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Si en général chacun d'entre nous garde le contrôle de ses capacités attentionnelles, certaines expériences les mettent à rude épreuve ! Lors d'un spectacle de magie, l'illusionniste déploie tout son talent pour exploiter les limites de notre attention dans son intérêt. Au point de nous empêcher de remarquer l'évident... À la différence de cet "aveuglement attentionnel", l'hypnose nous plonge dans un état de concentration mentale tellement intense que nous sommes déconnectés du présent. Sa signature cérébrale est très spécifique : entre attention et éveil, vision et imaginaire, détente mentale et relaxation physique.
Aussi puissant soit-il, le cerveau est incapable de prendre en compte toutes les informations de l'environnement. Il peut être tellement absorbé par une tâche qu'il rate des données essentielles ! Les magiciens le savent et utilisent nos limites attentionnelles pour manipuler nos perceptions. Si la magie nous fascine, c'est parce qu'elle transforme la réalité en jouant avec nos sens et en manipulant nos perceptions. Quel est le "truc" derrière la disparition et la réapparition d'une colombe, le tour de la femme sciée, la lévitation d'objets ? Les magiciens utilisent des techniques sophistiquées et disposent d'une dextérité manuelle hors du commun. CONCENTREZ-VOUS... VOUS N'AVEZ RIEN VU Combien de passes avez-vous noté ? Si vous avez été attentif, vous avez sans doute trouvé le bon chiffre. Mais avez-vous remarqué quelque chose d'anormal en dehors de l'activité des joueurs ? Retournez visionner la vidéo, cette fois sans focaliser votre attention sur les passes, en observant tout ce qui se produit. Cet effet étonnant a été observé chez les sujets de Daniel Simons. Lorsqu'il leur demande s'ils ont remarqué quelque chose sur la vidéo, la moitié d'entre eux répondent par la négative. Ils refusent aussi de croire qu'un gorille a fait la moindre apparition quand le chercheur le leur explique. Pourtant, le goriile - un homme déguisé - a été très présent et actif. À se demander comment il est possible de le rater... Telle quelle, la vidéo n'est pas applicable par un magicien, qui ne peut se permettre de ne tromper que la moitié de l'audience. Mais adapté plus subtilement qu'avec un gorille, cet effet devient un atout redoutable pour d'habiles illusionnistes. Le phénomène en question s'appelle "change blindness" (ou "inattentional blindness"), qu'on peut traduire par "aveuglement au changement". Lorsque notre attention est focalisée - conversation tendue, scène émouvante au cinéma, tour de magie, etc, le cerveau est tellement absorbé qu'il est comme aveuglé, ignorant les autres informations. Les conditions sont réunies pour qu'un événement évident et normalement inratable, comme un gorille dans un jeu de ballons, se produise sans qu'on le remarque. Avec leur expérience et leur talent, les magiciens utilisent ainsi l'aveuglement au changement à nos dépens. FAIRE DIVERSION : TOUT L'ART DU MAGICIEN "Pour comprendre comment les tours de magie sont perçus, il faut identifier les théories neuronales sous-jacentes", souligne le neurophysiologiste Stephen Macknik dans un article de 2009 portant sur les relations entre les sciences cognitives et les tours de magie (lire l'entretien ci-dessous). Par exemple, dans la vidéo du gorille, les observateurs dupés et non dupés ont passé autant de temps (à la seconde près) à regarder la vidéo. De plus, la distance entre l'écran vidéo et le participant ne modifie pas l'effet observé. Ce n'est donc pas le regard qui a été manipulé, mais bien l'attention du participant.
Diane M. Beck, de l'université Princeton, et trois collègues neuroscientifiques de l'University College de Londres, se sont intéressés au phénomène d'aveuglement du cerveau. Equipés d'un stimulateur magnétique transcrânien, qui stimule ou perturbe des zones précises du cerveau par un champ magnétique, les volontaires passent des tests de reconnaissance. Des visages défilent rapidement sur un écran, et ils doivent repérer si deux visages successifs sont différents. Normalement, ils réussissent à les distinguer. Mais si leur attention est focalisée sur un point lumineux entre deux photos, ils commettent des erreurs ou mettent plus longtemps à répondre correctement. Les mêmes baisses de performance se produisent lorsque le stimulateur magnétique active le cortex pariétal droit. C'est cette zone qui serait responsable de l'aveuglement au changement. Ce résultat peut surprendre, car le cortex pariétal droit ne traite pas les informations visuelles. Il s'explique pourtant puisque cette partie du cerveau est impliquée dans la conscience sensorielle et la concentration. LE CERVEAU EST FACILEMENT "AVEUGLÉ" "Le phénomène d'aveuglement attentionnel démontre que nous échouons souvent à voir des événements inattendus, confirme Gustav Kuhn, chercheur en psychologie au Goldsmiths College de Londres. Ce que nous percevons est souvent largement déterminé par ce que nous nous attendons à voir". Lui-même magicien, il a montré à 38 étudiants une vidéo dans laquelle il exécute l'illusion de la balle disparue (http://goo.gl/ilHMi). Dans ce tour de magie, l'artiste lance la balle en l'air et la rattrape, deux fois d'affilée. Au troisième lancer, la belle semble disparaître alors qu'elle reste dans la main droite du magicien. 68 % des participants sont abusés par le tour, soutenant avoir perçu la balle quittant la main avant de disparaître. Pour comprendre ce qui réussit à tromper autant de personnes, Gustav Kuhn a filmé leurs mouvements oculaires durant le tour. La plupart d'entre elles jettent un rapide coup d'oil au visage du magicien avant qu'il ne lance la balle. Lorsqu'il montre aux étudiants une autre vidéo du tour, dans laquelle le magicien ne suit pas du regard le troisième lancer, moins d'un tiers seulement est abusé. PERCEVOIR SANS RÉELLEMENT VOIR Cette technique très utilisée repose sur les mécanismes de la perception. "Nous interagissons avec un environnement changeant sans cesse, et nous avons besoin de répondre très rapidement aux nouvelles situations, explique Gustav Kuhn. De plus, il y a toujours un délai qui sépare l'événement lui-même et son enregistrement par le cerveau. Le temps de percevoir un événement, il a déjà disparu. Un moyen de compenser ce délai est de prédire l'issue de l'événement. Le système visuel s'appuie donc sur des "heuristiques" qui permettent ces prédictions et qui s'observent surtout dans des situations nécessitant une réaction rapide. Par exemple, les joueurs de tennis expérimentés utilisent comme heuristique la posture du corps de leur adversaire pour prédire la prochaine trajectoire de la balle". LA DIFFICULTÉ DE SIMULER LES ACTIONS "Il est effectivement très facile d'être abusé par des tours de magie. Mais cela ne signifie pas qu'il est toujours facile d'abuser quelqu'un, nuance Gustav Kuhn. Les magiciens se consacrent durant des années à perfectionner leur art et à étudier les mécanismes exacts par lesquels les spectateurs peuvent être trompés". L'essentiel des compétences du magicien ? Pouvoir convaincre son audience qu'il poursuit une action parfaitement normale - une balle lancée en l'air - alors que l'issue de cette action est complètement différente - la belle reste cachée dans la main. Simuler des actions est en fait plus difficile que de les effectuer réellement, comme nous y sommes habitués. C'est tout le talent du magicien...
Sommeil ? Veille ? Ou ni l'un ni l'autre, comme l'indiquent aujourd'hui plusieurs études ? Un cerveau hypnotisé plonge dans un état qui mélange éveil et imaginaire, attention et détente mentale. Une signature cérébrale très spécifique, qui varie également selon le niveau de réceptivité de chacun. Souvent associée aux pratiques des illusionnistes, l'hypnose alimente de nombreux fantasmes, dont celui de la "marionnette" dont l'esprit serait contrôlé. Cette technique, mal connue du grand public, est pourtant pratiquée par de nombreux professionnels de santé, bien loin des scènes du music-hall. UNE SIGNATURE CÉRÉBRALE UNIQUE Comment expliquer l'état hypnotique ? Et surtout, quelle est sa signature cérébrale ? Cet état est précisément le même que celui qui vous emporte lorsque vous tournez les pages d'un livre en pensant à autre chose. Vos yeux suivent les lignes, mais votre esprit est ailleurs. Pas besoin de grande démonstration, donc, pour nous faire glisser dans un état hypnotique. Pourtant, cet état a quelque chose de très spécial. Le cliché d'un cerveau hypnotisé ne ressemble en rien à celui d'un cerveau à moitié endormi. ll serait au contraire dans un état d'éveil particulier. DES LIENS ÉTROITS ENTRE CONTRÔLE EXÉCUTIF ET ATTENTION Depuis quelques années, les études se multiplient pour révéler une mécanique encore mystérieuse. Comment expliquer, par exemple, que certains individus soient plus sensibles que d'autres à l'hypnose ? C'est précisément ce à quoi s'intéresse David Spiegel, chercheur à l'université Stanford et référence mondiale sur le sujet. D'après de récents travaux, notre faculté à être hypnotisé dépend exclusivement de notre configuration neuronale. "Nous avons identifié une différence de fonctionnement cérébral entre les individus hautement et peu hypnotisables pendant l'état de repos", explique le chercheur. CONCENTRATION SURDÉVELOPPÉE On pourrait s'imaginer que sous hypnose, notre cerveau est endormi. Loin de là ! Plusieurs études montrent que c'est exactement l'inverse qui se produit : nous sommes plongés dans un état de concentration mentale tellement intense que nous nous retrouvons momentanément déconnectés du présent, indifférents à la réalité extérieure. Pour David Spiegel, "l'hypnose est à la conscience ce qu'un téléobjectif est à un appareil photo - vous vous focalisez sur des détails, mais vous avez moins conscience du contexte". Chez les personnes particulièrement sensibles à l'hypnose, le fonctionnement en tandem du dlPFC et du dACC traduirait donc une meilleure capacité à se concentrer sur un élément précis en faisant abstraction du reste. Un phénomène qui s'applique à l'hypnose, mais qu'on retrouve aussi dans la vie quotidienne. D'après David Spiegel, "les personnes hautement hypnotisables se retrouvent spontanément absorbées par un bon livre ou un film". DES SOUVENIRS EFFACÉS À LA DEMANDE Aussi naturel soit-il, l'état dans lequel nous plonge l'hypnose transforme la façon dont on interagit avec le monde. En grande partie parce qu'avec l'hypnose, la volonté s'échappe. Dans une étude publiée en 2008, des chercheurs israéliens ont proposé une séance d'hypnose à des volontaires, alors qu'ils étaient sous IRM. Il leur était ensuite demandé d'oublier volontairement certains éléments d'une scène vue une semaine plus tôt. Résultat : leurs souvenirs s'effacent, sur simple demande ! Les personnes les plus sensibles à l'amnésie posthypnotique montrent une activation spécifique dans une zone du lobe frontal chargée d'inhiber le processus de rappel, comme si cette zone interdisait aux autres structures de s'activer. Cet état altère sûrement les processus de prise de conscience et d'attention, Avi Mendelsohn, à l'époque doctorant au Weizmann Institute of Science et aujourd'hui chercheur à la Mount Sinai School of Medicine de New York. C'est peut-être ce processus de veto qui se produit dans la vie quotidienne lorsque l'on ne veut pas se remémorer certains souvenirs". Bref, l'état hypnotique ne serait pas si éloigné de la façon dont on fonctionne dans la vie quotidienne... LA SUGGESTIBILITÉ EST INHÉRENTE À L'ÊTRE HUMAIN Président de l'AFEHM (Association française pour l'étude de l'hypnose médicale), Jean-Marc Benhaiem est directeur du diplôme universitaire d'hypnose médicale à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Il décrypte les effets de la suggestibilité, au cour de l'hypnose.
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