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Ressources en Hydrogène

Hydrogène : la Ressource que personne n'Attendait

On pensait qu'il n'y avait pas d'hydrogène exploitable sur terre. Erreur ! De vastes gisements de ce gaz ultrapropre ont été détectés. La course est lancée.

Elle ne gicle pas en puissants geysers comme le pétrole. Elle ne produit pas, au contact de l'air, de grandes flammes orangées à l'image du gaz naturel. Elle ne marque pas non plus le paysage à la manière d'un gisement de charbon noir ébène. Incolore, inodore, silencieuse, ultra-volatile : cette ressource souterraine était jusqu'ici passée inaperçue. À peine les géologues envisageaient-ils son existence... "Ce composé est d'une telle discrétion que si on ne le cherche pas délibérément, on ne le trouve pas", relève Eric Deville, géologue à l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (Ifpen). Or, tout indique désormais que le sous-sol terrestre recèle et diffuse en continu de... l'hydrogène. Plus exactement du d'hydrogène H2. Qui n'a pas entendu parler des vertus de l'hydrogène, dont la combustion n'émet que de l'eau pure (H20) ? Quel écologiste dans l'âme n'a jamais fantasmé sur des transports, une industrie, voire une civilisation entière alimentés par cet élément chimique ?
Sauf que ces rêves de Graal énergétique se sont toujours fracassés sur un argument imparable : l'hydrogène à beau être présent partout, il n'est disponible nulle part sur Terre sous forme exploitable ! Il ne s'y trouverait jamais à l'état pur, mais combiné à d'autres atomes pour former de l'eau ou des hydrocarbures dont on ne peut l'arracher qu'après de coûteux et polluants efforts. Les quelque 700 milliards de mètres cubes d'hydrogène utilisés chaque année par l'industrie proviennent à 96 % de traitements lourds du charbon, du gaz et du pétrole. Le reste est issu de la difficile électrolyse de l'eau. Cette situation lui vaut aujourd'hui d'être qualifié avec un certain mépris de "vecteur d'énergie", au même titre que l'électricité. Or, voilà que l'hydrogène s'avère être un produit naturel ! Autrement dit : Une source d'énergie... dont il reste à évaluer tout le potentiel.

Une fabrication très polluante : La production actuelle d'hydrogène est une plaie pour la planète : la fabrication de 1 t de ce gaz, tiré massivement du raffinage des énergies fossiles, libère environ 10 t de CO2 ! Mais des alternatives sont explorées, comme l'électrolyse de l'eau alimentée par des énergies renouvelables, ou le recours à des algues vertes génétiquement modifiées. Autre option : reproduire en usine les processus géologiques émetteurs de cet hydrogène naturel. La dernière possibilité serait de récupérer l'hydrogène "fatal", celui produit par l'industrie chimique pendant ses process mais jamais exploité, ou celui qui est émis spontanément par les dizaines de millions de tonnes de résidus issus de la fabrication de l'acier.

ÉLÉMENT ULTRA-ÉNERGÉTIQUE : Ainsi, depuis une décennie, une poignée de géologues, géochimistes et ingénieurs pétroliers parcourent le Globe dans les conditions les plus rustiques pour traquer ces émissions souvent incompréhensibles. Détecteurs et cartes géologiques en bandoulière, ils tentent de mettre la main sur l'élément le plus petit de l'Univers, le plus léger, le plus insaisissable, mais aussi le plus énergétique par unité de poids sa densité d'énergie est deux fois et demie supérieure à celle du gaz naturel. Ce ne sont là que les balbutiements d'une possible ressource future. Un moment particulier, partagé entre excitation et fébrilité, espoir pour l'humanité et crainte d'une quête qui ferait "pschitt", le tout sur fond de querelles opposant les prospecteurs. Du reste, le profil du chercheur d'hydrogène varie du pur franc-tireur à l'universitaire hyperrigoureux. "Il est encore impossible de miser sur cet hydrogène naturel, lâche Paul Lucchese, chargé des nouvelles technologies de l'énergie au CEA. Nous disposons de trop peu d'informations, tant sur les réserves disponibles que sur les techniques et coûts d'extraction". Mais l'on ne peut s'empêcher d'imaginer que ce travail de pionnier sera célébré un jour, peut-être dans un siècle. Car "cet hydrogène natif est, selon toute vraisemblance, le dernier fluide énergétique que l'on pourra tirer du sous-sol de notre planète", remarque Eric Deville ; le dernier carburant à pouvoir irriguer notre monde moderne... cette fois-ci durablement et proprement. Comment a débuté cette histoire ? Les premiers signes tangibles d'hydrogène naturel avaient été relevés dans les années 1970 au fond des océans. Ces mesures se sont précisées en 1997, notamment grâce à l'Ifremer : les robots exploraient alors la dorsale Atlantique et ses fumeurs noirs, au sud des Açores, par -2300 mètres. Jean-Luc Charlou, ancien chercheur à l'Ifremer, se souvient : "Nous étions en train de repérer les sources hydrothermales en traçant le méthane qui s'en dégage, et sommes tombés sur des fluides très enrichis en hydrogène. Au fil des ans, l'équipe française identifie, le long de la dorsale Atlantique, 7 sites à hydrogène ; Américains, Russes et Japonais en décèleront ailleurs. "Preuve que le phénomène est général", se félicite le chercheur. Lequel n'a pas tardé à éclairer le mécanisme en jeu dans ces zones très actives, où le manteau terrestre entre en contact avec l'océan. Simple : le fer contenu dans cette couche du manteau s'oxyde au contact de l'eau de mer et dégage ainsi du d'hydrogène. Une réaction éphémère ? "Nous sommes retournés, à 10 ans d'intervalle, sur le même site, et les émissions continuaient au même rythme", poursuit-il. De récents calculs indiquent que ces sites peuvent produire durant au moins 25.000 ans à flux continu. À ce stade des connaissances, l'hydrogène pouvait être élevé au rang de produit naturel et pérenne, intimement lié à la dynamique terrestre. Sauf que son statut auprès des géologues restait celui d'une curiosité des abysses très difficile à exploiter. Quelques esprits aventureux se sont néanmoins lancés sur la terre ferme, à la recherche de sites analogues à ces milieux sous-marins extrêmes en température et pression. Une équipe exploratoire de l'Institut français du pétrole est sur les rangs et a entamé, en 2008, un tour du monde. "Tout ce qui avait été repéré sur terre relevait jusqu'ici d'anecdotes locales, ou avait donné lieu à des mesures et publications restées confidentielles, raconte Valérie Beaumont, géochimiste à l'Ifpen. Nous n'avions aucune idée de l'ampleur du phénomène, ni de sa systématique". Des Anglais avaient mesuré quelques effluves d'hydrogène dans les années 1980 au cour de sublimes sources d'eau azur du sultanat d'Oman. Une fois sur place, force est de constater que de petites bulles s'échappent : elles contiennent plus de 80 % d'hydrogène ! Aux Philippines, dans la province du Zambales, la population locale connaît bien Los Fuegos Eternos, ces lueurs dues à la combustion du méthane sortant d'un massif fracturé ; "en m'asseyant sans faire attention au-dessus d'une fracture, j'ai ressenti une vive brûlure : c'était une source d'hydrogène, qui ne produit pas de flamme visible lorsqu'il se consume", sourit Eric Deville. Ce n'est pas tout. Les géologues vont aussi se tourner vers un site touristique du sud de la Turquie, connu pour ses flammèches décrites dès le début de notre ère par Pline l'Ancien. Là encore, le méthane est le responsable de ce spectacle permanent. Or, surprise : ces fractures libèrent aussi de l'hydrogène qui s'était, une fois de plus, laissé voler la vedette. Les cibles géologiques commencent à se préciser. Nos prospecteurs français, avec les chercheurs du laboratoire Géosciences environnement Toulouse, mettent ainsi en évidence une nouvelle émission d'hydrogène en Nouvelle-Calédonie, dans la baie de Prony. En attendant de prospecter en Italie, au Portugal, en Nouvelle-Zélande.

DES REJETS EN QUANTITÉ : Un premier constat s'impose : que ce soit sous l'océan ou sur terre, de l'hydrogène s'échappe en quantité du sous-sol. Second constat : les conditions thermodynamiques de ces réactions paraissent incroyablement variées, se déroulant aussi bien à plus de 300°C qu'à moins de 100°C, dans l'eau de mer ou l'eau douce, en conditions acides ou basiques. Autant de phénomènes qui interrogent aujourd'hui les géochimistes penchés sur leur paillasse. "Nous recherchons le détail des divers ingrédients qui interviennent, notamment à basse température, explique Muriel Andreani, du Laboratoire de géologie de Lyon. La communauté tente d'identifier les différentes géologies candidates et donc les 'gisements' potentiels". Et les prospecteurs ne sont pas au bout de leurs surprises, avec l'entrée en scène de géologues russes aux théories peu orthodoxes. À leur tête : Vladimir et Nikolai Larin, père et fils. En 2011, les Larin entrent en contact avec l'Ifpen. Ils déclarent avoir découvert des flux d'hydrogène à quelques centaines de kilomètres de Moscou. Affirmation pour le moins douteuse : la zone concernée se situe en plein craton précambrien, une vieille formation géologique qui ne remplit aucun critère de formation d'hydrogène. Une erreur de mesure ? Probable... Très sceptiques, les Français se rendent sur place avec leurs propres instruments. Verdict ? "Eh bien nous avons détecté des pics d'hydrogène, comme eux", témoigne Eric Deville. "Nos mesures réparent l'injustice historique qui a été faite à l'hydrogène, victime des préjugés des géologues", exulte Nikolai Larin. Des déclarations qui ne convainquent cependant pas tout le monde. Surtout pas les universitaires, comme Christophe Monnin, du laboratoire Géosciences environnement Toulouse : "j'attends que cette équipe franco-russe publie ses résultats dans des revues scientifiques à comité de lecture, plutôt que par communiqués de presse". "Leurs mesures sont simplistes, pleines d'incertitudes", tacle aussi Giuseppe Etiope, spécialiste des émanations gazeuses à l'Institut national italien de géophysique. Les critiques sont violentes. Mais les géologues aventuriers n'en démordent pas : ils ont bel et bien détecté des sorties d'hydrogène dans la grande plaine russe. Elles se manifestent au niveau de légères dépressions (2-3 m de profondeur) d'une centaine de mètres à quelques kilomètres de diamètre. Ces trous de sorcière, aux contours étrangement jaunis, ne trouvaient pas d'explication valable jusqu'à présent. L'hydrogène en serait donc la clé : en réagissant avec la roche, la molécule H2 aurait provoqué des effondrements à l'origine de ces cuvettes.

SOLS DESTRUCTURÉS : Des "cercles magiques" : Ces images satellites de Carolina Bay (côte sud-est des États-Unis ->) montrent bien les dépressions de forme circulaire caractéristiques des sources d'hydrogène.
Et si les arbres, le blé ou l'herbe peinent à pousser au périmètre de ces "cercles magiques", c'est que, suggère Eric Deville, "les émanations d'hydrogène ont visiblement déstructuré les sols pourtant très fertiles de la région". Images satellites à l'appui, plusieurs milliers de ces structures circulaires apparaissent de Moscou jusqu'au Kazakhstan, le long de lignes de failles anciennes. Cette découverte élargit considérablement le potentiel de la ressource H, au vu de la banalité de ce contexte géologique. "De telles dépressions apparaissent tout au long de la côte Est américaine, continue Eric Deville. Nous nous sommes rendus en Caroline du Nord et avons, là encore, mesuré des émanations d'hydrogène. À notre connaissance, c'est une première, d'autant plus étonnante que ces structures jouxtant de prestigieuses universités américaines où exercent parmi les plus brillants géologues.
Ces prospecteurs ne sont pas les seuls ni les premiers à s'aventurer sur les terrains continentaux : Barbara Sherwood Lollar (université de Toronto) écume depuis quelques années les mines d'or ou de diamant du Canada et d'Afrique du Sud pour mesurer les flux d'hydrogène - hautement explosif soupçonnés d'être à l'origine d'accidents miniers. D'autres découvertes, fortuites, ont été signalées. Au printemps 2012, une compagnie gazière canadienne indiquait ainsi avoir transpercé, à 60 km au nord de Bamako (Mali), une poche d'hydrogène pur à 98 % dans une nappe phréatique ; il s'agissait d'un ancien forage de recherche d'eau scellé il y a 20 ans à la suite d'une explosion de gaz... C'était donc de l'hydrogène. Un grand mystère entoure encore les mécanismes géologiques à l'ouvre sur ces cratons continentaux. Quoi qu'il en soit, ces révélations marquent la fin d'un long aveuglement chez les géologues occidentaux, estime Eric Deville : "Nous étions obnubilés par les hydrocarbures et le CO2, alors que nos collègues russes et avant eux soviétiques avaient pris conscience de ces émissions, si j'en juge par leur riche bibliographie sur le sujet. Le forage le plus profond du monde, dans la péninsule de Kola, avait d'ailleurs relevé dans les années 1980 des fuites d'hydrogène que les ingénieurs s'étaient empressés d'exploiter... À croire que nous vivions sur deux planètes différentes. "Cela nous a échappé, on ne se posait pas la question, l'hydrogène ne faisait pas partie de la culture des pétrographes, complète Fabrice Brunet, chercheur à l'Institut des sciences de la Terre (Grenoble). On va peut-être se rendre compte qu'il y en a un peu partout". Un peu partout, mais en quelle quantité ? La question est cruciale pour les industriels. Des scientifiques se sont risqués à de premières évaluations encore très locales : dans les dorsales océaniques, chaque évent de 40 cm de diamètre libérerait ainsi 2700 m³ par jour. L'une des structures circulaires étudiée en Russie produirait environ 21.000 m³ d'hydrogène par jour - débit comparable à un puits de gaz de schiste -, mais de nombreux cercles afficheraient à peine 50 m³/jour - soit aucun intérêt économique.

UN MARCHÉ EN PROGRESSION : Eminemment diffus, ces flux sont difficiles à évaluer. "Nous n'avons tout simplement aucune idée des débits réels ni des réserves", persifle Giuseppe Etiope. Sans parler de l'exploitation de ces gisements vraiment pas conventionnels (voir infographie).
Difficile de dire, donc, si cette ressource naturelle pourra alimenter toute la planète et son milliard d'automobiles, ou simplement compléter à la marge une production manufacturière d'hydrogène (voir encadré ci-dessous). Rendez-vous après 2050, diront les grincheux. "Cette quête est beaucoup moins futuriste qu'il n'y parait, veut croire Eric Deville. La demande actuelle en hydrogène (production d'ammoniac, méthane), plastiques, raffinage des pétroles lourds...) atteint déjà le quart du volume de la consommation mondiale de gaz naturel. Ce marché progresse de 10 % par an, le monde a de plus en plus besoin d'hydrogène. Bientôt l'heure H ?

La voiture a hydrogène devient réalité : En décembre dernier, Toyota lançait au Japon la première voiture de série à hydrogène. Sachant que Honda, BMW, Hyundai... préparent eux aussi leur modèle grand public. Cet engouement s'explique par les derniers progrès de la pile à combustible, ce moteur capable de convertir l'hydrogène en électricité. En effet, plusieurs obstacles technico-économiques ont été levés : la quantité du très cher platine nécessaire à la catalyse a été divisée par dix, les problèmes de résistance à long terme des membranes ont été réglés ainsi que ceux liés au stockage de l'hydrogène, grâce à des réservoirs capables de soutenir 700 bars de pression. Le résultat est prometteur : forts d'une autonomie de plus de 600 km et de temps de recharge de quelques minutes, ces véhicules vont opposer une sérieuse concurrence aux autos électriques classiques.

V.N. - SCIENCE & VIE N°1172 > Mai > 2015

On peut Fabriquer de l'Hydrogène à partir d'Urine

Une méthode efficace et peu coûteuse de production d'hydrogène à partir... d'urine ! C'est ce qu'a développé Gerardine Botte, de l'université de l'Ohio (États-Unis).

La chimiste est partie du principe que la molécule d'urée contenue dans l'urine comporte quatre atomes d'hydrogène, dont les forces de liaison sont plus faibles que celles qui lient l'hydrogène à l'oxygène au sein de la molécule d'eau. Comparée à l'électrolyse de l'eau classique, cette technique nécessite 30 % d'énergie en moins. Elle coûte aussi 36 % moins cher, car elle utilise le nickel comme catalyseur. De quoi faire d'une pierre deux coups : offrir de nouvelles perspectives dans la production de cette source d'énergie alternative et apporter une solution pour traiter les effluents des stations d'épuration.

S.A. - SCIENCE & VIE > Septembre > 2009

 

   
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