L'or a beau se trouver dans les entrailles de la Terre, il tombe du ciel. Et c'est un rare cataclysme stellaire qui en serait à l'origine, viennent d'élucider les astrophysiciens. Explications de Benoît Rey. Repère : La nature compte 92 éléments stables. Les étoiles en forgent la plupart, mais elles ne peuvent fabriquer en quantité suffisante les plus lourds, comme l'or et l'uranium. Pour cela, un autre mécanisme, plus violent, doit intervenir. Cette fois, c'est la bonne. Les chercheurs en sont persuadés : ils connaissent l'origine de l'or. Ils savent enfin dans quels chaudrons cosmiques ses atomes ont été forgés, avant d'être éparpillés dans l'espace et incorporés dans le nuage qui forma le système solaire, puis de s'accumuler dans les entrailles de la Terre et d'être mis au jour par l'érosion et l'avidité des hommes. L'or, mais pas seulement : l'uranium, le platine. En tout, c'est l'origine de la moitié des éléments lourds qui vient d'être élucidée. Le ressort principal de cette nouvelle genèse ? L'un des phénomènes les plus délirants de l'Univers. DISSÉMINÉS DANS L'UNIVERS : L'histoire commence en 1957. Cette année-là est publié aux Etats-Unis ce qui deviendra une bible pour les astrophysiciens : l'article B2FH, d'après les 4 initiales de ses auteurs. Une synthèse exhaustive de la genèse des éléments de l'Univers, qui aujourd'hui encore fait référence. Selon cet article, les deux éléments les plus légers, l'hydrogène et l'hélium, sont nés spontanément dans l'espace, au tout début de l'histoire de l'Univers, 3 minutes seulement après le big bang. Ils ont servi de matière première à la formation des toutes premières étoiles, au sein desquelles a démarré la production d'éléments plus complexes, dont ceux qui, quelques milliards d'années plus tard, allaient constituer notre organisme : du carbone, de l'oxygène, de l'azote, du calcium ; et même du titane, du chlore. Des éléments que les étoiles ont disséminés dans l'Univers, l'enrichissant génération après génération. C'est pour les autres éléments chimiques que les choses se compliquent. LA PISTE DES SUPERNOVÆ : Un seul type d'astre peut atteindre de telles concentrations : les étoiles à neutrons. Sauf que vu leur formidable gravité, rien n'en sort jamais une fois qu'elles sont formées. Or, les astrophysiciens recherchent un objet capable de propager dans l'Univers les éléments qu'il fabrique, en explosant par exemple. Ils délaissent donc les étoiles à neutrons et se tournent plutôt vers les explosions d'étoiles massives qui les génèrent : les supernovæ. Selon les modélisations rudimentaires de l'époque, ces cataclysmes fourniraient les conditions de concentration requises. Et ils durent une seconde, soit le temps caractéristique du processus R ! De quoi en faire des candidats privilégiés. S'ensuivent 3 décennies de calculs de haute voltige à l'issue desquelles, au début des années 1990, les chercheurs pensent tenir enfin un mécanisme plausible, le "modèle du vent neutrinique". D'après ce scénario, le processus R aurait lieu au cour des explosions d'étoiles massives, à l'interface entre l'enveloppe interne de l'étoile et le petit grain extrêmement dur qui naît en son cour. Un vent de particules (des neutrinos) y formerait des bulles de matière extrêmement chaude dans lesquelles naîtraient en profusion les neutrons qui constituent les éléments lourds. Sauf que, depuis, ce scénario s'embourbe. Il peine à produire des neutrons en quantité suffisante. Et les simulations ne permettent pas de trancher.
DIFFICILES À DÉTECTER : Reste à prouver que ce scénario cataclysmique est le bon. L'histoire montre que ce n'est pas la première fois qu'on est convaincu à tort d'avoir résolu cette énigme. Comment faire ? Les chercheurs ont bien une idée : les simulations indiquent qu'une semaine après le cataclysme, la désintégration des éléments les plus radioactifs devrait cracher une flambée de rayons infrarouges dans toutes les directions. Ce rayonnement, baptisé "kilonova", prendrait la forme d'un pic de luminosité aux allures de supernova, quoique 10 à 1000 fois moins brillant. Un sursaut gamma court suivi quelques jours plus tard d'une kilonova. La chasse est ouverte. Mais elle promet d'être ardue. "Les sursauts gamma se produisent le plus souvent à une distance trop grande pour qu'une kilonova associée, si elle existe, puisse être détectée", explique Frédéric Daigne, de l'Institut d'astrophysique de Paris. Avec ses collègues, il a confronté le taux prévu de collisions entre étoiles à neutrons avec la partie du ciel observée et la sensibilité du télescope de l'observatoire du mont Palomar en Californie, spécialisé dans ce type d'observation. Conclusion rageante : les kilonovæ dégagent une énergie tout juste inférieure à la limite de détection. Au point qu'avec les moyens de surveillance actuels, il ne faut pas espérer en repérer plus d'une tous les 10 ans ! La quête de l'or a décidément de quoi rendre fou. L'ÉNIGME ENFIN RÉSOLUE ? La spectroscopie (l'étude du rayonnement émis) ne permet pas d'identifier les éléments impliqués : il est donc impossible de confirmer que le signal provient de la décomposition des éléments radioactifs issus du processus R. Mais son profil correspond à ce que prévoient les modèles de fusion d'étoiles à neutrons. Parmi les chasseurs de kilonovæ, c'est l'effervescence. C'est la première confirmation éclatante du nouveau scénario sur l'origine des éléments de l'Univers. Ils savent qu'il leur faudra d'autres observations pour prouver véritablement validité. Mais ils auront bientôt les moyens de les obtenir. "Avec la mise en service, vers 2020, du Large Synoptic Survey Telescope au Chili et du satellite Euclid, qui seront 25 fois plus sensibles et couvriront une surface 7 fois plus étendue, on devrait repérer 10 kilonovæ par an", estime Frédéric Daigne. D'autant que le lancement de détecteurs d'ondes gravitationnelles de deuxième génération, à la sensibilité décuplée, devrait également faire mouche d'ici 5 ans. "Le rêve serait que dans les millisecondes suivant la détection d'ondes gravitationnelles, un sursaut gamma court soit observé depuis un télescope gamma spatial, qui laisserait place plusieurs jours après à une kilonova, lâche Frédéric Daigne. Alors, le scénario serait définitivement validé". Voilà pourquoi c'est finalement le moment idéal pour prendre l'histoire en route : juste assez tard pour échapper à la frustration qu'ont ressentie les chercheurs durant les années d'errance ; juste assez tôt pour savourer son dénouement à sa juste valeur s'il survient demain. Ce n'est plus qu'une question de temps. Les spécialistes doivent encore patienter avant de l'annoncer haut et fort. Mais ils ont enfin compris d'où vient tout l'or du monde.
On a peut-être découvert l'origine de l'or dans l'Univers. En juin, le satellite Swift a détecté un rayonnement gamma très puissant et très court (une fraction de seconde). Autant les physiciens savent que les "sursauts gamma" longs (plus de 2 s) sont le signe de l'explosion d'étoiles massives (supernovæ), autant les sursauts courts restaient énigmatiques. Or, celui-ci était accompagné d'une lueur infrarouge, pouvant correspondre à la décroissance radioactive d'éléments lourds créés lors de la fusion de deux étoiles à neutrons (résidus d'étoiles massives), et qui aboutirait à la formation d'or ou de platine. D'après l'Américain Edo Berger, chacune de ces fusions cosmiques serait capable de produire une masse d'or environ 10 fois plus grande que celle de la Lune.
C'est dans l'espace qu'il faut chercher l'origine de l'or. Créé par des supernovæ lors de la formation de la Voie Lactée, il a été fait prisonnier au cour de la Terre. Qui ne le libère qu'au gré de ses caprices. Et avec parcimonie. Si l'or est rare, ce n'est pas sans raison, cela tient à la fois à son origine, à ses qualités intrinsèques et aux processus géologiques à l'ouvre sur Terre. Son origine ? De fait, comme d'ailleurs - tous les métaux connus sur Terre, l'or est synthétisé au cour des étoiles les plus massives par un mécanisme connu sous le nom de "nucléosynthèse". En fin de vie, ces astres explosent en supernovæ et fertilisent le milieu interstellaire en éléments chimiques. Et ce sont eux que les planètes - dont la Terre - ont incorporés au moment de leur formation. D'après le scénario établi par les astrophysiciens ces cinquante dernières années, l'or terrestre a été synthétisé par des générations successives d'étoiles ayant existé il y a entre 12 et 4,5 milliards d'années, c'est-à-dire entre le moment où notre galaxie s'est formée et celui où le Soleil et son cortège de planètes ont vu le jour ! cela étant, le précieux métal n'est pas réparti de façon homogène à l'intérieur de la Terre. PIÉGÉ DANS LE NOYAU Après s'être formée il y a 4,55 milliards d'années, notre planète s'est en effet différenciée : les éléments les plus lourds tels que le fer et le nickel ont plongé vers son cour, s'y accumulant pour former un noyau métallique. En surface, les plus légers (silicium, oxygène, aluminium, etc.) ont formé une fine croûte. L'or, qui a une forte affinité pour le fer, a été piégé dans le noyau, tandis que la croûte superficielle n'en a conservé que des traces : de l'ordre de 0,002 gramme par tonne. Toutefois, le métal a été concentré localement grace à certains processus géologiques.
La chute de 160 météorites de 20 km de diamètre suffirait à expliquer l'abondance dans la croûte terrestre de certains métaux précieux comme l'or ou le platine, selon Gerhard Schmidt (université de Mayence, Allemagne). Survenu une trentaine de millions d'années après la naissance de notre planète, ce bombardement expliquerait également pourquoi on trouve ces métaux en surface, alors que le fer, présent lors de la formation de la Terre, s'est retrouvé au centre. Cette pépite d'or serait arrivée sur la Terre via une pluie de météorites.
Pourquoi trouve-t-on de l'or dans la croûte terrestre, alors que cet élément sidérophile, c'est-à-dire attiré par le fer liquide, aurait dû tomber vers le noyau métallique de notre planète dès sa naissance ? Parce qu'il y serait arrivé juste après, via le bombardement de corps célestes qu'a subi la Terre, comme tout le système solaire, à la fin de sa formation. À l'aide de modèles numériques, l'équipe américaine de William Bottke a évalué que ces corps devaient être assez massifs pour enrichir le noyau terrestre, mais pas trop pour ne pas le briser. D'un diamètre de 2400 à 3200 km (proche de celui de Pluton), il s'agirait de planétoïdes, des astres qui n'avaient pas atteint une taille suffisante pour être de vraies planètes. Ils auraient également apporté de grandes quantités d'autres métaux précieux (platine, iridium) très utilisés dans l'industrie, et sans lesquels notre vie aurait été très différente...
La majeure partie de l'or, du platine, de l'uranium et des éléments les plus lourds de l'univers se serait formée au cours de violentes collisions entre deux étoiles à neutrons, capables de déclencher des réactions nucléaires en chaîne. C'est ce qu'ont montré des astrophysiciens allemands à l'aide de simulations informatiques.
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