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La Force du Vide - Effet Casimir

Un Rayon de Lumière surgi de Nulle Part

Des chercheurs ont pu transformer en photons les fluctuations de l'énergie du vide. Une démonstration de l'effet Casimir.

Le vide est plein d'énergie nous dit la théorie quantique. Ce qui ressemblait à un curieux paradoxe de physicien vient de s'ancrer dans la réalité visible de façon éclatante : des chercheurs de l'université Chalmers de Technologie à Gbteborg, en Suède, ont réussi a faire jaillir du vide un rayonnement analogue à la lumière.
C'est le physicien Paul Dirac qui, au début du XXe siècle, a le premier postulé l'existence, dans le vide, de fluctuations d'énergie. Il a aussi prédit que des paires de particules éphémères pouvaient apparaître et s'autoannihiler. Désormais le vide ne l'était plus. Il restait néanmoins à valider ce type de prédiction déroutante. En 1948, un chercheur néerlandais, Hendrick Casimir, calcule que si la théorie est correcte, deux plaques réfléchissantes parallèles dans le vide doivent s'attirer lorsqu'elles sont très proches. Cette attraction serait due à la moindre densité des ondes dans l'espace qui sépare les plaques. Depuis, on parle "d'effet Casimir" pour évoquer ce phénomène, dont l'existence a été confirmée en 1997. En 1970, un physicien américain, Gerald Moore, calcule qu'en accélérant un miroir dans le vide à une vitesse proche de celle de la lumière, les fluctuations d'énergie électromagnétique qui se produisent en permanence dans le vide peuvent être prises de court et se matérialiser sous la forme d'un rayonnement. C'est une variante de l'effet Casimir, appelée effet Casimir dynamique.
Il aura fallu attendre plus de 40 années supplémentaires pour que la démonstration de ce phénomène soit apportée. Elle est venue des physiciens suédois de Goteborg. Leur idée-force pour réaliser l'exploit : remplacer le miroir par un champ magnétique. Pour faire bouger ce champ aussi vite que le miroir de Moore, les chercheurs le font osciller des milliards de fois par seconde grâce à un dispositif supraconducteur. Cette oscillation lui permet d'interagir avec le rayonnement électromagnétique présent dans le vide. Résultat : des grains sans masse de rayonnement micro-onde ont surgi comme du néant. L'énergie du vide s'est bien transformée en photons comme Moore en avait entrevu la possibilité. Les chercheurs montrent en outre dans la revue Nature que les rayonnements produits sont en tout point conformes à ce qui est prédit par le calcul. Une nouvelle validation de la physique quantique.

Pierre Kaldy - SCIENCE ET AVENIR N°780 > Février > 2012

La Force du Vide a pu être Inversée

Il y a plus d'un demi-siècle était théorisée une force venant du vide quantique : la force de Casimir, du nom de son découvreur. Insignifiante pour l'homme, cette force est géante au niveau nanoscopique et limite la miniaturisation toujours plus poussée des minimachines. Mais deux physiciens viennent de réussir à inverser son effet. Un véritable exploit qui pourrait ouvrir sur des applications industrielles inédites.

On le sait depuis bientôt un siècle : le vide n'est pas de ce monde. Le rien n'existe pas. La preuve ? Prenez une boîte, aspirez tous les molécules et atomes qu'elle contient, plongez-la à la température du zéro absolu, et vous verrez tout de même apparaître spontanément des photons, c'est-à-dire des particules de lumière, qui disparaîtront aussitôt. Etranges en soi, ces fluctuations du vide engendrent un effet tout aussi surprenant : si vous placez dans votre boîte deux petits miroirs parallèles réfléchissant les photons et séparés d'une distance de l'ordre du micromètre, eh bien... une force mystérieuse surgit de cette "lumière du vide" : les deux miroirs se rapprochent, jusqu'à se coller l'un à l'autre ! Ici, tout se passe comme si les photons frappaient plus fort à l'extérieur des miroirs qu'entre eux. Il en résulte une différence de pression de radiation entre leurs faces interne et externe, ce qui crée cette force "attractive". Dès 1948, le physicien néerlandais Hendrik Casimir avait prédit l'existence de ce curieux effet auquel son nom est désormais attaché. Dix ans plus tard, il était vérifié expérimentalement, mais n'en restait pas moins une simple curiosité : il apparaît à des échelles de taille si petites que la force de Casimir ne constituait jusqu'à récemment qu'une anecdote scientifique, une singularité réservée à une poignée d'initiés.
En 2009, ce n'est plus le cas ! Car les temps ont changé et, avec eux, les ordres de grandeur. À l'ère des nanotechnologies, l'effet Casimir est passé du statut de simple curiosité à celui de véritable fléau.

UNE ATTIRANCE GÊNANTE

Et pour cause : les mécanismes technologiques ont été tellement miniaturisés que cette force jouedésormais un rôle considérable, provoquant des frottements du plus mauvais effet dans les rouages des minimachines ! "Dès que l'on a dans un composant deux surfaces en regard, dont l'une est mobile, et que la distance entre elles descend au-dessous de 200 ou 300 nanomètres, elles s'attirent et peuvent même se coller entre elles de manière irréversible !", témoigne Philippe Andreucci, responsable de projets "Nanosystèmes" au Laboratoire d'électronique et des technologies de l'information à Grenoble (Leti). Son laboratoire travaille notamment sur les Mems (pour Micro Electro Mechanical Systems), des structures essentiellement composées de silicium qui peuvent remplir le rôle de gyroscopes, de capteurs de pression ou d'accéléromètres comme ceux présents dans les manettes de la Wii ou les airbags. Ces derniers, par exemple, sont formés de deux peignes en silicium imbriqués l'un dans l'autre et connectés à un circuit électrique. Lors d'une décélération brutale de la voiture, les branches des deux peignes se rapprochent, ce qui est mesuré électroniquement. Au-delà d'un certain seuil fixé lors de crash tests, le système commande à l'airbag de se déclencher. Imaginons que l'on veuille miniaturiser encore plus ces composants : la force de Casimir interviendrait alors, faussant la précision du mouvement des peignes !
Le problème, c'est que, en matière de miniaturisation, les besoins des industriels sont insatiables : leurs produits doivent cumuler de plus en plus de fonctions sans gagner en poids. Pour les contenter, le défi consiste à fabriquer des accéléromètres toujours plus petits, de passer de systèmes micrométriques à des systèmes nanométriques. C'est-à-dire passer des Mems aux "Nems" ! Mais impossible de transposer simplement la technique à des échelles inférieures : la force de Casimir introduit de formidables perturbations. Pour continuer à réduire encore et tou jours les tailles des composants, il faut donc résoudre le "problème" Casimir. Justement, des chercheurs américains viennent de démontrer expérimentalement que l'on peut annihiler la force de Casimir, et même la rendre... répulsive ! Dès lors, plus de problème de micro-mécanique en perspective ! "Pour obtenir une force de Casimir répulsive, le choix des matériaux en présence s'avère crucial, car ils doivent avoir un comportement particulier face à la lumière", explique Jeremy Munday, de l'Université Harvard, l'auteur principal de cette expérience ardue. Les calculs ont en effet montré que si l'on joue sur les indices de réfraction des différents matériaux, la force peut devenir répulsive comme par magie ! Explication ? "L'indice de réfraction exprime le comportement d'un matériau vis-à-vis de la lumière donc des fluctuations du vide. Dans le vide, cet indice est égal à 1, la lumière ne sera absolument pas détournée de sa trajectoire. Mais au fur et à mesure que l'indice du milieu augmente (dans un liquide, par exemple), elle est de plus en plus déviée", précise Joël Chevrier, chercheur dans le groupe "champ proche" de l'Institut Néel (laboratoire de physique-chimie), à Grenoble. Or, la condition pour observer la forme répulsive de l'effet Casimir est que les indices des deux miroirs soient différents, et que celui de l'interstice les séparant soit compris entre eux deux. Ce qui est strictement impossible si l'on plonge des miroirs dans le vide, car celui-ci possède l'indice minimum ! Oui, mais si la force de Casimir est très importante entre deux miroirs parfaits dans le vide le plus total, elle se manifeste en réalité entre tous types de matériaux et dans n'importe quel milieu, à condition qu'il ne soit pas opaque...
Avec ses collègues, Jeremy Munday est donc parti à la recherche des matériaux adéquats. Premiers éléments choisis pour les miroirs : l'or et le silicium. Restait à trouver le meilleur milieu (gaz ou liquide) dans lequel les plonger. Et là, la réelle difficulté provient de ce que l'indice de réfraction varie avec la longueur d'onde. Par exemple, un mur peut nous paraître opaque en lumière visible, alors qu'il est "transparent" pour les UV et les infrarouges. "Ainsi, nous avons essayé de trouver un fluide dont l'indice serait compris entre celui de l'or et celui du silicium, sur une bande de fréquence le plus large possible, détaille Jeremy Munday. Et c'est tombé sur un liquide : le bromobenzène." Car, outre son indice de réfraction approprié, le bromobenzène possède un fameux atout pour le bon déroulement de l'expérience : il reste impassible au contact de l'or et du silicium, alors que des molécules d'eau, par exemple, créeraient un champ électrique qui, même faible, masquerait les fluctuations électromagnétiques du vide. La force de Casimir serait alors indétectable.
Enfin, il y avait un dernier obstacle à dépasser : le parallélisme entre les deux plaques doit être parfait, ce que l'on ne peut pas garantir puisque l'une des deux doit rester mobile pour se déplacer par rapport à l'autre. Les chercheurs ont donc utilisé une sphère de polystyrène de seulement 40 micromètres de diamètre recouverte d'or, face à la plaque de silicium.

CASIMIR À NOTRE ECHELLE ?
Et si la force de Casimir existait aussi à notre échelle ? Dans un livre écrit en 1836, un marin du nom de Caussée avait déjà observé un effet similaire : quand deux navires s'éloignent d'un port côte à côte, ils ont tendance à se rapprocher progressivement l'un de l'autre... C'est en 1996 qu'un physicien en trouva l'explication. Alors que les coques sont fouettées, sur leur flan externe, par toutes les vagues de l'océan, elles empêchent certaines vagues de se faufiler entre les deux bateaux. Chacun d'eux subit donc plus de vagues d'un côté que de l'autre, et c'est ainsi qu'ils sont poussés l'un vers l'autre. De la même manière, dans l'étrange force de Casimir, les deux miroirs subissent, sur leur face externe, la totalité des fluctuations électromagnétiques du vide, mais pas sur leur face interne. Les photons frappent "plus fort" d'un côté que de l'autre et font se rapprocher les miroirs...

PROBLÈME : IL FAUT UN LIQUIDE

"C'est ainsi que l'on effectue la plupart des mesures de la force de Casimir, explique Joël Chevrier, car quelle que soit son orientation, une sphère n'est jamais 'de travers' ! "Tout comme la Terre, qui nous semble plate à notre échelle, la boule (même si son diamètre est deux fois plus petit qu'un cheveu) paraît plate face à la plaque lorsque la distance qui les sépare est de quelques dizaines de nanomètres seulement. Une fois ces préparatifs terminés, Jeremy Munday et ses collègues n'avaient plus qu'une chose à faire : rapprocher progressivement les matériaux, en pointant un laser sur la sphère pour mesurer sa tendance à s'éloigner de la plaque. Verdict : la sphère fait bel et bien preuve d'une résistance au mouvement ! Une miniforce répulsive grandit au fur et à mesure que la sphère s'approche du miroir de silicium, pour finalement atteindre son apogée à 120 piconewtons. Soit le poids d'une vingtaine de bactéries Escherichia coli. "Cela peut sembler faible : par comparaison, c'est la pression qu'exerce une pomme posée sur la paume de notre main. Mais c'est, beaucoup en regard des échelles de distance de 20 nanomètres auxquelles elle s'exerce, relativise Jeremy Munday. Et elle reste dans les mêmes ordres de grandeur que la force de Casimir attractive."
Le rêve des micromécaniciens est donc désormais accessible : la force de Casimir peut être vaincue, et même détournée à leurs fins. Au lieu de rapprocher les surfaces, elle pourrait les écarter les unes des autres et amoindrir ainsi notablement les frottements. Ce qui en ferait en quelque sorte un lubrifiant pour nanomachines !
Mais certains chercheurs refusent de placer leur espoir dans cette direction. Car un obstacle majeur demeure pour appliquer cette solution à l'industrie : elle ne fonctionne que via un liquide. Or, injecter un liquide dans les Mems serait une manipulation compliquée. Sans compter qu'il engendrerait des frottements, et son mouvement modifierait le comportement mécanique du capteur. Les chercheurs privilégient donc d'autres pistes pour réduire les effets de Casimir. Par exemple, sculpter des motifs dans les plaques et créer des interférences entre elles. On peut ainsi diminuer la différence de pression de radiation entre l'intérieur et l'extérieur. "Deuxième piste possible, réduire l'épaisseur des miroirs, explique Philippe Andreucci. Plus ils sont fins, plus ils sont perméables. Ils laissent passer davantage d'ondes, et la différence entre pressions de radiation externe et interne s'en trouve également diminuée."
Tous les moyens sont donc bons pour lutter contre cette force qui, après avoir été si longtemps discrète, essaie de s'imposer dans le nanomonde et commence à faire beaucoup parler d'elle... Mais grâce à Jeremy Munday et son équipe, on sait qu'elle a beau se cacher dans les plus petits recoins des matériaux, elle n'est plus invincible.

EN COSMOLOGIE, LE VIDE POURRAIT CONTENIR LE TOUT - Les galaxies (ici, Abell 85) sont-elles nées de "l'énergie du vide" ?
Et si l'Univers était né du vide ? L'hypothèse n'est pas aberrante. Elle semble même très plausible aux théoriciens de la cosmologie. Toutes ces galaxies, toutes ces étoiles, tous ces atomes, bref, toute la matière qui nous entoure pourrait avoir pris naissance à partir... d'une fluctuation du vide ! Ces fameuses fluctuations sont en effet présentes en tout point de l'Univers : des particules y apparaissent spontanément, pour disparaître aussitôt. A ce bouillonnement imperceptible correspond une énergie, "l'énergie du vide", que l'on peut calculer. Et lors du big bang, il y a 13,7 milliards d'années, l'embryon d'Univers contenait probablement des poches où l'énergie du vide était considérable. À tel point que des bulles gigantesques de matière auraient pu naître de ces fluctuations, chacune donnant naissance à un univers. Autrement dit, il aurait pu y avoir plusieurs big bangs. Et nous habiterions un univers-bulle parmi d'autres, autant de mondes parallèles avec lesquels il nous serait absolument impossible de communiquer ! Mais ce n'est pas tout. Le vide pourrait également jouer le premier rôle dans un phénomène ahurissant, découvert en 1998 et toujours inexpliqué : l'accélération de l'expansion de l'Univers. Avant sa découverte, on pensait que depuis le big bang, sous l'effet de la gravité, l'Univers était en train de ralentir sa croissance, et pourrait même un jour se recroqueviller... En réalité, c'est l'inverse qui se produit ! Il existe une composante de l'Univers qui s'oppose à l'effet de la matière et du rayonnement, et l'emporte sur eux. Ce "quelque chose", les théoriciens le nomment "énergie sombre", ou "énergie noire", sans réellement comprendre sa nature. Les astrophysiciens suspectent aujourd'hui fortement les fluctuations du vide d'en être la cause. Ces remous ont un effet négligeable à l'échelle du système solaire, mais à celle de l'Univers, ils pourraient générer une pression négative qui le pousserait à se dilater. Seul - petit - problème, la quantité d'énergie du vide estimée dans tout l'Univers est 10'20 fois supérieure à l'énergie visiblement responsable de son expansion...

B.R. - SCIENCE & VIE > Juillet > 2009
 

   
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