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Diamants : des Pavés dans le Passé de la Terre

La découverte de diamants presque aussi vieux que la planète met les géologues en émoi. Et pour cause : elle contredit l'idée d'une enfance "infernale" de la Terre...

Un immense océan de magma en fusion soumis à une incessante pluie de météorites et ponctué, de-ci de-là, de fragiles et éphémères îlots de terre ferme. Pas la moindre goutte d'eau liquide. Et, bien sûr, nulle trace de vie... Telle est la vision infernale que les géologues ont longtemps partagée sur les 500 premiers millions d'années de la Terre, (Hadéen), sachant que notre petite planète s'est formée il y a 4,5 milliards d'années. Des conditions particulièrement inhospitalières qui auraient perduré jusqu'à ce que notre planète se refroidisse suffisamment pour que des continents s'installent durablement et que l'eau se condense pour former des océans. La plus vieille roche connue affiche ainsi péniblement 4 milliards d'années au compteur, tandis que la plus ancienne trace de vie ne dépasse pas les 3,8 milliards d'années.
Sauf que cette vision apocalyptique est de plus en plus contestée depuis quelques années (voir "contexte"). Et voici qu'elle pourrait recevoir le coup de grâce après la surprenante découverte de Martina Menneken.

Cette jeune étudiante de linstitut de minéralogie de l'université de Munster (Allemagne) a en effet mis au jour, dans une colline de la région des Jack Hills, dans l'ouest de l'Australie, des diamants (flèches : dans du zircon) dont l'âge a été évalué indirectement... à 4,25 milliards d'années !
Il s'agirait ainsi des plus vieux diamants jamais découverts sur Terre - jusqu'ici, le record était détenu par des diamants de 3,2 milliards d'années.

D'OÙ VIENNENT CES DIAMANTS ?

Mais surtout, la découverte de ces pierres précieuses presque aussi vieilles que notre planète pourrait permettre d'en savoir enfin plus sur les conditions qui régnaient pendant l'enfance de la Terre. Et, qui sait, de révolutionner nos connaissances sur l'apparition de la vie ! Encore fallait-il s'assurer de l'origine de ces mystérieux diamants.
Comme l'admet Simon Wilde, géochimiste de l'université de Curtin, à Perth (Australie), et co-auteur de l'étude, "au regard de ce que la science sait actuellement sur la formation des diamants, plusieurs hypothèses étaient possibles..." De fait, les diamants sont des minéraux constitués de carbone pur qui se forment à haute pression et haute température. Des conditions telles que les géologues envisagent quatre origines expliquant leur présence à la surface de la Terre. La plus exotique étant celle des météorites. En effet, certaines contiennent des diamants formés en dehors du système solaire, avant même la naissance de notre planète, et leur précieux chargement peut donc se retrouver sur Terre après qu'elles se sont écrasées sur notre sol. Mais les météorites qui percutent la Terre peuvent également générer des diamants sous la pression de l'impact, à condition que du carbone soit présent dans la zone de contact. Les pierres découvertes par Martina Menneken sont-elles nées, d'une manière ou d'une autre, de la chute d'une météorite ? A priori non, car ce type de diamants "est mille fois plus petit que les nôtres", explique Simon Wilde.
Exit donc la piste extraterrestre. Et retour sur Terre. Où les diamants peuvent se former de deux façons. La première, qui concerne la majorité des diamants extraits des mines, décrit une naissance dans les profondeurs terrestres, sous une pression d'au moins 40 kilobars (soit 40.000 fois la pression atmosphérique) et une température avoisinant les 1.000°C (soit 150 kilomètres au moins de profondeur sous les continents). Ces diamants, dont certains ont cristallisé à plus de 700 kilomètres sous terre, parviennent finalement en surface lors d'éruptions volcaniques particulièrement violentes. "Mais ces diamants issus du manteau terrestre sont plus gros et ont des formes beaucoup plus nettes que ceux que nous avons découverts", constate cette fois le géochimiste Simon Wilde.
Reste donc une ultime source potentielle : celle dite des roches métamorphiques d'ultrahaute pression. Soit des roches de surface qui, lors d'une collision entre deux plaques continentales, se sont retrouvées enfouies à 150 kilomètres de profondeur. Ce faisant, elles ont été soumises à des pressions et à des températures compatibles avec la formation de diamants. Avant de refaire surface par un processus encore mal compris.

UNE LITHOSPHÈRE CONTINENTALE

On trouve de tels diamants dans de rares endroits du monde : en Chine et au Kazaldistan. Et les diamants de Martina Menneken pourraient bien être le résultat de ce phénomène. Car ceux-ci, de taille micrométrique, étaient nichés à l'intérieur de cristaux de zircon. Or, les seuls diamants trouvés à ce jour sous forme d'inclusion dans des zircons l'ont été dans ce type de terrains métamorphiques, rappelle Martina Menneken. Comme les nôtres, ils sont associés à du graphite, qui reflète la transformation d'une partie du diamant lors de la remontée des roches". Pour autant, la ressemblance n'est pas totalement parfaite d'un point de vue cristallographique. "L'origine de nos diamants n'est pas définitivement tranchée, convient Simon Wilde. Mais c'est avec ceux formés dans les terrains métamorphiques qu'ils partagent le plus de similitudes." Et c'est bien là que cette découverte prend toute son importance.
"Si les analyses chimiques à venir démontrent que ces diamants sont effectivement issus de métamorphisme d'ultrahaute pression, ce serait une avancée sensationnelle, s'enthousiasme John Valley, géochimiste de l'université du Wisconsin, à Madison, (États-Unis), et spécialiste des zircons. Cela signifierait deux choses. Premièrement, qu'il existait il y a 4,25 milliards d'années une lithosphère continentale - une couche rocheuse dure - épaisse et froide, deuxièmement, que la roche dans laquelle s'est formé le diamant était enfouie à 150 kilomètres par un processus semblable à la tectonique des plaques." Deux conditions difficilement conciliables avec la vision d'une Terre ressemblant plus à une boule de magma incandescent qu'à une planète rocheuse !
"Loin d'envisager une telle lithosphère, la communauté des géologues en est à se quereller actuellement pour savoir s'il y avait tout simplement des continents, même minces et éphémères à cette époque", explique John Valley, qui penche, lui, pour l'existence de quelques petits embryons de continents. "Mais pas des continents massifs de l'importance de l'Asie avec des lithosphères épaisses de 100 km ! Cela prend beaucoup plus de temps pour se former et refroidir".
Autre point qui fait débat : pour obtenir ces diamants d'origine métamorphique, il faut une forme de tectonique des plaques qui puisse contraindre des roches de surface à plonger à 150 km de profondeur. Sujet brûlant, puisque les plus vieilles roches découvertes jusqu'ici ne permettent pas de savoir s'il y a eu une tectonique des plaques avant 3,8 milliards d'années. "D'une manière ou d'une autre, pour que ces diamants se forment, nous avons besoin d'une croûte épaisse pour atteindre la pression nécessaire, plaide Simon Wilde. On ne sait pas s'ils ont été enfouis par une collision continentale, ou par un mécanisme inconnu." La découverte de ces diamants, si elle n'est pas complètement expliquée, constitue donc un argument de plus en faveur d'une Terre primitive plus froide que ce que l'on pensait. Déjà en 2001, Simon Wilde avait entamé le paradigme d'une Terre brûlante en publiant une étude basée sur la mesure des isotopes de l'oxygène contenue dans les zircons de Jack Hills. Verdict : la roche à l'origine de ces zircons a été altérée en surface par de l'eau liquide. Et le chercheur de conclure à la présence d'océan dès 4,3 milliards d'années, alors que la plus vieille roche sédimentaire ne remonte qu'à 3,8 milliards d'années. Une découverte suffisamment importante pour que les pro-"Terre brûlante" commencent à revoir leur copie... Une température plus clémente. De l'eau liquide. Et pourquoi pas de la vie ? "Tous les ingrédients essentiels à la vie étaient réunis à la surface de la Terre 500 millions d'années avant la première trace de vie", considère John Valley.

Dater les diamants
Si les diamants sont "éternels", c'est aussi parce qu'il est difficile de leur donner un âge ! Ils contiennent en effet rarement les éléments radioactifs qui permettent de dater leur formation. Ce ne sont donc pas les diamants découverts qui ont été datés à 4,25 milliards d'années, mais bien les zircons qui les hébergent. De fait, ces silicates de zirconium piègent lors de leur cristallisation des atomes d'uranium radioactifs qui se désintègrent en plomb à une vitesse connue, ce qui permet d'estimer l'âge du minéral. Reste que puisque l'âge des diamants n'est pas directement accessible, la question est de savoir à quel moment ils ont été formés par rapport aux zircons. Selon Simon Wilde, ces diamants ont cristallisé avant ou en même temps que les zircons : ils seraient donc au moins aussi vieux qu'eux. Mais s'ils s'étaient cristallisés après, comme le propose lan Williams (université de Canberra, Australie), en supposant que du graphite ait été inclus dans le zircon et qu'il se soit ultérieurement transformé en diamant ? Ce scénario laisse sceptique Simon Wilde : "La transformation du graphite en diamant s'accompagne d'une variation de volume importante qui aurait laissé des traces dans le zircon." L'âge de ces diamants ne serait donc pas remis en question, préalable indispensable à toute interprétation sur la Terre primitive.

UNE AUTRE VISION DE LA TERRE

Sur cette question, les diamants nouvellement découverts pourraient aussi apporter un éclairage inattendu. Parce qu'ils sont constitués de carbone et qu'une des sources possibles de carbone est ni plus ni moins la matière organique fabriquée par les organismes vivants ! L'abondance des divers isotopes du carbone permet généralement de distinguer carbone organique et inorganique, mais pas toujours. "La rumeur veut que les analyses isotopiques soient déjà faites, mais on n'en saura pas plus tant que les résultats ne seront pas publiés, confie John Valley. Or, si la composition isotopique est compatible avec la présence de carbone organique, beaucoup y verront la preuve d'une activité biologique en surface ! Même si cette interprétation ne fera surement pas consensus... "Les résultats des analyses sont donc attendus dans les mois qui viennent avec une grande impatience. Car ces diamants ancestraux modifieraient non seulement notre vision de la Terre, mais se révéleraient peut-être aussi les seuls témoins d'une émergence précoce de la vie sur notre planète.

Boris Bellanger - SCIENCE & VIE > Janvier > 2008
 

   
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