Planète Mutante : l'Australie

À l'échelle géologique les continents se déplacent, et les climats changent. Pour survivre, les animaux sont contraints de s'adapter. L'évolution est un processus qui façonne l'ensemble des êtres vivants. La terre est en perpétuelle mutation.

Une chaleur étouffante, du poison, un sol toxique, une terre où les animaux ont du s'adapté pour survivre. Ou des monstres terrifiants sont apparus, des dragons, des dinosaures et même des diables, ou de curieux mammifères à poche ventrale ont colonisé tous les habitats. D'où viennent-ils ? Et comment survivent-ils dans ce pays de mutants ?

L'Australie est un véritable laboratoire où les animaux ont vécu dans l'isolement pendant des millions d'années. Chacunes de leur mutation a été filtrée par l'environnement. Celle d'entre elles compatibles avec la vie dans ces environnements se sont transmises de génération en génération et le continent s'est ainsi progressivement peuplé de créatures étranges qui n'existent nulle part ailleurs.
Le désert couvre plus de la moitié du territoire et en plein été, la température peut dépasser 46°C. Ici, les reptiles sont rois. Le Diable Cornu (Moloch, Moloch horridus) est parfaitement adapté à ce climat aride, tout comme le Varan Perenti (Varanus giganteus), un chasseur et un charognard.

Mais quel mammifère pourrait survivre dans cette fournaise ? Le Kangourou roux, par la couleur de leur pelage, les mâles se fondent dans le paysage. Ils mesurent jusqu'à 1,80 m pour un poids allant jusqu'à 90 kg. Les femelles ne pèsent qu'une trentaine de kilos et leurs robes peut prendre toutes les nuances de gris.

L'héroïne de cette histoire est une femelle adulte, mère d'un petit de 10 mois
. Le mâle ne joue aucun rôle dans l'éducation des jeunes, c'est la femelle qui assure la survie de chaque génération et elle se consacre entièrement à sa progéniture. Les kangourous appartiennent au groupe des marsupiaux, dans les petits grandissent dans une poche abdominale. La mère n'a pas bu une goutte d'eau depuis cinq jours. Pourtant, elle a encore du lait pour son petit.

Les 156 espèces australiennes de marsupiaux possèdent une panoplie d'armes secrètes grâce auxquelles ils peuvent exploiter la grande diversité des habitats. C'est dans les montagnes boisées de Tasmanie qu'on trouve le plus grand marsupial carnivore : le Diable de Tasmanie.

Cette femelle a deux petits âgés d'environ huit semaines. Elle les abrite dans sa poche qui peut en contenir six pendant trois mois. C'est un bon moyen de transporter une progéniture vulnérable. Son odorat la conduit jusqu'à un cadavre de wallabies en décomposition. Elle se bat pour sa place au banquet. Ses mâchoires sont parmi les plus puissantes de la planète. Il faut moins d'une heure à ses cinq diables pour tout nettoyer.

Le Koala (à g.), lui, a élu domicile dans la forêt d'eucalyptus et il passe sa vie à manger des feuilles. Ces feuilles contiennent des substances toxiques mais son système digestif les assimile. Cela lui demande cependant beaucoup d'énergie, autant que pour élever ses petits.
Un petit cerveau de la taille d'une tomate lui permet d'économiser de l'énergie, investi sur l'essentiel, grimper aux arbres, élever ses petits et manger plus de feuilles.

Son cousin le Wonbat (centre), creuse de profond terrier. Son arrière train présent une sorte de bouclier qui lui permet de se protéger des prédateurs. Il existe même un marsupial capable de voler. Grâce à sa membrane semblable à celle de la chauve-souris, le Phalanger volant (à d.) peut planer d'arbres en arbres.

Mais ce sont les habitants du désert qui affrontent les pires conditions. La sécheresse a tari les points d'eau.

Les kangourous mettent en ouvre leur première stratégie de survie. La mère a presque cessé d'uriner. Grâce à ses reins qui recyclent l'urée, elle se maintient en vie et continue à allaiter. Le kangourou s'est remarquablement adapté, une évolution dont l'origine remonte loin dans l'histoire géologique du continent. L'aventure commence dans un milieu très improbable, bien avant la naissance de l'Australie.

Il y a 125 millions d'années, la Chine et l'Amérique du Nord faisaient partis d'une immense plaque continentale : la Laurasie. Ce squelette fossile de Sinodelphys szalayi, littéralement l'Opossum chinois, date de cette époque.

L'animal devait mesurer environ 15 cm et peser une trentaine de grammes. Ce premier marsupial était un grimpeur. Il passait sa journée à trottiner sur les branches basses et à se nourrir d'insectes.

Vient ensuite un fossile découvert dans l'Utah aux États-Unis, il est âgé de 110 millions d'années. Les marsupiaux ce seraient donc propagé vers le sud à partir de l'Amérique du Nord par une petite ceinture d'îles volcaniques. Durant cette odyssée interminable, les mutations de Synodelphis ont donné naissance à différentes espèces qui ont peuplé ce qui restait de l'ancien super continent, le Gondwana.
Il y a 130 millions d'années, le Gondwana a commencé à se fracturer. À la fin du processus, l'Australie s'est détachée de l'Antarctique. La plupart des nouvelles espèces de marsupiaux se sont trouvées prises au piège sur ce nouveau continent. L'ère des marsupiaux venait de débuter...

Le kangourou d'aujourd'hui est à des milliers de mutations génétiques de son ancêtre chinois. Pour autant, il n'est pas complètement préparé aux rigueurs du désert. Comment la mère et son petit vont-ils tenir, sans une goutte d'eau ?
Tous les animaux abandonnent la mare asséchée. La femelle kangourou sait qu'il est temps de partir. Les herbes dont elle se nourrit se raréfient. Et elle a beau supporter une déshydratation extrême, elle doit trouver de l'eau au plus vite. La vie de son petit est en jeu. Un jeune, affaibli par la fin, constitue une proie facile pour le Varant Perenti. Sans parler du serpent le plus venimeux de la planète, le Taïpan du désert (Oxyuranus microlepidotus) qui peut tuer un animal 10 fois plus gros que le kangourou. Mais rien n'est plus dangereux que le désert lui-même. La sécheresse sévit dans le centre de l'Australie depuis 10 ans, or, même les kangourous ont besoin de boire au moins tous les 10 jours, sinon le petit mourra bientôt, puis ce sera au tour de sa mère... Ils attendent la fraîcheur du crépuscule pour se déplacer. C'est alors qu'ils mettent à profit leur adaptation la plus pour spectaculaire : le bond.

Adam Munn est un spécialiste des kangourous. Sa passion l'a amené à examiner en détail leurs armes de survie. "On est venu sur le terrain pour comprendre comment ils résistent à cette sécheresse. L'un des atouts majeurs du kangourou, c'est l'efficacité de son mode de locomotion". Un kangourou adulte se déplace en moyenne à 25 km/h, mais Adam en a chronométré à près de 50 km/h. "Quand ils bondissent, leurs pattes sont très rapprochées. C'est comme si ils touchaient le sol sur un seul appui. Ils voyagent plus loin et plus vite que les mammifères placentaire quadrupède". Les analyses scientifiques confirment que le bon du kangourou est beaucoup plus efficace que le petit galop du cheval ou la course du lévrier. C'est une question d'accumulation d'énergie.
Les orteils initient le mouvement. Les muscles des cuisses se contractent. Puis, les tendons d'Achille s'étirent au maximum. C'est comme sauté sur une paire de ressort, les tendons emmagasinent l'énergie à chaque bond et la libère au suivant. La queue participe également processus et sert en plus de balancier. Cette forme de locomotion n'appartient qu'à la famille des marsupiaux macropodes, ce qui veut dire grands pieds. Ils descendent tous de Synodelphis, l'ancêtre commun découvert en Chine. Mais lui se contentait de marcher. Alors quand et où ont-ils commencé à bondir ?

Le Nord du Queensland, sur la côte est de l'Australie, un indice se cache au fond de cette forêt tropicale. Ce Rat kangourou musqué a un ADN qui porte les traces d'un ancêtre vieux de 45 millions d'années, et il peut nous aider à comprendre pourquoi les kangourous se sont mis à bondir.
Ces ancêtres étaient les premiers macropodes, ces grands pieds le prouvent. Mais il ne bondit pas, il saute sur ses quatre pattes. Adam Munn est pourtant convaincu que l'on peut expliquer l'origine du bond grâce à ce petit marsupial. "Quand ils se nourrissent, on les voit souvent s'asseoir sur leurs pattes arrière pour examiner les alentours à la recherche d'autres choses à manger. Ils ont évolué en animaux plus grands et leur anatomie et leurs modes de déplacement montrent que le bond tel qu'on l'observe chez le kangourou est probablement née chez eux". Les petits marsupiaux de la forêt ont sans doute été les premiers à pratiquer le bond. Puis l'Australie est entrée dans une nouvelle phase qui les a fait avancer à pas de géant.

Il y a 45 millions d'années, tout le continent était recouvert de forêts. De larges fleuves s'écoulaient à travers une végétation luxuriante. L'environnement idéal pour le Crocodile dinosaure (<-). Il chassait les petits macropodes sur les rives de son territoire. Évidemment, pour lui, ce n'était que de simples amuse-gueules. Mais, toute cette verdure allait disparaître...
Après s'être séparé du Gondwana, le nouveau continent dérive vers le nord. Pendant ce temps, plus au sud, les courants océaniques froids entourent l'Antarctique nouvellement formé. L'humidité reste piégée dans la glace. L'Australie poursuit sa route vers l'équateur, elle commence à s'assécher. Le changement climatique a transformer les forêts tropicales en prairies. Les marsupiaux ont du s'adapter ou disparaître. Le Rat kangourou musqué s'est accroché à un habitat de plus en plus restreint. Mais ces cousins se sont diversifiés et ont acquis de nouvelles aptitudes. C'est probablement la modification du climat qui a déclenché la transition. Les quadrupèdes sauteurs sont devenus des bipèdes bondissants.

Il y a 7 millions d'années, de petit kangourou nommé Wallaby (à g.), ont évolué de façon différente selon leur environnement. Certaines espèces ont colonisé les promontoires rocheux et ont vu leurs pieds s'adapter pour s'agripper à la pierre.
Dans un premier temps, l'étrange Kangourou arboricole (à d.) a sans doute tenté de bondir dans les nouvelles prairies mais il est vite retourné dans la forêts pluviale. Pour lui donner accès à la végétation haute, ces pieds se sont garnis de coussinets antidérapants et de longues griffes. Et il a appris à bouger ses pattes arrière indépendamment l'une de l'autre.

Il y a 5 millions d'années, les Kangourous gris sont apparus. Ils broutaient en troupeau dans les prairies. Ils ont établi un système hiérarchique basé sur la domination du plus fort. Dans cet environnement de plus en plus chaud et sec, on voit apparaître le plus récent des macropodes.
Il y a 1 million d'années à peine, le Kangourou roux s'installe dans le désert. C'est aujourd'hui le plus grand marsupial de la planète. Grâce à de nombreuses mutations génétiques, il est capable de survivre dans ces étendues arides. Mais même un mutant comme lui peut succomber à 10 ans de sécheresse et aux prédateurs en maraude.

Le soleil se lève sur le désert, la mère kangourou et son petit n'ont pas dû depuis huit jours. La chaleur augmente ce qui les oblige à se reposer. Bien qu'elle se déshydrate moins que d'autres animaux, la mère devra trouver à boire avant deux jours, faute de quoi elle n'aura plus de lait pour son petit. En deux mois, celui-ci a tellement grandi qu'il ne tient plus dans la poche de sa mère. D'ailleurs, elle ne le laisse même pas essayer car la place est déjà occupée. La femelle a eu un autre petit, il a tout juste 12 semaines et n'a pas encore de poils. La gestation de ces kangourou est remarquable. Il y a environ huit semaines, la mère a soudain interdit à son petit de se réfugier dans sa poche alors qu'il y résidait jusque-là à plein temps. Ensuite, elle s'est mise à en nettoyer soigneusement l'intérieur. Puis, elle s'est assise sur sa queue signe qu'un événement allait se produire... La naissance d'un nouveau petit.

Tous les marsupiaux viennent au monde ainsi : à la sortie du canal utérin, l'embryon immature et aveugle, rampe instinctivement et sans aide vers la sécurité de la poche maternelle. (Bébé kangourou reste environ un mois dans l'utérus maternel, puis, tout nu et tout rose, pesant moins d'un gramme, il se hisse jusqu'à la poche où il finit de se développer.)
C'est un petit mâle, il va se fixer à une mamelle et y rester accroché durant plusieurs mois. La mère sécrète déjà une hormone qui invite un autre male à s'accoupler avec elle. La femelle kangourou vit jusqu'à une quinzaine d'années. Elle peut à la fois porter un petit dans sa poche et en allaiter un autre. Elle peut nourrir simultanément les deux affamés. Au fond de sa poche, on distingue quatre mamelles : deux assez longues qui sont fonctionnelles et deux autres plus petites qui sont la en réserve. Aucun mammifère ne possède un système de lactation plus performant puisqu'il fournit à chaque petit un lait différent. Le plus jeune a besoin de beaucoup de glucides et de peu de matières grasses, le plus grand lui, tête un lait pauvre en nitrates de carbone mais très nourrissant en complément des herbes qu'il commence à manger. Ce cycle de reproduction rapprochée assure les meilleures chances de survie des kangourous du désert.

L'Australie n'en reste pas moins une mosaïque d'habitats inhospitaliers pour tous les animaux. Elle a été peu touchée par les séismes et les éruptions volcaniques depuis qu'elle s'est séparée du Gondwana et elle est devenue le plus plat de tous les continents.

Une formation rocheuse nommée Uluru
trône pourtant au centre du pays (aussi connu sous le nom d'Ayers Rock, est un inselberg en grès). Elle est constituée des sédiments d'une ancienne chaîne montagneuse érodée par le temps. Ici, il y a peu d'activité géologique est donc peu de production de nouveaux sols. L'érosion emporte les rares nutriments présent.

Dans le Sud-ouest en revanche, le sol est sablonneux, la vie s'y est adaptée. Ces fleurs sauvages semblent relever un défi : elles doivent être le plus séduisante possible pour attirer les pollinisateurs dans ces régions austères. Mais qui sont les pollinisateurs ?

La biologiste Marilyn Renfree est spécialiste de la reproduction des marsupiaux. Cela fait 30 ans qu'elle creuse des trous dans cette région reculée du sud-ouest australien.
Les trous sont des pièges, ils permettent au Pr Renfree d'étudier l'étrange mode de reproduction de ces petits marsupiaux.

La Souris à miel (Tarsipes rostratus) est la seule survivante d'un groupe de marsupiaux éteints depuis longtemps. Qu'avait-elle de plus que les autres membres de cette famille ?

Premièrement, son régime alimentaire. "C'est l'un des rares animaux qui se nourrit exclusivement de nectar et de pollen, principalement sur ces fleurs de Banksia". En échange de la nourriture qu'elle prélève, la souris à miel assure la pollinisation des banksias en sautillant de buissons en buissons.

Deuxième indice, sa taille : c'est l'un des plus petits marsupiaux connus. "à la naissance, c'est le plus petit mammifère du monde, moins de 5 milligrammes. Vous imaginez tout l'organisme d'un mammifère dans moins de 5 mg ? C'est incroyable". Le fotus est gros comme une tête d'épingle.
Un mangeur de nectar a tout intérêt à être petit mais ça ne veut pas dire qu'il manque d'appétit. Lorsqu'elle allaite, cette femelle peut consommer jusqu'à 10 % de son poids en une seule nuit. Elle a des mâchoires longues et effilée pratiquement dépourvu de dents, et une langue terminée par un pinceau et des peignes, l'idéal pour récolter le plus de pollen possible.

Mais c'est le mâle qui fournit les pistes les plus intéressantes sur l'adaptation de son espèce à ce milieu aride. Par rapport à sa taille, ils possèdent les plus gros testicules du monde. "C'est comme si un homme se baladait avec de pastèques. Avec des bourses de cette taille là il aurait besoin d'une brouette pour se déplacer". Et ce n'est rien à côté de ce qu'il y a à l'intérieur. "Ses spermatozoïdes sont les plus longs de tout le règne animal, 360 micromètres (µm). C'est presque six fois plus que chez l'homme et largement au-dessus de la baleine bleue". Dans la course à l'évolution, la taille compte... "Une femelle en chaleur s'accouple avec plusieurs partenaires. Celui qui possède les spermatozoïdes les plus longs, les plus rapides et les meilleurs aura toutes les chances de l'emporter sur les autres car ils atteindront l'ovule les premiers". Depuis des millions d'années, les mâles et les mieux lotis se sont donc reproduits à tout-va et ont transmis cet avantage de génération en génération.

Dans la catégorie "stratégies de reproduction bizarre", l'un des cousins de la Souris à miel est lui aussi assez bien placé : l'Antechinus est un carnivore. Son étonnant cycle de vie lui permet de peupler tous les habitats d'Australie. Sur les 11 mois de son existence, le mâle en passe 10 à manger et à agrandir. Il emmagasine de l'énergie car lors du dernier mois il a une tâche à accomplir, une mission qui va le tuer. Au printemps, les Antechinus mâles n'ont qu'une priorité : s'accoupler. Ils en perdent l'appétit et le sommeil, 24/24h, 7/7j, ils cherchent frénétiquement des partenaires. Puis au bout de deux semaines de ce déchaînement de testostérone, tous les mâles meurent. Cela évite sans doute qu'ils entrent en compétition pour la nourriture avec les nombreux petits qu'ils ont engendrés. Ces méthodes de reproduction singulière ont permis à la Souris à miel et à l'Antechinus de rester en vie alors que d'autres marsupiaux disparaissaient.

Dans le désert, malgré sa formidable adaptation, la famille kangourou ne résistera plus très longtemps à la chaleur accablante. 11 jours sans eau, la situation est critique. La mère n'a plus assez de lait pour nourrir ses deux petits. L'aîné est particulièrement vulnérable. Son sort est de plus en plus incertain.

Les kangourous ont une technique pour éviter la surchauffe : ils se lèchent les pattes antérieures. Au niveau de leurs avant-bras, les vaisseaux sanguins sont à fleur de peau. Leur salive rafraîchit le sang qui circule ensuite dans tout leur corps.

Un prédateur approche... Les kangourous épuisés sont obligés de fuir leur coin ombragé. L'intrus est un chien sauvage : un Dingo. Il évalue ses chances, en plein jour par cette chaleur extrême, elles sont minces. C'est un face-à-face entre deux branches majeures de l'évolution, deux mammifères mais avec un mode de reproduction très différents. La femelle dingo à une portée de chiot qui sont à peu près du même âge que le plus petit des bébés kangourous. Mais ils ne sont pas encore nés, ils sont toujours dans son utérus. Les petits du dingo s'alimentent par un cordon ombilical relié au placenta. Celui-ci leur fourmi des nutriments et filtre les déchets. Au début, le fotus du kangourou comme tous les marsupiaux, tire également sa subsistance du placenta. La similitude s'arrête là. Le marsupial né avant d'avoir achevé son développement et entame son parcours jusqu'à la poche. Là, il troque le cordon ombilical pour une tétine et continue à grandir. La gestation du dingo se déroule en revanche dans l'utérus et dure environ neuf semaines. Le bébé est né parfaitement formé. Ce sont deux stratégies également efficaces et il est possible qu'une mutation très ancienne soit à l'origine de cette différenciation.

La famille de kangourou arrive à une autre mare, elle aussi à sec. Ils ne sont pas les seuls à chercher de l'eau. Certains tentent de rassembler leurs forces pour partir. D'autres, ont déjà abandonné la lutte.

La mère kangourou ne peut plus nourrir son aîné. Le petit est exténué, il fouille la végétation desséchée dans l'espoir d'en tirer un peu de nourriture mais sans eau ni lait maternelle, son temps est compté. La mère n'a plus le choix, elle abandonne son petit désormais trop faible pour la suivre.

Le Varan perenti (1) sent l'odeur d'une mort imminente. Il se fit à son flair. L'évolution a fourni aux reptiles du désert leurs propres armes pour résister à la sécheresse. Le Diable cornu (2) dispose d'une bonne réserve de nourriture. Il engloutit chaque jour des milliers de fourmis. Les rongeurs échappent à la chaleur dans leur terrier mais il partage ce refuge avec leurs prédateurs : les serpents venimeux. Le Taïpan (3) sécrète une toxine si puissante qu'elle peut tuer n'importe quel animal instantanément. Son venin s'est probablement adapté pour lui permettre de tuer sur le coup. Cela lui évite de gaspiller de l'énergie à maîtriser sa proie, un avantage bien utile dans le désert. Le jeune kangourou n'a pas supporté ces 11 jours sans eau. En se nourrissant de son cadavre, le varan (4) tiendra plusieurs semaines.



Malgré la remarquable adaptation des kangourous à leur milieu, 80 % des jeunes ne survivent pas au-delà de deux ans. La mère a perdu un petit mais il lui reste son autre bébé, bien en sécurité dans sa poche. Au bord de l'épuisement, elle adopte le seul comportement qui lui permettra peut-être d'assurer la survie de son espèce. Elle attend la fraîcheur de la nuit pour se déplacer comme ses congénères ont appris à le faire depuis le début du réchauffement du continent, il y a des millions d'années. Aujourd'hui, l'Australie continue à se réchauffer. Toujours imprévisible, la pluie tombe de plus en plus rarement et les périodes de sécheresse s'allongent. Elles sont déclenchées par des événements qui se produisent très loin de là.

Cette image infrarouge montre que la température du Pacifique augmente environ tous les cinq ans, sous l'action d'El Nino. Ce phénomène climatique a longtemps été tenu pour responsable des sécheresses australiennes. Mais on sait depuis peu, que celles-ci coïncident avec deux cycles de modification de la température de l'océan Indien. Dans un cas, des vents chargés d'humidité apportent la pluie sur le continent. Dans l'autre, les vents faiblissent et il pleut très peu. Apparemment, nous sommes dans la seconde configuration depuis 1992 avec pour résultat la pire sécheresse de mémoire d'homme. Les marsupiaux sont mis à rude épreuve. Certes, ils se sont adaptés pour survivre aux températures extrêmes et aux incendies provoqués par la canicule mais, même après 1 million d'années de mutation, un kangourou ne peut tenir indéfiniment sans boire.

La mère a atteint ses limites. Soudain, le vent pousse une énorme masse d'air humide vers le centre de l'Australie. Le choc avec l'air chaud du désert engendre un orage. La pluie tombe enfin... C'est un événement extrêmement rare. Pour un bref moment, l'eau dévale le long des pentes de l'Uluru en milliers des cascades et ruisseaux.
Au matin, le désert est métamorphosé. D'innombrables mares se sont formées et autour d'elles, des oasis ont surgi. Les oiseaux arrivent en premier, d'immenses nuées de cacatoès, un aigle d'Australie, des diamants mandarins, des cacatoès Rosalba.
Le Diable cornu aspire l'humidité par capillarité. L'eau est amenée à sa bouche par les multiples canaux qui sillonnent son corps.

La femelle kangourou peut enfin se réhydrater. Elle boit longuement imitée par les autres nomades du désert. Elle a bien mérité cet instant de répit. En puisant dans ses dernières réserves, elle a pu continuer à nourrir son plus jeune petit. Trois mois plus tard, le jeune mâle est en pleine santé. Et, la famille s'est agrandie. Depuis son dernier accouplement qui avait eu lieu le même jour que la naissance du petit, la femelle a porté un nouvel embryon dans son utérus. Pendant tout le périple de sa mère à la recherche d'eau, il a différé son développement. Il ne grandissait pas mais il était en vie. Il attendait juste un signal... Le plus incroyable, c'est que ce n'est pas la mère qui pilote son développement, mais le frère aîné. Tant que l'aîné continue à teter régulièrement, l'embryon reste en attente. Puis, quand le jeune est sevré et devient trop lourd pour la poche, l'ovule fécondée reprend sa croissance. 30 jours plus tard, le nouveau-né s'agrippe à la fourrure de sa mère pour rejoindre sa poche ventrale. Et le cycle recommence... Le kangourou femelle a ainsi la particularité de pouvoir alimenter en même temps trois petits d'âges différents. Grâce à sa poche et à son mode unique de déplacement, le kangourou a mis au point une stratégie de reproduction exceptionnelle, particulièrement adapté à cet environnement hostile.

L'évolution ne connaît pas de fin. En Australie, les sécheresses se font plus fréquentes et plus extrêmes. Les kangourous devront continuer à s'adapter s'ils veulent poursuivre leur odyssée sur notre planète en perpétuel changement.

France 5 - Planète Mutante - Natural History New Zealand > 2010
 

   
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