L'Écologie Assistée par ADN prend date |
En analysant les fragments d'ADN présents dans le sol, il devient possible de dresser la liste des espèces qui peuplent les lieux. De quoi bouleverser le travail des écologues.
Une nouvelle technique pourrait réconcilier la génétique et l'écologie scientifique. Des disciplines qui trop souvent s'ignorent, les généticiens revendiquant une compréhension plus intime de la biologie dans leurs laboratoires - et drainant la majorité des crédits de recherche -, tandis que les écologistes estiment, eux, embrasser le vivant dans toute sa complexité sur le terrain. Or, l'écologie, qui étudie les rapports des organismes entre eux et avec leur environnement, tient via l'ADN une extraordinaire mine d'informations, qu'un nombre croissant de chercheurs exploite.
DES PERSPECTIVES VERTIGINEUSES
Ainsi, au terme de trois ans d'études en milieu arctique, puis tempéré et enfin tropical, l'équipe de Pierre Taberlet du Laboratoire d'écologie alpine (LECA) de Grenoble conclut que les fragments d'ADN épars sur un sol permettent de retrouver, en détail, la liste des espèces qui en peuplent les environs immédiats ! Mais l'ADN n'est-il pas une longue et fragile molécule ? Certes. Et pourtant, de minuscules fragments issus de la dégradation de l'ADN (de 30 à 100 bases à peine, sur les centaines de millions qui constituent un chromosome), subsistent en grand nombre. Après les avoir séparés des particules de sols sur lesquels ils sont "collés", les chercheurs multiplient les plus intéressants d'entre eux, ceux qui appartiennent à des zones qualifiées de "marqueurs", permettant l'identification des espèces. Ils ciblent ces fragments avec des "amorces", de courtes séquences d'ADN qui se fixent sélectivement sur les séquences à amplifier. Enfin, les fragments sont associés à des espèces ou à des genres, grâce aux nombreuses bases de données que produisent les chercheurs.
"Une centaine d'échantillons prélevés sur un hectare de sol (5 à 10 kg) donne une bonne idée des peuplements animaux et végétaux d'un écosystème", explique Pierre Taberlet, qui doit publier les résultats de ce travail cette année.
Les perspectives scientifiques sont vertigineuses : à partir de simples échantillons de sol, sans monter de coûteuses expéditions, il sera possible de voir quelles plantes s'associent entre elles, ou avec quels insectes, de regarder les conséquences des activités humaines ou des changements climatiques... La méthode peut parfois fonctionner pour reconstituer le passé. "Nous avons identifié jusqu'à 40 végétaux différents dans des échantillons de sol gelé âgés de 30.000 à 50.000 ans", indique Pierre Taberlet. De quoi révolutionner l'écologie scientifique.
Y.S. - SCIENCE & VIE > Janvier > 2011 |
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