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Le Pétrole Français

Pétrole : le Sous-sol Français en Regorge

La France regorge de pétrole, et elle l'ignorait. Il est vrai qu'il fallait chercher au bon endroit. Ce qu'on fait des géologues de petites compagnies étrangères : ils ont ausculté le sous-sol du bassin de Paris à plus de 2000 m de profondeur dans la roche mère, là où se forment les hydrocarbures. Et ont découvert un gisement estimé à plusieurs milliards de barils. Une manne inespérée qui fait déjà rêver !

En France, on n'a pas de pétrole... mais on a des idées. Personne n'a oublié ce slogan gouvernal qui, en 1978, appelait les Français à de pressantes économies d'énergie. Au point qu'il sonne désormais comme une évidence : chacun d'entre nous s'est fait une raison de la pauvreté petrolifère du sous-sol national et, partant, de notre dépendance extrême vis-à-vis de l'étranger en la matière. Seulement Voilà, depuis environ quatre ans, un tout autre discours commence à se faire entendre. Un discours à peine croyable : tout bien considéré, des dizaines de milliards de barils d'0r noir dormiraient là, juste sous nos pieds ! Une manne tellement fantastique que l'hexagone pourrait rêver d'évoluer dans la même catégorie que le Koweït et les Emirats arabes unis !

UNE TRÈS VASTE FORMATION SÉDIMENTAIRE

L'endroit où se cache ce trésor jusqu'ici insoupçonné ? Essentiellement dans le bassin de Paris, cette vaste formation sédimentaire qui trône sur la moitié nord du pays (infographie ->). Ce sont les géologues de petites compagnies pétrolières anglo-saxonnes qui l'affirment, armés de leur fraîcheur, de leur audace, de leur savoir-faire... Et parfois de leur enthousiasme excessif, forcément intéressé. Mais une chose est sûre : aucun ingénieur pétrolier ne dédaigne plus notre sous-sol. Songez qu'en 2009, une compagnie américaine, nommée Toreador, quittait ses bureaux de Dallas pour venir taller... à Paris. Du jamais vu ! Dans le même temps, le ministère de l'Industrie croulait sous les demandes de permis d'exploration venant du monde entier. Un choc. "Jusqu'alors, ça vivotait, témoigne Charles Lamiraux, géologue responsable de l'exploration des hydrocarbures au ministère de l'Industrie. Il y a peu, nous devions encore écumer les congrès pétroliers dans l'espoir d'attirer des opérateurs chez nous".
Car, aussi étonnant que cela paraisse, en France, on extrait tout de même quelques barils de pétrole : un peu dans le Bassin aquitain, depuis 1949, et un peu dans le bassin de Paris, depuis 1958. Une activité à peine visible aux yeux du public. Et devenue d'autant plus anecdotique que, dans les années 1990, les Majors (Total, Esso, etc.) ont déserté l'Hexagone : leurs réservoirs y étaient éreintés et les prix du baril au plus bas. "La production s'organise aujourd'hui, de façon parfois très artisanale, autour de vieux gisements à bout de souffle", dépeint Roland Vially, géologue a l'Institut français du pétrole (IFPEN). Au total, la France extrait péniblement chaque jour 20.000 barils de brut, soit 1 % de sa consommation. Une production on ne peut plus symbolique...
Dès lors, comment ces chercheurs d'or noir pourraient-ils nous faire croire que notre sous-sol regorge de pétrole, quand seul un forage exploratoire sur sept dans le bassin de Paris tombe sur une (petite) poche d'hydrocarbures ? Comment imaginer que les experts qui transpercent la France depuis plus de cinquante ans aient pu passer à côté d'une telle manne ? C'est que, rappelle Callot, professeur au Laboratoire des fluides complexes et leurs réservoirs (université de Pau), "L'histoire de la recherche pétrolière est jalonnée de choix intellectuels, de sauts conceptuels qui peuvent, soudainement, augmenter le niveau des réserves". De fait, ce pétrole oublié repose là où, jusqu'à présent, personne n'avait envisagé de venir le chercher.
Petit rappel de la recette d'un gisement d'or noir classique : de la matière organique (planctons, algues, végétaux) s'accumule au fond d'une mer ; au fil de millions d'années, des couches de sédiments la recouvrent ; sous l'effet de la température et de la pression, cette matière se transforme en hydrocarbures ; ultralégers, pétrole et gaz s'échappent peu à peu de leur lieu de naissance, appelé roche mère ; en chemin vers la surface, ils sont parfois retenus par des formations géologiques qui deviennent... des gisements. Sauf que, dans cette belle histoire, on néglige souvent un détail : tous les hydrocarbures n'ont pas forcément quitté leur lieu de fabrication, leur roche mère. En clair, il reste encore de l'authentique pétrole, piégé en plus ou moins grande quantité dans ces couches d'argile peu poreuse. Son nom : le pétrole de roche mère, ou pétrole de schiste. Et il se trouve que, depuis 2005, les industriels américains ont mis au point une méthode rentable pour extraire ce type de pétrole. "Habituellement, la roche mère est surnommée la cuisine à pétrole ; eh bien, elle est en train de devenir aussi notre salle à manger", fanfaronne Jacques Pironon du Laboratoire de géologie et gestion des ressources minérales (université de Lorraine). À ce titre, la roche mère du bassin de Paris, située à quelque 2300 m de profondeur (âge du Lias), pourrait s'avérer particulièrement juteuse. Reste à le démontrer...
Car, à vrai dire, cette couche géologique n'a jamais vraiment intéressé les pétroliers. "Celle du bassin de Paris a seulement été étudiée dans les années 1980 pour un tout autre usage : le stockage des déchets radioactifs", se souvient Didier Bonijoly, chef du service géologie au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Nul n'ignorait la présence de pétrole dispersé dans cette source originelle, "simplement, on le considérait comme perdu pour la cause, irrécupérable, à oublier", raconte Jean Espitalié, pionnier de l'étude du bassin de Paris à l'IFPEN. Avant de nous confier : "À certains endroits, notre roche mère a pourtant des propriétés formidables, presque dignes de celles rencontrées au Moyen-Orient". Roland Vially poursuit : "Ce poteniel, on l'avait vu sans vraiment le dire. Car ni les bas prix du baril, ni les techniques disponibles ne permettaient son exploitation. Deux conditions désormais réunies. La compagnie américaine Toreador est la première à avoir porté ce nouveau regard sur le bassin de Paris. Il faut dire que cette formation ressemble à s'y méprendre au bassin de Willistone (Dakota du Nord), où le pétrole de schiste coule à flots depuis quelques années... Nous sommes en 2007. Une véritable enquête historique commence alors. Les géologues se font archéologues : car, bonne nouvelle, environ 2000 puits d'exploitation et d'extraction ont été forés par le passé dans le bassin de Paris et leurs données brutes appartiennent au domaine public.
Le premier indice troublant ne tarde d'ailleurs pas à apparaître sous la forme d'une note manuscrite retrouvée dans la marge d'un rapport concernant un très vieux puits de Seine-et-Marne. Que dit cette note ? Durant le forage, une soudaine éruption de pétrole est intervenue... avant même d'atteindre un quelconque réservoir. Explications de Charles Lamiraux : "Même si aucune compagnie n'a jamais visé la roche mère en tant que telle, un certain nombre de puits l'ont traversée pour atteindre des réservoirs profonds. Et les techniciens ont noté tout ce qu'il se passait lors de cette traversée... Au gré des dépouillements, d'autres "indices d'huile" s'accumulent : dans le puits de Montmirail (Marne) percé en 1958 ; dans celui de Nangis en 1959 ; à Essises (Aisne) en 1960 ; à Mélarchez (Seine-et-Marne) en 1983 ; à Champotran en 1985... Avec chaque fois les mêmes symptômes. "Cela devient intéressant : le fait que le pétrole se manifeste sur plusieurs puits, et non sur un seul isolé, démontre l'ampleur du phénomène à l'échelle régionale", observe Jean-Paul Callot.

UNE INVENTION FRANCAISE

La première société pétrolière ne fut pas américaine, comme on pourrait le croire, mais française.


Elle est née à Pechelbronn (Alsace) en 1740. Le bitume huileux extrait dans des galeries de mine, servait alors à lubrifier toutes sortes d'outils.

Le pétrole de Pechelbronn fut exploité jusqu'en 1970 et vit naître des sociétés comme Antar et Schlumberger.

UN DEMI-SIÈCLE D'ÉCHANTILLONS ANALYSÉS

Toujours est-il que ces fuites de pétrole, souvent très éphémères, ne disent pas grand-chose de la roche mère. Sa composition est-elle si prometteuse ? Problème : comme il était dénué jusqu'ici de tout intérêt commercial, les opérateurs n'ont guère pris la peine d'y prélever des carottes pour en avoir le cour net - une opération longue et coûteuse. Mais par chance pour Toreador, c'est dans le bassin de Paris qu'est née la géochimie pétrolière, une spécialité française. Autrement dit, depuis un demi-siècle, les scientifiques n'ont de cesse d'y analyser frétiquement tous les échantillons qui leur tombent sous la main. "J'avais mis au point le premier appareil capable d'analyser à la chaîne les déblais de forage remontant à la surface, raconte Jean Espitalié. En traversant 300 m de roche mère sur le forage de Donnemarie, en Seine-et-Marne, les échantillons nous avaient alors indiqué par endroits la possible présence de 7,5 millions de barils d'hydrocarbures par kilomètre carré autour du puits". Encore une fois, à l'époque, personne n'en avait cure. Mais ces valeurs, dûment publiées dans les manuels de l'IFPEN, n'ont pas échappé aux fins limiers de Toreador. Or, la quête ne s'arrête pas là. Les chercheurs d'or noir ont également exhumé toutes les radiographies (de l'imagerie sismique) prises du sous-sol. "Certaines données remontent aux années 1950, et seules une ou deux entreprises dans le monde disposent encore du lecteur capable de les décrypter. À condition que les bandes n'aient pas été rongées par l'humidité", précise Didier Bonijoly. Les objectifs visés aujourd'hui ne sont plus les mêmes qu'il y a dix, trente ou cinquante ans. Surtout, souligne le géophysicien Franck Hanot, "le retraitement informatique des anciennes données élimine les artefacts trompeurs, fait apparaître de nouvelles structures et affine la vision de la roche mère". Et justement : au fur et à mesure que les preuves s'accumulent, l'analogie avec le prolifique bassin américain de Willistone se renforce.

UNE MANNE QUI FAIT RÊVER ET PEUR À LA FOIS

Rapports poussiéreux, bandes magnétiques à peine lisibles, schémas sibyllins, fragments de carottes égarés dans les archives de compagnies disparues... "Ils ont accompli un travail de bénédictin", admire Roland Vially. Fort de toutes ces données, Toreador s'est essayé à simuler sur ordinateur le cour du bassin de Paris, la zone la plus prometteuse. Sur ces 10.000 km², intégrant la capitale, la roche mère aurait généré tout au long de son histoire quelque 100 milliards de barils de brut. Selon les modes de calculs, entre 20 et 65 milliards de barils seraient toujours en place - au bas mot trente ans de consommation nationale rien que sur ce modeste périmètre ! Vu la densité recueillies, ces ordres de grandeur me semblent tout à fait justes", estime Callot. Mais il ne faut pas rêver : techniquement, seuls 1 à 3 % du magot pourraient être extraits... Soit tout de même 2 milliards de barils exploitables - Franciliens, vous dormez sur un pactole de 166 milliards d'euros. Une hypothèse prudente circule : dans la zone convoitée par Toreador et aussi la compagnie canadienne Vermilion, cette nouvelle ressource permettrait déjà de soutirer 100.000 barils par jour durant vingt-cinq ans, soit dix fois plus qu'aujourd'hui.
Bien sûr, cet apport ne ferait de la France ni un émirat ni un membre de l'Opep, pas même un membre du Top 50 des pays producteurs. Pour autant, l'émergence du concept d'hydrocarbures de roche mère fait naître les espoirs les plus fous un peu partout dans l'Hexagone. Certaines régions, qui ont tant déçu les pétroliers, voient ici une dernière chance se présenter à elles. À l'exemple de la Lorraine, située sur la bordure est du bassin de Paris. Voilà une région où presque tous les forages se sont soldés par un échec, mais une région aussi où de touchants aventuriers n'ont jamais cessé de chercher... Et si l'avenir leur donnait raison ?

FAITS & CHIFFRES
La France brûle chaque jour 1,8 million de barils
, ce qui en fait le douzième pays le plus consommateur, derrière le Brésil. Certes, avec l'électricité nucléaire la contribution du pétrole au bilan énergétique national est passée de 68 % en 1973 à 32 % aujourd'hui. Mais les transports (qui mobilisent 59 % de la consommation) ne peuvent s'en passer...

Vendredi 16 septembre 2011, la compagnie australienne Elixir, détentrice d'un vaste permis de 5300 km² en Lorraine, annonçait avoir décelé un prodigieux trésor dans ce sous-sol. Son communiqué évoque la présence de, tenez-vous bien, 164 milliards de barils de brut ainsi que 18.000 milliards de mètres cubes de gaz ! Des chiffres si affolants qu'ils en paraissent loufoques. Ainsi donc, la Lorraine serait une sorte de Qatar en puissance ? "J'avoue être très sceptique", reconnaît Charles Lamiraux. Au vrai, ces nouveaux hydrocarbures, très dispersés, se prêtent fort bien aux annonces chocs : comme nous le confie un industriel, "il est facile d'obtenir sur le papier des chiffres fabuleux en multipliant bêtement un taux d'hydrocarbures moyen par les dimensions de cette couche très étendue ; on fait tous ça pour attirer des partenaires industriels, sans que cela ait beaucoup de sens". Néanmoins Iain Knott, directeur d'exploration d'Elixir, tient à défendre les quinze mois de travail intense passés sur ce permis : "L'analyse avec des moyens modernes des données existantes (imagerie sismique, chimiostratigraphie...) nous a amenés à une nouvelle compréhension géologique du bassin Sarre-Lorraine. Lequel ressemble en fait à un bassin du Colorado déjà très étudié, celui de Piceance. Et la couche carbonifère qui, selon notre étude, présente un fort potentiel affiche quelque 4000 mètres d'épaisseur". Tout en reconnaissant que d'importantes incertitudes restent à résoudre, tant la densité des forages (un puits tous les 600 km²) atteignant la couche visée est faible".
Même regain d'espoir dans le bassin du sud-est de la France, où les 150 puits entrepris depuis les années 1940 n'ont rien donné, ou presque. À défaut de classiques pièges à hydrocarbures, les géologues entrevoient dans la roche mère du Sud-Est un réservoir de gaz possiblement mirifique. Sachant que, par ailleurs, nos eaux territoriales pourraient elles aussi réserver de bonnes surprises...

EAUX TERRITORIALES : LE NOUVEL ELDORADO
Vendredi 9 septembre 2011, une information s'étalait à la une des journaux : un forage exploratoire de Total venait de faire mouche au large de la Guyane, laissant deviner un fabuleux gisement
. Une première historique dans ce petit coin de France !" Jusqu'à présent, en Guyane, on ne songeait qu'à rechercher de l'or, soupire Roland Vially, de l'Institut français du pétrole (IFPEN). D'autant que les deux seuls puits forés en mer dans les années 1970 s'étaient révélés secs". Tout a changé avec la découverte inattendue, en 2007, d'un réservoir d'environ un milliard de barils au large du Ghana. Quel rapport ? Eh bien, il y a quelque 200 millions d'années, Afrique et Amérique du Sud étaient accolées, c'est-à-dire que le Ghana et la Guyane, tout proches, partageaient la même géologie. D'où l'espoir légitime de trouver un champ jumeau dans ces formations pourtant peu familières des pétroliers. Roland Vially a fait ses calculs : "Le champ ghanéen produira sous peu 120.000 barils par jour. Si le gisement trouvé par Total s'avère comparable, cela multiplierait par 6 notre production nationale !" Mais le domaine maritime de la France dispose d'autres atouts, parfois injustement méconnus : c'est le cas de nos îles Eparses, qui entourent Madagascar, un confetti stratégique situé sur l'ancienne route des épices et l'actuelle autoroute des cargos. ll se trouve que l'un de ces îlots bien français, baptisé Juan de Nova, est planté au milieu d'une formation géologique aujourd'hui très convoitée - le canal du Mozambique. "Mes correspondants m'en parlent comme d'un bassin au potentiel fabuleux, une nouvelle mer du Nord", évoque Charles Lamiraux, chargé de l'exploration au ministère de l'lndustrie. Le gouvernement a ainsi accordé, fin 2008, un permis d'exploration dans les eaux de Juan de Nova. Et les derniers résultats de la campagne d'imagerie sismique du sous-sol, achevée en mai, sont prometteurs. En attendant confirmation...
Le dernier point chaud de la recherche d'hydrocarbures en mer se situe à quelques encablures de... Marseille ! En effet, souligne Roland Vially, "la radiographie sismique du delta du Rhône montre des similitudes frappantes avec le bassin levantin, au large d'Israël, où plusieurs gisements géants de gaz ont été découverts depuis 2009", Israël étant d'ailleurs en passe de devenir autosuffisant. Voilà qui serait idéal, à proximité du marché hexagonal. À un détail près : le permis d'exploration "Rhône Maritime" suscite une vive controverse en raison de sa proximité avec le parc national des calanques et avec un sanctuaire pour mammifères marins. À suivre, donc...

Au bout du compte, "ces équipes ont tiré le maximum des anciennes données disponibles, tranche Roland Vially. Il faut maintenant passer à l'étape suivante : effectuer des forages de reconnaissance pour s'assurer que cette réserve d'hydrocarbures est bien là". Les concepts aguicheurs, les spéculations et autres plans sur la comète, Bernard Durand, ancien responsable de la géologie à l'IFPEN, les connaît trop : "Même si les compagnies se risquent à des analogies avec dautres bassins à succès, il n'existe pas deux formations au monde qui se ressemblent totalement. Or, la genèse d'or noir est une mécanique très subtile". Surtout, rien ne dit que ce pétrole de schiste sera aussi facile et rentable à extraire en Seine-et-Marne que dans le Dakota du Nord : tout dépend de la mécanique intime de la roche mère, de sa capacité à se fracturer pour libérer son huile. Et cela, "seuls des essais de production sur le terrain pourraient le déterminer", insiste Roland Vially.

UNE TECHNIQUE D'EXTRACTION QUI FAIT DEBAT

Pour l'heure, seule la compagnie canadienne Vermilion s'est livrée par curiosité, en 2010, à quelques essais de stimulation sur deux anciens puits de sa concession de Champotran (Seine-et-Marne). Avec, à la clé, un filet de quelques dizaines de barils d'huile par jour. Or, rétablit Charles Lamiraux, "une véritable évaluation du potentiel en pétrole demanderait de forer un puits horizontal le long de la roche mère pour ensuite pratiquer la fracturation hydraulique". Personne ne s'y est risqué sur notre territoire, et pour cause : cette technique d'extraction a été interdite par la loi de juillet 2011, après les protestations soulevées par les gaz de schiste. Les griefs sont nombreux : intense consommation d'eau (10.000 à 20.000 m³ par forage), spectre de la contamination des nappes phréatiques, paysages ravagés par le quadrillage de plates-formes... Depuis un an, toutes les demandes de permis d'exploration d'hydrocarbures de roche mère sont rejetées par les préfectures au motif de "troubles à l'ordre public". Le sujet est devenu tellement sensible que les compagnies pionnières en France, à savoir Toreador et Vermilion, n'ont pas souhaité répondre à nos questions. Sans compter que transformer le bassin de Paris en champ de derricks n'est pas gagné quand exploitations agricoles et habitations se disputent déjà le territoire. La France n'est pas les Etats-Unis, et encore moins le Texas où l'on fore à tout crin jusque dans les centres-ville.
Il n'empêche. "La situation actuelle interdit aux chercheurs de connaître l'état de la ressource de notre sous-sol : on ne peut pas rester comme cela dans l'ignorance", milite Jacques Pironon. Un sentiment, presque une impatience, partagé dans les couloirs des ministères. Faut-il rappeler le montant de la facture énergétique qui étrangle la France, avec ce record fracassant de 61,4 milliards d'euros atteint en 2011 ? Les arguments pour exploiter cette richesse soupçonnée sont lourds : moindre dépendance énergétique, meilleure balance commerciale, taxes, emplois locaux. "Stratégiquement, le simple acte d'explorer ces hydrocarbures nous permettrait déjà de faire pression sur nos actuels fournisseurs pour négocier les prix", relève Charles Lamiraux.
D'ores et déjà se dessine le projet d'établir quelques puits expérimentaux, dûment encadrés par les organismes scientifiques français. Objectif ? Eviter de reproduire les dérives observées aux États-Unis. Ce qui n'a rien d'évident, tant cette méthode d'extraction a d'effets pervers. En tout cas, l'heure des grandes décisions approche. "Même si la transition énergétique est nécessaire, il ne faut pas se mentir : nous aurons encore besoin de pétrole en 2035, expose Roland Vially. Mais je conçois qu'à l'heure du développement durable, il n'est pas évident de lancer une exploitation minière amenée à s'éteindre dans quelques dizaines d'annees. Peut-être préférerons-nous l'importer, finalement, cet or noir. En France, on a du pétrole, reste à savoir si on aura l'idée de l'extraire...

V.N. - SCIENCE & VIE > Juillet > 2012

Du Pétrole Autour de Paris

La compagnie pétrolière Hess et la société Toreador vont tenter d'exploiter du pétrole dans le Bassin parisien, notamment en Seine-et-Marne.

L'idée peut sembler saugrenue. La compagnie pétrolière américaine Hess et la société Toreador vont pourtant tenter d'exploiter le pétrole non-conventionnel contenu dans de la roche située entre 2000 et 3000 mètres de profondeur sous le bassin parisien. "Les deux phases de prospection s'étaleront sur cinq ans", explique Emmanuel Mousset, géologue et directeur de la filiale française de Toreador, qui dispose de permis d'exploitation et d'études sur les ressources pétrolières du bassin parisien. "La première, qui consistera à forer six puits, s'étalera sur trois mois". La seconde aura pour objectif de déterminer si l'extraction est rentable ou non. Hess va investir 120 millions de dollars (93 millions d'euros) dans ce projet.
La technique consistera à fracturer la roche-mère imbibée de pétrole - située à grande profondeur - à l'aide d'eau et de sable afin de récupérer, par drainage, l'or noir qu'elle contient."Il s'agit de pétrole qui n'a pas coulé vers les réservoirs classiques dans lesquels il s'accumule et que nous exploitons alors de manière conventionnelle", indique Emmanuel Mousset. Problème : le précieux liquide est disséminé sur une grande surface d'où la nécessité de pratiquer des forages "à l'horizontale" qui peuvent s'étendre, sur quatre à cinq kilomètres. Inédite en France, la technique est déjà éprouvée outre-Atlantique, notamment dans le bassin de Williston (Dakota du Nord), d'où sont extraits plus de 200.000 barils par jour, dont 15.000 par Hess.

DES POSSIBILITÉS DANS LA RÉGION AQUITAINE

Toreador espère extraire de chaque puits entre 500 et 1000 barils de brut par jour. Ceux -ci seront implantés dans la région de Château-Thierry (Seine-et-Marne), mais d'autres bassins similaires seraient exploitables dans l'Hexagone, notamment en Aquitaine. Si la France ne produit que 1 % de sa consommation en or noir, 60 % des 900.000 tonnes de brut extraites chaque année proviennent de la région parisienne.

Philippe Peter - FRANCE-SOIR > Mai > 2010
 

   
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