Index ANIMAL -> ARTHROPODES -> ENTOMOLOGIE -> MOUSTIQUES |
De prodigieuses mécaniques biologiques : tels sont les moustiques qui n'en finissent plus de profiter des activités humaines pour évoluer et coloniser de nouveaux espaces.
UNE DANGEREUSE ALLIANCE Selon Paul Reiter, directeur de l'unité insectes et maladies infectieuses de l'Institut Pasteur, "le virus du Nil occidental (dit West Nile), par exemple, est très colonisateur et fort peu discriminant : pratiquement tous les moustiques qui ont été testés aux États-Unis sont susceptibles de porter ce virus, et toutes sortes de vertébrés sont contaminés. On a même eu des mortalités incroyables d'alligators dans des élevages du sud des États-Unis" ! Autre effet de la ficheuse propension des virus à muter : "Beaucoup de virus connus se sont mis ces dernières années à provoquer des maladies plus sévères, indique Hugues Tolou. C'est le cas de la dengue, du West Nile, et peut-être du virus du Chikungunya, même si sa responsabilité exacte reste à établir dans les cas les plus graves constatés sur l'île de la Réunion. Beaucoup d'hypothèses sont évoquées pour expliquer ce phénomène. De toute façon, lorsqu'un virus se répand largement et rencontre un grand nombre d'individus, il a davantage la possibilité d'infecter des sujets fragiles qui vont développer des formes plus graves. Par ailleurs, il accroît ses possibilités de mutation, avec le risque d'apparition de variants plus pathogènes." Vecteur : agent intermédiaire dans le cycle d'une maladie mettant en relation l'agent pathogène (bactérie, virus, protozoaire ou ver) et sa cible, souvent vertébrée. Les vecteurs sont souvent des insectes (diptères, puces, etc.), mais peuvent être aussi des mollusques aquatiques. Appelé pour une infestation de moustiques dans le comté de New York, et à la suite d'une enquête digne de Sherlock Holmes, Reiter découvrit que ce commerce peu connu quadrille notre planète : les pneus de voitures, de camions, d'engins agricoles ou autres, d'avions, de métro... passent d'un continent à un autre pour être vendus, transformés, rechapés, vendus à nouveau... Empilés à ciel ouvert dans d'immenses dépôts, ces pneus accumulent de l'eau à la moindre pluie, eau qui stagne et constitue alors de parfaites nurseries cosmopolites pour les moustiques venus de tous horizons. Résultat ? Il n'y a pas un entomologiste qui n'ait en réserve quelques histoires de moustiques découverts à un endroit de la planète où ils n'avaient rien à faire. À lui seul, Paul Reiter a ainsi compté pas moins de cinq espèces de moustiques japonais, en plus d'Albopictus, dans un seul dépôt de pneus à Seattle. D'ailleurs, ajoute-t-il, un nouvel Aedes, Ae. atropalpus, est en train de coloniser l'Est des USA. MÊME LE MÉTRO EST COLONISÉ... Même s'il progresse moins vite qu'Aedes albopictus, un certain Ochlerotatus japonicus, vecteur potentiel du West Nile, semble par ailleurs entamer une expansion mondiale. Et sans doute existe-t-il de nombreuses offensives non encore décelées, faute d'études. De fait, les entomologistes spécialisés sont rares... tandis que les espèces de moustiques foisonnent. On en connaît 3000 environ ! Au cours d'un seul voyage d'étude à Madagascar, deux chercheurs ont, en 2005, décrit 48 nouvelles espèces appartenant à un seul genre (Uranotaenia)... LA CLÉ DANS LEUR GÉNOME ? Mais comment font les moustiques pour être si féconds en adaptations diverses ? Difficile de répondre à cette question. Une partie de la solution est certainement cachée dans leur génome, dont les scientifiques commencent tout juste à comprendre l'organisation depuis que le code génétique d'Anopheles gambiae a été séquencé en 2002. Evidemment, il y a encore beaucoup de travail avant qu'il soit possible de trouver les clés des comportements des insectes, et de leur souplesse. Mais, déjà, des pistes nouvelles s'ouvrent. Les chercheurs ont par exemple identifié une famille de 276 protéines, les GPCR, dont les gènes sont exprimés principalement dans les antennes et les palpes. Ces protéines ont un rôle dans la reconnaissance des goûts et des odeurs ; et ce sont sans doute des mutations dans ces gènes particuliers qui ont augmenté l'affinité des moustiques pour l'homme, au point que certaines espèces (gambiae, aegypti...) ne piquent pratiquement plus aucun autre vertébré. Avec pour conséquence d'en faire les pires propagateurs de maladies pour l'homme...
Inquiétude légitime, puisque les moustiques sont les principaux vecteurs du paludisme, de la fièvre jaune, de la dengue ou du chikungunya. Mais rassurez-vous, ils ne transmettent pas le VIH, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il y a statistiquement peu de risque pour que le virus du sida soit prélevé par le moustique, la charge virale dans le sang d'un séropositif étant relativement faible ; ce qui n'est pas le cas avec le paludisme, par exemple, dont les protozoaires responsables de la maladie se trouvent en très grande quantité dans le sang. Si, toutefois, le VIH se retrouvait dans le "repas" du moustique, plusieurs expériences ont montré qu'il est digéré et détruit en moins de vingt-quatre heures par les enzymes stomacales des moustiques. Et au cours de ce laps de temps ? "Les moustiques ne sont pas des seringues volantes", explique Paul Reiter, responsable de l'équipe Insectes et maladies infectieuses à l'Institut Pasteur. Leur trompe est constituée de deux canaux à sens unique. Lorsqu'un moustique pique une personne, il inocule de la salive anticoagulante par son canal salivaire et aspire du sang par son canal alimentaire. À aucun moment, il ne régurgite du sang de la piqûre précédente. Aussi, la piqûre d'un moustique ne peut transmettre un virus que si ce dernier se réplique dans les cellules du moustique et gagne ses glandes salivaires. Or, contrairement au virus de la dengue ou du chikungunya, le VIH est incapable d'infecter un moustique. Et c'est tant mieux...
C'est donc là que les Aedes aegypti choisissent de déposer leurs oufs. Loganathan Ponnusamy, de l'université de Caroline du Nord, et ses collaborateurs ont en effet découvert que les acides carboxyliques et les méthylesters étaient de puissants déterminants de 'Toviposition", l'environnement dans lequel la femelle choisit de pondre. De quoi mieux contrôler la population de ces moustiques.
|