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Antarctique : le Trou d'Ozone

La Crainte du Cercle Vicieux

Sa résorption est réguièrement annoncée. Mais le trou dans la couche d'ozone, repéré dès les années 1970, semble toujours aussi menaçant. D'autant que les découvertes se multiplient révélant l'étendue de son impact sur le climat.
Cartographier en continu par la NASA, le trou de la couche d'ozone dépasse les 20 millions de kilomètres carrés depuis les années 1990 (->).

Dans les années 1980, l'Antarctique a fait prendre brutalement conscience au monde entier du fragile équilibre qui maintient la planète intacte : preuve fut faite que l'utilisation industrielle, principalement dans l'hémisphère Nord, de certains gaz nommés CFC, causait des ravages localisés... dans la haute atmosphère au pôle Sud ! Le "trou dans la couche d'ozone", observé dès la fin des années 1970 par des scientifiques d'abord incrédules (encadré ci-dessous), est depuis placé sous très haute surveillance. Sa dimension est publiée chaque mois sur le site de la Nasa. Il est d'ailleurs connu de tous, même si la confusion règne encore parfois entre l'effet de serre, accru par les émissions de CO2 et incriminé dans le réchauffement climatique, et cette couche d'ozone protectrice, filtre à UV, située de 10 à 50 km d'altitude, rongée par les CFC dans les zones froides.

GAZ CFC : DE L'HYPOTHÈSE... AU PROTOCOLE DE MONTRÉAL
Découverte au début du XXe siècle, l'ozone stratosphérique est vite intégré dans des programmes de surveillance météorologique.
La Grande-Bretagne le fait ainsi en Antarctique dès 1957. A partir des années 1970, surprise: les appareils affichent un taux d'ozone de plus en plus faible au mois d'octobre. En le comparant aux données des années 1960, Joe Farman et l'équipe du British Antarctic Survey constatent qu'il a baissé d'au moins un tiers! L'instrument est d'abord incriminé. Mais les scientifiques finissent par se rallier aux idées de Farman, qui avait envisagé un lien diminution d'ozone/hausse des émissions de CFC dès 1970. Reste à prouver que ces derniers sont coupables. Jusqu'alors, les chimistes tentaient sans succès d'expliquer la destruction de l'ozone par des réactions en phase gazeuse. En 1986, Susan Solomon, à la National Oceanic and Atmospheric Administration, démontre qu'il faut compter avec des particules solides et liquides. « D'après son hypothèse, explique le météorologue Francis Codron, les températures très basses de l'hiver austral génèrent dans la stratosphère des nuages de glace. Et c'est à la surface des cristaux de glace que des réactions transforment les composés chlorés des CFe en produits détruisant l'ozone sous l'effet des rayons solaires, au retour du printemps ». Une campagne de mesures de la Nasa confirmera l'hypothèse en 1987. Et mènera au protocole de Montréal, interdisant l'utilisation des CFC.

Clairement repéré en 1984 alors qu'il s'étendait sur 10 millions de kilomètres carrés en septembre à son maximum annuel, il a allégrement dépassé les 20 millions de km² tout au long des années 1990 et se maintient encore à ces dimensions aujourd'hui. Mais sa résorption prochaine est régulièrement annoncée. En mai dernier, l'équipe australienne de Murry Salby, à l'université Macquarie de Sydney, affirmait même qu'elle était déjà amorcée.

L'OZONE, ESSENTIEL À LA VIE SUR TERRE : Ce qui encourage cet optimisme, c'est le succès incontestable du protocole de Montréal, signé en 1987, qui a réglementé, puis totalement interdit l'utilisation des responsables, les CFC (ou chlorofluorocarbures), des composés massivement utilisés dans l'industrie du froid, dans celle des solvants et dans les gaz propulseurs et les isolants. Si la communauté internationale a réagi si vite, c'est que ce trou est terriblement inquiétant : sans couche d'ozone dans la stratosphère, il n'y a tout simplement pas de vie sur Terre ! Sans elle, les rayons UV ultra-énergétiques qu'émet le Soleil détériorent toutes sortes de molécules, dont l'ADN du vivant. La couche d'ozone protège la Terre de ce massacre en les absorbant, ne laissant passer que les moins dangereux des UV. Or, dès que son épaisseur diminue, cette protection n'est plus assurée, d'où des risques accrus chez l'homme de brûlures, de cataractes, mais aussi de cancers de la peau. Fort heureusement, en Antarctique, les humains sont peu nombreux : seules quelques équipes scientifiques, averties et protégées, s'y rendent périodiquement. Mais l'Antarctique possède une flore et une faune qui pourraient aussi en subir les effets. En 2006, des chercheurs australiens ont par exemple établi une corrélation entre la concentration d'ozone et la croissance estivale du phytoplancton. Mais les conclusions de telles études restent discutées, et aucune certitude n'existe quant à l'incidence du trou d'ozone sur la vie antarctique. Le gros problème, c'est que, dans ses pires années, il s'est déjà étendu sur près de 27 millions de km², affectant alors les hautes latitudes de l'Amérique du Sud et de l'Australie, qui, elles, sont peuplées ! Là-bas, le trou de la couche d'ozone est une épée de Damoclès au-dessus de la tête des habitants. Et ce n'est pas tout, le pôle Nord pourrait aussi être concerné !
"Si la destruction de l'ozone a d'abord été repérée au-dessus de l'Antarctique, commente Francis Cadron, météorologue à l'université de Paris-VI, c'est parce que les températures hivernales y sont particulièrement basses". Dès la fin de l'automne austral, quand le Soleil ne l'éclaire plus, il se forme en effet une ceinture de vents d'ouest qui isole les masses d'air polaire. Le thermomètre, dans la stratosphère, peut ainsi dégringoler jusqu'à -85°C, favorisant la formation des nuages de glace sur lesquels réagissent les composés chlorés issus des CFC. Plus l'hiver est rude, plus l'ozone est détruit quand arrive le printemps, c'est-à-dire en septembre dans l'hémisphère Sud, période où il atteint sa surface maximale. Or, les CFC, émis en masse pendant des années aux moyennes latitudes, se trouvent encore aujourd'hui présents dans l'atmosphère de l'ensemble de la Terre. Si bien que l'ozone peut très bien subir des attaques ailleurs qu'au-dessus de l'Antarctique, dès lors que le thermomètre stratosphérique descend bas, comme ce fut le cas du pôle Nord pendant l'hiver 2010-2011. Au printemps dernier, la couche d'ozone y a ainsi connu un déclin de 40 %, s'étendant sur une surface de 2 millions de km². Un record dans cette zone moins exposée que l'Antarctique. En effet, étant centré sur un océan, et non sur un continent, le pôle Nord connaît des hivers moins froids et une météo plus variable que le pôle Sud, d'où un amincissement moindre de la couche d'ozone.
Pôle Sud, et maintenant pôle Nord... Comment prédire avec certitude l'évolution de ces trous ? "Nous savons que la couche d'ozone finira par retrouver son épaisseur, car les CFC ont une durée de vie limitée", insiste Sophie Godin-Beekmann, chercheuse à l'Institut Pierre-Simon-Laplace (IPSL) et secrétaire de la Commission internationale de l'ozone. "Or, dès lors qu'il n'y aura plus de CFC et d'autres composés nocifs, l'ozone ne sera plus détruit : autrement dit, c'est une perturbation qui a démarré dans les années 1970 et devrait prendre fin d'ici quarante à cinquante ans". Seulement voilà. Au fil de leurs recherches, les spécialistes de l'ozone stratosphérique se sont aperçus que sa destruction avait des effets retors, qui compliquent considérablement les prédictions.

UNE AMPLIFICATION DE L'EFFET DE SERRE : Les cristaux de glace formant ces nuages nacrés catalysent la destruction de la couche d'ozone (->).

On constate notamment que, faute d'ozone pour absorber les UV (ce qui se traduit en temps normal par un échauffement), la stratosphère de l'Antarctique se refroidit. Elle le fait d'autant plus que l'augmentation des gaz à effet de serre, qui provoquent un réchauffement près du sol, a elle aussi un effet refroidissant sur la stratosphère ! Or, cette anomalie thermique a un impact sur les déplacements des masses d'air. Comme le souligne Nicolas Metzl, chercheur à l'IPSL, "ce changement induit en particulier un renforcement des vents de surface dans les hautes latitudes. En conséquence, les eaux de surface de l'océan Austral se mélangent avec des eaux plus profondes, riches en sels nutritifs et en CO2". Enrichies de la sorte en carbone, les eaux de surface peinent à absorber le CO2 de l'atmosphère qu'elles pompaient auparavant. L'effet de serre se trouve donc amplifié... ce qui entretient le refroidissement de la stratosphère, et le processus de destruction de l'ozone !

REVOIR LES MODÈLES CLIMATIQUES : Voilà qui complique singulièrement les prédictions de la régénération de la couche d'ozone. Sophie Godin-Beekman préfère donc rester prudente avant d'affirmer que le trou d'ozone est sur la voie du rétablissement, comme le prétendait l'équipe de Sydney en mai. Mais on sait désormais que son impact ne se limite pas au "risque UV" : le climat est lui aussi influencé par le trou dans la couche d'ozone. L'équipe de Lorenzo Polvani à l'université Columbia de New York a d'ailleurs révélé au printemps dernier un nouvel effet inattendu : en modifiant la circulation atmosphérique, le défaut d'ozone conduit à un changement des précipitations... jusque dans les régions sub-tropicales ! En effet, en confrontant modèles numériques et observations de terrain, les chercheurs ont remarqué un impact sur les cellules de Hadley dans l'hémisphère Sud. Normalement, celles-ci font monter l'air chaud et humide au niveau de l'équateur, pour le faire redescendre aux latitudes tropicales. Mais, d'après les modèles, elles se sont élargies. Ainsi, des régions habituellement bien arrosées pourraient l'être moins, et d'autres d'ordinaire sèches devenir pluvieuses : les régions subtropicales ont ainsi déjà connu une hausse de 10 % des précipitations entre 1979 et 2000... Les recherches sur l'ozone stratosphérique ont donc mis en exergue la nécessité de l'intégrer dans les modèles climatiques. Un message bien compris des experts : "La plupart des modèles utilisés pour le prochain rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat prennent désormais en compte le creusement de l'ozone au-dessus de l'Antarctique", se félicite Francis Cadron.

A.L.-B. - SCIENCE & VIE Hors Série > Décembre > 2011
 

   
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