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La Conjecture de Poincaré

La Conjecture de Poincaré Résolue

En Juillet 2003, Sience & Vie titrait : "La conjecture de Poincaré aurait trouvé son maître. Désormais, le conditionnel est de trop. Et il convient de parler du théorème de Perelman.

Il y a trois ans le mathématicien russe avait fait sensation en indiquant la route à suivre pour résoudre la conjecture formulée en 1904 qui de façon très simplifiée, assure que toute forme fermée et non trouée peut être assimilable à une sphère déformée. Mais par manque de goût pour l'académisme, Perelman laissa à d'autres le soin de peaufiner la démonstration. C'est chose faite !
Comme l'explique Jean-Pierre Bourguignon, directeur de l'institut des hautes études scientifques, "la démonstration de la conjecture de Poincaré est désormais acquise. Et tout le monde s'accorde à dire, quelles que soient les contributions des uns et des autres, que Perelman en est l'artisan principal". Son empreinte sur les maths lui a d'ailleurs valu de partager la médaille Fields avec trois autres lauréats, en août dernier. Un prix qu'il a décidé de refuser.

M.G. - SCIENCE & VIE > Octobre > 2006

La Conjecture de Poincaré aurait trouvé son Maître

Toute forme fermée et non trouée peut être assimilée à une sphère : cruciale pour les maths, cette hypothèse vient d'être vérifiée par un chercheur russe. C'est en 1904 que Henri Poincaré (1854-1912), le fondateur de la topologie, posa sa fameuse conjecture pour la dimension 3.

Depuis début avril, la communauté des mathématiciens vibre d'un incroyable émoi : la conjecture de Poincaré aurait enfin été résolue, quasiment un siècle après avoir été énoncée par le grand scientifique français. Lors d'un séminaire au Massachusetts Institute of Technology (MIT), à Boston, le mathématicien russe Grigori Perelman a en effet exposé les premières bribes d'une démon tration qui pourrait s'avérer historique. Et lui valoir d'empocher, à 39 ans, un million de dollars. En effet, le Clay Mathematics Institute, une fondation américaine destinée à promouvoir les mathématiques, promet depuis 2000 cette somme à quiconque prouvera l'une des sept ultimes énigmes mathématiques qu'elle a recensées, dont la fameuse conjecture. Laquelle, depuis qu'elle a été énoncée en 1904, a fait s'arracher les cheveux à des générations de scientifiques. Sans résultat. Jusqu'à ce Grigori Perelman, chercheur rattaché à l'Institut Steklov de mathématiques de l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, qui affirme y être parvenu.

La conjecture de Poincaré ? En substance, elle suggère que toute forme fermée et non trouée peut être assimilée à une sphère, et cela pour toutes les dimensions. L'intérêt, c'est que si elle était vérifiée, quelle magnifique boîte de rangement pour les mathématiciens ! C'est comme si les biologistes identifiaient une espèce à l'intérieur de laquelle ils pourraient d'un coup classer une multitude d'êtres vivants.

ÇA CHANGE QUOI ?

L'annonce faite par le Russe Grigori Perelman d'une démonstration de la conjecture pour les variétés de dimension 3 est le jalon qui manquait aux mathématiciens dans leur objectif de classifier l'ensemble des variétés topologiques. En outre, cette démonstration mettrait fin à l'une des sept énigmes ultimes des maths que la fondation américaine Clay Mathematics Institute a recensées et, à ce titre, devrait valoir à Perelman de recevoir 1 million de dollars. Historiquement, si Poincaré posa en 1904 sa conjecture pour la dimension 3, elle fut généralisée à toutes les dimensions en 1934, les cas des dimensions 0, 1 et 2 étant déjà résolus. En 1961, S. Smale prouva la conjecture pour les dimensions supérieures à 5 et, en 1985, M. Freedman pour la dimension 4. Restait donc la dimension 3.

EN TOPOLOGIE, BALLONS DE FOOT ET DE RUGBY ONT LA MÊME FORME

Pour comprendre, il faut d'abord savoir que cette hypothèse s'inscrit dans un domaine particulier des mathématiques : la topologie, soit une partie des maths qui s'intéresse aux points, aux courbes, aux surfaces, etc. Concrètement, les topologues étudient les propriétés de ces objets sans se soucier de les mesurer, simplement en observant leur aspect général. Car en topologie, la forme (ou l'enveloppe) d'un ballon de rugby et celle d'un ballon de foot, quelle que soit leur taille, sont identiques, bien que l'une soit ovale et l'autre ronde : si les deux ballons n'étaient pas aussi rigides, on pourrait déformer l'un pour obtenir l'autre rien qu'en appuyant dessus, comme avec de la pâte à modeler. On dit alors que ces deux enveloppes sont homéomorphes. (Pour les topologues, le défi est de faire de la sphère la forme de référence ultime. ->)
Dans son énoncé, la conjecture de Poincaré est évidemment très précise. À savoir : "Toute variété de dimension n, fermée et simplement connexe, est homéomorphe à la sphère de dimension n". Ce qui demande quelques explications. D'abord, en topologie, les objets étudiés sont appelés du nom générique de "variétés de dimension n", n pouvant varier jusqu'à l'infini. Ainsi, une variété de dimension 0 est un point ; une variété de dimension 1 une courbe ; une variété de dimension 2 est une surface, etc. Dans notre espace familier à trois dimensions, une sphère est donc une variété à deux dimensions - les marins n'ont besoin que de deux coordonnées pour se repérer à la surface du globe. À noter qu'il est impossible de visualiser les variétés de dimension supérieure ou égale à 3, mais cela n'empêche pas les mathématiciens de les manipuler de la même façon que les surfaces et les courbes auxquelles nous sommes habitués.
Autre précision : on dit qu'une variété est "fermée" quand ses bords se rejoignent. Un cercle, par exemple, est une courbe fermée, alors qu'une ligne droite est une courbe ouverte. Enfin, le terme "simplement connexe" correspond, en gros, à l'absence d'un certain type de "trous" sur la variété. Les enveloppes du ballon de foot ou de rugby, sans trou, sont connexes, alors que celles d'une chambre à air, d'un beignet ou d'une tasse à café, trouées, ne le sont pas. Bref, l'hypothèse de Poincaré signifie donc que n'importe quelle variété de dimension n fermée et dépourvue de trou peut être identifiée à une sphèrede dimension n.

UN PRINCIPE POUR CLASSER

Pour les topologues, le défi est de parvenir à classifier toutes ces variétés. "Nous pouvons bien sûr dessiner à la main toutes sortes de courbes ou de surfaces, dont certaines nous sembleront les plus bizarres, explique Olivier Collin. Mais ces illustrations ne représenteront jamais qu'une infime partie de toutes les surfaces ou courbes possibles. C'est pourquoi un travail théorique de classification de l'ensemble des variétés est primordial." Et voilà bien l'enjeu de l'hypothèse de Poincaré : si elle s'avérait exacte, elle permettrait de faire un grand pas dans cette immense ouvre d'ordonnancement. Que leur aspect extérieur présente des arêtes, des bosses ou des creux, une infinité de variétés disparates pourraient enfin être rangées dans une même boîte. Notamment, les enveloppes d'une patate ou même d'un cube seraient rangées dans la boîte "sphère de dimension 2" !
Le problème, c'est de démontrer cette conjecture pour la dimension 3. Car pour les dimensions 0 et 1, la démonstration est triviale (un point est homéophorme à un point) et ne présente aucun intérêt. Pour la dimension 2, qui concerne notre ballon de foot ou de rugby, le problème est" classique" et a été résolu au XIXè siècle. La démonstration de la conjecture dans les dimensions supérieures à 5, elle, a été réalisée en 1961 par l'Américain Stephen Smale. Et la dimension 4 a été résolue, en 1982, par un autre Américain, Michael Freedman. Restait donc la dimension 3, la plus complexe à saisir quand, étrangement, les choses se simplifient lorsque le nombre de dimensions augmente. Et c'est justement pour cette dimension 3 que Henri Poincaré a posé sa conjecture... que Grigori Perelman affirme avoir démontrée. Pour parvenir à ce résultat, le mathématicien russe s'est inspiré des travaux de l'Américain Richard Hamilton, actuellement en poste à l'université de Columbia, aux États-Unis, considéré comme l'autre "père" de la démonstration proposée par Grigori Perelman.

UN SPÉCIALISTE DE LA TECHNIQUE DES "FLOTS DE RICCI"

DE LA GÉOMÉTRIE À LA TOPOLOGIE
Grigori Perelman a, en fait, démontré la conjecture de Poincaré en travaillant sur celle de Thurston ou "conjecture de géométrisation". "Elle donne une vision de toutes les variétés de dimension 3, dont celles qui sont fermées et simplement connexes, explique Steven Boyer. Sa démonstration règle, du même coup, la conjecture centenaire". La conjecture de Thurston autorise à sectionner d'une manière précise les variétés tridimensionnelles, de sorte que chaque élément soit "géométrisable". Cette propriété est très importante : si l'on prend des ballons de football et de rugby, identiques du point de vue de la topologie, c'est la géométrie qui fait la différence entre leurs deux enveloppes, en mesurant leurs aires, leurs longueurs ou certains angles. La géométrie sert à mesurer le tour du ballon de foot et celui du ballon de rugby et de conclure que le ballon de rugby est plus long que celui de foot. Géométriser une variété permet donc aux mathématiciens de se doter d'outils supplémentaires pour l'étudier.

De fait, quelques années après que William Thurston eut énoncé, en 1970, une autre conjecture dite de géométrisation (lire encadré), Richard Hamilton décrivit une sorte de feuille de route pour montrer la voie à ceux qui décideraient de s'attaquer à la démonstration. Un programme que, en trente ans, l'Américain ne parvint pas à mener à terme, mais qui lui permit toutefois de mettre au point une technique baptisée "flots de Ricci", sorte de variateur à appliquer sur les systèmes de mesure des variétés pour les faire évoluer. Or, Grigori Perelman est un spécialiste des flots de Ricci et c'est en apportant des améliorations dans ce domaine qu'il aurait réussi à dépasser les difficultés rencontrées par Richard Hamilton. Les rumeurs disent que si la démonstration du Russe est validée, Hamilton partagera avec lui le million de dollars promis par la fondation Clay.
"Grigori Perelman a une excellente réputation, il est sérieux et a des idées originales, commente Vestislav Apostolovz, professeur de géométrie différentielle à l'université du Québec à Montréal. Mais nous resterons prudents tant que personne n'aura relu l'ensemble de ses travaux." Pour l'heure, une vingtaine de mathématiciens à travers le monde est ainsi chargée d'examiner les idées du mathématicien russe. Une vérification qui devrait prendre plusieurs mois. Mais d'ores et déjà, "ces travaux ouvrent de très belles perspectives dans le domaine, s'exclame Olivier Collin, professeur de topologie au département de Mathématiques à l'université du Québec à Montréal. Et c'est très stimulant". Personne ne dira le contraire.

I.C. - SCIENCE & VIE > Juillet > 2003
 

   
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