On commence a comprendre pourquoi une foule d'espèces très variées sont apparues lors de crises environnementales majeures.
Comment des espèces aussi différentes que la drosophile, l'éléphant et le colibri peuvent-elles partager un ancêtre commun ? Quels sont les mécanismes intimes de l'évolution ? Selon Suzanne Rutherford et Susan Lindquist, de l'institut médical Howard-Hughes (université de Chicago), l'une des clefs du mystère réside dans la fonction de la protéine Hsp90 (Nature, n°6709).
La tache principale de Hsp90 est d'accompagner et de protéger d'autres protéines qui accumulent de nombreuses mutations. Sans ce chaperon, elles ne pourraient mener à bien leur ouvrage. Or, ces protéines sont impliquées dans les processus de développement. Des modifications de leur fonctionnement entraînent l'apparition de difformités majeures. Hsp90 protège également les autres protéines des altérations qu'engendre un stress environnemental tel que la chaleur ou le manque d'oxygène.
En étudiant les mutations du gène qui code pour Hsp90 chez des drosophiles "monstrueuses" (dotées d'yeux, de pattes et d'antennes de formes, de couleurs et de dimensions étranges), les deux biologistes ont découvert que chaque type de mouche présente une gamme spécifique de difformités quand leur Hsp90 a muté. En outre, tous les descendants de ces mouches mutantes croisées avec des mouches dont la protéine Hsp90 est normale conservent ces particularités physiques, qui sont donc indépendantes des mutations de Hsp90.
Selon les chercheuses, cela signifie que le patrimoine génétique de la drosophile abrite une série de mutations cachées. Quand Hsp90 joue correctement son rôle de chaperon, ces mutations ne s'expriment pas, et la mouche se développe normalement. Mais, quand Hsp90 est débordée de travail, lors d'une brusque augmentation de température par exemple, elle ne parvient plus à
protéger efficacement les protéines instables responsables du développement.
Ainsi toute une série de monstres naît-elle rapidement. L'évolution n'a plus qu'à "piocher" dans cet éventail pour sélectionner les individus les mieux adaptés à leur nouvel environnement.
Quand l'environnement est fortement modifié, la protéine-chaperon Hsp90 ne "gomme" plus les effets des mutations qu'ont subies d'autres protéines très fragiles. L'individu se développe alors anormalement comme ces drosophiles dont l'une a les yeux de couleurs différentes et l'autre 2 paires d'ailes.
G.M. - SCIENCE & VIE > Février > 1999 |
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