Une Nouvelle Arche de Noé

La génétique vole au secours des espèces menacées. De nouveaux "zoos" leur sont ménagés, pas plus grands que des éprouvettes.

Embarquement immédiat ! L'Arche de Noé du XXIè siècle bat le rappel. Toutes les espèces en danger, de l'oryx d'Arabie au grand panda de Chine, s'y pressent, pour y attendre des jours meilleurs. Où ce mythique vaisseau a-t-il jeté l'ancre ? Au fond des laboratoires, des zoos les plus importants de la planète. Espèce après espèce, les spécialistes de la congélation participent, dans l'urgence, à la plus vaste opération de sauvetage jamais organisée depuis le déluge. Ces Noé d'un genre nouveau collectionnent les cellules d'animaux en danger dans des conteneurs remplis d'azote liquide, en espérant pouvoir les faire revivre d'ici à 10, 50 ou 100 ans.
Ce qui menace ces animaux aujourd'hui, ce n'est pas le déluge, mais l'extinction la plus brutale que la planète ait jamais vécue. Les causes en sont connues la chasse massive, la pollution et la destruction des habitats naturels. La prise de conscience de la perte de biodiversité du monde date officiellement de 1992, quand 177 pays réunis au sommet de la Terre signent la convention de Rio. À cette même époque, les parcs zoologiques de la planète prennent le virage, déjà amorcé par quelques précurseurs, de la conservation génétique des espèces.
"Dans les années 70, chaque zoo utillsait un système d'identification des animaux, comprenant une fiche d'identité et un numéro d'ordre, explique le professeur Robert Mauget, directeur adjoint du parc zoologique de Paris. Des associations les utilisaient pour mettre en place des plans d'élevage des espèces en voie de disparition. Ces plans se basaient sur des notions d'élevage classique : ne pas croiser un frère et une sour, ou un père et sa fille pour éviter la consanguinité. Mais depuis 5 ans, les progrès de la génétique ont été fulgurants. On établit aujourd'hui des fiches individuelles basées sur les caractéristiques génétiques des animaux. Et cela change toutes les données du problème".
Premier apport de la génétique : le choix des animaux reproducteurs. Les zoos tentent aujourd'hui de sauver le maximum de diversité génétique chez les espèces en voie de disparition. Certains individus possèdent en effet des gènes qui, s'ils ne sont pas importants aujourd'hui, s'avéreront indispensables à l'adaptation de l'espèce à un nouveau milieu ou à une nouvelle alimentation. Le meilleur moyen de renforcer une espèce consiste donc à préserver au maximum sa diversité génétique. En pratique, les zoologistes privilégient les animaux présentant un fort taux d'hétérozygotie. Tous les êtres vivants possèdent chacun de leurs gènes en deux exemplaires : ce sont les allèles. L'un vient de la mere, l'autre du père. Si les deux allèles sont identiques (deux "pelage blanc" par exemple), l'individu est homozygote pour ce gène. S'ils sont differents (un "pelage blanc" et un "moucheté"), il est dit hétérozygote. L'individu n'exprime qu'un des 2 allèles, le dominant. Les animaux présentant un fort taux d'hétérozygotie sont aussi ceux qui possèdent le patrimoine génétique le plus diversifié. Pour sauvegarder une allèle rare, il est parfois nécessaire de jouer avec la consanguinité. De cette façon, l'espèce préserve une capacité de survie maximale en prévision du moment où elle sera réimplantée en milieu sauvage.
Au point de vue pratique, les progrès de la génétique ont aussi grandement facilité les choses. Croiser un mâle du zoo d'Anvers avec une femelle de Barcelone nécessitait une logistique à toute épreuve. Sans compter le stress et la fatigue liés au transport, qui risquaient de faire perdre tous ses moyens au reproducteur. Aujourd'hui les mâles sont de moins en moins du voyage. Seule leur semence prend la route, sous forme de paillettes congelées dans l'azote liquide. Elle sera alors artificiellement inséminée chez la femelle. "L'intérêt, c'est que la même année, un mâle intéressant au point de vue génétique pourra donner simultanément des descendants dans le zoo de Moscou, de San Diego et de Buenos Aires", s'enthousiasme le professeur Mauget. Du coup, la congélation de semence se généralise dans les zoos du monde entier. La cryobansque de San Diego, stocke d'ores et déjà des lignées de cellules de plus de 3680 mammifères appartenant à 370 espèces et sous-espèces. En France, le parc zoologique de Clères, près de Rouen, est en train de constituer une banque de semences pour les oiseaux et celui de la Haute-Touche à Obterre dans l'Indre, une autre pour les cervidés. "Le problème, c'est que la technique d'insémination artificielle n'est au point que pour un nombre très limité d'espèces, tempère Robert Mauget. En gros, moins d'une dizaine d'entre elles sont concernées, notamment des cervidés. Mais cela va se développer très rapidement". Dans leur course contre la disparition des espèces, les zoos de glace, ou "frozen zoos" comme on les appelle de plus en plus couramment, ne s'arrêtent pas aux semences. Au fond de leur bidons d'azote, ils conservent également des embryons qui, issus d'une fécondation in vitro prolixe, n'ont pas été plantés chez la femelle. "Prenons l'exemple des okapis, en voie de disparition, raconte le professeur. Il n'y en a quasiment plus dans la nature et seulement une petite population en parc zoologique. Tous les okapis des parcs descendent d'une trentaine d'individus capturés dans la nature à la fin du siècle dernier. Or, l'étude des potentiels génétiques de leurs descendants actuels a montré que le nombre de gènes qui restent ne proviennent que d'une douzaine de fondateurs. Cela signifie que 18 génomes ont disparus. Si, à l'époque, on avait su congeler des embryons, on pourrait aujourd'hui réintroduire ces gènes dans la population actuelle."
En congelant des embryons d'espèces en voie de disparition, les zoos s'arment pour le futur et résistent à la perte de diversité biologique. "Tant qu'il reste les gènes de l'espèce, il reste la vie", conclue Robert Mauget. Encore faudra-t-il, pour faire vivre ces animaux congelés, que les conditions de leur survie soient un jour de nouveau réunies.

A.D. - SCIENCE & VIE Hors Série > Décembre > 2000
 

   
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