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Le Trou de la Couche d'Ozone

Et Si... la Couche d'Ozone Disparaissait ?

LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE N°7 > Août-Septembre > 2015

Alerte au Trop d'Ozone

Quelle ironie ! Alors que la mobilisation est générale depuis 30 ans pour combler le trou dans la couche d'ozone, voici que, sous l'effet du réchauffement, la couche d'ozone va trop bien se réparer. Et ce trop d'ozone promet de poser aussi des problèmes.

Printemps 1984, Antarctique. C'est la consternation parmi les chercheurs de la petite base de Halley. L'ozone a disparu au-dessus du continent glacé. Et il y a de quoi être consterné : ce gaz, en s'accumulant dans la haute atmosphère jusqu'à former autour de la Terre une couche de 20 km, les redoutables rayons ultraviolets du soleil. Or, une brèche grande comme 20 fois la France s'est ouverte, par laquelle la Terre n'est plus protégée. Très Vite, l'affaire du trou d'ozone fait l'objet de nombreux articles, dévoilant pour la première fois que la planète souffre d'un problème climatique global. Les coupables sont rapidement identifiés : il s'agit des chlorofluorocarbures (ou CFC), des gaz inodores qu'excrètent à tout-va les réfrigérateurs et les sprays utilisés partout dans le monde. Papillonnant au gré des vents, ils finissent par atteindre, au bout de trois à six ans, la stratosphère, où ils dévastent l'ozone - et ce, de manière particulièrement féroce là où il fait le plus froid : aux pôles.
Face à la menace, la planète se mobilise. Dès 1987, industriels, scientifiques et pouvoirs publics parviennent à s'entendre pour signer le protocole de Montréal, visant à l'interdiction des CFC. Pour la première fois dans son histoire, l'humanité fait front uni face à un ennemi commun... et ça marche ! Ratifié depuis par 197 pays du monde, le protocole de Montréal a permis de stabiliser la concentration des CFC dans l'atmosphère. Ces composés toxiques vont alors naturellement se dégrader, ce qui va ralentir d'autant la destruction de la couche d'ozone et lui permettre de se reconstituer toute seule. Le trou de l'Antarctique devrait ainsi cicatriser d'ici à 2050, et tout devrait lentement rentrer dans l'ordre.

UN SYSTÈME TERRE FAUSSÉ

Enfin, pas tout à fait... Car ce trou n'est qu'une expression, à son endroit le plus faible, de la bonne santé de la couche d'ozone dans son ensemble. Or, les simulations prévoient que sous les latitudes polaires, mais également moyennes, la régénération de la couche d'ozone va se poursuivre, jusqu'à grimper à quelques pour-cent au-delà de sa teneur initiale. Du manque d'ozone, la Terre va donc être confrontée au trop d'ozone ! Et ce n'est pas une bonne nouvelle pour les êtres vivants...
D'où vient ce trop-plein ? D'un invité inattendu qui est venu mettre son grain de sable dans les rouages atmosphériques de la planète : le réchauffement climatique. Sans son intervention, la couche d'ozone aurait retrouvé son équilibre chimique naturel, celui d'avant les années 1980 et l'apparition des CFC. Mais avec lui, tout le système Terre est faussé ! "Le réchauffement climatique, qui a lieu dans la troposphère, la couche la plus basse de l'atmosphère, influence de deux manières principales le comportement de la couche d'ozone, située dans la stratosphère, la couche juste au-dessus", explique Sophie Godin-Beekmann, directrice de l'Observatoire de Versailles. Le premier est chimique : le réchauffement climatique refroidit la stratosphère. Un paradoxe qui s'explique par les gaz à effet de serre : en captant davantage de rayonnement infrarouge dans la troposphère, ils en privent la stratosphère. Il en résulte, d'une part, un ralentissement des réactions de destruction d'ozone et, de l'autre, la formation de nuages stratosphériques aux pôles de la planète, qui sont le siège de ces réactions de destruction.
En parallèle se met en place un second effet, dynamique, qui intensifie la circulation dite de Brewer-Dobson. "Il s'agit d'un déplacement des masses d'air qui, partant des tropiques, forme un courant ascendant qui charrie l'ozone vers les très hautes altitudes, puis le transporte vers les pôles, où il redescend", explique la chercheuse.
Ce faisant, ce courant en injecte un surplus dans la troposphère aux moyennes et hautes latitudes. Résultat ? Guang Zeng, de l'Institut national de recherche sur l'eau et l'atmosphère de Nouvelle-Zélande, estime que vers les années 2100, en hiver, l'hémisphère Sud (<-) devrait voir grimper son taux d'ozone troposphérique de 15 ou 20 % par rapport aux valeurs actuelles. Or, si l'ozone, ce parasol naturel, est une bénédiction en altitude, il devient un poison au contact des êtres vivants. En ralentissant la photosynthèse, il diminue le rendement des cultures et provoque des insuffisances respiratoires. "Le Nord ne sera pas épargné par ce pic hivernal, mais cela aura proportionnellement moins d'importance, puisqu'il est déjà davantage pollué par l'ozone des villes annonce la chercheuse.

Et ce n'est pas tout. Bien au-dessus de nos têtes, hors de tout contact direct avec le vivant, l'ozone stratosphérique posera lui aussi problème. Car le réchauffement redistribuera, via la circulation de Brewer-Dobson, l'ozone vers les hautes latitudes. Par rapport à 1980, la Terre recevra environ 2 à 3 % d'UV en plus sous les tropiques, mais 5 % en moins sous nos latitudes et... jusqu'à 20 % en moins dans les régions polaires. C'est la conclusion de l'étude de Richard McKenzie, collègue de Guang Zeng, qui alerte sur les effets d'une diminution de l'ensoleillement. Car si la peau doit éviter la surexposition aux UV (risque de cancers), elle en a en revanche besoin pour synthétiser la majeure partie de notre vitamine D.
Ce phénomène sera plus ou moins marqué selon les latitudes. Dans une étude sortie en mars, Marcelo de Paula Corréa, de l'université d'Itajubé détaille le cas de l'Europe. Dans le scénario le plus pessimiste vis-à-vis de l'évolution des gaz à effet de serre, le sud de l'Espagne recevrait 11,1 % d'UV en moins par rapport aux valeurs actuelles, lorss des printemps des années 2100 (la saison la couche d'ozone est la plus dense), tandis qu'on compterait -22,1 % pour Paris, -23 % à Berlin et -26,3 % à Stockholm ! Il faut donc s'attendre à des risques de carence générale en vitamine D dans la population. Ce qui signifie de nombreuses pathologies, du cancer du colon au rachitisme, en passant par l'ostéoporose, tout ceci dans des proportions extrêmement épineuses à calculer. "Nous manquons d'informations, déplore le chercheur. Il y a encore beaucoup d'incertitudes concernant les effet du soleil sur la production de vitamine D.

UN MOINDRE MAL...

D'autant que plusieurs facteurs sont en jeu. La production de vitamine D dépendant de la couleur de la peau, il faudrait anticiper les phénomènes migratoires des prochaines décennies pour mesurer l'impact précis. Il faut aussi prendre en compte la modification, par le réchauffement, de la couverture nuageuse, donc du rayonnement UV. Ce qui agira sur la température et les phénomènes climatiques, ainsi que sur les chutes de neige et la fonte des glaces, qui modifieront en retour l'albédo - le pouvoir de réflection des rayons du soleil par le sol. Sans oublier les aérosols, ces particules qui flottent dans l'air et jouent un rôl primordial dans l'absorption des UV. "Leur participation dépendra de divers facteurs : densité de population, activité économique, disponibilité des énergies fossiles ou encore politiques de réglementation environnementale", explique Paul Newman, du centre de vols spatiaux Goddard de la Nasa.
Même si les conséquences sont difficiles à estimer, les faits sont là : on est en train de passer du trou d'ozone au trop d'ozone. Faut-il alors déplorer d'avoir entrepris de si bien combler le trou d'ozone ? Voire ressortir nos bombes à CFC ? "Hors de question", répondent à l'unanimité les chercheurs. Les dégâts évités par le protocole de Montréal auraient été bien pires que ceux qu'il va causer. Sans lui, les niveaux d'UV auraient triplé d'ici à 2065, ce qui, selon Paul Newman, aurait multiplié les cas de cancers de la peau, jusqu'à cinq fois en Australie et en Nouvelle-Zélande. "Et puis, les CFC sont eux-mêmes de puissants gaz à effet de serre, ajoute Sophie Godin-Beekmann. Le CFC 12, par exemple, a un potentiel de réchauffement 8000 fois plus élevé que les CO2". D'ailleurs, le protocole de Montréal aurait été plus efficace contre le réchauffement que celui de Kyoto sur la période 1992-2012 ! Et la suppression des CFC aurait compensé à elle seule 20 ans d'augmentation d'émission des gaz à effet de serre. Ainsi est-il strictement interdit de faire machine arrière. Même si, vu la complexité de la machinerie climatique, la seule solution envisageable est de préparer des ampoules de vitamines D...

B.R. - SCIENCE & VIE > Juin > 2013

 

   
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