Index SCIENCES -> MÉDECINE -> BIOLOGIE CELLULAIRE 
   
 
Cellules Souches : Elles repoussent les Limites de la Vie

Un véritable big bang biologique : telle apparait la découverte des cellules souches. Car en donnant accès à l'intimité du vivant, elles ouvrent la voie à la possibilité de réparer n'importe quel organe endommagé. Voire au rêve d'immortalité. Au risque d'une exploitation de la vie. Nos organes leur doivent tout. Une fantastique révolution : voilà ce que signifie la découverte des cellules souches. Car à l'origine de la différentiation cellulaire, elles font toucher du doigt le secret de la vie.

Comment une seule et unique cellule - un ouf fécondé - parvient-elle à engendrer un organisme tout entier ? Telle est la question que se posent depuis toujours les sciences du vivant. La question dont procèdent toutes les autres, de même que toutes nos cellules procèdent d'une seule, l'ovule, plein de sa rencontre avec le spermatozoïde. Car s'il est bien un mystère, c'est celui qui voit cette entité originelle finir par donner un organisme entier, constitué de centaines de millions de cellules, formant une constellation d'organes tous reliés les uns avec les autres. Par quels processus ? Le savoir serait approcher le secret même de la vie.
Or, voici que la science possède enfin le sésame qui peut lui donner accès à ce savoir ultime : les cellules souches embryonnaires. Soit des cellules toutes simples qui apparaissent à l'intérieur de l'embryon 5 ou 6 jours après la fécondation, alors qu'il n'est encore qu'un blastocyste, composé d'une centaine de cellules. Qu'ont-elles de si remarquables ? Simple : elles engendrent tous les tissus de l'organisme, ce dont sont incapables les toutes premières cellules issues de la division de l'ouf fécoridé qui, elles, ne peuvent que donner un autre embrion ou mourir. Concrètement, ces petites merveilles du vivant se "spécialisent" a mesure qu'elles prolifèrent, acquérant progressivement les fonctions des organes dont elles seront, in fine, constitutives. Une "plasticité" formidable, qui fait dire à Axel Khan, directeur de l'lnstitut Cochin, que "la quête des cellules souches est l'une des plus fascinantes aventures scientifique de l'humanité".

EXTRAORDINAIRE DÉCOUVERTE

Historiquement, c'est un embryologiste américain qui mit les biologistes sur leur piste. En 1970, Leroy Stevens observe en effet chez la souris que certaines cellules de l'embryon, une fois implantées hors de l'utérus, évoluent en tératome, une tumeur constituée de tissus hétéroclites et désorganisés (dent, os, muscle). Autrement dit, des cellules de l'embryon peuvent proliférer en donnant naissance à plusieurs sortes de cellules différentes. Du jamais vu. Et Stevens de baptiser sa découverte "cellules souches embryonnaires pluripotentes". À partir de là, les expériences vont se multiplier aux quatre coins du monde pour en savoir plus sur ces étranges cellules ES (pour Embryonic Stem cells). Jusqu'à ce que l'Anglais Martin J. Evans parvienne, en 1981, à extraire de la masse interne du blastocyste de souris des lignées de cellules immatures, qu'il réussit à conserver indéfiniment dans cet état. Du coup, étudier les fameuses ES avant qu'elles ne se différencient devient possible.
Et les résultats ne tardent pas : les biologistes découvrent que lorsqu'on les extrait de leur milieu de culture pour les injecter dans un embryon, non seulement elles participent à son développement normal, mais leur descendance se retrouve dans tout l'organisme adulte, qui constitue ainsi une véritable chimère. Mais le meilleur est à venir : lorsque l'Américain James Thornson découvre pour la première fois des cellules ES dans l'embryon humain. Un exploit qui, aussitot, va les propulser au panthéon des découvertes scientifiques les plus médiatisées. C'était il y a huit ans.

JARGON
Cellules totipotentes : issues des premières divisions de l'oeuf fécondé, elles peuvent engendrer tous les tissus de l'organisme et participent à la formation d'un être humain.
Cellules souches pluripotentes : aussi appelées cellules souches embryonnaires, elles se multiplient à volonté et donnent lieu à tout type cellulaire.
Cellules souches multipotentes : cellules adultes capables d'engendrer plusieurs types de cellules différenciées.
Cellules souches unipotentes : elles ne peuvent former qu'un seul type de cellules différenciées (par exemple, les spermatogonies donnent les spermatozoïdes).
CHRONOLOGIE
1950 : Découverte dans la moelle osseuse de cellules capables de générer toutes les cellules sanguines.
1958 : Première greffe de moelle osseuse.
1970 : L'Américain Stevens découvre des cellules souches embryonnaires (cellules ES) chez la souris.
1981 : L'Anglais Evans découvre que les cellules ES proviennent de la "masse cellulaire interne" du blastocyste, et parvient à en conserver en culture.
1998 : L'Américain Thomson trouve des cellules souches dans l'embryon humain.
2000 : L'Israélien Reubinoff transforme des cellules ES en neurones.

DÉCRYPTER LA DIFFÉRENCIATION

Pourquoi un tel enthousiasme ? "C'est fantastique, commente aujourd'hui Jacques Samarut, professeur de médecine à Lyon. Ces cellules nous fournissent un modèle parfait pour répondre à toutes les questions qu'on se pose sur la prolifération cellulaire, sur la différenciation, sur le developpement en général, qu'il soit normal ou pathologique." Bref pour percer l'intimité même de la vie. Sans oublier d'incalculables perspectives thérapeutiques. On comprend alors qu'embryologistes, généticiens, biochimistes et spécialistes des différents organes se soient mobilisés comme un seul homme.
Aujourd'hui, on sait que la cellule souche embryonnaire a ceci d'étonnant qu'elle possède les mêmes gènes que toutes les autres cellules de l'organisme, sauf qu'elle n'utilise pas ceux qui lui donneraient telle ou telle fonction caractéristique d'un tissu particulier, comme le gène de la production d'insuline dans le cas des cellules du pancréas, ou encore celui des battements réguliers des cellules du muscle cardiaque. Par ailleurs, en observant dans quelles conditions et en présence de quelles substances les cellules ES perdent leur caractère embryonnaire et acquièrent de nouvelles fonctions, il est devenu possible de décrypter, en direct, les cascades d'événements moléculaires qui conduisent à la différenciation ou qui entravent son bon déroulement.

DE PRÉCIEUX VESTIGES

Du coup, le regard de la biologie sur les cellules qui composent l'organisme adulte change. On comprend mieux d'où elles proviennent, comment elles se sont spécialisées. Surtout qu'il existe dans l'organisme des cellules étranges qui ne sont pas complètement différenciées. Elles ne sont plus embryonnaires, certes, mais n'ont pas encore acquis les caractéristiques des cellules adultes qui assurent les fonctions des organes. Comme si elles étaient suspendues entre l'état embryonnaire et l'état adulte, sorte de vestiges déformés des premiers jours de la vie. Ce sont les cellules souches dites adultes. La médecine connaît l'existence de certaines de ces cellules souches adultes depuis plus de cinquante ans : dans la moelle osseuse, se sont d'elles que sont issues les diverses cellules sanguines, globules blancs, rouges et plaquettes. Il en existe aussi dans l'os (les ostéoblastes), dans le muscle (les myoblastes, ou cellules satellites). Mais ces dernières années, à la lumière des connaîssances acquises sur les cellules souches embryonnaires, notamment les marqueurs qui permettent d'identifier des cellules en cours de différenciation, les chercheurs ont découvert des cellules souches adultes dans tous les tissus de l'organisme, jusque dans le cerveau. Leur rôle : régénérer le tissu auquel elles appartiennent, soit pour répondre à un besoin permanent de renouvellement comme dans le cas des cellules de la moelle osseuse, soit en cas de lésion, comme dans le muscle ou dans l'os.
À mesure que la vie intime des cellules souches adultes se dévoile, le mystère se lève aussi sur ce qui les maintient à l'état quiescent, et sur les signaux qui provoquent leur différenciation. Il apparaît que leur environnement direct - les cellules avec lesquelles elles sont en contact - joue un rôle déterminant. C'est ainsi que le concept de "niche", un terme à entendre au sens de niche écologique, fait son apparition, et se révèle fécond. Car l'étude des rapports que les cellules souches adultes entretiennent avec leur niche éclaire déjà certains processus vitaux d'un jour nouveau.
Ainsi, la proximité et les interactions des cellules souches adultes avec les cellules des vaisseaux sanguins laisse à penser qu'elles partagent une origine commune. Il semble bien, par exemple, que les cellules satellites musculaires descendent des mêmes cellules embryonnaires que celles qui constituent les vaisseaux sanguins (notamment les péricytes). En va-t-il de même pour les autres tissus ? "Il y a des vaisseaux sanguins partout, avance Romain Gherardi, de l'hôpital Henri-Mondor à Créteil, qui émet l'hypothèse que tous les organes pourraient être directement produits par des cellules souches issues des vaisseaux sanguins. On pourrait alors imaginer reconstituer tout le scénario de la fabrication d'un corps... Reste que l'intérêt pour les cellules souches, embryonnaires ou adultes, n'est pas seulement scientifique. Il est évidemment thérapeutique, via leurs capacités de régénération. Car les cellules souches pourraient fournir en abondance, non seulement du matériel biologique de remplacement idéal pour des greffes, mais aussi des outils - des médicaments, par exemple - pour régénérer in situ des tissus lésés. Le rêve d'une médecine régénérative est donc désormais à portée de main.

P.C. - SCIENCE & VIE > Novembre > 2006
 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net