Index des SCIENCES -> NANOTECHNOLOGIE 
   
 
Nanotechnologies et Environnement

Quel est l'Impact des Nanotechnologies sur l'Environnement ?

Plusieurs études sont actuellement menées sur la dégradation et l'usure des nanomatériaux, ainsi que sur la toxicité éventuelle de leurs résidus pour la nature.

La question est loin d'être anodine. Alors que les recherches en toxicité humaine s'intensifient, révélant certains effets des nanoparticules sur notre organisme, il serait étonnant que celles-ci n'aient aucun impact sur d'autres êtres vivants et donc potentiellement sur un écosystème entier. Pourtant, la recherche sur ces conséquences environnementales est longtemps restée le parent pauvre des études sur les nanotechnologies, les premiers programmes sur le sujet datant d'une dizaine d'années à peine. Mais les choses commencent à changer. "En France et en Europe, on a finalement compris que c'était important. Dés 2005, il y a eu une sorte d'emballement", analyse Jean-Yves Bottero, directeur du Groupement de recherche international iCeint (International Consortium for the Environmental Implication of Nanotechnology).
Pour faire une évaluation réaliste des risques, deux grands axes de recherche sont actuellement privilégiés : étudier les effets sur un milieu et évaluer l'exposition de ce milieu aux nanoparticules. Pour ce dernier point, la question est bien plus complexe qu'il n'y paraît. Il est pour le moment très difficile de doser la quantité de nanoparticules présente dans un milieu donné : les protocoles sont encore discutés et les types de milieux ou de nanoparticules à étudier sont nombreux. "Actuellement, on n'a quasiment aucune idée des concentrations que l'on est susceptible de retrouver dans l'environnement", déplore Jean-François Férard, directeur du LIEBE (Laboratoire des interactions écotoxicologie, biodiversité, écosystèmes).

TRANSFERTS AQUATIQUES

Plutôt que de mesurer directement dans l'environnement une concentration de nanoparticules, les chercheurs préfèrent donc souvent étudier les phénomènes de transfert de ces matériaux : mieux comprendre comment ils peuvent circuler entre différents milieux. Le programme Aquanano par exemple, coordonné par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), étudie les transferts possibles vers les eaux souterraines de trois types de nanoparticules manufacturées, à savoir titane, zinc et argent. "Sur des expériences à petite échelle, il y a effectivement transfert à travers un milieu poreux, explique Hélène Pauwels, responsable du projet. Il est encore difficile d'en tirer des conclusions sur ce qui se passe dans le milieu naturel, mais on peut supposer que ces transferts existent à plus grande échelle".
Des études de ce type tendent donc à prouver que certaines nanoparticules peuvent aisément circuler de milieu en milieu et donc se retrouver disséminées dans l'environnement. Sans idée précise de l'ampleur de cette dissémination. En France, l'absence de données précises n'a pas empêché les chercheurs de s'intéresser aux effets sur les organismes vivants, notamment au sein d'une discipline encore peu connue : l'écotoxicologie. Il s'agit d'étudier l'impact de différentes substances sur la faune et la flore d'un écosystème. "Nous avons commencé à étudier les nanomatériaux en supposant que des particules avec des dimensions aussi petites auraient une réactivité plus importante que des particules de taille supérieure", explique Laury Gauthier, écotoxicologue au laboratoire d'écologie fonctionnelle EcoLab, à Toulouse. En effet, la réactivité d'un matériau dépend en partie de la proportion d'atomes présents sur sa surface. Or, plus une particule est petite, plus cette proportion est importante (par rapport au nombre d'atomes total). "En étant plus réactives vis-à-vis de leur milieu, de l'environnement, ces nanoparticules sont donc susceptibles d'effets biologiques différents de ce que l'on connaissait jusqu'à présent", précise Laury Gauthier.
Les écotoxicologues ont donc tout d'abord cherché à mesurer un "effet-dose", c'est-à-dire relier un type d'effet à une concentration de nanoparticules donnée. "Pour les nanotubes de carbone, explique Laury Gauthier, spécialiste de ce type de nanoparticule, nous avons trouvé une toxicité aiguë pour des concentrations très élevées, de l'ordre d'un gramme par litre". Cette toxicité dépend évidemment du type de nanoparticules utilisées et des organismes étudiés. Ainsi, l'argent et le cérium sont particulièrement nocifs pour des bactéries ou des poissons, mais moins sur certaines plantes. Ces expériences ont cependant un point commun : les concentrations létales sont particulièrement élevées. Or, sauf accident industriel majeur, il est peu probable de retrouver de telles concentrations dans l'environnement. Si ces expériences en laboratoire permettent de mieux comprendre les mécanismes de toxicité des nanoparticules, il est donc difficile d'en tirer des conclusions sur leur véritable impact environnemental.

DES RÉSIDUS TOXIQUES

De plus, ces expériences d'écotoxicologie sont souvent basées sur des nanoparticules pures, isolées. Bien loin de refléter ce que l'on pourrait trouver dans un milieu naturel. Un autre champ de recherche consiste donc à étudier les interactions des nanoparticules entre elles ou avec d'autres substances, leur dégradation, pour ensuite travailler sur la toxicité des produits engendrés par ces modifications de structure. Le Centre européen de recherche et d'enseignement des géosciences de l'environnement (Cerege) dirige ainsi un projet sur la dégradation de nanomatériaux et leur impact sur des organismes aquatiques et terrestres. À Metz, le LIEBE s'est aussi attaqué dès le début à ce problème. Son directeur justifie ainsi ce choix : "Nous nous sommes tout de suite dit que ces matériaux allaient se dégrader dans l'environnement, donc nous avons directement travaillé sur des résidus de nanoparticules élaborés artificiellement, explique jean-François Férard. Le processus de dégradation est censé mimer ce qui peut se passer dans l'environnement". Les premiers résultats semblent montrer que ces résidus sont eux aussi toxiques pour différents organismes (les vers de terre par exemple), mais toujours à forte concentration. Or, selon jean-Yves Bottero, "c'est avec de faibles concentrations que l'on commence bien à imaginer ce qu'il va y avoir dans l'eau, dans les sols. Il faut regarder des réponses à bas bruit, pas une mortalité immédiate".
Quelques laboratoires français commencent ainsi tout juste à travailler sur ces conditions d'exposition plus réalistes. Si l'on n'observe plus de toxicité apparente à plus faible concentration, les premières expériences montrent tout de même un impact sur le matériel génétique des organismes contaminés. Sur des poissons ou des amphibiens par exemple, une modification du génome a été observée (->). "Même à ces concentrations dites infra-létales, explique Laury Gauthier, cela pourrait avoir des conséquences à long terme sur les populations, en termes d'acquisition de mutations par exemple". Si une partie de ces modifications sera réparée par l'organisme, les scientifiques ne savent pas encore l'impact exact de ces effets génétiques. "Le problème, c'est que ces expériences sont faites sur des temps courts, donc on ne voit pas les conséquences sur plusieurs générations", commente Jean-Yves Bottero.

UNE GRANDE ÉTUDE DÉBUTE

Pour répondre à ces questions et proposer une étude de risque globale, les paramètres à étudier sont multiples et doivent mobiliser plusieurs spécialités sur le long terme. "Jusqu'à maintenant, les laboratoires n'étaient pas en contact, les gens ne se rencontraient pas, constate le directeur de l'iCEINT. Il est donc extrêmement difficile d'avoir une idée synthétique. Là, il y a un vrai effort à faire". En effet, chaque laboratoire travaillait jusqu'ici sur un point précis : le cycle de vie des nanoparticules, leur disponibilité dans l'environnement, les transferts dans les milieux aqueux, ou encore les effets sur tel organisme. Aucune structure n'était là pour regrouper tous ces résultats. Ce manque de communication et de collaboration au sein de la communauté scientifique a été en partie comblé en 2009 avec la création de l'iCEINT, regroupant les principaux laboratoires français et américains travaillant depuis plusieurs années sur le sujet. Pour Jean-Yves Bottero, directeur de la structure, le but avoué était bien de "regrouper les laboratoires sur des projets de recherche qui prennent en compte l'ensemble de la chaîne du risque". Le premier grand projet de l'iCEINT devrait ainsi être mis en ouvre début 2011.
Baptisé "Mesonnet", pour Mesocosm Network for Environmental Nanotechnology risk Assessment, il aura pour but d'étudier l'impact sur un écosystème de quatre nanoparticules manufacturées impliquées dans la fabrication de produits de grande consommation. Regroupant 14 équipes de chercheurs dans toute la France, associées à 13 équipes américaines, ce programme est une première en France. Ce réseau, qui comprend des biologistes, microbiologistes, biogéochimistes et écotoxicologues, travaillera sur l'étude de mésocosmes : un milieu confiné dont l'expérimentateur peut contrôler les différents paramètres, reproduisant le plus fidèlement possible un écosystème naturel. En pratique, ces mésocosmes réuniront dans un même milieu artificiel des plantes terrestres et aquatiques, différentes bactéries, des micro-algues, des vers, des daphnies (petits crustacés zooplanctoniques), ou encore différentes espèces de batraciens. L'intérêt premier de ce type d'installation sera bien entendu d'étudier les transferts possibles de nanoparticules le long de la chaîne alimentaire. Un projet de grande ampleur, qui se déroulera jusqu'à la fin de l'année 2014, et qui permettra de comprendre les effets des nanoparticules manufacturées sur le long terme, avec des concentrations similaires à ce que l'on peut trouver dans la nature. Pour les scientifiques, jamais l'espoir de mimer au mieux les conditions naturelles n'aura été aussi proche.

Y.C. - SCIENCE & VIE Hors Série > Décembre > 2010
 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net