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Déchets : l'Alerte

Déchets Énergétiques : l'autre Péril Écologique

T.A. - SCIENCE & VIE N°1253 > Février > 2022

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Alerte aux Déchets

L'image est saisissante. Si on empilait tous les déchets ménagers produits cette année et stockés dans les décharges du monde entier, ils formeraient une montagne haute de... 850 m. Et si rien n'est fait, celle-ci atteindra l'altitude du glacier du mont Blanc en 2100 ! Une façon de donner l'alerte.

JARGON : Les déchets solides municipaux (DSM) regroupent toutes les ordures collectées et traitées par les munitipalités, qu'elles proviennent des ménages, du commerce, de l'artisanat, des bureaux, des établissements publics ou des espaces verts. Ils représentent près de la moitié du volume mondial, à côté des déchets industriels, miniers, agricoles, hospitaliers...

La plupart du temps, nous préférons ne rien voir. Mais une grève inopinée des services municipaux suffit à les rappeler à notre bon souvenir : voici qu'elles s'entassent dans les rues et débordent des bennes à une vitesse affolante. "Elles", ce sont nos ordures. Qui échouent d'ordinaire dans des décharges reléguées à l'écart des villes, où le "sale boulot" est exécuté à l'abri des regards. Papiers gras, résidus végétaux, emballages plastiques, papier, carton, électroménager, verre... Tout finit par être déversé, puis stocké, quelque part. Dans des lieux sans retour, des no man's lands qui échappent le plus souvent à l'attention de ceux qui les alimentent - et où trouvent cependant de quoi subsister les plus pauvres, tout un "peuple des ordures", que ce soit aux portes de Paris ou de Caracas.
Or, les experts n'hésitent plus à donner l'alerte : nos déchets se sont accumulés au point de former de véritables montagnes. Une image saisissante, qu'il s'agit de prendre au pied de la lettre à l'échelle de la planète. Qu'on en juge. Chaque jour, la décharge de Sudokwon, à Séoul, grossit de 18.000 tonnes ; celle de Puente Hills, à Los Angeles, de 10.900 tonnes ; celle d'Olusosun, à Lagos, de 9000 tonnes...

5.000 KM DE CAMIONS POUBELLES PAR JOUR

Prise isolément, chacune de ces décharges représente chaque année un monceau d'ordures de plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Mais qu'on les empile les uns au-dessus des autres, et le monticule tutoie alors les 850 m de l'imposant plateau des Dômes, dans le Massif central. Et s'il continue de grandir à ce rythme, il devrait atteindre 1300 m par an (l'altitude de la langue terminale du glacier du Mont Blanc) à la fin du siècle, selon les projections d'une étude récemment publiée dans la revue Nature.
Difficile à croire ? Pour s'en convaincre, rien n'est plus éloquent que la traduction, en image, de cette métaphore (infographie ->). Les statistiques globales de production des déchets prennent alors toute leur dimension. Dans le détail, l'ensemble des villes de la planète produit déjà, chaque année, 1,3 milliard de tonnes de déchets solides municipaux (DSM). Et elles en généreront 2 milliards d'ici à 2025. De quoi remplir une file de 5000 km de camions-poubelles par jour - la distance, par route, entre Paris et Bagdad ! Pis, la tendance ne s'inversera pas avant 2100... Les DSM représenteront alors 11 millions de tonnes par jour dans le monde, soit 3 fois plus qu'aujourd'hui.
Et le phénomène semble difficile à enrayer. Logiqne : il se nourrit de l'urbanisation et de la croissance économique mondiale. C'est qu'à revenu égal, un citadin génère 2 fois plus de déchets qu'un rural. Les pays les plus nantis en produisent également beaucoup plus (2,13 kg par habitant et par jour, contre 0,6 dans les régions les plus démunies). La collecte des déchets y est plus systématique : 98 % des ordures urbaines sont récupérées dans les 34 pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), contre 46 % en Afrique. Plus de richesse par habitant augmente, donc, plus le tas d'ordure s'élève. Autre conséquence : les déchets sont de plus en plus complexes, chargés en emballages (carton, plastique, verre) et en produits sophistiqués, plus volumineux et non biodégradables. Et les filières de réduction de volume des déchets ont un coût que les pays pauvres ou en développement ne peuvent se permettre. En Afrique, c'est toujours le simple empilement qui domine.

UN PIC A DÉJÀ ÉTÉ ATTEINT

Bien que sensibilisées à la réduction des déchets et au recyclage, nos sociétés ne sont pas épargnées. Dans les pays de l'OCDE, 40 % des ordures finissent encore à la déchalge (le reste étant recyclé ou traité autrement). "Dans ces pays, avec 2,2 kg de déchets par habitant et par four, la production a atteint un pic. Mais la population urbaine continue de croitre", expose Daniel Hoornweg, de l'Institut universitaire de technologie de l'Ontario (Canada), premier auteur de l'étude publiée dans Nature. Conséquence : la production de déchets de l'OCDE (44 % du volume mondial) ne s'infléchira qu'en 2050.
Mais les véritables enjeux se situent ailleurs. Notamment en Asie de l'Est, et tout particulièrement en Chine, où la quantité de DSM va tripler d'ici à 2025, jusqu'à atteindre 1,4 million de tonnes par jour (contre 520.550 tonnes en 2005). Mais aussi en Asie du Sud, principalement en Inde. Et, demain, en Afrique subsaharienne, objet de toutes les inquiétudes. "Ce sera la dernière grande vague d'urbanisation, explique Daniel Hoornweg. Elle débutera autour de 2040, et pourrait tous nous pousser vers le développement durable... ou, au contraire, inonder la planète de déchets". Or, si l'élévation ininterrompue du sommet de notre montagne d'ordures alerte, c'est qu'elle engendre des risques sanitaires et environnementaux, liés notamment au ruissellement des eaux de pluie ou à la libération dans l'atmosphère de polluants et de particules nocives lors des incendies dans les décharges. À cela, s'ajoute une charge financière difficilement supportable - déjà 20 % du budget de Douala et Yaoundé au Cameroun, par exemple. Les déchets jouent aussi un rôle dans le réchauffement climatique, en liberant du méthane. Ils seraient responsables de 5 % des émissions de gaz à effet de serre liées à l'homme, selon un rapport de la Banque mondiale de 2012.
Dans le scénario le plus pessimiste, la Terre comptera 13,5 milliards d'habitants en 2100 et les DSM continueront de croître en flèche. "Cela se traduira par un surcoût environnemental et financier de 35 % à l'échelle de la planète", avertit Daniel Hoornweg. Une situation insupportable pour les pays en développement. Il existe cependant une prévision plus optimiste, dans laquelle le pic dans la production de déchets surviendrait plus tôt, en 2075, avant une réduction progressive. Les prérequis sont toutefois nombreux : "Des villes mieux construites et mieux gérées, principalement en Afrique ; plus d'équité dans l'accés aux ressources ; des efforts en matière de santé et d'éducation ; des populations démographiquement stables ou en déclin", résume le chercheur canadien. Pas impossible, mais improbable... Faut-il alors baisser les bras ? Dans l'absolu, non. La solution du casse-tête est connue, c'est un carré magique de "R" : réduire (cette pratique étant celle à privilégier), réutiliser, recycler et récupérer. Certaines grandes villes montrent l'exemple : aux États-Unis, San Francisco affiche un objectif "zéro déchet" pour 2020, via la réduction et le recyclage ; au Japon, Kawasaki a diminué de 565.000 tonnes sa production annuelle de déchets en provenance des industries (dont une partie entre dans les DSM).

UNE APPROCHE À REPENSER

Ces politiques volontaristes restent toutefois difficilement accessibles aux pays en développement. En cause : l'environnement économique et politique, qui peut faire échouer les initiatives des bailleurs de fonds. En outre, "les multinationales spécialisées dans le traitement des déchets offrent des services beaucoup trop chers et des technologies inadaptées", relieve Christel Bourbon-Séclet, chargée d'affaires chez Proparco, filiale de l'Agence française pour le développement. Pour Sabine Barles, professeur en aménagement de l'espace et urbanisme à l'université Paris-1, c'est toute la philosophie des solutions actuelles qui est a revoir : "Ce que proposent la Banque mondiale ou les grands opérateurs de réseaux - essentiellement des incinératears - relève du métabolisme linéaire des villes. À savoir, des ressources ponctionnées, puis restituées sous forme de déchets. L'enjeu, c'est d'aller vers un métabolisme circulaire, où les rejets sont sans cesse réutilisés à l''échelle de la ville". Daniel Hoornweg plaide lui aussi pour cette approche. Une réflexion ambitieuse, qui doit, selon les chercheurs, être entreprise au plus vite à l'heure d'affronter la montagne de déchets engendrée par nos modes de vie.

L.B. - SCIENCE & VIE N°1157 > Février > 2014
 

   
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