Planète Mutante : Madagascar

À l'échelle géologique, les continents se déplacent et les climats changent. Pour survivre, les animaux sont contraints de s'adapter. L'évolution est un processus qui façonne l'ensemble des êtres vivants. La terre, et en perpétuelle mutation. Une île inhospitalière autrefois dominée par les dinosaures, voici l'histoire d'une île isolée qui est devenue une véritable usine à espèce. Un lieu où la magie de l'évolution à modeler la vie de tous ceux qui s'y trouvaient.

À la nuit tombée, cette forêt devient un décor de cauchemar. Un démon se lance dans un rituel sauvage. Des créatures mutantes sortent des ténèbres pour chasser. Elles hantent la forêt depuis des millions d'années, mais avec l'aube, elles perdent tout leur pouvoir. Au lever du jour, de longs cris déchirants brisent le sortilège. Ces animaux sont des Indris. Ils ressemblent à des singes, ils sont aussi agiles que des singes, mais ce ne sont pas des singes. Ce sont des lémuriens, des primates qui comptent parmi les plus anciens de la planète et on les trouve presque uniquement à Madagascar.

Madagascar est la quatrième plus grande île du monde (1 & 2), sa superficie est équivalente à celle de l'Espagne. Située dans l'océan Indien, elle est à environ 500 km à l'est de l'Afrique. Cette terre s'est séparée de l'Afrique depuis si longtemps qu'elle est parfois appelée l'île continent. à Madagascar apparaissent au fil du temps de nouvelles espèces de lémuriens, tous parfaitement adaptés à la survie dans les nombreux habitats de l'île. Dans les forêts tropicales humides, ils circulent sur un vaste réseau de routes aériennes. La plupart aiment les fruits (3), mais certains se nourrissent de bambou (4), l'aliment le plus dur à mâcher de la forêt. Ils font parti des rares primates qui apprécient cette plante coriace. Dans les parties les plus sèches de l'île, vivent les Makis catta, où lémures à queue annelée (5). Ils sont très sociables et vivent en bande qui se déplace aussi bien sur le sol que dans les arbres.

Un peu plus loin, de gracieux Propithèques (1) évoluent en pas chasser d'un arbre à l'autre. La nuit, des êtres volants prennent possession de la forêt. Ce sont des Microcèbes (2), les plus petits primates du monde, si petits qu'ils tiennent dans la paume de la main. Ils partagent la nuit avec un lémurien qui détient le secret du lointain passé de Madagascar, l'Aye aye (Daubentonia madagascariensis) se suspend comme une chauve-souris (3) et possède des doigts griffus inquiétants. Il est la plus ancienne de toutes les espèces vivantes de lémuriens. Cette femelle âgée de sept ans, mène une vie nocturne essentiellement solitaire. Son majeur bien plus long que les autres, lui sert à voir à l'intérieur du bois. Ses oreilles de chauve-souris détectent l'écho d'une cavité où se cache son repas. La femelle sonde l'intérieur de l'arbre (4 & 5). Sa récompense, des larves d'insectes très riches en protéines. La présence sur l'île de l'aye-aye et de tous les autres lémuriens est le résultat d'un très long voyage.

Un arbre symbolise à lui seul la grande aventure de cette île. Le Baobab (->) est protégé par une épaisse écorce résistant au feu. Il peut vivre jusqu'à 2000 ans. La plupart des espèces animales et végétales de Madagascar sont endémiques, elles n'existent nul part ailleurs. Mais les baobabs sont une exception. On en rencontre en Afrique et même en Australie. Comment cet arbre étrange s'est-il retrouvé sur des continents séparés par un vaste océan ? La réponse est à chercher dans la création même de l'île.

Il y a 180 millions d'années (<-), Madagascar, l'Afrique et l'Australie étaient réunis au sein d'un super continent appelé le Gondwana. C'est là qu'ont poussé les premiers baobabs. Environ 40 millions d'années plus tard, le Gondwana commence à se morceler. Lorsque Madagascar se détache du Gondwana, elle reste d'abord soudée à l'Inde. Puis au fil du temps, elle s'en sépare et devient une île. Cette île nouvelle a emporté avec elle des baobabs et des espèces animales comme les dinosaures.

Puis, il y a 65 millions d'années, une énorme météorite s'abat sur la planète (->). La puissance générée au moment de l'impact est telle, qu'elle entraîne une vague de destructions. Un épais nuage de poussière obscurcit le soleil et le climat se modifie dramatiquement. à cette époque, les dinosaures et la majeure partie de la faune et de la flore en sont victimes. L'île de Madagascar doit alors prendre un nouveau départ...

Certains animaux ont survécu, les plus petits. Le Glomeris (1), le scorpion (2), le phasme (3) et l'étrange scarabée girafe (4) sont tous issus de ces survivants. Pour subsister, un petit organisme est avantagé puisqu'il a moins besoin de nourriture. Ces rescapés ont donc prospéré.

Certains ont même formé de curieux partenariats. L'étoile de Madagascar (Angraecum sesquipedale ->) possède l'une des fleurs les plus étranges qui soit. Sous ses pétales se trouve un tube d'une trentaine de centimètres. Il est si long qu'il est quasiment impossible pour un pollinisateur d'atteindre le nectar qui s'y trouve au fond. à une exception près, le Sphinx est un papillon nocturne (->) qui affectionne particulièrement les orchidées. Quand il en trouvre une, il déroule une trompe qui a exactement la même longueur que le tube. Pour ce partenariat exclusif, en échange d'un peu de liquide sucré, le sphinx transporte le pollen sur d'autres étoiles de Madagascar. Le sphinx n'est pas le seul animal à avoir une langue démesurément longue.

Voici un caméléon, au fil de millions d'années ce lézard a acquis des caractéristiques physiques précieuses. Des yeux qui pivotent indépendamment (2), bien utile pour repérer les proies devant et derrière et une langue aussi longue que son corps plus sa queue. Voici le plus petit caméléon du monde (Uroplatus, photos 5 & 6), pas plus grand qu'une boîte d'allumettes. C'est l'une des espèces les plus anciennes. La comparaison ADN des caméléons de la planète, montre qu'ils sont tous originaires de Madagascar.

Après la chute de la météorite, les reptiles (1 & 2), les amphibiens (3) et les insectes (4) régnaient en maître sur l'île. Les mammifères avaient tout disparu, jusqu'à ce qu'une famille de primates accostent sur cette terre isolée, après avoir miraculeusement franchi des centaines de kilomètres d'océan. Ce qui allait provoquer un véritable bouleversement.

À la fin d'une longue nuit passée à se nourrir, l'Aye aye femelle retourne dans son nid où son bébé attend sa séance de toilettage. Le petit restera avec sa mère jusqu'à ce qu'il maîtrise tous les usages de ses propres doigts. Ces ayes ayes sont un lien vivant avec le passé de Madagascar et ils constituent un précieux sujet d'étude pour la science. Leur ADN a permis d'établir à quel moment les lémuriens ont commencé à évoluer et d'où ils sont venus. Le professeur Anne Yoder (généticienne) et son équipe ont décodé l'ADN de l'aye aye et d'autres lémuriens. Ils l'ont comparé à celui d'autres primates et ont observé certains liens de parenté. "Vous avez les lémuriens d'un côté, et de l'autre, les Loris et les Galagos qui sont leurs plus proches parents en Afrique. Les Loris et les lémuriens ont un ancêtre commun", Pr Yoder. Cette découverte montre que les ancêtres des lémuriens se trouvaient en Afrique, mais là-bas, ils n'ont pas survécu. La compétition était trop forte avec les singes. On a aussi pu établir la date approximative des premiers lémuriens sur l'île. "Les lémuriens étaient sans doute déjà à Madagascar il y a 60 millions d'années. C'est-à-dire bien avant de se qu'on pensait", Pr Yoder.

On sait donc d'où ils viennent et quand ils sont arrivés. Mais comment sont-ils venus puisque Madagascar et l'Inde se sont séparés de l'Afrique il y a entre 125 et 80 millions d'années ? On trouve un premier indice dans les cycles climatiques de l'océan Indien. De janvier à mars, des cyclones tropicaux (1) martèlent la côte est de l'Afrique. Les fleuves en crue charrient des arbres déracinés jusque dans l'océan Indien (3). Il y a des millions d'années, de puissants courants océaniques circulaient depuis l'Afrique en direction de Madagascar (4). Ils pourraient avoir entraîné certains de ces troncs jusqu'aux rives malgaches (5). Ces radeaux de fortune transportaient-ils de petits mammifères ? On pourrait penser que n'importe quel animal mourrait de faim ou de soif pendant un voyage de 500 km. Eh bien pas forcément ! Il suffit d'observer le comportement de certains lémuriens qui vivent au cour de la forêt malgache.

C'est la fin de la saison des pluies et les Microcèbes se livrent à une orgie de nourriture (1 ->). Cela fait des semaines qu'ils mangent le plus possible de fruits et de petits insectes. Ils prennent du poids et stockent de la graisse dans leurs pattes et leur queue. Ils vont bientôt en avoir besoin. Dans la réserve de Kirindy, la saison sèche est arrivée (Parc National Kirindy Mitea, 72.200 ha, est situé sur le bord du Canal de Mozambique, dans le Menabe, magnifique pays des Sakalava). Pas une goutte de pluie ou presque ne tombe pendant six mois. Les rivières s'assèchent (2 ->), la nourriture se fait rare, les feuilles disparaissent et les Microcèbes n'ont plus rien à manger. Le manque de nourriture provoque chez eux un changement radical de comportement. Cette femelle a fait des réserves pour la longue période de jeune qui l'attend. Elle se prépare à tomber dans un profond sommeil dans le creux d'un arbre. Sa famille et elle vont hiberner pendant cinq mois, sans manger ni boire (3 ->). Comment est ce possible ?

À Paris, au muséum national d'histoire naturelle, Jérémy Terrien (physiologiste) étudie ce qui déclenche l'entrée en hibernation des petits lémuriens. Il a découvert que c'est le manque de nourriture qui sert de catalyseur. "On a constaté que quand on soumet des Microcèbes à une restriction calorique, ils sont capables de rentrer en léthargie", J. Terrien.
La léthargie est un état d'activité métabolique réduite qui survient lors de l'hibernation. Privé de petit déjeuner, les Microcèbes hibernent pendant quelques heures. L'imagerie thermique (->) montre que leur température diminue fortement et le rythme cardiaque et respiratoire ralentit. "Ça leur permet d'économiser leur énergie, c'est une capacité exceptionnelle pour des primates", J. Terrien. Cela pourrait expliquer comment les ancêtres des lémuriens ont survécu à la longue traversée entre l'Afrique et Madagascar.

En novembre, la saison sèche prend fin et les arbres reverdissent. Le changement de saison tire les Microcèbes de leur hibernation. La petite femelle a dormi pendant plus de quatre mois et a épuisé presque toutes ses réserves. En décembre, elle a déjà repris du poids, s'est accouplée et à mis bas. Les jumeaux sont la norme chez les lémuriens mais cette fois ce sont des triplés (1 ->). Les petits ne sont nés que depuis deux jours, ils sont presque aveugles mais ils savent déjà téter. Ils seront dépendants de leur mère pendant huit semaines, puis ils partiront vivre leur vie. On ignore à quoi ressemblaient les premiers lémuriens. D'après l'ADN des spécimens actuels, ceux qui se sont un choix Madagascar n'étaient sans doute pas plus d'une petite dizaine, dont seulement deux femelles. Et c'est à partir de ce petit groupe que se sont développées les quelques 100 espèces qui existent aujourd'hui. Tous c'est joué grâce à un remarquable concours de circonstances : un cyclone, un tronc d'arbre, un courant favorable... Mais ensuite, comment est-on passé d'une seule espèce à une centaine ? Madagascar est une terre de contrastes. Sa pointe sud est particulièrement aride (2). Cette région offre un aperçu du lointain passé de l'île. Elle est couverte d'une forêt primitive d'épineux, les seules plantes qui poussent ici. Voilà sans doute le paysage hostile que les lémuriens ont dû apprivoiser.

Il y a 60 millions d'années (1), Madagascar s'étendait dans une zone de haute pression, caractérisée par un air sec et brûlant, et des précipitations quasi inexistantes. Des conditions difficiles qui sont peut-être à l'origine de l'apparition de l'aye aye. La mère apprend à son petit à ouvrir des noix de coco (2) pour en consommer la chair et le lait. Quand les premiers lémuriens sont arrivés, il y avait très peu d'eau sur l'île, ils ont été obligés de s'adapter.
Celle-là sans doute que les ayes ayes ont développé leurs doigts polyvalents et leurs dents à croissance continue. Puis, cette famille originelle allait bientôt donner naissance à d'autres espèces. L'île se déplaçait vers le nord de quelques centimètres par an.

Il y a 40 millions d'années, Madagascar a quitté la zone de hautes pressions arides pour se retrouver sous les nuages et les pluies chaudes des tropiques. Poussé par les vents marins, des nuages chargés de pluie se sont heurtés aux montagnes (1) et il a plu sur la terre desséchée (2).
Ces pluies régulières ont entraîné l'apparition des premières forêts tropicales de l'île. Jusque-là, les lémuriens n'étaient représentés que par l'aye aye. Avec l'apparition des forêts, quatre nouvelles familles sont nées : les Lemuridae (lémuridés), les Indriidae, les Megaladapidae ou Lepilemuridae, et les minuscules Microcèbes.

Les Microcèbes et les lépilémurs sont devenus nocturnes et ont évolué pour se nourrir de tout ce que la forêt avait à leur offrir : les insectes, les fruits, les fleurs et la gomme des arbres.
Les plus gros lémuriens sont devenus diurnes et ont appris à se nourrir sur de vastes étendues de forêts. Il s'agit des Indris (à g.) et des lémurs bruns (à d.). Les lémurs bruns choisissent les fruits, tandis que les Indris choisissent les feuilles. Mais les premières forêts malgaches ont poussé sur des sols pauvres où les arbres donnaient moins de fleurs et de fruits que les autres forêts tropicales. De nombreux lémuriens ont dû développer leur agilité pour se déplacer rapidement d'arbres en arbres et trouver leur nourriture. Un Indri peut parcourir 10 m d'un seul bond. Sur des millions d'années et d'innombrables générations, jusqu'à 20 nouvelles espèces de lémuriens ont ainsi fait leur apparition. Mais cette évolution n'a pas été dictée uniquement par l'alimentation. Un nouveau mammifère est arrivé.

À la saison sèche, les animaux se rassemblent autour des points d'eau. L'ambiance est un peu tendue. Une mangouste vient perturber la fête, un prédateur d'une force presque surnaturelle pour sa taille. Ses ancêtres sont arrivés d'Afrique à peu près au moment où les forêts se sont formées. Et sans doute de la même façon que les premiers lémuriens.
Madagascar n'avait pas de prédateur à l'époque et les lémuriens vivaient dans un véritable paradis pour primates. Ces lémuriens protègent leurs petits. Seule espèce du genre Mungitictis, la mangouste à dix raies (Mungotictis decemlineata) grimpe rarement aux arbres. Mais un de ses proches cousins le fait assez souvent.

Les lémuriens sont sur le qui-vive alors qu'un ennemi approche. Ses moustaches, ses yeux et ses griffes rappellent ceux d'un félin, mais ce n'en est pas un. Ce grand prédateur s'appelle le Fossa (Cryptoprocta ferox). Le fossa a pu apparaître ici parce qu'aucun félin africain n'a jamais atteint Madagascar. Et il y avait une place à prendre dans la chaîne alimentaire de l'île pour un grand prédateur. Après bien des mutations, son ancêtre mangouste a donc évolué en un tueur aux allures de panthère. C'est ce qu'on appelle la convergence évolutive : un animal acquiert l'apparence et le comportement d'un autre, auxquel il n'est pas apparenté. L'arrivée de l'ancêtre du fossa a influencé l'évolution des lémuriens. Ce prédateur les a obligés à bondir plus loin et plus vite, et à devenir extrêmement vif. Les fossas chassent surtout la nuit, mais ce soir cette femelle à une autre priorité : c'est la saison des amours. Les fossas mènent une vie très solitaire et trouver un partenaire est compliqué. Cette espèce a donc élaboré une solution unique chez les mammifères : pour commencer, c'est la femelle qui dicte les règles. Chaque année, elle grimpe en haut du même arbre et émet un cocktail de phéromones pour attirer tous les mâles qui capteront son odeur. Ils se rassemblent et le plus puissant gagne le droit de grimper jusqu'à elle. Si elle l'accepte, ils passeront environ deux heures avec elle, puis, c'est le second mâle le plus puissant qui montera à l'arbre. L'un après l'autre, tous les mâles grimpent pour être acceptés ou rejetés. Gare à celui qui n'attend pas son tour. Ce remarquable processus de sélection par la femelle a rarement été observé. Il reste l'une des nombreuses énigmes qui entourent ce prédateur si semblable à un félin.

Les fossas ne sont pas les seuls à avoir été transformés en sosie d'autres animaux... Cet animal ressemble à un hérisson mais n'en est pas un. Celui-ci rappelle une taupe mais n'en est pas une non plus. Et cet animal pareil à une musaraigne, n'est bien sûr pas une musaraigne. Ce sont tous des Tanreks, les descendants d'un petit insectivore arrivé d'Afrique à peu près au même moment que la mangouste. Et comme la mangouste, ils ont tous pris l'apparence d'animaux qui ne vivent pas à Madagascar.
L'un d'eux plus particulièrement. Le Tanrek aquatique a évolué à partir d'un mammifère terrestre et a investi les cours d'eau de l'île. Il a développé un corps profilé et des pieds palmés comme une mini loutre. Ses moustaches sont adaptées à la détection des proies. Il est devenu un excellent chasseur subaquatique. Les Tanreks font parti d'un très petit nombre de mammifères qui ont survécu au voyage depuis l'Afrique jusqu'à Madagascar.

Mais un autre changement était sur le point de provoquer de nouvelles mutations et de multiplier par cinq les espèces de lémuriens. Les forêts du parc national du Ranomafana recèlent des indices qui expliquent ce brusque accroissement. La primatologue Patricia Wright a passé plus de 20 ans à étudier l'étrange famille des lémuriens mangeurs de bambou : les hapalémurs. Elle a noté que si les trois espèces existantes se nourrissent de feuilles de bambou, elles se mettent toutes à une certaine période de l'année à manger d'autres parties de la plante. Le petit hapalémur mange les tiges. Le grand hapalémur arrache l'écorce afin de déguster la partie intérieure du tronc. Quant à l'hapalémur doré ou lémur bambou doré (Hapalemur aureus), il ne craint pas de s'attaquer aux pousses de bambou qui renferment pourtant un poison mortel : du cyanure. Chaque pouce contient environ 12 fois la dose létale pour un animal de cette taille, mais leur organisme s'est adapté pour digérer le cyanure.
Quel facteur a pu pousser les hapalémurs a adopté un tel régime alimentaire ? Et pourquoi chacune des trois espèces changent-elles d'alimentation au même moment ? "Chaque année il y a des cyclones suivis de longues périodes de disette pendant lesquels il y a très peu de nourriture. Les lémuriens ont donc développé la capacité à manger d'autres aliments", Patricia Wright. Ce sont donc les extrêmes climatiques qui obligent les hapalémurs à spécialiser leur alimentation, quand la nourriture se fait rare. Ces extrêmes climatiques sont récents, ils sont dus à un nouvel événement dans l'histoire mouvementée de Madagascar. Un bouleversement géologique survenu très loin de l'île.

Il y a 40 millions d'années, la position de Madagascar au large de l'Afrique s'est stabilisée. Mais l'Inde a continué à se déplacer vers le nord et a fini par percuter l'Asie du Sud. Cette violente collision a soulevé le relief et créer l'Himalaya. L'apparition des montagnes a engendré un cycle climatique qu'on appelle la mousson. Madagascar se retrouvait doté d'un nouveau climat : six mois de saison sèche et six mois de fortes pluies. Ce déluge saisonnier allait faire exploser le nombre des espèces de lémuriens. Les précipitations, allant jusqu'à 300 mm par jour, provoquaient des crues massives dans les plaines, et la décrue laissait derrière elle une mosaïque de petites îles au milieu de nouvelles rivières. C'est là que sont apparues de nombreuses espèces de lémuriens. Les populations se sont diversifiées car elles étaient obligées de manger ce qu'elles trouvaient. L'isolement et le manque de nourriture ont fait passer les hapalémurs, d'une espèce à trois. Mais ils n'ont pas été les seuls à se multiplier.

L'apparition de la mousson a donc déclenché la deuxième augmentation du nombre d'espèces de lémuriens. Le groupe qui s'est le plus agrandi et celui des Microcèbes. On a toujours cru qu'il n'existait que deux espèces de Microcèbes. Mais cette idée a été récemment démentie par les analyses ADN du Pr Anne Yoder. "La diversité des espèces au sein du groupe des Microcèbes est extraordinaire. On pense qu'il y en a au moins 16 et sans doute plus, car on n'a pas encore fini d'étudier les différentes régions de Madagascar", Pr Yoder. Pourquoi ces 16 espèces n'ont-elles pas été identifié plutôt ?
Les Microcèbes se ressemblent tous, c'est en grande partie due au fait qu'ils sont nocturnes. Dans le noir on ne distingue que des silhouettes, l'apparence et les couleurs n'ont pas d'importance. Les Microcèbes ont donc développé d'autres façons d'identifier leur propre espèce. Cette petite femelle va nous montrer comment ! C'est la saison des amours, elle émet un signal olfactif puissant pour avertir les mâles de sa présence. Les odeurs sont cruciales pour les animaux nocturnes. Les bruits aussi ! Un mâle venu d'un territoire voisin vient la courtiser. Leurs appels ultrasoniques ne sont pas perceptibles pour l'oreille humaine sauf si on les abaisse jusqu'à une fréquence audible. Voici trois chants nuptiaux correspondant à trois espèces différentes.
Ces trois espèces ne diffèrent que par leur ADN et leur chant nuptial. Mais elles sont si distinctes qu'elles ne peuvent se reproduire que chacune entre elles. Ces différences invisibles à l'oil nu montrent que le processus d'évolution a été subtil mais net, depuis que les moussons sont apparues il y a 8 millions d'années. "Pour donner une idée de ce qui peut se produire en 8 millions d'années, les hommes et les gorilles ont divergé il y a environ 10 millions d'années et personne ne niera qu'il y a eu un grand nombre de changements morphologiques entre ses deux espèces durant ce laps de temps. Pendant une période de temps équivalente, les Microcèbes physiquement, n'ont pas changé du tout", Pr Yoder.

Le secret de la diversité des lémuriens ne s'arrête pas là. Nous sommes dans le sud de Madagascar, la région d'Ilakaka sur la RN7 est célèbre pour ses pierres précieuses mais les chercheurs de trésors ont mis au jour une facette méconnue du passé de l'île. Ils ont découvert des saphirs sous une couche d'ossements à demi fossilisés vieux de 15.000 ans. Ils ont donc prévenu des paléontologues. Le Pr Armand Rasoamiaramanana travaille à côté des mineurs pour identifier tous les os qu'ils exhument. Ces fouilles ont abouti à une remarquable découverte. "Voici un lémurien géant de Madagascar, une espèce aujourd'hui disparue", Pr Rasoamiaramanana.
Voici le crâne d'un Indri, le plus grand lémurien actuel. Et voici celui qu'ils ont trouvé, il appartenait à un géant appelé Megaladapis. D'après la longueur de ses os, il devait peser près de 100 kg, soit 10 fois plus que l'indri. Avec sa taille imposante, il devait se déplacer lentement et être bien trop lourd pour sauter de branche en branche comme son cousin. Megaladapis vivait aux côtés des indris il y a encore quelques centaines d'années. Puis, il a disparu. L'extinction de toutes les espèces géantes de lémuriens a coïncidé avec l'arrivée d'un autre mammifère venu de l'autre côté de l'océan : l'homme a débarqué il y a environ 2000 ans. Il a brûlé les forêts et défricher la terre pour la cultiver. Les grands lémuriens ont été les premiers à disparaître car ils avaient besoin de de davantage de nourriture et dépendaient d'un plus vaste territoire. Aujourd'hui, 90 % des forêts de l'île ont été brûlés.

Les espèces survivantes sont menacées par la destruction de leur habitat. Sur la façade ouest de l'île, les baobabs se dressent toujours, ils peuvent résister au feu grâce à leur écorce épaisse et leur tronc capable d'emmagasiner l'humidité. Tout animal qui forme un partenariat avec eux, garantit son avenir. Au début de la saison des pluies, les plus petits baobabs se couvrent de fleurs spectaculaires. Cette floraison coïncide avec la période où les Microcèbes sortent de leurs quatre mois d'hibernation. Les fleurs produisent du nectar qui attire les lémuriens. C'est lémuriens ont probablement acquis un penchant pour le nectar en chassant des insectes sur les baobabs, ce qui les a amenés à plonger leur langue dans les fleurs. En échange de ce festin sucré, les Microcèbes sont devenus les principaux pollinisateurs de ces arbres.

Au fil de millions d'années, les mutations ont doté la faune de Madagascar d'un éventail de capacités étonnantes. Ce qui lui a permis de supporter des bouleversements climatiques extrêmes.

Le survivant par excellence est l'aye aye. Il constitue un lien entre le passé des lémuriens et leur avenir. Le petit aye aye a appris à se servir de ses doigts si particuliers pour extraire la chair sucrée du fruit du jacquier. Il sera bientôt âgé d'un an et devra quitter sa mère pour faire son chemin dans le monde.

L'équipe du matin prend la relève. Un jeune indri qui voyageait sur le dos de sa mère depuis quatre mois, fait ses premiers pas. Il va dépendre d'elle pendant encore quelques mois, puis, lui aussi vivra sa vie. L'avenir de ces jeunes lémuriens s'annonce aussi difficile que celui de leurs ancêtres quand le courant les a jetés sur les rivages de l'île. Mais l'évolution de s'arrête jamais, les aye aye et tous les autres lémuriens, les fossas, les tanreks, les caméléons, tous les animaux si particuliers qui vivent à Madagascar, continuent de prouver qu'ils peuvent s'adapter à un monde en perpétuel changement...

FRANCE 5 - Planète Mutante - Natural History New Zealand > 2010
 

   
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