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La Volaille dans nos Assiettes

Coup de Sonde sur la Volaille

L'usage d'antibiotiques étant largement répandu en élevage, des bactéries antibiorésistantes risquent-elles d'arriver dans nos assiettes ? Analyses sur 100 échantillons.

L'utilisation massive d'antibiotiques en élevage se traduit-elle par une menace directe pour le consommateur ? Des bactéries résistantes risquent-elles de se retrouver dans notre assiette ? C'est ce que nous avons voulu savoir en analysant 100 échantillons de poulet et de dinde (cuisses, ailes, escalopes, etc). Les achats ont été faits essentiellement en grandes surfaces (pour 84 échantillons) mais aussi sur des marchés et chez des bouchers traditionnels (8 échantillons chacun). Une bonne moitié des échantillons est constituée de volailles standards parmi lesquelles des premiers prix. L'autre inclut des produits certifiés, sous Label rouge et biologiques. Nous avons recherché les Escherrichia coli (E. coli), des germes très communs et la plupart du temps non pathogènes. Notre objectif n'était pas d'évaluer la sécurité sanitaire des produits testés mais de voir si les bactéries dont ils étaient porteurs étaient résistantes à une ou plusieurs familles d'antibiotiques.

Les antibiotiques critiques : Ce sont les familles d'antibiotiques dont il est très important de maîtriser l'usage, notamment parce qu'il s'agit de médicaments de dernier recours en cas de pathologies graves. Même s'il n'existe pas de liste admise par tous de ces antibiotiques, les experts s'entendent à y inclure les céphalosporines de 3e et 4e générations et les fluoroquinolones, familles qui sont utilisées à la fois en élevage et en médecine humaine.

Les habitudes doivent changer de manière radicale : Le problème, c'est que le système de distribution du médicament vétérinaire n'encourage guère à la modération. Car les vétérinaires, qui prescrivent, vendent aussi les médicaments. Si les pharmaciens sont susceptibles de les délivrer, sur présentation d'une ordonnance, le cas est plutôt rare. Chez les vétérinaires ruraux, cette activité de vente peut représenter 60 % du chiffre d'affaires. Difficile, dans ces conditions, de s'autoréguler, d'autant que les laboratoires pharmaceutiques accordent des remises en fonction des quantités d'antibiotiques commandées !
S'il n'estime pas souhaitable une réforme de ce système, Michel Baussier, président de l'Ordre national des vétérinaires, s'élève contre les conduites mercantiles, persuadé "qu'il faut désormais mettre fin à cette utilisation abusive et anarchique des antibiotiques non seulement en France mais dans le monde entier". Cette conviction est-elle partagée par toute la profession ? La lettre qu'il vient d'envoyer à ses ouailles permet d'en douter. "Je suis informé que des laboratoires pharmaceutiques vétérinaires, soit spontanément, soit en réponse à des sollicitations aussi inopportunes qu'irresponsables émanant de vétérinaires praticiens, inciteraient par des avantages commerciaux, rabais ou remises, à un stockage de médicaments vétérinaires à base d'antibioltique dits d'importance critique. Cela dès maintenant dans la perspective des modifications législatives imminentes", s'indigne-t-il avant de menacer ceux qui se risqueraient au stockage de les désigner à la vindicte publique et de leur infliger des sanctions disciplinaires.
Les modifications législatives évoquées, ce sont les articles de la loi d'avenir pour l'agriculture, en cours d'adoption, qui prévoient l'interdiction des ristournes par les laboratoires et la limitation à moins de 15 % de la marge du vétérinaire pour les antibiotiques critiques. Des mesures bien timides, alors que le découplage entre prescription et vente d'antibiotiques avait été évoqué lors de la préparation du projet de loi (les pharmaciens seuls auraient pu en vendre). Le découplage pour tous les médicaments aurait sans doute signé l'arrêt de mort de nombreux vétérinaires ruraux. Limité aux antibiotiques seuls, qui ne représentent que 15 % des médicaments vendus et sont censés peser de moins en moins si les objectifs d'Ecoantibio sont tenus, il était envisageable et aurait montré la réelle volonté du gouvernement de prendre le taureau par les cornes. Certes, la mesure n'aurait pas réglé le problème à elle seule. En élevage comme en médecine humaine, c'est non seulement aux prescripteurs mais aussi aux utilisateurs de prendre conscience de l'urgence de la situation. Les éleveurs y ont tout intérêt. Car, comme le fait remarquer le professeur Andremont : "Si on mange moins de viande, on consommera moins d'antibiotiques". Dans un contexte de remise en question tous azimuts de la consommation de produits animaux, ne pas choisir une modification radicale des pratiques en matière d'antibiotiques, ce serait tendre des verges pour se faire battre.

NOS RÉSULTATS

Un constat assez préoccupant !

- La bactérle E. coli est présente de manière significative sur 26 échantillons. Les niveaux de contamination sont faibles et conformes aux exigences de la réglementation.
Cependant : sur 16 échantillons (61 %), les E. coli présentent des résistances à une ou plusieurs familles d'antibiotiques ; sur 6 échantillons (23 %), elles sont résistantes à des antibiotiques critiques : céphalosporines de 3e et 4e générations (3 cas) ; fluoroquinolones (2 cas) ou ces 3 familles (1 cas) ; sur 9, elles présentent des résistances à au moins 4 familles d'antibiotiques : sur les 3 pires, respectivement 7, 8 et 9 familles d'antibiotiques sont concernées.
- Les familles d'antibiotiques concernées par le plus grand nombre d'échantillons résistants sont l'amoxicilline (11 échantillons), la molécule la plus employée en médecine humaine (marques les plus connues : Augmentin et Clamoxyl) et les tétracyclines (12 échantillons) utilisées en médecine humaine dans le traitement des infections respiratoires mais aussi de l'acné.
- La resistance aux antibiotiques est donc largement répandue chez les bactéries présentes sur les volailles. Existe-t-il des différences selon les gammes de produits ? La petite taille de notre échantillon ne permet pas de tirer des conclusions définitives mais on peut tout de même remarquer que les volailles standards et premier prix sont plus touchées ; à l'inverse, les volailles biologiques sont peu concernées. Cette tendance est d'ailleurs confirmée par la littérature scientifique, encore peu fournie mais relativement unanime sur ce point. Pour les Label rouge, bilan en demi-teinte avec moins d'échantillons touchés que les standards mais 2 présentant une résistance aux antibiotiques critiques. Nous avons également recherché, mais en vain, les staphylocoques dorés (pathogènes) résistants à la méticilline.

UNE CINQUANTAINE D'AFFAIRES EN JUSTICE PAR AN

Deux milliards d'euros, c'est ce que représente le marché du médicament vétérinaire. D'où la tentation, pour certains, de franchir la ligne jaune. Bon an, mal an, la justice aurait à traiter d'une cinquantaine d'affaires concernant ce marché, selon l'Ordre national des vétérinaires, qui se porte à chaque fois partie civile. Dans une affaire encore à l'instruction, 3 vétérinaires et 2 pharmaciens sont accusés d'avoir délivré illégalement des antibiotiques à plusieurs centaines d'éleveurs. Selon l'accusation, les cabinets vétérinaires, situés à plusieurs centaines de kilomètres des élevages concernés, délivraient des ordonnances de complaisance à condition que les agriculteurs se fournissent chez les pharmaciens complices. Faire son marché au-delà des Pyrénées, où le laxisme est réputé régner, serait aussi une pratique répandue. Les 4 éleveurs récemment condamnés pour être allés régulièrement acheter des médicaments en Espagne comme s'il s'agissait de cigarettes ne représenteraient que la face émergée de l'iceberg. Autre exemple, celui de ce cabinet vétérinaire rhône-alpin qui vendait des médicaments par correspondance à une clientèle fournie de dizaines d'éleveurs. "La plupart des vétérinaires et des éleveurs essaient d'améliorer leurs pratiques mais, à côté, on a ce genre de délinquance qui persiste et qui vise les élevages les plus importants, donc un grand nombre d'animaux", déplore un inspecteur vétérinaire.

F.M. et E.B. - QUE CHOISIR N°523 > Mars > 2014
 

   
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