements aux modes d'action inédits.

SYMBIOSE ALGUE-PARASITE

C'est en 1997 que deux équipes indépendantes, celle de Geoff McFadden en Australie et celle de David Roos aux États-Unis, découvrent que certains parasites possèdent un petit organite normalement présent chez les plantes, un plaste. Ces parasites appartiennent tous à la famille des apicomplexes, qui compte parmi ses plus célèbres représentants Plasmodium falciparum, mais aussi Toxoplasma gondii, à l'origine de la toxoplasmose - maladie bénigne, sauf parfois chez la femme enceinte, avec des risques pour le fotus. Apanage des parasites apicomplexes, ce plaste a été nommé apicoplaste (->).
Chez les plantes, différents plastes s'acquittent de multiples fonctions (photosynthèse, stockage de l'amidon, formation des lipides...) ; mais les choses sont moins claires chez les parasites. Ce qui est sûr, c'est que l'apicoplaste est le résultat d'une symbiose. Au cours de l'évolution, une petite algue se serait incorporée dans un parasite avant de se dégrader progressivement pour ne laisser que ce petit organite. "On sait aussi que des gènes du noyau de l'algue sont allés peupler le noyau du parasite", tient à préciser Eric Maréchal, directeur de recherche au Laboratoire de physiologie cellulaire végétale à Grenoble. Aujourd'hui, les parasites apicomplexes se serviraient de l'apicoplaste pour accomplir un certain nombre de fonctions essentielles à leur survie, comme la synthèse de composés organiques. Certaines voies moléculaires héritées de l'algue seraient même directement impliquées dans l'invasion parasitaire, notamment chez Toxoplasma gondii, comme l'a montré récemment David Sibley, microbiologiste à l'université de Washington (Saint-Louis). Dès sa découverte, nombre de biologistes pressentent que l'apicoplaste pourrait représenter une nouvelle cible pour éliminer Plasmodium. Tout l'enjeu étant de trouver des traitements qui attaquent le parasite sans affecter les cellules humaines. "Pour développer une molécule antiparasitaire, on cherche une cible spécifique du parasite qui n'est pas présente chez l'hôte. En théorie, des médicaments ciblant une voie d'origine végétale n'atteindront pas les cellules humaines", explique Philippe Grellier, professeur au Muséum d'histoire naturelle.
Un raisonnement qui conduit Peter Kremsner, de l'Institut de médecine tropicale de l'université de Tubingen (Allemagne), à réaliser les premiers essais sur l'homme d'une molécule herbicide, la fosmidomycine. Quid des tests de toxicité ? Eh bien, ils ont déjà été menés ! C'est que la fosmidomycine existait à l'époque de la découverte de l'apicoplaste, en tant qu'herbicide, mais surtout "cette molécule était déjà en voie de développement clinique comme antibiotique il y a une quinzaine d'années", précise Peter Kremsner. De fait, l'enzyme que cible la fosmidomycine et qui joue un rôle clé dans le fonctionnement des plastes végétaux existe aussi chez les bactéries.
Mené en 2002, le premier essai clinique contre le paludisme s'avère prometteur : l'herbicide est efficace et bien toléré. Après administration à des patients pendant 5, 4 et 3 jours, les taux de guérison à deux semaines sont respectivement de 89, 88 et 60 %. Le biologiste travaille désormais à combiner la fosmidomycine avec d'autres antipaludiques au mode d'action différent pour en augmenter l'efficacité. Ainsi, "la combinaison fosmidomycine-clindamycine fonctionne bien. Nous avons diminué la durée du traitement à trois jours, à raison de deux administrations par jour", précise-t-il avec enthousiasme. Outre sa meilleure efficacité, la multithérapie aurait aussi une autre utilité : éviter, ou du moins retarder, le développement de résistances. La recherche antipaludique s'oriente donc vers sa systématisation. "Nous n'avons pas encore défini la formulation finale, mais le traitement pourrait être administré sous forme de capsule ou de sirop pour les enfants", les premiers touchés par la maladie, ajoute Peter Kremsner. Le traitement pourrait être commercialisé d'ici à trois ans.

24 000 MOLÉCULES CRIBLÉES

Mais déjà, une deuxième génération d'herbicides antipaludiques se prépare. Une nécessité quand on sait la facilité avec laquelle Plasmodium est prompt à résister. Ainsi, avant même la fin des essais cliniques du précédent, d'autres programmes de recherche sont en marche. Une marche plus lente cependant, car tous n'ont pas la chance de tomber sur une molécule herbicide déjà existante et, qui plus est, testée sur le plan de la toxicité ! Il faut donc parfois en développer de nouvelles, à l'instar d'Eric Maréchal. Il y a dix ans, il étudiait le métabolisme lipidique des plantes, dont une des enzymes clés, la MGDG synthase, est vitale pour la cellule végétale. Or, elle est localisée dans le chloroplaste. Aussi, lorsque le chercheur apprend l'existence d'un plaste chez les apicomplexes, émet-il l'hypothèse que cette enzyme doit y être présente et tout aussi vitale. Ne reste plus qu'à trouver des molécules inhibant son activité. Ce que permet le criblage pharmacologique, technique qui consiste à tester l'activité d'un grand nombre de molécules au hasard. "Sur 24.000 molécules criblées, nous en avons retenu deux", déclare Eric Maréchal, dont il s'agit désonnais d'améliorer l'efficacité en leur apportant des modifications chimiques fines. "Nos molécules tuent Plasmodium. Elles n'ont pas encore d'action curative démontrée, mais elles diminuent bien la parasitémie (quantité de parasites dans le sang) chez des souris atteintes de paludisme. "Quant à la toxicité de ses molécules, il la suit sur des cellules humaines en culture mais n'observe pas d'effet majeur : ne ciblent-elles pas des voies moléculaires inexistantes chez l'homme ? "Il y a toujours la possibilité qu'une molécule soit toxique pour une raison indépendante de son mode d'action. Mais il est vrai qu'avec les herbicides, il y a moins de risque que cela arrive."
Il n'empêche, le chemin est encore long. "Des essais sur la souris aux essais cliniques, il faut compter dix ans", estime Philippe Grellier. Ce délai n'entame pas l'optimisme d'Eric Maréchal, qui imagine déjà un modèle économique où l'on partagerait l'exploitation des mêmes molécules -à quelques modifications près- sur le marché des herbicides et sur le marché médical, arguant que l'on diminuerait ainsi les coûts de production.
"Avoir un temps d'avance sur la résistance", c'est là tout l'enjeu de la lutte antipaludique selon le chercheur. Pour l'heure, des associations médicamenteuses comportant de l'artémisinine, une molécule dont on connaît malle mode d'action, apparaissent efficaces pour traiter le paludisme. Mais pour combien de temps ? "C'est une course", admet-il. Une course sans fin...

POURQUOI UNE TELLE RESISTANCE ?
Si Plasmodium développe des résistances aux antipaludiques, c'est parce qu'il mute en permanence
. Lorsqu'un individu infecté prend un médicament en monothérapie, la plupart des parasites qui l'infectent sont éradiqués. Mais si un seul d'entre eux dispose de mutation(s) lui conférant une résistance - et sur les centaines de milliers qui prolifèrent lors d'une infection ce n'est pas rare-, il peut alors survivre et se multiplier dans l'organisme. Pour éviter ce phénomène, l'OMS recommande d'associer plusieurs antipaludiques lors d'un même traitement.

M-C.M. - SCIENCE & VIE > Avril > 2008
 

   
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