Monde ANIMAL (Eucaryotes Invertébrés) : ARTHROPODES, Hexapoda,
Insecta : Près de 1,3 million d'espèces (près de 10.000 nouvelles espèces inventoriées par an).
Pterygota, Neoptera, Holometabola, Hymenoptera (entre 1 et 5 millions d'espèces, une centaine de familles)

Qui Remplacera les Abeilles ?
Apocrita, Aculeata, Apoidea, Anthophila (7 familles, env 20.000 espèces)

Pourrions-nous Survivre à l'Extinction des Abeilles ?

On peut les maudire après une piqûre mais les abeilles sont vitales pour la survie de nombreuses espèces.

Un tiers des cultures reposent sur la pollinisation par les abeilles, et si elles disparaissaient, nous perdrions au moins 130 de nos fruits et légumes préférés, dont les pommes, le brocoli et le céleri. Cela nous laisserait quelques plantes ignorées par les abeilles - blé, orge, maïs. Les abeilles sont en train de disparaître à un rythme alarmant et les scientifiques luttent pour en trouver la cause. Dans certaines régions, les fermiers ont déjà dû remplacer la pollinisation des abeilles par la pollinisation manuelle, une tâche laborieuse et coûteuse. Si nous perdions les abeilles, nous survivrîons, mais pas dans ce monde actuel si diversifié et délicieux.

C.W. - LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE > Avril-Mai > 2015

Qui Remplacera les Abeilles Domestiques face à l'hécatombe des Ruches ?

Pour parer à la menace que fait aujourd'hui peser sur l’agriculture la disparition des abeilles, des chercheurs tentent de domestiquer de nouveaux pollinisateurs... Enquête.

CONTEXTE : Toutes les abeilles ont disparu des vergers du Sichuan, en Chine ; le nombre de ruches a diminué de 60 % aux Etats-Unis depuis 1950, et les apiculteurs français peuvent en perdre jusqu'à un tiers chaque hiver. En France, les études montrent qu'Apis mellifera est à la fois victime des pesticides, des maladies qui se propagent dans la promiscuité des ruches et de son homogénéité génétique.

Pénurie d’abeilles domestiques en vue ! Le nombre de leurs colonies, ces maillons indispensables qui contribuent à la production de 75 % des plantes cultivées dans le monde, n’augmente plus assez pour faire face à des besoins croissants. Entre 1961 et 2007, la surface des cultures entomophiles (pollinisées par les insectes) a en effet bondi de 300 % dans le monde, alors que les colonies n’ont augmenté que de 45 %. Plus grave, dans certaines régions du globe, l’abeille domestique (Apis mellifera) périclite, victime à la fois des pesticides et des maladies. En France, les apiculteurs professionnels perdent de 20 à 30 % de leurs colonies chaque hiver depuis 2007. Dès lors, comment remplacer le travail de ces abeilles domestiques disparues ? Et qui pollinisera demain les champs et les vergers toujours plus nombreux ? Face au constat glaçant des ruches décimées, certains chercheurs et agriculteurs focalisent aujourd’hui leur attention sur des pollinisateurs alternatifs.
En effet, il existe dans la nature une multitude d’autres insectes qui volent d'une fleur à l’autre pour récolter du nectar, déposant involontairement des grains de pollen sur les pistils (organes femelles des fleurs). Ce qui favorise la transformation des fleurs en fruits et en graines. Des papillons, quelques coléoptères, certaines guèpes ou mouches... mais surtout des milliers d’espèces d’abeilles sauvages (il en existe 2000 en Europe), comme les osmies. Ces espèces sauvages sont en fait les véritables championnes de la pollinisation. En effet, selon une grande étude internationale menée sur 41 systèmes de cultures dans le monde, coordonnée par Lucas Garibaldi (université Rio Negro, Argentine) et publiée en 2013, à nombre de fleurs visitées égal, ces insectes sont 2 fois plus efficaces que l’abeille domestique pour induire la formation de fruits. Pourquoi ? Parce qu’elles sont souveut plus petites, avec des poils plus nombreux, et que certaines descendent plus profondément au cœur des fleurs.
Comparée à celle des abeilles sauvage, la piètre performance d’Apis n’est pas illogique : comme son nom l’indique, l’abeille mellifère a été sélectionnée et domestiquée depuis plus de 4000 ans pour sa capacité à produire du miel, et non à polliniser. Les agriculteurs ont seulement ensuite réalisé que sa proximité augmentait les rendements de certaines cultures. Ils ont alors, avec l’intensification de l’agriculture (au début du XXe siècle aux États-Unis et dans les années 1950-1960 en France), commencé à installer des ruches dans les vergers et les champs. Au point de reléguer au second plan, et parfois même d’oublier les autres pollinisateurs... avant de mesurer tout récemment que d’autres insectes sont en réalité beaucoup plus efficaces.
Même s’il ne s’agit pas de remplacer totalement Apis mellifera, qui reste actuellement la plus répandue autour de certaines grandes cultures, mais plutôt de compléter son travail, l’utilisation de nouveaux pollinisateurs n’est plus une utopie. D’autant que, si ces insectes sauvages sont aussi sensibles aux pesticides (dont les néonicotinoïdes, qui les désorientent à faible dose et les tuent, à forte dose), ils sont, en revanche, beaucoup moins touchés par les maladies qui affectent les abeilles domestiques.

DES RUCHES BIENTÔT CÔTÉES EN BOURSE
Lorsque les abeilles manquent à l'appel, la solution la plus rapide consiste à faire venir en masse des colonies au moment de la floraison.
Si la technique des ruches itinérantes est très ancienne, elle se pratique désormais à l’échelle industrielle et son but n’est plus tant la fabrication du miel que la pollinisation des cultures. C’est ainsi le cas en Californie, depuis les années 1960. Chaque année, près de 1,6 million de ruches sont acheminées en camions pour y féconder les amandiers : chaque ruche est louée 150 dollars (environ 110 €). L’enjeu financier est devenu tel, qu’une sorte de marché boursier dédié à cette transhumance s’est même organise. En France aussi les apiculteurs s’organisent. Ils sont de plus en plus nombreux à déplacer leurs ruches pour aider à la pollinisation (pour un prix moyen de 30 à 50 € par ruche). En 2013, un site de mise en relations directes avec les agriculteurs a même été créé : www.beewapi.com.

UN PREMIER TEST CONCLUANT

Leur force pour résister aux infections ? Ne pas souffrir comme les abeilles de la promiscuité des ruches et posséder une plus grande diversité génétique. Aujourd’hui, l’une des stratégies consiste donc à repérer les insectes les plus performants et les plus résistants... et à les installer aux abords des cultures qui leur sont les mieux adaptées. Une forme de domestication partielle. C’est la cas dans la vallée centrale de Californie, où 320.000 hectares d’amandiers fournissent 80 % de la production mondiale de ce fruit à coque. Chaque année, en février, alors que les arbres se convrent de fleurs, 1,6 million de ruches affluent de tout le pays. Sans elles, le rendement serait divisé par 70. Aujourd’hui, le cheptel américain n'y suffi pourtant plus et la pénurie de ruches commence à se faire cruellement sentir : en 2013, il a même fallu importer des colonies d’Australie.
L’entomologiste Theresa Pitts-Singer (université d’Etat de l’Utah) tente donc de développer l’usage d’une abeille sauvage, Osmia lignaria, pour suppléer les colonies d’abeilles mellifères. Des nichoirs artificiels, comme des tubes en PVC contenant des pailles en carton, disposés dans l’exploitation, permettent ainsi d’augmenter localement la population de cette abeille solitaire. Mais quand celle-ci a complètement disparu de l’agrosystème, comme c’est la cas en Californie, il faut au préalable l’élever en laboratoire. L’opération est assez simple, car Osmia lignaria n’est pas agressive ni sujette aux maladies qui déciment les colonies. La difficulté vient ensuite : au moment de la relâcher en masse pendant la floraison. Le tempo doit alors être extrêmement précis, car si les abeilles sortent trop tôt, elles n’ont rien à manger et meurent ; si elles sont relâchées trop tard, une partie de la production est perdue. D'où l’importance de bien connaître leur cycle de développement, qui sera ralenti ou accéléré en ajustant la température. Autre défi : faire en sorte que le maximum d’insectes s’établissent et se reproduisent dans le verger. Ainsi, les pontes déposées dans les nichoirs seront facilement récupérées et stockées jusqu’à l’année suivante. Or, pour le moment, la moitié des femelles vont nicher en dehors du verger. “Nous allons tester un spray attracfif pour les appâter vers les nichoirs”, annonce Theresa Pitts-Singer. Pour l'heure, l’introduction d’osmies a été tentée à petite échelle. “Dans les zones où nous les avons relâchées, le nombre d’amandes produites augmente par rapport aux zones où il n'y a que des domestiques”, explique Derek Artz, qui collabore au projet américain. “En disposant des nichoirs à intervalles réguliers dans la verger ; en plus des ruches placées à la périphérie, nous pensons que la rendement sera plus uniforme sur l’ensemble du verger”, ajoute Theresa Pitts-Singer.
Il manque en France plus de la moitié des abeilles nécessaires au maintien des rendements agricoles. Mais la grande efficacité des abeilles sauvages a aussi ses limites : leur spécialisation sur un ou quelques types de plantes, à la différence des abeilles domestiques, oblige à réaliser un travail de sélection et de semi-domestication pour chaque type de cultures. Pour chaque candidate, il faut étudier les cycles de développement, les maladies, concevoir des nichoirs adaptés, tester la densité d’insectes nécessaire à une pollinisation optimale... Cette stratégie est donc encore très peu utilisée. Et les programmes de recherche encore rares : ce travail n’a été réellement effectué que pour une poignée d’espèces, dont une mouche - Lucilia sericata - commercialisée pour la production de semences de légumes, ou le bourdon terrestre, Bombus terrestris. Mais gare aux solutions miracles que l’on voudrait exporter. Ainsi Bombus terrestris, originaire d’Europe, après avoir été introduit en Patagonie pour y polliniser les avocatiers, est-il devenu là-bas un invasif qui élimine les espèces de bourdons locales. “II est aujourd’hui si abondant qu'il abîme les fleurs, ce qui a diminué les rendements”, ajoute le chercheur argentin Marcelo Aizen (université nationale de Comahue).

QUAND LES HOMMES REMPLACENT LES ABEILLES

Plus aucune abeille à l’horizon. Privées de leur habitat naturel par la déforestation et décimées par l’usage intensif de pesticides, les abeilles sauvages ont totalement disparu de la province chinoise du Sichuan.

Et les apiculteurs, victimes de la situation, refusent de louer leurs ruches. Ce sont donc les hommes qui, ici, depuis plus de 20 ans, les remplacent dans les vergers de pommiers et de poiriers : munis d’un pinceau, une fiole de pollen autour du cou, ils grimpent dans les arbres pour les polliniser par fleur.
Mais le coût de la main-d’œuvre ayant augmenté entre 2001 et 2011, certains paysans ont décidé de planter des pruniers et des noyers, dont les fleurs peuvent s’autoféconder.

UNE INDISPENSABLE DIVERSITÉ

C’est donc certain, pour regonfler les rangs des pollinisateurs, la stratégie de la semidomestication ne suffira pas. Les scientifiques le savent parfaitement : “Les agriculteurs ont tout intérêt à favoriser localement la variété la bonne santé des pollinisateurs sauvages”, indique Tom Breeze (université de Reading, Royaume-Uni). Leur ennemi principal, c’est la perte de leur habitat. Au point que ces pollinisateurs sont très peu présents dans les grandes monocultures. De plus, les populations d’abeilles sauvages subissent naturellement d’importantes fluctuations. La solution pour limiter les mauvaises années : leur garantir le gite et le couvert en optimisant leur environnement. Ainsi, pour croitre et multiplier à proximité des champs, ces abeilles majoritairement solitaires doivent y trouver des tiges creuses où des sols nus pour creuser des terriers. Et elles doivent aussi trouver des fleurs à butiner en dehors de la courte période de floraison des monocultures. Enfin, il faut aussi veiller à leur éviter l’influence néfaste des pesticides. “Plus le paysage est diversifié, plus les espèces ont des chances de trouver ces 3 conditions dans leur rayon d’action. Rayon qui varie de 150 mètres pour les abeilles les plus petites, à quelques km pour les bourdons”, explique Serge Gadoum, spécialiste des abeilles sauvages à l'Office pour les insectes et leur environnement, à Guyancourt.
Varier les cultures dans l’espace et dans le temps, planter des bandes autour des champs en privilégiant les plantes autochtones, préserver en milieu agricole quelques lopins de milieux semi-naturels (haies, bosquets, talus), utiliser moins de pesticides... Il s’agit donc d’une strategie indispensable pour sauver le rendement des plantes entomophiles. Autrement dit, il faut accepter de revenir en partie sur l’intensification de l’agriculture qui a permis d’augmenter la production agricole ces 60 dernières années. Irréaliste ? Très pragmatique au contraire. Dans une étude, Nicolas Deguines (Muséum national d’histoire naturelle, à Paris) montre que l'intensification de l’agriculture n’a pas eu l'effet escompté sur les rendements des plantes les plus dépendantes des pollinisateurs, telles que les courgettes, les courges, les kiwis, les melons, les pommes ou les poires. Au contraire ! Elle les a rendus moins stables dans le temps. De manière contre-intuitive, revenir sur l’intensification pourrait donc garantir la stabilité des rendements, tout au moins pour ces cultures. “De nombreux exemples font état d’une augmentation des rendements lorsqu’une diversité de pollinisateurs est préservée”, ranchérit Marcelo Aizen. En effet, les insectes diffèrent par leurs préférences thermiques, leur comportement... Ainsi, les abeilles domestiques ne butinent que le haut des fleurs des fraisiers alors que les abeilles sauvages (des familles Andrenidae, Helictidae et Megachilidea), plus petites, se déplacent jusqu’au fond de la fleur. Résultat : l’absence d’un des 2 groupes entraîne une fécondation incomplète et des fruits mal formés.
Dans certaines cultures, la synergie va d’un simple effet additif : la présence d’abeilles sauvages rend plus efficaces les abeilles domestiques. C'est le cas de la production des semences hybrides, pour laquelle on plante en alternance des rangées de plants mâles et femelles. “Par leur trajectoire erratique, les abeilles sauvages forcent les domestiques à changer de rangée plus fréquemment, ce qui favorise le transfert de pollen des plants mâles aux plants femelles”, explique Nicolas Cerrutti, chargé d’études au Centre technique interprofessionnel des oléagineux et du chanvre. Face à la grande pénurie qui menace certaines regions du globe, dont plusieurs pays européens, rien n’est donc encore perdu et des actions efficaces sont encore possibles... À condition de sauvegarder la biodiversité. “En définitive, c’est l’économie et les politiques agricoles actuelles qui façonneront notre capital de pollinisation à venir”, conclut William Kemp (service de recherche agricole, Etats-Unis).
Dans la décennie qui vient, nos choix détermineront si nous devrons remplacer ce service de la nature par des robots-abeilles, avec tous les défis que cela comporte. Ou recourir massivement à la main-d’œuvre, comme dans certains vergers chinois. Une chose est sûre : si on vent continuer à manger des pommes de terre, des tomates, de la moutarde ou des cerises, il y a urgence à trouver des solutions.

VERS DES COLONNIES D'ABEILLES-ROBOTS ?
C’est le projet fou d'une équipe pluridisciplinaire de l’université Harvard (Etats-Unis) : envoyer des robots assister les insectes dans leur tâche de pollinisation.
Ils viennent ainsi de faire voler de manière contrôlée un robot-insecte de 80 mg, surnommé RoboBee. Mais ce n'est pas tout. Les chercheurs envisagent la constitution d'une “colonie” d’abeilles-robots capable de polliniser tout un champ. Elle serait dotée d’abeilles éclaireuses qui repèreraient, comme les vraies, les signaux ultraviolets des pétales de fleurs. L'ordinateur central de la ruche (qui abriterait une station de charge) collecterait leurs informations de construire une carte complète de leur milieu et optimiser la pollinisation. Mais avant d’en arriver là, il faudra rendre RoboBee autonome grâce à une batterie et un cerveau informatique, et lui apprendre à polliniser, ce qui ne sera pas une mince affaire compte tenu de la diversité des morphologies florales.

V.E. - SCIENCE & VIE N°1161 > Juin > 2014
 

   
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