Autisme : Une Anomalie Découverte dans le Cerveau

Exit la psychologie : c'est d'une mauvaise irrigation des lobes temporaux que souffriraient les autistes. Une découverte majeure qui promet déjà des médicaments.

C'est une première : des chercheurs ont décelé une anomalie bien localisée dans le cerveau des enfants autistes au repos. "Jusqu'ici seules les études en activation avaient pennis de mettre en évidence des dysfonctionnements dans leur cerveau, rappelle Monica Zilbovicius, médecin psychiatre et chercheur à l'Inserm/CEA au Service hospitalier Frédéric-Joliot, à Orsay. L'augmentation de la résolution spatiale, en contraste et temporelle de nos machines, mais aussi l'avènement de nouvelles méthodes d'analyse des images ont permis cette découverte". De quoi susciter l'espoir quand, rien qu'en France, plus de 100.000 personnes souffrent aujourd'hui d'autisme. C'est-à-dire de déficiences dans les interactions sociales réciproques et la communication verbale et non verbale, mais aussi de comportements stéréotypés et restrictifs. Multiforme, l'autisme est en fait souvent associé à un retard mental plus ou moins important et à d'autres pathologies comme les maladies de Bourneville et de Recklinghausen, la trisomie 21, ou encore l'épilepsie.

CONTEXTE - Des études anglo-saxonnes récentes montrent une forte augmentation des cas d'autisme. Faut-il parler "d'épidémie" ? Cette hausse s'expliquerait par un changement de définition et l'amélioration du diagnostic : on parle en effet désormais de "spectre autistique" ou de "troubles envahissants du développement" (TED), et on prend en compte les cas "d'autisme atypique" et les"syndromes d'Asperger". Mais la hausse de la prévalence pourrait au moins en partie aussi venir de facteurs environnementaux (alimentation, pollution, vaccins...) : ils joueraient un rôle chez des sujets génétiquement prédisposés. En France, on estime que les TED touchent 2,5 enfants sur 1000, soit une population totale de 36.000 jeunes (de a à 19 ans).

UNE DIMENSION NEUROLOGIQUE

Depuis 1943, date à laquelle le terme d'autisme a été utilisé par le psychiatre américain Léo Kanner, l'autisme est une énigme et un défi pour la science. Pendant longtemps, l'école psychanalytique a imposé ses vues en stigmatisant un trouble précoce de la relation mère-enfant. Mais en 1965, l'apparition de l'électroencéphalogramme va battre cette idée en brèche en montrant que les autistes souffrent de troubles de la perception : ils ne refusent pas de communiquer, ils sont en désarroi face à un environnement qu'ils n'arrivent pas à décoder. Une hypothèse qui a engendré des méthodes éducatives spécialisées (Teacch, Aba...) ayant donné, sur le terrain, d'indéniables résultats. Mais c'est avec l'avènement dans les années 80 des nouvelles techniques d'imagerie médicale que la dimension neurologique de l'autisme va vraiment s'imposer. Et aujourd'hui, plusieurs études d'imagerie fonctionnelle au repos révèlent spécifiquement une diminution du débit sanguin dans les lobes temporaux des autistes.
L'étude publiée en 2000 par Monica Zilbovicius a été effectuée par tomographie par émission de positons (TEP) à haute résolution spatiale et en utilisant une méthode d'analyse statistique des images (SPM). Ce système d'imagerie mesure de façon non-invasive le métabolisme et les flux sanguins dans le cerveau, des paramètres qui reflètent les besoins énergétiques des neurones, et donc l'intensité de leur activité. Réalisée sur un groupe de 21 enfants autistes de 5 à 11 ans ne présentant aucune pathologie associée mais un retard mental et sur un groupe contrôle de 10 enfants, elle a mis en évidence une hypoperfusion bien localisée au niveau du gyrus temporal supérieuret du sillon temporal supérieur au repos (cerveau d'enfant autiste (a), débit sanguin cérébral au repos est inférieur dans plusieurs zones des lobes temporaux (vert) par rapportaux contrôles).
"Ces résultats ont été confirmés par l'étude de réplication menée sur un groupe de 12 enfants autistes, commente Monica Zilbovicius. Par ailleurs, cette anomalie a pu être détectée de façon individuelle chez 25 autistes sur 33, soit 76 %". Et d'ajouter : "Une étude publiée au même moment par l'équipe japonaise de Takashi Ohnishi a révélé des anomalies très similaires localisées presque exactement dans les mêmes régions cérébrales. Et nous venons de montrer une diminution de la densité des tissus cérébraux également localisée au niveau des lobes temporaux, chez les enfants autistes." Des résultats qui confortent certains travaux suggérant que des anomalies bitemporales seraient associées à l'apparition de symptômes autistiques au cours de maladies neurologiques connues, telles que l'épilepsie et l'encéphalopathie herpétique. "L'équipe d'Harry Chugani, de l'université de Los Angeles, a notamment montré en 1996 que les spasmes infantiles - ou spasmes épileptiques - entraînent des lésions au niveau des lobes temporaux, note Monica Zilbovicius, et que celles-ci entraînent une régression autistique."
Oui, mais comment expliquer cette hypoperfusion des lobes temporaux chez les autistes ? "Cela reste un mystère, avoue Monica Zilbovicius. En fait, nous supposons que le débit sanguin est moindre parce qu'il y a moins de synapses qui fonctionnent". Cette anomalie a-t-elle toujours été présente ? Est-elle survenue à la suite d'un traumatisme ou à une infection ? "Nous ne pouvons encore le dire, mais il semblerait que l'autisme soit une pathologie à la fois multigénique et multifactorielle", confie la chercheuse.
Mais à quoi servent donc ces régions bien précises du cerveau mises en cause dans l'autisme ? "Le gyrus temporal supérieur et le sillon temporal supérieur jouent un rôle essentiel dans le traitement des informations auditives et dans l'intégration de plusieurs modalités sensorielles, explique-t-elle. Leur dysfonctionnement pourrait donc expliquer une partie des traits cliniques de l'autisme". Une étude publiée en 2000 par l'équipe américaine de Truett Allison a ainsi montré que le sillon temporal supérieur est impliqué dans ce qu'on appelle la "perception sociale" : il intervient dans le traitement d'informations comme le regard, l'expression faciale ou la posture nécessaires à l'analyse précise des dispositions et des intentions des autres individus. "Une anomalie dans cette région cérébrale expliquerait les difficultés relationnelles des autistes, commente Monica Zilbovicius. Car ils ont du mal à mettre en relation un geste et l'intention qu'il révèle, comme l'illustre le test des Smames."
En 2000, une étude de l'équipe canadienne de Pascal Belin a, elle, révélé l'existence d'une aire de la voix humaine dans le gyrus temporal supérieur et le sillon temporal supérieur. Or, Hélène Gervais, sous la direction de Monica Zilbovicius, vient de montrer que cette aire ne s'active pas chez les autistes lorsqu'ils écoutent quelqu'un parler : leur cerveau traite la voix humaine comme n'importe quel autre son. "Un dysfonctionnement de cette région cérébrale expliquerait l'apparente indifférence des autistes envers leurs proches et leur difficulté de communication verbale et non verbale, analyse Monica Zilbovicius. Il expliquerait aussi en partie le caractère bizarre et inhabituel de leurs réactions aux stimuli sensoriels, en particulier dans la sphère auditive". Des résultats qui, ce faisant, "affinent ceux obtenus dans une étude de 1994, où nous avions montré que l'écoute de sons complexes entraîne des réponses corticales différentes chez les enfants autistes : ils activent le cortex associatif postérieur droit et non comme les enfants témoins le cortex associatif postérieur gauche dévolu au langage."
Le gyrus temporal supérieur et le sillon temporal supérieur sont par ailleurs fortement connectés avec les divers composants du système limbique et avec le cortex frontal et pariétal. Leur atteinte pourrait donc retentir sur le fonctionnement de ces régions. Dans cette hypothèse, les troubles du comportement affectif et émotionnel pourraient être mis en rapport avec le dysfonctionnement des connexions vers le système limbique, et les troubles cognitifs avec celui des connexions vers le réseau fronto-pariétal. La composante frontale de ce dernier serait en effet essentielle au développement de la "théorie de l'esprit" - capacité à attribuer des "états mentaux" à autrui qui est déficient chez les enfants autistes. "Le fait que l'anomalie soit présente dès l'enfance n'est sans doute pas sans conséquences, conclut Monica Zilbovicius. Elle entraîne très probablement une désorganisation dans l'établissement des connexions corticales beaucoup plus large que si cette anomalie se produisait à l'âge adulte."

L'IMAGERIE CÉRÉBRALE POUR SUIVRE LES THÉRAPIES

D'ores et déjà, la découverte d'une hypoperfusion des lobes temporaux chez les enfants autistes laisse espérer des traitements par voie médicamenteuse. Ici et là, des médecins commencent en effet à prescrire du piracetam, un médicament utilisé dans le traitement des attaques cérébrales accompagnées de dysphasie ou d'aphasie. Celui-ci améliore sensiblement la récupération obtenue avec la seule rééducation classique en augmentant la perfusion de certaines aires cérébrales, notamment du gyrus temporal supérieur gauche. Mais aucune étude n'a encore été menée pour mesurer ses effets sur les enfants autistes. Enfin, cette découverte pourrait aussi améliorer leur prise en charge éducative. Monica Zilbovicius envisage par exemple d'élaborer des programmes de rééducation très ciblés : "je pense notamment à des jeux, informatisés ou non, pour rééduquer le regard ou l'ouïe." Autre projet : étudier les éventuelles modifications de cette anomalie en fonction du développement de l'enfant et de l'évolution du syndrome autistique. "L'imagerie cérébrale peut être utilisée comme un outil d'évaluation des traitements thérapeutiques mis en place, qu'ils soient médicamenteux ou même éducatifs."
Déjà, cette piste est suivie par le programme de recherche "Ecole et sciences cognitives", financé par le ministère de la Recherche en collaboration avec trois associations de parents. "Nous avons retenu neuf enfants présentant des formes cliniques d'autisme très différenciées, explique Jean-Louis Adrien, professeur de psychopathologie de l'enfant. Ils sont tous intégrés au moins à mi-temps dans le milieu scolaire et bénéficient d'un accompagnement spécialisé et intensif à l'école et à domicile. Nous espérons prouver l'efficacité d'un tel système de prise en charge en mesurant leurs progrès sur deux ans. L'évaluation intervient dans trois domaines : le développement de l'activité cérébrale via l'imagerie cérébrale, le développement psychologique grâce à des tests et l'amélioration de la qualité de vie de la famille à travers des entretiens."
En Caroline du Nord, où est née la méthode éducative Teacch, le taux d'autistes placés en hôpitaux psychiatriques est passé de 90 % en 1964 à 8 % aujourd'hui. Des chiffres qui militent autant que des images en faveur d'une éducation spécialisée et individualisée...

L'ALIMENTATION, UNE PISTE QUI DÉRANGE

Différents travaux ont validé l'hypothèse formulée en 1978 par le psychiatre américain Jaak Panksepp d'un excès d'opioïdes dans le cerveau des autistes. Comme lui, ils postulent pour la plupart, a priori, une cause endogène à ce phénomène. Pourtant, les faits sont là : le régime sans gluten et sans caséine (SGSC) améliore sensiblement l'état de certains autistes. "Ce sont souvent des enfants qui souffrent de problèmes intestinaux, qui adoptent une alimentation très peu variée, composée de pains, pâtes, biscuits, céréales et laitages, explique Gianfranco Valent, de "association Autisme France. Les premiers signes d'amélioration sont décelables au bout de trois ou quatre semaines chez des enfants de moins de 7 ans : ils sont davantage présents et capables de s'impliquer dans un apprentissage." Pour Karl Reichelt, de l'institut de recherche pédiatrique d'Oslo (Norvège) le schéma est le suivant : lors de la digestion, la dégradation incomplète du gluten et de la caséine libère divers peptides dont certains ont une action opioïde. Une partie pénètre dans le système nerveux central... pour diverses raisons comme une perméabilité anormale de la paroi intestinale ou un déficit d'enzymes peptidases. "Les travaùx de Reichelt, qui ont démarré il y a plus d'une vingtaine d'années, s'appuient sur de nombreux cas cliniques, note Gianfranco Valent. Il faudrait qu'ils fassent l'objet d'études à plus grande échelle. Par ailleurs, ils mériteraient d'être inclus dans les projets de recherches en génétique : y aurait-il un défaut génétique au niveau de certaines peptidases ou de protéines les régulant ?" Aujourd'hui, cet aspect métabolique de l'autisme est négligé... parce que tabou ? Il est vrai qu'il amène aussi les chercheurs à s'intéresser aux intoxications mercurielles ou aux réactions immunitaires à la suite d'infections naturelles ou consécutives à des vaccinations...

L'HYPOTHÈSE GÉNÉTIQUE SE CONFIRME

C'est un grand pas en avant. Des chercheurs français et suédois viennent d'identifier dans deux familles comptant chacune deux garçons autistes, des mutations altérant pour l'une le gène NLGN3 et pour l'autre le gène NLGN4 situé sur le chromosome X. "Ces gènes codent pour des protéines d'adhésion cellulaire localisées au niveau des synapses, explique Marion Leboyer, professeur de psychiatrie au CHU de Créteil et chercheur à l'unité Inserm "Neurobiologie et psychiatrie". Ce qui suggère qu'un défaut dans la formation des synapses prédisposerait à l'autisme. " Les chercheurs soupçonnent depuis longtemps une prédisposition génétique à l'autisme : dans les familles comprenant déjà un enfant autiste, le risque de voir un deuxième enfant atteint est de 6 à 8 %. Et la concordance de la maladie chez les jumeaux monozygotes est de 60 %, alors qu'elle est quasi nulle pour les jumeaux dizygotes. Aujourd'hui les chercheurs se centrent surtout sur l'étude de gènes situés sur les chromosomes 2, 3, 6, 7, 15 et X. La plupart d'entre eux sont impliqués dans le développement du système nerveux et, dans une moindre mesure, dans la fonction gastro-intestinale. "Nous pensons désormais que l'autisme fait intervenir plusieurs gènes en interaction avec l'environnement, et que ces gènes varient d'une famille à l'autre, commente Marion Leboyer. Il n'y aurait donc pas un, mais des autismes".

Agnès Chardavoine - SCIENCE & VIE > Juillet > 2003
 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net