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Alerte à la Pénurie (Cuivre, Or...)

Les 26 Minerais qui Vont nous Manquer

Combien de temps l'humanité peut-elle encore exploiter les richesses de la Terre ? La question a cessé d'être théorique : dès à présent, la pénurie se profile pour 26 matières premières, et non des moindre ! Irréversible, ce constat féologique met le monde au défi : celui de perdurer à l'ère du manque.

Jusqu'à présent, la recette avait fait ses preuves : prenez une planète tellurique de 13.000 km de diamètre ; farcissez son écorce de 88 éléments chimiques ; mélangez bien pour former plus de 4000 sortes de minéraux ; puis garnissez le tout d'environ 3000 milliards de barils de pétrole à portée de forage... Et vous ferez le bonheur et la prospérité de milliards d'humains attablés au festin de ces ressources souterraines.

De fait, les Terriens n'ont encore jamais manqué de rien : depuis le début de la révolution industrielle, au XIXè siècle, les chemins de fer n'ont cessé de s'étendre, les immeubles de s'élever, les fils de cuivre des réseaux électriques et de télécommunication de s'étirer... tandis que se multiplient aujourd'hui les high-tech gorgés des métaux les plus précieux (comme l'Or), jusqu'aux plus improbables (qui connait l'yttrium ?). Et le plus étourdissant c'est que, même si la demande mondiale de minerais a été multipliée par 27 depuis le début du XXè siècle, les mineurs parviennent encore à la safisfaire.
Que la Chine et l'Inde se convertissent dans les prochaines décennies au modèle d'opulence occidental (chaque Américain mobilisant quelque 240 kg de cuivre), et trouvera toujours un ingénieur pour annoncer qu'il relève le défi ! Mais est-ce si sûr ? De nombreux signes montrent en fait que ce sentiment d'abondance n'est qu'une illusion (infographie ci-contre). Que l'humanité ne pourra plus pomper longtemps la croûte terrestre au rythme exponentiel de sa consommation sans se heurter aux limites de la géologie. Du jour au lendemain, certains de nos besoins pourraient ne plus être assouvis. Du jour au lendemain ? Il se pourrait même que ce soit à partir de... maintenant.
Le débat n'est pas nouveau. Depuis deux siècles, cornucopiens et malthusiens s'affrontent. Entendez par là, d'un côté les éternels optimistes (le terme vient de corne d'abondance) qui pensent que l'on arrivera toujours à s'accaparer les ressources dont on a besoin ; de l'autre, les sempiternels pessimistes, à l'image de Thomas Malthus qui, dans son Essai sur le principe de population, en 1798, prévoyait les pires maux à la société : en cause, le manque de terres fertiles face au boom démographique.
Au regard du passé, force est de constater que l'avantage est... aux optimistes. Car jusqu'à présent, les mécanismes du marché chers aux cornucopiens ont prévenu toute apparition de pénurie. En effet, la rareté de la matière première faisait mécaniquement grimper les prix, poussant à développer la prospection et les méthodes d'extraction - l'efficacité du forage a été multipliée par 90 au siècle dernier. L'équilibre offre/demande se rétablissait alors de lui-même. Telle est la martingale cornucopienne : sous l'effet conjugué de l'économie de marché, de la technologie et du génie humain, le spectre du manque semble systématiquement pouvoir être repoussé. Alors, pourquoi penser que cette belle mécanique puisse s'arrêter ? Parce que cuivre, phosphore, uranium, or, zinc, ainsi que d'autres éléments, toujours plus nombreux, montrent des signes annonciateurs du manque. Des signes de notre entrée dans une nouvelle ère, celle des malthusiens.

DES PRODUCTIONS QUI PLAFONNENT

Certes, chacun a en tête les prévisions alarmistes et jamais réalisées de Cassandre en tout genre. Malthus biensûr, mais aussi William Jevons, qui annouçait en 1865 l'épuisement imminent des mines de charbon en Angleterre ; le rapport "Halte à la croissance ?" du Club de Rome qui, en 1972, grâce à des modèles numériques, prévoyait d'ici à l'an 2000 la disparition du pétrole, du cuivre, de l'étain. Sauf que, cette fois-ci, c'est différent ! Cette fameuse pénurie que les malthusiens croient toujours voir venir et que les cornucopiens espèrent toujours voir s'éloigner n'est plus une notion abstraite. Elle est en train de se concrétiser sous nos yeux avec le tarissement en cours de l'autre grand trésor de notre planète, notre principale ressource énergétique : à savoir le pétrole.
Le constat est même officiel concernant le pétrole conventionnel, soit 80 % de la production mondiale actuelle. En novembre 2010, l'Agence internationale de l'énergie (AIE), révélait que sa production avait atteint en 2006 un (graphique 1 ->) qu'elle ne retrouvera "jamais", dixit la prudente institution. Oui, plus jamais ! Alors que la demande continue d'augmenter, l'offre est vouée à plafonner et même à s'effondrer si des efforts surhumains ne sont pas entrepris. Quand bien même les réserves restantes semblent mirifiques, elles seront trop difficiles et lentes à extraire, car seule la taille du robinet compte. Or, quand l'offre ne peut plus répondre aux besoins, la pénurie guette, la rareté surgit, la finitude du monde se rappelle à chacun de nous... Bref, c'est Malthus au pays de l'or noir.
Pour Ugo Bardi, chercheur en chimie à l'université de Florence, le pétrole n'est que la première d'une longue liste de matières premières appelées à nous manquer. Car ce phénomène serait universel : "Les processus d'extraction, du pétrole ou des autres ressources minérales, sont soumis aux mêmes paramètres physiques et économiques. La notion de pic de l'or, du cuivre ou du phosphore a donc du sens. À un certain stade, la société ne peut plus allouer suffisamment de capitaux pour répondre à la croissance de la demande. Le parallèle est audacieux et controversé. Ne serait-ce que parse que, à la différence du pétrole qui est brûlé, les métaux peuvent étre recyclés. Il n'empêche : le cas des minerais présente des symptômes troublants de similitude avec celui du pétrole...
Premier signe annonciateur : la maigre liste des gisements nouvellement découverts. C'est notamment grâce à cette liste que, dès 1998, deux géologues pétroliers à la retraite, l'Américain Colin Campbell et le Français Jean Lahérrère, un ancien de Total, avaient magistralement prévu le pic du pétrole bon marché" observé en 2006. "Il suffit d'extrapoler la future courbe de production à partir des données des découvertes de réserves", explique Jean Lahérrère. Dans le cas du pétrole, le maximum des découvertes remonte à 1964 (graphique 2). Pis, depuis les années 1980, l'humanité consomme plus de pétrole qu'elle n'en découvre. Or, comme le relève Robert Gordon, chercheur en géologie à l'université Yale : "Ce constat vaut aussi pour certains métaux, comme le cuivre".
Second signe du manque : l'épuisement des grands gisements, alors que ceux-ci apportent une contribution essentielle à la production mondiale. Le cas du pétrole est maintenant bien documenté (graphique 3 ->)... Rappelant le tarissement de quelques sites emblématiques. À l'image de la fabuleuse mine de cuivre suédoise de Stora Kopparberg, qui alimenta toute l'Europe des XVIè et XVIIè siècles avant de fermer en 1992. Ou les mythiques filons d'or en voie d'épuisement de la province du Rand en Afrique du Sud... Si l'homme est encore loin d'avoir vidé la Terre, il semble en avoir consommé les meilleures pépites !
Troisième indice édifiant : l'évolution des prix. Une étude publiée dans Nature en janvier montre que, depuis 2005, la production de pétrole n'a pas gagné à la flambée des cours du brut (graphique 4). L'un de ses auteurs, James Murray, de l'université de Washington, nous confie que "l'analyse de quelques métaux, comme l'or ou le cuivre, laisse entrevoir le même phénomène".

ET LA DEMANDE CONTINUE D'EXPLOSER

Enfin, le dernier symptôme malthusien se cache dans l'énergie qu'il faut désormais déployer pour récupérer une même quantité de matière. S'agissant du pétrole, ce facteur n'a cessé de croitre, rendre la course à la production éreintante (graphique 5). Un constat amer qui s'applique aux minerais. Comme le souligne Robert Gordon, "dans la plupart des régions du monde, tout le cuivre à l'état de métal natif pur a été récupéré à l'époque préhistorique. Idem pour le fer pur, prêt à être martelé. Les métaux exploités aujourd'hui se trouvent donc sous formes d'oxydes et de sulfures qu'il faut extraire de leur gangue rocheuse, électrolyser puis raffiner avec force produits chimiques. Sachant que "la teneur en métaux de ces gisements ne cesse de décroître, ce déclin va fatalement continuer", soupire Gavin Mudd de l'université de Monash (Australie). D'autant que remuer plus de terre exige plus d'énergie... L'industrie dévore selon les sources - entre 4 et 10 % de la production d'énergie primaire mondiale.
Or, il est difficile de croire que l'homme pourra exploiter indéfiniment des gisements à la teneur toujours plus faible, du moins pour certains métaux rares. En fait, "l'immense majorité des éléments métalliques du sous-sol est disséminée dans les roches classiques, explique Brian Skinner, professeur de minéralogie à Yale. Dans cette configuration, extraire des métaux réclame une énergie au moins dix fois supérieure que dans un gisement". Et d'ajouter : "Je ne suis pas optimiste sur la capacité de l'industrie à franchir cette barrière minéralogique. D'autant que la fin du pétrole bon marché risque de mettre nombre de minerais hors d'atteinte, entraînant une cascade de pénurie...
Chute des découvertes, épuisement des grands gisements, impuissance du marché, coût énergétique croissant... Toutes ces tendances préoccupantes ont, depuis environ cinq ans, trouvé un écho dans le monde de la recherche et de l'industrie. La crainte d'une rupture des stocks est palpable : les États-Unis, l'Europe et le Japon multiplient les rapports sur leur approvisionnement. Outre les questions géopolitiques liées au monopole chinois sur l'extraction de certains métaux, l'explosion de la demande concentre les inquiétudes. C'est bien simple : à l'échelle du globe, il faudra pouvoir extraire dans les vingt ans à venir plus de minerais que durant toute l'histoire de l'humanité ! Or, l'appétit des métallurgistes se porte sur une palette toujours plus large de métaux : quand seuls dix éléments métalliques du tableau de Mendeleïev trouvaient une application dans les années 1980, une cinquantaine sont maintenant siphonnés. Il en va des performances des ordinateurs, des moteurs d'avions, ou des appareils d'imagerie médicale.
Et dans ce tableau périodique sollicité comme jamais, les cases s'allument les unes après les autres, comme autant de signaux d'alarme...

L'EAU, L'AIR ET LA TERRE AUSSI
Parmi les quatre éléments antiques, le feu (qui pourrait correspondre à notre pétrole) n'est pas le seul à être menacé par l'appétit des hommes
. La terre est soumise à une érosion accélérée par l'agriculture, le sol de certaines régions étant emporté 100 fois plus vite qu'il ne lui faut de temps pour se former. Quant à l'eau : l'exploitation des réserves souterraines non renouvelables à notre échelle de temps a été multipliée par trois en quarante ans, et assure aujourd'hui 20 % de nos besoins en irrigation. Enfin, si l'air ne devrait pas venir à manquer, sa qualité est toutefois fortement dégradée par nos rejets.

B.B. et V.N. - SCIENCE & VIE > Mai > 2012

Les 26 Éléments qui Vont nous Manquer

La richesse de la Terre n'est pas infinie... et certaines ressources sont déjà menacées. Voici la liste, inédite, des matières en voie de raréfaction.

Établi à la fin du XIXè siècle, le tableau périodique des éléments - ou tableau de Mendeleïev, du nom de son inventeur - dresse l'inventaire exhaustif de la diversité des atomes présents sur Terre et, partant, des ressources disponibles. Métaux, terres rares, gaz rares... pas moins de 118 éléments, témoins de la richesse de notre plantète. Mais cette richesse n'est, hélas, pas infinie ! Car, à l'instar de la liste rouge mondiale des espèces menacées, voici la liste des matières premières minérales qui pourraient bientôt se faire de plus en plus rares. Une liste bien longue, qui concerne tout à la fois des éléments inconnus du grand public (antimoine, néodyme, indium...) et des piliers de l'évolution millénaire de nos sociétés (or, argent, cuivre...).
Cette liste, nous l'avons établie au terme d'un minutieux travail ayant consisté à croiser les études, traitant de l'état des ressources, qui se sont multipliées ces trois dernières années - signe d'une prise de conscience. Rapports de la Commission européenne, du département de l'Énergie des États-Unis, du Bureau d'études géologiques britannique, mais aussi articles universitaires plus confidentiels : chaque étude pointe nombre d'éléments dont l'approvisionnement est qualifié de "critique", "à risque" ou "stratégique". Les critères varient quelque peu car, comme le pétrole nous l'a appris, le manque est une notion complexe : il existe plusieurs raisons, qui souvent s'additionnent, pour considérer que la disponibilité d'un élément est, ou sera, l'objet d'une tension croissante.

SUR QUELLES RÉSERVES COMPTER ?

Des facteurs d'ordre géologique ou technologique, comme la faible abondance naturelle de ces ressources, la difficulté de leur extraction, le faible niveau (voire l'inexistence) de recyclage, ou la difficulté, quand ce n'est pas l'impossibilité à remplacer ces éléments. Mais entrent également en compte des considérations géopolitiques et économiques : monopoles, instabilité de pays producteurs, mesures de protection de l'environnement ou explosion de la demande dans les secteurs en forte croissance (high-tech, énergies alternatives). Si leur accès est, ou sera bientôt, difficile et coûteux, les éléments mentionnés ne sont toutefois pas menacés d'extinction : aucun ne disparaitra jamais. Et si l'on peut établir pour chacun le nombre d'années de réserves dont l'homme dispose, à partir des quantités répertoriées et utilisées actuellement, nous ne sommes pas à l'abri d'une surprise, bonne ou mauvaise. Bien sûr la découverte de gisements, le développement de nouvelles techniques d'extraction ou de besoins criants pourraient éloigner ou rapprocher le spectre de la pénurie. Mais, pour l'heure, voici les 26 éléments placés sous surveillance.

CUIVRE : VERS LA FIN DE 10.000 ANS D'EXPLOITATION

Il a permis à l'homme de sortir de l'âge de pierre et il est désormais omniprésent dans notre quotidien. Energie, communications, transports, constructions, électronique... le cuivre est tout à la fois la colonne vertébrale et le système nerveux de nos sociétés. Mais le "métal rouge" pourrait bien ne plus pouvoir tenir longtemps son rôle. Car la croissance de la population et de l'économie mondiale au XXè siècle à fait exploser la demande pour cet élément malléable et très bon conducteur d'électricité. Ainsi, sur près de 600 millions de tonnes de cuivre extraites au cours de millénaires par l'humanité, 98 % l'ont été après 1900 !
Et l'avenir s'annonce encore plus friand. Selon un rapport de paru en 2010, qui évalue les stocks de métaux immobilisés dans nos sociétés, chaque habitant des pays industrialisés demande 140 à 300 kg de cuivre, tandis que le reste du monde n'en mobilise que 30 à 40 kg par personne. Le rattrapage de pays émergents, comme la Chine, ou le Brésil, se traduirait donc par des besoins vertigineux. "Fournir à l'ensemble du monde le niveau de services rendus aujourd'hui par le cuivre dans les pays développés nécessiterait la conversion de tous les gisements géologiques connus en stock, ainsi qu'un recyclage quasi total de ce métal", affirme Robert Gordon, de l'université Yale. Jusqu'ici, les mines sont parvenues à délivrer toujours plus de ce précieux m étal grâce à de nouvelles découvertes, mais aussi à l'extraction de minerais de moins en moins concentrés en cuivre. Après 10.000 ans d'exploitation, inutile d'imaginer ramasser ce métal à l'état pur : il faut désormais se contenter de roches qui en contiennent moins de 1 %. Réussir à exploiter des gisements aussi pauvres a permis de multiplier par 25 en cent ans le volume des réserves connues et économiquement exploitables.

Mais, dans le même temps, la demande a été multipliée par 30, passant de 0,5 million de tonnes en 1900 à 16 millions en 2011. De sorte que le "matelas" que procurait l'accroissement spectaculaire des réserves est devenu de plus en plus fin. Dans les années 1940, on estimait ainsi disposer de 60 ans de réserves de cuivre, compte tenu des stocks connus à l'époque et du rythme de production. Aujourd'hui, malgré la mise au jour de nouveaux gisements et des techniques d'extraction plus performantes, ce chiffre est tombé à 38 ans ! "Il ne faut pas voir ce résultat comme signifiant combien de temps avant qu'il n'y en ait plus", mais plutôt comme un indicateur relatif utile de l'équilibre actuel entre l'approvisionnement et la demande", note Thomas Graedel, chercheur à Yale. Un équilibre qui tend donc a nous être moins favorable, et qui pointe la nécessité de faire rapidement de nouvelles découvertes, au risque de grignoter toute avance. "Pour qu'il n'y ait pas d'interruption dans l'approvisionnement à long terme, il faut trouver deux à trois fois plus de métal que ce qui est extrait actuellement, estime Richard Schodde, directeur de la société australienne MinEx Consulting. Car seule la moitié des gisements découverts est ensuite exploitée". Sur la dernière décennie, les quantités de cuivre découvertes étaient tout juste deux fois supérieures à celles consommées, mais Richard Schodde prévoit que ce rapport passera sous ce seuil fatidique dans les prochaines années : "Le nombre de découvertes est en baisse, et il faut entre 5 et 25 ans avant qu'un nouveau gisement soit exploité. Il existe donc un risque réel que l'industrie ait à faire face à des contraintes d'approvisionnement à court terme". Né du cuivre, "Homo metallicus" est mis au défi de pérenniser son règne...

EUROPIUM, TERBIUM ET YTTRIUM : LE SPECTRE D'UN MONDE SANS LUMIÈRE

Sans ce trio d'éléments, il faudrait revenir à la télésion en noir et blanc ! Sur nos écrans, en effet, le rouge est renvoyé par l'assemblage europium-yttrium, le bleu par l'europium seul et le vert par le terbium (photo). Problème : "Après avoir été surexploités pendant plus de 50 ans pour les TV à tube cathodique, ces éléments le sont encore dans les écrans plats plasma et LCD", s'alarme Patrice Christmann, responsable des ressources minérales au Bureau de recherches géologiques et miniéres. Comme s'il était impossible de se passer de leurs propriétés de luminescence ! Et, de fait, les nouvelles lampes basse consommation (fluocompactes et LED) en font aussi usage pour gagner en éclat. Si bien que le ministère de l'Energie américain parle de situation "critique" : terbium, europium et yttrium manqueraient avant 2015...

ANTIMOINE : DES MINES POLLUANTES AUX RESSOURCES BIENTÔT ÉPUISÉES

Il assure notre sécurité, en servant de retardateur de flamme dans les peintures, les textiles ou les plastiques... mais c'est justement pour des raisons de sécurité que l'antimoine pourrait bientôt faire défaut. La Chine, son principal producteur, a fermé de nombreuses mines et fonderies d'antimoine ces deux dernières années, notamment dans la province du Hunan, qui assure à elle seule 60 % de l'approvisionnement mondial. Et lorsque, une fois ces fonderies remises aux normes, la production redémarrera, cela sera sans doute de courte durée : selon les déclarations officielles, après plus d'un siècle d'exploitation en continu, les mines d'antimoine de la région ne disposeraient plus que de cinq ans de production devant elles.

PHOSPHORE : INDISPENSABLE À L'ALIMENTATION MONDIALE

L'enjeu est ici d'une terrifiante simplicité : sans phosphore, pas de vie sur Terre ! ll suffit de penser que cet élément forme la structure même de l'ADN, qu'il pilote la respiration ainsi que la photosynthèse chez les plantes - ou encore le métabolisme cellulaire. C'est pourquoi chaque être humain en réclame à peu près deux grammes par jour. D'où vient-il ? De l'alimentation - végétale ou animale. Tout part en fait des engrais issus des mines de phosphates qui servent à la croissance des cultures, dont se nourrit au passage le bétail. Et, avertit Jean-Claude Fardeau, de l'Institut national de la recherche agronomique : "Il n'y a aucun substitut possible au phosphore, véritable facteur limitant du vivant".
Or, aussi étonnant que cela puisse paraître, la ressource en minerais de phosphates n'a encore jamais fait l'objet de précautions particulières ! Au point que des chercheurs de l'Institute for sustainable futures (Australie) annoncent un pic de production du phosphore au milieu des années 2030, au vu de la consommation actuelle couplée à l'épuisement des gisements de qualité à travers le monde. Cette prévision est très controversée, mais suscite une angoisse : pourra-t-on extraire assez de phosphore pour nourrir les 9 milliards d'habitants attendus en 2050 ? Historiquement, rappelle Jean-Claude Fardeau, "l'humanité à toujours recyclé le phosphore, sans le savoir, en réutilisant comme engrais les excréments des animaux - mais aussi ceux des hommes - qui en sont riches. Une époque où tous les cultivateurs étaient aussi éleveurs. En clair, tout s'équilibrait sans qu'il y ait besoin de connaitre l'existence du phosphore ni ses effets sur la croissance des plantes.

L'identification du rôle de l'élément phosphore par les chimistes remonte au début du XIXè siècle, alors que des famines apparaissent et qu'il devient urgent d'augmenter les rendements. Le guano (fiente d'oiseau fossilisée) est alors mis à contribution, jusqu'à épuisement. Puis vient le tour du minerai de phosphate, dont l'usage n'est pas pour rien dans la multiplication de la population mondiale par quatre au XXè siècle. Qu'on en juge : alors qu'en 1915 les rendements de blé stagnaient à 1 ou 2 tonnes par hectares, ils dépassent aujourd'hui les 7 t/ha.
Des 15 millions de tonnes de phosphore épandues chaque année, seuls 3 millions parviennent dans nos assiettes. Pis, ces 3 millions de tonnes rejetées par le corps humain ne retournent plus aux terres arables, il s'en va à travers les égouts dans les fonds marins.

HÉLIUM : LES GRANDS INSTRUMENTS SCIENTIFIQUES EN PÉRIL

Ses applications ludiques (ballons d'anniversaire, modification de la voix) laissent penser qu'il est abondant et futile. Rien n'est plus faux ! Produit en sous-sol par la décroissance radioactive des roches, l'hélium s'échappe jusque dans l'espace, en ne laissant dans l'atmosphère que des traces inexploitables (0,0005 %). Les seuls pièges qui peuvent le retenir ici-bas sont les réservoirs de gaz naturel. Or, intervient Norbert Pacheco, du Bureau des mines américain, "peu de gisements de gaz en contiennent assez pour justifier sa récupération". Les champs gaziers les plus riches en hélium se concentrent au Texas. Mais voilà, exploités depuis longtemps, ils sont déjà sur le déclin. Tandis que les stocks stratégiques tenus par les États-Unis depuis 1925 (grande époque des ballons dirigeables gonflés à l'hélium) sont en voie de liquidation. Un comble quand on connait les propriétés sans égal de l'hélium. Doté du point d'ébullition le plus bas (-269°C), il permet d'atteindre les températures ultrabasses propres aux expériences de physique ainsi qu'aux aimants supraconducteurs des télescopes et appareils d'imagerie médicale. Plusieurs nouveaux instruments n'ont pu être lancés cette année, faute d'hélium. L'industrie spatiale ne peut pas non plus s'en passer, fait-on savoir chez Arianespace : "La petite taille de ses atomes le rend idéal pour détecter les fuites. Surtout, comme il est chimiquement inerte, l'hélium est incontournable à l'heure de purger les réservoirs de nos fusées avant le décollage". Cette inertie parait aussi indispensable pour la fabrication des semi-conducteurs, activité en perpétuelle croissance. Seul espoir : que de nouveaux gisements, au Qatar ou en Russie, se révèlent riches en hélium.

DYSPROSIUM ET NEODYME : UNE MENACE POUR L'AVENIR DES ÉNERGIES VERTES

Qui oserait imaginer un avenir sans voiture électrique ni éolienne ? Et pourtant, la question se pose tant la pression est grande sur le néodyme et le dysprosium (photo), deux ingrédients essentiels de ces technologies vertes... Par leurs qualités magnétiques sans pareil, ils se sont rendus indispensables aux aimants qui animent les générateurs électriques. L'idée d'utiliser ces éléments remonte au début des années 1980, alors qu'une guérilla au Zaïre bloquait les approvisionnements en cobalt, utilisé dans les aimants. Depuis, leur consommation n'a cessé de s'accélérer, à raison d'un kilogramme de néodyme par voiture hybride et de près d'une tonne par éolienne ; l'ajout de dysprosium permettant de résister aux hautes températures. Des métaux produits à 97 % par la Chine. Or, prévient Jack Lifton, directeur du Technology Metals Research, "les Chinois ont indiqué, à raison, que leurs gisements de ces terres rares lourdes étaient en voie d'épuisement". Le plus menacé étant le dysprosium... Dont le nom grec - dysprositos - signifie d'ailleurs "difficile à obtenir". Peu rassurant quand on sait que, selon une récente étude du MIT, les objectifs de réduction de CO2 exigeraient d'augmenter l'offre de dysprosium de 2600 % d'ici à 2035...

RHÉNIUM : UN PRODUIT TRÈS DIFFICILE À EXTRAIRE

Voici sans doute le métal le plus difficile à obtenir au monde : le rhénium est en effet un sous-produit de la molybdénite... elle-même sous-produit de l'extraction du cuivre. Bref, ses pépites n'apparaissent qu'en bout de chaine, au beau milieu des cendres des fours de raffinage. Imaginez que le premier gramme découvert, en 1925 seulement, avait nécessité de traiter 660 kg de minerais ! Aujourd'hui encore, l'industrie mondiale ne parvient à produire que 40 ou 50 tonnes de rhénium par an (contre 2000 tonnes pour l'or, par exemple). Pourquoi une telle abnégation ? C'est qu'il est devenu indispensable aux avions de ligne et aux avions de chasse - c'est dire son importance stratégique. Le rhénium permet en effet aux turbines des réacteurs de résister aux très hautes températures (supérieures à 1000°C) synonymes d'efficacité. Son destin, lui, n'en reste pas moins fragile...

URANIUM : DES DÉCISIONS CRUCIALES À PRENDRE D'ICI 20 ANS

Y aura-t-il assez d'uranium pour étancher la soif d'électricité du monde ? Malgré la catastrophe de Fukushima, un quasi-doublement des capacités électronucléaires est en effet envisagé dans les 20 à 30 prochaines années. Dans cette perspective, les besoins en uranium en 2035 atteindraient 90.000 à 110.000 tonnes par an. Soit le double de ce que les mines d'uranium ont fourni en 2010 ! Ont-elles assez de réserves pour suivre la cadence ? Pas si sûr... "Compte tenu des besoins du parc nucléaire actuels et projetés, les ressources raisonnablement assurées aujourd'hui, soit environ 2,5 millions de tonnes d'uranium, seront entièrement consommées d'ici à 2035, estime Marc Delpech, chef de programme de l'amont du cycle à la Direction de l'énergie nucléaire du CEA. Si l'on ajoute l'uranium requis pour le fonctionnement jusqu'à la fin de leur vie des réacteurs présents en 2035 dans le monde, les besoins atteignent 6,3 millions de tonnes d'urunium. Soit l'ensemble des ressources identifiées à ce jour.
"Aprés, il faudra exploiter des ressources qui n'ont pas encore été découvertes", prévient Marc Delpech. Pour cela, il faudra réinvestir dans la prospection, qui a connu un creux dans les années 1990 avant de repartir depuis 2005. Cependant, "aucune découverte récente significative n'a été réalisée en dehors de l'extension de gisements connus assure le chercheur. Sans compter que la prospection et la mise en exploitation constituent une entreprise de longue haleine. Ainsi, l'ouverture de la mine souterraine de Cigar Lake au Canada, qui pourrait assurer 10 % de la production mondiale, ne cesse d'être reportée. À la suite d'inondations, l'exploitation de ce gisement découvert il y a plus de 30 ans, initialement prévue en 2007, ne devrait être pleinement opérationnelle qu'en 2017. Par ailleurs, la moitié des mines aujourd'hui exploitées ont été mises en service avant les années 1980, et sont contraintes d'extraire des minerais aux teneurs en uranium de plus en plus faibles, avec un coût énergétique croissant. "Il peut y avoir à l'avenir un problème de timing entre la demande et la production d'uranium, reconnaît Robert Vance, analyste à l'Agence pour l'énergie nucléaire, car après Fukushima, le développement des mines n'a pas été aussi rapide qu'attendu. Pour autant, je suis optimiste sur l'étendue des ressources qu'il reste à découvrir dans le sous-sol de la planète. Et si le prix de l'uranium montait très haut, il pourrait devenir rentable d'expfoiter des sources d'uranium alternatives, comme les phosphates ou l'eau de mer !" Pour faire face à la pénurie annoncée, le recyclage multiple des matières est une solution à l'étude pour les futurs réacteurs à neutrons rapides, de 4è génération, qui pourraient être déployés à partir de 2040 et ne consomment quasiment pas d'uranium. Mais cette solution pourrait paradoxalement pâtir d'une rareté du précieux combustible. "Le discours classique veut que quand on n'aura plus d'uranium, on passera à la génération IV, remarque Adrien Bidaud, du Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie (CNRS). Mais ces réacteurs ont quand même besoin, pour leur démarrage, du plutonium produit par les réacteurs actuels qui, eux, fonctionnent à l'uranium... Donc, contrairement à l'idée reçue, en dehors des quelques pays ayant un passé nucléaire, la transition vers les réacteurs de génération IV serait plutôt encouragée si le risque de pénurie en uranium était lointain". Au lieu de favoriser sa mutation, le manque d'uranium risque donc de freiner le développement de l'industrie nucléaire.

RHIDIUM ET PLATINE : DES ÉLÉMENTS NATURELLEMENT RARES

Attention, rareté : le rhodium s'avère dix fois moins présent dans l'écorce terrestre que l'or - soit une teneur fantomatique de 0,00000001 %. Et pour ne rien arranger, la quasi intégralité du rhodium et de son cousin le platine (photo) se trouve dans un seul filon, Bushveld, en Afrique du Sud. Or, l'humanité à déjà extrait et utilisé la moitié des réserves totales de ces platinoïdes", signale Robert Gordon (université Yale). C'est que, outre la joaillerie, l'industrie automobile n'a plus d'autre choix que d'utiliser ces catalyseurs hors pair dans les pots d'échappement. Objectif ? Satisfaire aux normes de pollution toujours plus sévères. Et le platine pourrait bien décider de l'avenir des transports, car on imagine mal concevoir des piles à hydrogène sans lui...

OR : UN FILON PRESQUE TARI

Le métal le plus recherché au monde - en 2011, 40 % des investissements en exploration minière lui étaient consacrés - se joue désormais des tentatives désespérées de l'homme de mettre la main sur lui. Malgré un quintuplement des dépenses de recherche au cours de la décennie écoulée, le rythme des découvertes s'essouffle. Et les meilleurs filons se tarissent. Les grands gisements d'Afrique du Sud, où l'on n'hésite plus à creuser jusqu'à 4 km de profondeur pour extraire le précieux m étal jaune, ont déjà donné le meilleur d'eux-mêmes. Premier producteur mondial d'or pendant un siècle, avant de céder sa couronne à la Chine en 2007, le pays a vu fondre sa production de... 80 % en 40 ans ! Même déconvenue aux Etats-Unis et au Canada. Quand bien même la production d'or a atteint un sommet historique en 2001 - près de 2600 t -, jamais égalé depuis. Ce qui, justement, a fait dire en 2009 au président de Barrick Gold Corporation, le plus gros producteur mondial, qu'il y a "de solides arguments pour considérer que nous sommes déjà au pic d'or". Lueur d'espoir, après des années de déclin : les quantités extraites augmentent un peu depuis 2009. "Mais d'ici un à trois ans, la production mondiale diminuera à nouveau, prédit Thomas Chaize, analyste du secteur minier. Car aucun pays ne sera en mesure de produire les 1000 t de d'or de l'Afrique du Sud des années 1960". Le plus vieux métal du monde sera donc peut-être le premier à tirer sa révérence.

ZINC : UN GÂCHIS IRRÉVERSIBLE

L'histoire du zinc est celle d'un immense gaspillage : chaque année dans le monde, 120.000 tonnes environ partiraient en poussières ! Et pour cause : ce métal bleu gris est utilisé dans des applications aussi dispersives que les plaquettes de frein, les pigments ou les pâtes dentifrices. L'ennui, c'est que le zinc tient aussi un rôle capital dans notre société : celui de protéger de la corrosion toute structure en acier. Le tout formant un alliage dont il est ensuite difficile, au recyclage, d'extraire le précieux zinc... Résultat : ses réserves en sous-sol sont siphonnées à grande vitesse.

INDIUM : DES PRIORITÉS À DÉFINIR AU PLUS VITE

Il va falloir choisir entre smartphones et panneaux solaires. Combiné avec l'étain et l'oxygène, l'indium est à la fois transparent et conducteur d'électricité, des propriétés qui donnent vie aux écrans tactiles. Ajoutez-lui plutôt du cuivre et du sélénium, et vous obtiendrez un alliage opaque et bon collecteur de lumière, qui a fait naître une nouvelle génération de cellules photovoltaïques. Un engouement qui explique que sa consommation ait été multipliée par 12 ces trente dernières années. Ce rythme est-il tenable ? D'après les projections du département de l'Energie américain, l'approvisionnement deviendra critique dès 2015. Et en cas de déploiement en masse des panneaux solaires, il faudrait "réduire la demande pour les applications ne concernant pas les énergies renouvelables, afin d'éviter les pénuries".

TECHNÉTIUM 99 ET HÉLIUM 3 : DÉJÀ EN SITUATION DE PÉNURIE

Ils nous ont toujours manqué ! De fait, ces isotopes à la durée de vie éphémère sont quasi inexistants dans la nature. Or, l'industrie nucléaire a le plus grand mal à les produire à flux tendus... Malgré leur importance parfois vitale. À commencer par le technétium-99, utilisé pour le diagnostic des cancers et des maladies cardiovasculaires. Ce composé n'est produit que par 5 réacteurs dans le monde, tous accusant plus de 45 ans d'âge et souvent arrêtés pour maintenance. "En 2010, il y a eu plusieurs semaines sans production, raconte Alain Alberman, du CEA. Le pire est à craindre pour 2015 car certains réacteurs arriveront alors en fin de vie". Même si d'autres solutions sont à l'étude. Mais la substance la plus en danger est l'hélium-3, dont les stocks ont été vidés par la multiplication des portiques de sécurité aux États-Unis. Dommage, car en plus de son usage dans les appareils de radioprotection, "seul l'hélium-3 permet d'approcher le zéro absolu en cryogénie, et montre des comportements quantiques uniques", se désole William Halperin, physicien à l'université Northwestern.

B.B. et V.N. - SCIENCE & VIE > Mai > 2012

L'Humanité à l'Épreuve des Pénuries

En basculant de lère de l'abondance à l'ère du manque, le monde va devoir trouver de nouvelles ressources. Un défi déjà d'actualité.

"Le temps du monde commence". Ecrite en 1931, la phrase de Paul Valéry paraît aujourd'hui d'une violence assassine. C'est que l'humanité sort de deux siècles de développement euphorique, deux siècles d'une apparente abondance, et de gaspillage insensé dont les stigmates apparaissent dans l'inventaire de la Terre que nous avons réalisé. Tout laisse maintenant à penser que l'apparition du manque est inéluctable. À quelle échéance ? Nul ne le sait précisément. Hugo Bardi, chercheur en chimie à l'université de Florence, admet "l'absence de modèle quantitatif qui permette de prévoir la date de l'apparition d'une pénurie". Pour autant, insiste-t-il, "cela ne doit pas nous empêcher d'établir des plans de bataille pour nous y préparer" ! Car le choc promet d'être rude, justifie l'économiste Dennis Meadows, auteur en 1972 du célèbre rapport "Halte à la croissance ?" du Club de Rome : "Tout au long de son histoire, l'espèce humaine a été confrontée à ses limites, mais les taux d'épuisement étaient jusqu'alors faibles, et les conséquences locales. L'idée que toute la civilisation pourrait être changée, en quelques décennies, par la rareté croissante de quelques matériaux est très récente. Face à cette évidence, une poignée de chercheurs planche sur des parades, quitte à ce qu'elles paraissent aujourd'hui farfelues... ou désespérées. Au fond, peu importe : il en va ni plus ni moins du maintien de notre mode de vie.
Le premier défi sera sans doute de... continuer à creuser. Car nombreux sont ceux qui misent sur le forage extrême, sur terre et même surtout en mer, de récupérer d'ultimes ressources. "Nous n'avons encore exploité que les couches les plus superficielles de la croûte terrestre, et il est envisageable de creuser des mines jusqu'à 2 ou 3 km de profondeur, voire au-delà", estime Patrice Christmann, chef du service des ressources minérales au Bureau de recherches géologiques et minières. Encore faut-il préciser qu'il s'agit là de zones mal connues dont le potentiel minéral n'est pas assuré...

L'EXEMPLE DE L'HUILE DE BALEINE

Mais quand l'extraction de certains métaux trop profonds ou trop peu concentrés deviendra impossible, que faire ? Le plus évident serait de les recycler. Le moindre immeuble ou sous-marin constituerait alors un gisement pour l'avenir. Sauf que, ce n'est pas aussi simple, tempère Robert Ayres, grand ponte du métabolisme industriel à l'Institut européen d'administration des affaires : "La miniaturisation toujours plus poussée des composants électroniques rend difficile la récupération des métaux rares dont ils sont recouverts ; si des techniques existent pour y parvenir, reste à les développer. Songez aussi à tous ces métaux rares (zinc, cobalt) disséminés dans les encres, les détergents, les pesticides, les pâtes dentifrice... qui semblent après usage perdus pour l'humanité. Quoi qu'il en soit, la récupération des métaux dispersés à tout vent s'annonce comme un colossal, et sûrement un créneau d'avenir. Y compris lorsqu'il s'agit de récupérer de microscopiques poussières.
Autre piste : la recherche d'un substitut. Ou comment remplacer une matière première en danger par une autre aux propriétés semblables. Cette stratégie a déjà fait ses preuves : quand la récolte d'huile de baleine qui servait à l'éclairage a ralenti au milieu du XIXè siècle, l'homme s'est tourné vers le pétrole du sous-sol. De la même façon, surexploité, le guano d'Amérique du Sud (riche en phosphore) a-t-il été remplacé par le minerai de phosphore... Sauf que, riposte Robert Ayres, "la croyance en une substitution est naïve : la nature n'est pas si flexible et à Terre a été explorée de long en large. En clair, les possibilités de substitution aussi avantageuses que par le passé s'amenuisent... Quant aux produits de synthèse, tel le caoutchouc artificiel produit par la pétrochimie, les possibilités sont la aussi limitées : "Par définition, il n'est pas possible de synthétiser un élément chimique en tant que tel, prévient Patrice Christmann. On ne peut pas fabriquer du cuivre".
En la matière, la seule solution consiste à chercher un remplaçant dans le tableau de Mendeleïev. Pas si simple quand il s'agit de trouver un élément plus abondant, capable d'offrir des performances comparables à un coût énergétique raisonnable. Illustration ? Le métal argent a beau être meilleur conducteur que le cuivre, sa rareté l'empéche de le remplacer dans des applications aussi banales que les fils électriques. Plus généralement, au vu de la surexploitation actuelle du tableau de Mendeleïev, le nombre de substituts capables de répondre à une nouvelle demande se réduit comme peau de chagrin.

LA NÉCESSITÉ D'INVENTER

Il reste tout de même quelques valeurs sûres. Le fer par exemple. "À l'avenir, l'humanité devra s'appuyer sur les éléments les plus abondants de la croûte terrestre", estime Ugo Bardi. Autant de substances qu'un spécialiste hollandais des métaux, André Diederen, n'hésite pas à qualifier "d'éléments chimiques de 99,23 % du sous-sol est constitué par seulement 12 espèces (dont le fer, l'aluminium, le silicium et le magnésium). Aussi élégant soit-il, ce choix de société ne sera pas forcément facile à assumer. Car si l'abondance est au rendez-vous, les performances ne le seront pas toujours. l'aluminium peut fort bien tenir le rôle du cuivre, mais au prix de performances 40 % moindres et d'une production trois fois plus gourmande en énergie. Et puis : comment se passer de l'apport de tous ces petits métaux exotiques dont les propriétés uniques (optiques, thermiques, electriques...) sont à l'origine des produits efficaces et légers que nous connaissons ? Un début de réponse sortira peut-être des intenses efforts de recherche menés aux États-Unis et au Japon pour s'affranchir des terres rares chinoises dans la composition des aimants haute performance. Les premiers résultats étant loin d'être ridicules.
Forages ultra-profonds, recyclage de poussières, substitution massive... Ce ne seront sans doute là que les premiers pas de l'humanité dans un monde fini. Sachant que d'autres stratégies de long terme sont évoquées, comme "la généralisation des nanomatériaux, lesquels permettront de faire aussi bien, sinon mieux, avec moins de matière", parie Patrice Christmann. D'ici là, bienvenue dans l'ère de la rareté, du manque et des carences. En espérant que l'inventivité humaine ne soit pas, elle, menacée de pénurie...

B.B. et V.N. - SCIENCE & VIE > Mai > 2012
 

   
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