Des Animaux dignes de Science-Fiction : Première Mondiale |









SCIENCE MAGAZINE N°36 > Janvier > 2013 |
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Attention, tu t'apprêtes à faire un voyage incroyable : une plongée dans des lieux d'une profondeur inouïe, qui couvrent les deux tiers de la planète Terre et sont en grande partie inconnus. Tout Comprendre te révèle ce qui s'y cache et ce qui reste encore à découvrir.





Dossier : Maïa Wasserman, avec l'aide de Marie-Anne Cambon Bonavita, spécialiste des grands fonds à l'Ifremer, Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer...
TOUT COMPRENDRE N°29 > Février > 2015 |
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Difficile de s'imaginer que les fonds océaniques situés à plus de 1000 mètres de profondeur représentent plus de la moitié de la surface planétaire. Pourtant, les abysses recèlent une part importante terrestre. Et cette année encore, les découvertes repoussent un peu plus les épithètes habituelles - froids, sombres, inanimés - que l'on attribue à ces lieux inaccessibles.
On savait les bactéries capables de beaucoup de choses "insensées". Comme participer à la formation de certaines roches, vivre sur des matériaux inertes et accumuler des minéraux comme le fer et l'uranium. À partir de cette année, il faudra probablement compter avec les bactéries capables d'utiliser l'énergie lumineuse géothermique, émise par les sources hydrothermales situées à plus de 2000 m de profondeur. C'est-à-dire là ou aucun rayon solaire ne peut pénétrer.
"Rappelons qu'il y a à peine trente ans, on n'imaginait pas au fond des océans et en absence de photosynthèse, une vie animale luxuriante, expose Daniel Prieur, spécialiste de la microbiologie des environnements extrêmes. La découverte des sources hydrothermales et leurs oasis de vie en 1977 au large des îles Galépagos dans l'océan Pacifique changeait radicalement la donne". Situées à plusieurs milliers de mètres de profondeur, au niveau de régions volcaniques sous-marines actives, les sources hydrothermales, qui naissent de la circulation d'eau dans des zones fracturées, présentent en effet une faune riche et radicalement différente du milieu abyssal environnant. Tout l'écosystème est piloté par des bactéries capables de tirer leur énergie à partir de réactions chimiques comme l'oxydation de composés soufrés. Les vers tubicoles et les autres invertébrés - moules, crevettes - associés à ces milieux ne doivent leur présence qu'à ces micro-organismes. Aujourd'hui, d'après les travaux menés par le professeur Thomas Beatty et ses collègues, il semble que d'autres microbes vivant aux abords des fumeurs noirs nécessitent autant de composés soufrés que de lumière pour vivre. "C'est la première fois que l'on découvre un organisme photosynthétique qui ne nécessite pas des rayons solaires, explique Thomas Beatty, mis à part les plantes poussant sous lumière artificielle, évidemment. Mais nous restons prudents, ajoute-t-il. Nous n'avons pas prouvé que cet organisme utilise la lumière émise par la source hydrothermale. Nous avons juste prouvé qu'il nécessitait de la luminosité pour croître après son prélèvement dans l'environnement du fumeur noir".
Si la plupart des recherches se sont concentrées sur les sources hydrothermales et les suintements froids, des formations géologiques associées aux zones de subduction où les fluides ressortent en étant riches en hydrogène sulfuré et en méthane, peu d'expéditions se sont éloignées des dorsales océaniques. En 2000 une équipe de chercheurs américains et suisses découvrait cependant, à 700 m de profondeur et à 15 km de la dorsale océanique située au milieu de l'océan Atlantique, une formation géologique bien particulière : la "cité perdue". Cette fois, nulle trace de fumeurs noirs mais un champ de cheminées blanches faites de carbonate de calcium. Il semble que l'eau, en pénétrant profondément dans les anfractuosités du sol, se réchauffe et dilue certains minéraux avant de revenir sortir dans le fond sous-marin. Devenue chaude - 90°C et alcaline - un pH de 11 -, sa rencontre avec l'eau de mer froide provoque la précipitation du carbonate de calcium et la formation de stalagmites sous-marines. Cette année, les chercheurs décrivent pour la première fois la faune associée à ce nouvel écosystème. Comme les sources hydrothermales, il est basé sur le métabolisme des bactéries.
UNE FAUNE INÉDITE ET ÉTONNANTE
Mais, cette fois, les archéobactéries vivant à l'intérieur de ces maisons poreuses utilisent le méthane et l'hydrogène. "L'indice d'oxydation anaérobie du méthane est très intéressant, estime Daniel Prieur, c'est une voie métabolique qui était soupçonnée depuis plusieurs années, mais qui vient d'être démontrée par une équipe allemande. En fait, un consortium d'archées méthanogènes et de bactéries sulfato-réductrices réalise cette transformation. Ces travaux complètent nos connaissances sur le cycle du carbone." Y avait-il d'autres organismes dans ce paysage blanc immaculé ? Oui. Mais pas aussi gigantesques que ceux vivants au niveau des sources hydrothermales. Atteignant difficilement le centimètre - rappelons que les vers tubicoles peuvent atteindre un mètre -, les nématodes, polychètes et bivalves transparents étaient strictement localisés sur les parois des cheminées blanches. Les chercheurs ont surtout noté que passé l'environnement immédiat de la cité perdue, la faune benthique habituelle faite de gorgones, d'ophiures et de coraux dominait largement. Ce qui montre la singularité et le niveau d'endémisme que peuvent représenter de telles formations géologiques sous-marines. La question qui subsiste est l'importance de ces écosystèmes dans les océans et la manière dont ces organismes ont pu évoluer au cours du temps. Les amateurs d'expéditions sous-marines ont encore du pain sur la planche...
L.G. - SCIENCE & VIE Hors Série > Décembre > 2005 |
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