Planète Mutante : Brésil : le Cerrado

À l'échelle géologique les continents se déplacent, et les climats changent. Pour survivre, les animaux sont contraints de s'adapter. L'évolution est un processus qui façonne l'ensemble des êtres vivants. La terre est en perpétuelle mutation.

Au Brésil, le Cerrado est une immense savane qui ressemble beaucoup à celle de l'Afrique. Mais, où sont les troupeaux d'antilopes et leurs prédateurs ? Le Cerrado paraît vide. Pourtant, les apparences sont trompeuses. La vie est partout, et elle est surprenante. Ici, le prédateur est un mammifère mutant doté d'une langue interminable, le loup mange des fruits, les singes marchent debout et les fantômes d'animaux disparus, il y a très longtemps, hantent encore les hautes herbes. Les espèces locales se sont adaptées à cet environnement grâce à d'importantes mutations. Et leur évolution conjointe, a donné naissance à une communauté unique en son genre. Mais comment fonctionne ce monde singulier ? Et comment est-il apparu ?

L'Amérique du Sud, au cour du Brésil, le Cerrado s'étend sur 2 millions de kilomètres carrés, soit plus de quatre fois la superficie de la France métropolitaine. Fin octobre, la nuit s'illumine étrangement. Ce phénomène mystérieux existe depuis des millions d'années. De jour, le paysage est tout aussi étrange. Voici l'élément le plus caractéristique du Cerrado : une termitière. On n'en trouve ici jusqu'à 320 par hectare. C'est le début de la saison sèche, six mois sans une goutte de pluie ou presque, une épreuve pour tous les animaux. Mais où sont-ils ? Le paysage semble désert...

Voici un Fourmilier géant en quête de son petit déjeuner. Cet animal mesure plus de 2 m de long, pèse environ 35 kg, possède des griffes aussi puissantes que celles d'un ours et une queue qui ressemble à un gigantesque plumeau. Le Grand Tamanoir est un mammifère étonnant. Cette femelle est avec son petit, âgé de six mois. Il voyage à travers la savane sur le dos de sa mère parfaitement camouflé dans les bandes de son pelage. Le fourmilier se nourrit bien sûr de fourmis, mais les termites font aussi très bien l'affaire. Vu de l'extérieur, les termitières semblent quasiment inhabitées. Mais l'intérieur est un réseau complexe de galeries et de chambres qui grouillent de millions d'insectes. Le fourmilier a tous les outils nécessaires pour les attraper. Bien que pratiquement aveugle, il possède un odorat 40 fois plus développé que le nôtre.

Les termitières sont de véritables forteresses d'argile, mais les parois extérieures ne résistent pas longtemps aux griffes du fourmilier. Ensuite, son museau et sa langue se chargent du reste. Le fourmilier géant n'a pas de dents, en revanche, il a une langue de plus de 60 cm de long. Elle est rattachée au sternum par des muscles puissants qui lui permettent de la sortir et la rétracter plus de 150 fois par minute. Le fourmilier englue ses proies grâce à sa salive visqueuse, puis les aspire le long de son museau effilé. Il ingurgite ainsi jusqu'à 30.000 insectes par jour : c'est la ration dont il a besoin pour survivre. Pourquoi un animal aussi imposant se nourrit-il de proies aussi minuscules ?

Les termites ne supportent pas la lumière du jour. Les légions de termites ouvriers attendent donc le coucher du soleil pour s'aventurer dehors.

Les ouvriers d'une même termitière ramassent jusqu'à 45 kg d'herbe et de feuilles sèches en une nuit.

Les insectes dévorent cette récolte et leur système digestif la transforme en protéines. Donc, tout compte fait, 30.000 termites riches en protéines par jour, ce n'est pas un si mauvais régime pour un tel géant.

Le Tatou est un cousin du fourmilier. Et comme lui, il est friand de termites. Sa carapace le protège des prédateurs, il n'a pas de grande langue, mais il creuse le sol pour en extirper les insectes. Il y a cependant un endroit de la termitière qui reste inaccessible au fourmilier et au tatou... Dans une chambre creusée sous la structure, git une forme monstrueuse : c'est la reine qui dirige toute la colonie. Seule et unique reproductrice, elle pond chaque jour des dizaines de milliers d'oufs. C'est une substance spéciale, une phéromone, qui va déterminer si le termite deviendra reine, ouvrier, ou soldat. Quel que soit leur rôle, tous travaillent à la survie de la colonie. La construction d'une termitière prend des dizaines d'années. Or, d'après les vestiges fossilisés, les termitières les plus anciennes remontent à plus de 200 millions d'années.

Une question se pose : pourquoi n'y a-t-il des tatous et des fourmiliers géants qu'en Amérique du Sud, alors qu'on trouve des termites un peu partout dans le monde ?
Une vue aérienne du Cerrado nous fournit un premier indice : le paysage ressemble beaucoup à la savane africaine. L'alternance des saisons sèches et humides est aussi très proche du climat qu'on trouve là-bas.
Et ce grand oiseau coureur qu'on appelle un Nandou, n'est pas très différent de l'autruche. Chez les deux espèces, c'est le mâle qui couve les oufs. Toutes ces similitudes ne sont pas une coïncidence...

Il y a 180 millions d'années, l'Amérique du Sud, l'Afrique et l'Antarctique faisaient parti d'un super continent couvert de forêts épaisses : le Gondwana.

Il y a environ 150 millions d'années, l'Afrique a commencé à se séparer de l'Amérique du Sud. Un processus qui s'est étalé sur 45 millions d'années. Parmi les premiers petits mammifères, certains se sont retrouvés en Afrique, d'autres en Amérique du Sud où ils ont suivi une évolution très différente.

Au moment de l'apparition du fourmilier géant, la majeure partie de l'Amérique du Sud était encore couverte de forêts. Les articulations supplémentaires des vertèbres lombaires du tamanoir, renforcent sa puissance et sa stabilité pour creuser le sol. L'analyse ADN a montré que les premiers animaux dotés de ces articulations supplémentaires sont apparus en Amérique du Sud il y a environ 70 millions d'années. L'une des branches de cet arbre a donné naissance à des animaux recouverts d'une carapace comme les tatous. Et une autre, a produit des animaux à fourrure comme les fourmiliers. La plupart de ces espèces ont aujourd'hui disparu. Mais les fourmiliers géants et les tatous ont survécu. D'infimes mutations génétiques ont progressivement produit chez eux une mâchoire, une langue et des griffes parfaitement adaptées à la chasse aux fourmis et aux termites. Dans le Cerrado, le mode de vie du fourmilier s'est centré autour des termitières. à première vue, le tamanoir a l'avantage sur ses proies. Comment de minuscules insectes pourraient-ils lutter contre ce géant ?

La saison sèche est déjà bien avancée. Notre femelle continue sa tournée des 300 termitières qu'elle visite chaque jour. Le fourmilier a des griffes recourbées qui peuvent atteindre une quinzaine de centimètres. Comme cela le gène pour marcher, il a appris à s'appuyer sur le bord externe de ses pattes.
Cette femelle doit ingurgiter quotidiennement 30.000 termites pour s'alimenter et produire du lait pour son petit. Mais curieusement, elle ne s'arrête pas plus de trois minutes à chaque termitière. Sur ces trois minutes, elle en consacre deux à creuser un trou dans les parois de l'édifice. Elle n'aurait aucun mal à détruire entièrement la termitière de quelques bons coups de griffes et à dévorer d'un coup sa ration quotidienne... Mais elle ne le fait pas.
Alertés par les secousses, les termites soldats attaquent immédiatement. Mais sa fourrure épaisse la protège de leurs morsures et lui laisse au moins une minute pour se nourrir. En général, le fourmilier creuse un seul trou dans chaque termitière et aspire plus ou moins la même quantité d'insectes. La termitière ne subit donc que des dégâts superficiels.
Aussitôt, les ouvriers bouchent le trou avec de petites boulettes d'excréments mêlées à de la terre. Pour combler les pertes, la reine pond davantage d'oufs. Les ouvriers mangés seront remplacés. La population de chaque termitière reste donc stable.

Malgré leur petite taille, les termites obligent le fourmilier à s'en aller avant de détruire toute la colonie. Ce pacte est lié à l'évolution conjointe des deux espèces et garantit leur survie.

Le tamanoir n'est pas le seul à survivre grâce termitière. Chaque monticule a son lot de squatters. Ce sont des animaux qui profitent des talents d'architectes des insectes. Les parois sont piquées de trous qui n'ont rien à voir avec ceux creusés par le fourmilier. Ils sont l'ouvre du Pic champêtre. Dans cette savane où les arbres sont rares, ces oiseaux construisent leur nid dans les termitières bien ventilées, et ils y trouvent même à manger. Toute termite qui tente de réparer le trou, finit dans l'estomac du Pic.
Un couple de petites chouettes s'est installé sous la termitière. À la différence de la plupart des autres chouettes, la Chevêche des terriers (Athene cunicularia) y vit en partie pendant la journée. Perché au sommet de la termitière, le couple a une vue imprenable sur son aire de chasse.

Dans le Cerrado, les termitières sont au cour d'un incroyable système qui relie toutes les formes de vie de la prairie. Mais pourquoi est-ce que ce sont les termites et les fourmiliers qui dominent cet écosystème et non les antilopes et les félins comme dans la savane africaine ? Il s'est forcément passé quelque chose ici. Mais pendant très longtemps, les scientifiques n'ont pas su quoi au juste.
La réponse a été trouvée en 1988, dans la vallée du Tinguiririca, au Chili. Des paléobiologistes ont découvert des fossiles vieux de 30 millions d'années qui ont ouvert une fenêtre sur le passé. Le Pr Darin Croft, paléontologue, spécialiste des vertébrés, nous présente l'un de ces fossiles. "Voici le crâne d'un animal qui faisait parti des notongulés. Il était de taille moyenne, à peu près de celle d'un renard. Les mammifères ongulés formaient un groupe très varié. Il y en avait des tous petits et des très gros, et chaque famille possédait des caractéristiques particulières". Apparemment, il y a eu en Amérique du Sud, de grands troupeaux de mammifères ongulés herbivores. Or, ils étaient présents à une époque où on pensait que le continent était couvert de forêts touffues. La découverte de leur régime alimentaire a donc surpris les scientifiques. "L'examen de ces dents montre que c'était un herbivore. On sait aussi quel type de plante il mangeait : la végétation des habitats ouverts, des plantes très abrasives, ce qui explique l'usure de ses dents. Si on regarde bien, on voit que le dessus est tout plat. C'est parce qu'elles ont été usées à force de mâcher une végétation très dure". Cette végétation très dure, c'était de l'herbe. En soit la découverte de la présence d'herbivores ongulés en Amérique du Sud n'a rien de révolutionnaire. Ce qui l'est davantage, c'est que ces animaux vivaient dans la vallée du Tinguiririca, il y a environ 30 millions d'années. C'est-à-dire, 14 millions d'années avant la formation de la savane africaine que les paléobiologistes considéraient jusque-là comme la plus ancienne...

L'herbe à donner un coup d'accélérateur au développement des termites du Cerrado, et donc, à celui des espèces qui s'en nourrissaient. Mais comment se sont formées les prairies sud-américaines ?
Il y a 34 millions d'années, il s'est produit un événement géologique majeur. Le Gondwana s'est morcelé, et l'Australie s'est séparée de l'Antarctique. Un courant maritime froid a entouré l'Antarctique qui s'est peu à peu recouvert d'une calotte de glace. L'un des premiers continents à sentir les effets du froid était le plus proche de l'Antarctique : l'Amérique du Sud. C'est sans doute ce qui a entraîné la diminution des forêts au Chili et au Brésil. Peu à peu, les sols se sont couverts de brins d'herbe. Et cette forme de végétation riche en minéraux et à croissance rapide, a complètement transformé le paysage sud-américain. Il est fort probable que les mammifères herbivores du Chili existaient aussi dans le Cerrado à la même époque, il y a 30 millions d'années.

Or, qui dit troupeaux d'herbivores, dit aussi grands prédateurs. Sur le Cerrado, régnait entre autres, l'oiseau de terreur, un prédateur de 3 m de haut pour 350 kg. Il était incapable de voler, mais il pouvait courir aussi vite qu'un guépard.

C'était un tueur spécialisé qui ne faisait qu'une bouchée de certaines proies. Les petits herbivores ongulés et les ancêtres du fourmilier géant ont tous été victime de ce redoutable prédateur. Pourtant, le fourmilier géant est toujours bien vivant, alors que l'oiseau de terreur et les herbivores ongulés ont disparu depuis longtemps... Les monolithes de terre sèche (les termitières) du Cerrado ont résisté aux caprices climatiques.

Il y a 2 millions d'années, l'Amérique du Sud a connu une première ère glaciaire. Jusqu'à maintenant, les période de glaciations et de réchauffements ont alterné au moins une vingtaine de fois. Pendant les périodes plus chaudes, les forêts remplaçaient les prairies, ce qui a entraîné la disparition de plus de la moitié des espèces d'herbivores. Les termites, eux, ont enduré tous ces changements. Et le fourmilier géant a échappé à l'extinction grâce à la survie de ces proies. Mais pour se maintenir en mangeant ces proies minuscules, il a dû développer des mécanismes d'économie d'énergie.
Son cerveau est anormalement petit par rapport à sa taille. Or chez les mammifères, c'est l'organe qui consomme le plus d'énergie. Avoir un cerveau réduit est donc un gain d'énergie. Sa température corporelle est de 32°. C'est la plus basse de tous les mammifères terrestres. Voilà qui réduit encore sa consommation. Enfin, sa fourrure épaisse lui permet de conserver la chaleur. C'est grâce à ses diverses adaptations, et sans doute, au fait qu'il dorme 14 heures par jour, que le fourmilier n'a pas disparu.

Ce n'est pas le seul animal à avoir survécu grâce aux mutations : voici le Loup à crinière. Comparé au fourmilier, c'est un nouveau venu dans le Cerrado. Le Loup à crinière est parfaitement adapté à la vie dans la savane. Juché sur de longues pattes grêles, il voit tout ce qui se passe au-dessus des hautes herbes. Comme tous les loups, il chasse de petits mammifères.
Curieusement, il mange aussi des fruits, en particulier ceux du Lobera. Le Lobera appartient à la famille de la belladone. Il est toxique et mortel, son fruit est si amer, que la plupart des animaux l'évitent. Mais certains de ses composants tuent des vers géants qui parasitent les reins du loup à crinière. Ces ancêtres ont donc tiré avantage des fruits, en les mangeant et en les digérant. La majorité des Loberas poussent sur de petites élévations et le Loup à crinière y défèquent pour y marquer son territoire. Ces excréments contiennent des graines de fruit du Lobera. Or, ses graines ne germent qu'à condition d'avoir été digérées par un animal. C'est un nouvel exemple de pacte d'évolution simultanée qui a pour but d'assurer la survie des deux espèces. Ce pacte a été déclenché par un événement géologique spectaculaire.

Il y a 3 millions d'années, suite à un soulèvement tectonique, un chapelet de volcans jaillis de l'océan entre l'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud. Après avoir été isolés pendant 100 millions d'années, les deux continents sont désormais reliés par un pont de terre. Ce pont favorise la migration des espèces dans les deux sens. La plupart, descendent vers l'Amérique du Sud. Dains, chevaux, lamas entraînent dans leur sillage de nouveaux prédateurs : renards, couguars, tigres à dents de sabre, ours et loups. Les carnivores s'attaquent aux quelques espèces de ruminants qui ont survécu dans la savane, et finissent par les décimer. L'oiseau de terreur disparaît lui aussi, supplanté par les nouveaux venus. La fin des ruminants oblige certains carnivores dont le Loup à crinière, à diversifier leur régime alimentaire. Voilà comment a débuté la relation mutualiste entre le loup et le lobera.

Dans le Cerrado, nous retrouvons la femelle fourmilier et son petit. La saison sèche est à son apogée, il n'a pas plu depuis cinq mois.

À 18 mois, le petit est un peu plus indépendant. Il commence à fouiller les termitières tout seul, mais n'est pas encore assez costaud pour y ouvrir une brèche. Sa mère a commencé à le sevrer, bientôt, elle sera à nouveau prête pour se reproduire.

Pendant la saison sèche, les fourmilier tirent l'eau qui leur est nécessaire, des termites qu'ils mangent. Pendant ces mois difficiles, les relations étroites entre les espèces les aident à survivre.

Dans les collines rocheuses qui bordent la savane, une colonie de Sapajou à barbe (Cebus (Sapajus) souffre aussi de la sécheresse. Nés dans les forêts africaines, il y a 30 millions d'années, leurs ancêtres sont arrivés en Amérique du Sud bien avant la grande migration des espèces. La plupart ont traversé l'océan sur des troncs flottants. Les sapajous qui vivent dans les forêts tropicales, se nourrissent surtout de fruits, mais les arbres à la lisière du Cerrado en produisent très peu. Les singes sont donc obligés de descendre au sol pour chercher à manger. Heureusement, les noix de palme ne manquent pas. Les sapajous ont trouvé le moyen d'en boire le jus.

Il y a trois mois environ, celui-ci a ramassé une certaine quantité de noix qu'il a mis à sécher. À présent, il n'y a plus qu'à les ouvrir. Ses singes se servent d'outils pour casser la coque et atteindre la graines. Les pierres qu'ils utilisent pèsent parfois la moitié de leur poids. À force de casser des noix et de porter des pierres, les sapajous ont considérablement développé les muscles de leurs membres inférieurs et de leur dos. C'est pourquoi aujourd'hui, ils marchent debout. Le climat sec du Cerrado est donc à l'origine de cette incroyable évolution. Cette activité bruyante à attirer l'attention du plus grand carnivore du Cerrado : le jaguar. C'est pendant la saison sèche que les prédateurs sont le plus à craindre.

La savane n'est plus qu'un océan d'herbe grillée par le soleil. La femelle fourmilier semble avoir attirée un mâle. à son odeur, il sait qu'elle est prête à se reproduire. Effrayé par le mâle, le petit va se cacher un peu plus loin. Les fourmiliers géants ne s'accouplent qu'une fois tous les deux ans. Là encore, c'est une question d'économie d'énergie. La femelle ne peut pas s'occuper de plus d'un petit à la fois. Quand le mâle repart, elle reprend son petit auprès d'elle. Quand elle mettra bas, dans un peu plus de six mois, il devra partir de son côté. Pour les jeunes Pics champêtres qui nichent dans la termitière, le grand jour approche aussi. Bientôt, ils quitteront aussi le nid parental.

Tous les résidents des termitières semblent agiter, comme s'ils sentaient quelque chose. Est-ce enfin la pluie, ou un danger pour tous les habitants du Cerrado ? à la mi octobre, des nuages s'amoncellent au-dessus de la savane. Mais au lieu de la pluie tant attendue, c'est un orage de chaleur qui éclate et d'un seul coup, le Cerrado s'embrasse... Après six mois sans une goutte d'eau, les flammes se propagent à toute allure à travers la savane. C'est une épreuve terrible pour les animaux. Ceux qui le peuvent, tentent désespérément de s'enfuir. Les termitières disparaissent derrière les flammes.

Quand l'incendie fini par s'éteindre, le Cerrado paraît sans vie. Chaque année, des incendies déclenchés par la foudre ravagent la savane. Beaucoup d'espèces ont appris à échapper au feu : comme ce Boa constrictor qui survit en s'enterrant. La prairie n'est plus qu'une vaste étendue calcinée.

Protégés par les murs solides construits par les termites, les jeunes pics champêtres sont sains et saufs, comme les autres résidents de la termitière. Ces structures sont capables d'endurer toutes les catastrophes. Elles résistent aux flammes et les trous d'aération au niveau du sol, empêchent les insectes et les squatters d'être asphyxiés par la fumée. Petit à petit, les animaux qui ont survécu, réapparaissent.

Après les incendies, la pluie tant attendue arrive enfin. Le Cerrado va devoir maintenant s'adapter aux pluies torrentielles. Les plantes ont développé des tactiques pour revenir à la vie après un feu. Peu à peu, le sol brûlé se couvre de jeunes pousses vertes. Les herbes stockent leur substance nutritive dans le sol.
Quant aux quelques arbres de la savane, ils ont fini par acquérir une écorce épaisse qui les protège. Ravivées par la pluie, le Cerrado se transforme en oasis. Par chance, la femelle fourmilier et son petit ont échappé aux incendies de cette saison.

En fin d'après-midi, la pluie s'arrête pour un bref moment. Pour les termites, c'est le moment idéal. Dans chaque termitière, la reine a pondu des oufs. Cette fois, ils ne donneront pas des ouvriers, mais des termites ailés. Et ce, pour une raison précise : partant simultanément de milliers de termitières, une multitude de termites ailés mâles et femelles prennent leur envol. Une fois par an, ce ballet aérien permet aux habitants de chaque termitière de se reproduirent avec leurs voisins. C'est ainsi que la nature met un terme à la suprématie génétique de la seule et unique reine de chaque édifice. Les femelles fécondées deviennent reines à leur tour, et reviennent au sol pour fonder une nouvelle colonie. Chacune vivra une dizaine d'années et pondra des milliards d'oufs. À condition, qu'elles survivent à cette nuit car des nuées d'oiseau en profitent pour se gaver d'insectes.

À la tombée de la nuit, les termitières offrent un spectacle fascinant. Ce sont des larves de Taupin, un coléoptère qui squatte lui aussi les termitières. Par une réaction chimique, il émet une lumière verte dans un pore situé sur sa tête. Les larves peuvent vivre enfouies dans les parois de la termitière jusqu'à trois ans. D'un seul coup, la lumière s'allume. Les termites ailés sont irrésistiblement attirés vers elles. Lorsqu'ils sont tout près, les vibrations de leurs ailes stimulent les larves qui se mettent à briller encore plus fort. Mais cette attirance s'avère fatale pour les termites. Les larves de Taupin attendaient ce festin depuis un an, elles ne remangeront pas avant 12 moins. Les larves sont incapables de se déplacer. Elles n'ont que ce moyen pour attirer jusqu'à elles une source de nourriture. Et sans les protéines contenues dans les termites, elles ne pourraient pas atteindre le stade adulte.

Mais ce n'est pas tout, un dernier lien unit tous les acteurs de cet écosystème. Pendant les mois d'abondance qui accompagnent la saison des pluies, le Cerrado grouille d'activité, jour et nuit. De nouvelles termitières apparaissent, et les loberas croulent sous les fruits, une aubaine pour le loup à crinière. De toutes les espèces qui vivent ici, voici la plus active. Ces Fourmis champignonnistes défilent en long convoi, chargées de morceaux de feuilles. Elles sont invisibles pendant la saison sèche, parce qu'elles récoltent uniquement des végétaux bien verts. Mais à présent, elles sont toutes au travail.
Comment font-elles pour survivre pendant les six autres mois de l'année ? Leurs nids souterrains leur offre une protection parfaite. Et c'est là, qu'est installé leur potager secret. Une plongée dans la fourmilière permet de comprendre une différence fondamentale entre les fourmis et les termites. Les termites se nourrissent de feuilles sèches et transforment la cellulose en protéines. Les fourmis, elles, utilisent les végétaux comme engrais pour la culture d'un champignon particulier. À longueur d'année, elles entretiennent la champignonnière qui nourrit toute la colonie. Quand la végétation renaît à la saison des pluies, les fourmis mettent les bouchées doubles. Elles rapportent des feuilles et des fleurs, mais aussi des graines.

La veille, le loup à crinière s'est régalé des fruits, et comme à son habitude, il a marqué son territoire. Les fourmis rapportent les graines digérées par le loup jusqu'à leur champignonnière. Certaines de ses graines germent à l'intérieur du nid. Petit à petit, les jeunes pousses se fraient un chemin jusqu'à la lumière du jour. Voilà pourquoi on trouve généralement les loberas sur de petites auteur. Nourris au niveau des racines par la champignonnière, les loberas prospèrent, même pendant la saison sèche, pour le plus grand avantage des loups et des fourmis.

Mais cette remarquable interaction de toutes les espèces du Cerrado, a fini par être rompu. L'homme est arrivé... Comme les termites et les fourmis, il a appris à exploiter la savane pour son propre compte. Les méthodes d'irritation moderne ont contré les effets de la saison sèche, et le Cerrado est devenu l'une des principales sources de soja et de maïs du monde. Mais l'homme n'a pas tenu compte du réseau d'interaction indispensable pour maintenir l'équilibre dans cet écosystème. Il prend plus que sa part, et ne donne rien en échange. Au cours des 50 dernières années, l'expansion de l'agriculture a réduit la taille du Cerrado des deux tiers, mais ce qu'il en reste est dorénavant protéger.

Les pluies abondantes ont transformé le paysage. Désormais indépendant, le jeune fourmilier va quitter définitivement sa mère qui attend un autre petit. Il a appris à creuser les termitières, même si ce sont encore des structures friables, construitent par la nouvelle génération de reines. Une fois adulte, il sera suffisamment équipé pour s'attaquer aux édifices géants de la savane. Mais comme sa mère, il se rationnera et et ne passera pas plus de trois minutes sur chaque termitière. Car sa survie dépendra du pacte qui le lie aux termites. Aussi longtemps qu'il respectera ce pacte, les populations de termites, comme les autres espèces, prospéreront dans le Cerrado. Un lieu unique dans ce monde en perpétuel changement.

FRANCE 5 - Planète Mutante - Natural History New Zealand > 2010
 

   
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