Dépendance - Pourquoi nous Ne sommes pas Tous égaux

Certes, il y a drogues et drogues. Mais des travaux récents le révèlent aujourd'hui : l'intensité de l'addiction ne dépend pas que des substances absorbées, mais aussi de la chimie de notre cerveau. Ce qui explique que certains succombent, et d'autres pas...

Addiction : nous Ne sommes Ni libres Ni égaux

Des études le montrent : certains sont plus vunérables que d'autres à la dépendance. Et cela ne tient pas seulement aux substances prises ni à l'histoire personnelle, mais à l'étrange chimie de notre cerveau, parée pour l'addiction.

Bouche pateuse, quinte de toux, perte de souffle, menace cardiaque, perspective du cancer.. rien n'y fait : le fumeur dépendant fume. Et, depuis le 1er février dernier, l'interdiction de fumer dans les lieux publics et les entreprises confronte encore un peu plus les "accros" au tabac à cette étrange servitude qui les pousse désormais à s'exiler sur le trottoir pour en griller une. Comment expliquer un comportement aussi coûteux en termes de santé, d'argent et, maintenant, de temps ?
Au premier abord, la dépendance sémble liée à la quantité de substance absorbée ou à la durée d'exposition. Et c'est vrai : d'après le Baromètre santé 2000, si seulement 2 % de ceux qui consomment au plus 5 cigarettes par jour fument dès le réveil - l'un des critères de l'addiction -, ce chiffre atteint 40 % parmi les fumeurs de plus de 20 cigarettes. Les gros buveurs d'alcool ou les héroïnomanes chroniques sont également plus "accros" que les consommateurs intermittents. L'impact de la quantité étant d'autant plus fort que l'arrêt provoque une douleur physique, comme dans le cas de l'héroïne.
Mais ce comportement pour le moins délétère n'est pas l'apanage de tous les consommateurs de drogues. Ainsi, d'après plusieurs enquêtes, la moitié des fumeurs réguliers ne tombent pas dans le piège de l'addiction ; certains sont donc plus vulnérables que d'autres à la dépendance. Pour les autres drogues, y compris "dures", la prévalence de la dépendance est encore moindre, de l'ordre de 15 %. Par ailleurs, les exemples ne manquent pas de consommateurs qui panrviennent à arrêter du jour au lendemain, tandis que d'autres replongent sans cesse... Pas de doute, nous ne sommes pas tous égaux devant l'addiction.

SOCIAL ET PSYCHÉ INFLUENT...

Des travaux chez l'animal, menés notamment à Bordeaux par l'équipe de Michel Le Moal, ont ainsi démontré que des événements stressants subis par la mère au cours de la gestation et même au début de la vie provoquent, chez le fotus ou le petit, des anomalies du développement des cellules nerveuses dans l'hippocampe (une région cérébrale impliquée dans la mémoire), ainsi que des troubles de l'axe corticotrope (réaction au stress) et des systèmes de neurotransmission. Les chercheurs pensent que les différences interindividuelles à la vulnérabilité aux drogues et à l'addiction ont des racines biologiques, reposant probablement sur les variations naturelles des gènes dans les populations : ce sont les "facteurs de prédisposition". En 2004, l'équipe de Pier Vincenzo Piazza, directeur de l'Institut François-Magendie (Bordeaux) a confiriné cette thèse à l'aide d'une lignée de rats sélectionnés pour leur sensibilité à la cocaïne. Au départ, ceux-ci étaient placés en situation de s'auto-administrer cette drogue, dans les mêmes quantités et dans des conditions de vie (liberté de mouvement, stress) rigoureusement identiques. Résultat de ce "traitement" ? À partir du deuxième mois, un comportement d'addiction s'est progressivement développé chez seulement 17 % des rongeurs. Ce qui signifie qu'il existe bien une fragilité d'origine strictement biologique face au produit psychoactif.
Ces résultats sont-ils transposables à l'homme ? Eh bien, oui, avec toute la prudence requise. "Rien n'interdit de penser que l'interaction entre le contexte environnemental et social, le niveau d'exposition à une drogue et le terrain de prédisposition génétique, puissent jouer aussi dans notre espèce", estime Marcello Solinas du CNRS à l'université de Poitiers. De la même façon que la prédisposition à l'hypertension artérielle met en jeu des facteurs génétiques variés qui vont s'exprimer différemment selon les événements et le mode de vie, par exemple.
En fait, chez l'homme, la vulnérabilité d'origine génétique entre en interaction avec les multiples facteurs de fragilisation ou de résistance d'origines sociale et psychologique qui caractérisent la vie humaine. On peut d'ailleurs entrevoir un pan de cette alchimie en modélisant l'action de certains facteurs de l'environnement chez des animaux. Ainsi, en 2000, le groupe de Pier Vincenzo Piazza a montré que des lignées de souris qui ne sont pas attirées par l'amphétamine - qui ne leur fait aucun effet visible - en raffolent et en ressentent les effets après une dizaine de jours de privation de nourriture. Ces souris résistantes deviennent vulnérables, ce qui montre bien que gènes, facteurs biologiques et environnement participent de manière indissociable à la sensibilité aux drogues.
Mais quel est donc "l'espace" d'expression de la vulnérabilité aux drogues ? Depuis la fin des années 80, la dopamine concentre tous les regards. Ce "neurotransmetteur du plaisir" est considéré comme l'acteur clé du déséquilibre cérébral qui conduit à l'état de dépendance.

UNE CHAINE DE DÉRÈGLEMENTS

Et pour cause : toutes les substances addictives aboutissent, du moins dans la phase initiale de la consommation, à la libération de dopamine dans le noyau accumbens (une zone du système limbique) et dans le cortex préfrontal, à partir d'une aire considérée comme la plaque tournante de l'addiction : l'aire tegmentale ventrale. Activées par les drogues, ces zones, qui appartiennent au"circuit de la récompense", engendrent une sensation de satisfaction physique et psychique particulièrement intense que le drogué chercherait à retrouver, d'où l'addiction.

Dans le cerveau, quatre dérèglements favorisent la dépendance
L'ingestion de drogue provoque une série de dérèglements cérébraux qui interagissent entre eux. Quatre systèmes de régulation sont ainsi perturbés.
- Au niveau des glandes surrénales
- Au niveau du couplage noradrénaline-sérotonine
- Au niveau de la jonction neuronale
- Au niveau du rétrocontrôle dopaminergique

Cette représentation graphique de l'analyse des gênes impliqués dans l'alcoolisme montre toute la complexité de cette question. À partir de tests sur des souris, les chercheurs ont établi que 2600 gênes influeraient sur la dépendance, dont 75 auraient un rôle direct : en rouge, ceux prédisposant à l'addiction, en vert, ceux qui la freinent et en noir, ceux n'ayant aucun impact. Autant de gènes qui sont en interaction...

On le voit, la science n'a pas encore cerné toute la complexité des multiples facteurs qui favorisent ou freinent l'attirance de certains d'entre nous pour la drogue. D'autant moins que, au-delà des différences interindividuelles, chaque substance agit de façon spécifique, impliquant différents systèmes cérébraux et procurant différentes sensations. Les drogues ne sont pas près de nous livrer tous leurs mystères.

J.-J.P. - SCIENCE & VIE > Mai > 2007

Toutes les Drogues ne se Valent Pas

Tabac, alcool, cocaïne, psychotropes... ces substances ont en commun de modifier l'activité cérébrale. Mais leurs effets, toxicité et dépendance diffèrent sensiblement. Pour comprendre leurs spécificités, voici les fiches d'idenfité des huit drogues principales.

Qu'elles soient licites ou illicites toutes les substances impliquées dans la dépendance sont dites "psychoactives", parce qu'elles ont en commun de modifier l'activité cérébrale. Résultat : leur consommation expose à des risques sanitaires certains, dont l'intensité et la rapidité d'apparition sont cependant variables. Car si nous ne sommes pas tous égaux face aux mécanismes de la dépendance, les drogues ont elles aussi des caractéristiques propres qui font de chaque toxicomanie et de chaque toxicomane un cas unique.
Si toutes les drogues agissent sur le cerveau et, in fine, aboutissent à la libération de dopamine dans le circuit neuronal dit de la récompense, elles n'empruntent pas les mêmes voies. Et voilà bien ce qui fait leur spécificité et leur confère un potentiel d'addiction plus ou moins marqué.

LES MOTS DES DROGUES
Dépendance : adaptation de l'organisme à la consommation répétitive de certains produits, dont l'arrêt est caractérisé par un état de manque. Les signes du manque peuvent être physiques et/ ou psychiques.
Tolérance : réaction de moins en moins forte à la consommation répétée d'une même quantité de drogue, incitant à augmenter la dose.
Sensibilisation : réaction de plus en plus forte, et irréversible, à la consommation répétée d'une même quantité de substance psychoactive.
Sevrage premier stade de la prise en charge des sujets dépendants, en milieu hospitalier ou en ambulatoire. Il vise à limiter le malaise physique et psychique lié aux symptômes de manque.

TOUTES LES CARACTÉRISTIQUES

Nous n'avons retenu ici que les substances les plus couramment consommées. Les huit fiches que nous avons établies résument les caractéristiques et le mode d'action des principales drogues en usage aujourd'hui. Pour quantifier leur dangerosité et leur potentiel addictif respectifs, nous nous sommes appuyés sur des indicateurs de tolérance, de dépendance (physique et psychique) et de difficulté du sevrage. Les chiffres de consommation, estimés à partir de l'usage déclaré, sont ceux de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Ils sont, bien entendu, à manier avec une grande prudence.

Em.H. - SCIENCE & VIE > Mai > 2007

T A B A C
ACTION SUR LE CERVEAU : Par les muqueuses pulmonaires ou buccales, la nicotine se répand dans tout l'organisme. Dans le cerveau, elle imite l'action d'un neurotransmetteur, l'acétylcholine, et se fixe sur les récepteurs nicotiniques, situés à la surface de nombreux neurones. Elle a un effet stimulant sur le système nerveux central, et plus spécifiquement dans le "circuit de la récompense". La nicotine renforce la libération de dopamine en activant les neurones qui la produisent. L'harmane et la norharmane maintiennent, elles, une concentration élevée de dopamine, sérotonine et noradrénaline dans les synapses, en réduisant l'activité de l'enzyme qui les dégrade. Elles amplifient ainsi leur action. La vigilance et la concentration augmentent. Il devient plus facile de supporter l'anxiété, la faim. Le tabac peut entraîner nausées, vertiges et maux de tête.
TOLÉRENCE ET DÉPENDANCE : La consommation régulière de tabac maintient une concentration élevée de nicotine dans le cerveau. Ses récepteurs sont de moins en moins sensibles et ne stimulent plus autant la libération de dopamine. Le fumeur ne ressent plus le plaisir procuré par les premières prises : la tolérance s'installe. Après une période d'abstinence de quelques heures (la nuit), le taux de nicotine redescend et les récepteurs deviennent hypersensibles. Dés lors, l'action de l'acétylcholine dépasse le niveau normal et entraîne un état d'agitation et de manque. La prise suivante stimulera de manière excessive les récepteurs et déclenchera une libération massive de dopamine ; c'est ce phénomène qui explique le plaisir procuré par la première cigarette de la journée chez les fumeurs dépendants. Après cette première intoxication quotidienne, la tolérance s'installe. Le fumeur entre dans le cercle vicieux du tabagisme : le plaisir ressenti diminue ; pour retrouver son équilibre, il doit renouveler sa consommation.
DANGERS : Si la nicotine et les harmanes sont les molécules clés de la dépendance au tabac, ce sont d'autres composés (goudrons et monoxyde de carbone, produits de la combustion du tabac) qui sont responsables de sa forte toxicité générale : maladies cardiovasculaires (détérioration des artères, vasoconstriction, hypertension, arythmie, coagulation dans les vaisseaux sanguins, risques d'infarctus du myocarde), maladies respiratoires (limitation des apports d'oxygène au cerveau et aux muscles ; moindre résistance à l'effort, bronchite chronique), ulcères de l'estomac et cancers (tube digestif, appareil respiratoire et vessie). Le fumeur peut connaître des troubles du sommeil et manifester de l'anxiété ; son comportement alimentaire est modifié par la perte du goût, de l'odorat et de l'appétit.
SEVRAGE : Symptômes aigus du manque : Pendant 2 ou 3 jours, troubles du sommeil, anxiété, difficultés de mémorisation et troubles de l'humeur.
Prise en charge : Le sevrage est possible sans aide particulière, mais il est souvent nécessaire de recourir à des traitements. Jusqu'ici les spécialistes estiment que les substituts nicotiniques (patchs, gommes) sont les plus efficaces.
Risque de rechute : très fort. Si 75 % des usagers réguliers ont déjà arrèté de fumer pendant au moins une semaine, on enregistre de 70 à 90 % de rechute à six mois.

A L C O O L
ACTION SUR LE CERVEAU : Non digéré, l'éthanol est véhiculé par le sang jusqu'au cerveau. Il y désorganise les membranes neuronales et se fixe sans spécificité sur de nombreux récepteurs neuronaux. Dépresseur du système nerveux central, l'alcool ralentit le cerveau en activant des neurones inhibiteurs (GABA) et en inhibant des neurones activateurs (glutamate, nicotine). La libération de dopamine survient par la perturbation des neurones GABA et la libération d'opioïdes internes (anti-stress, anti-douleur). Ces derniers sont aussi impliqués dans le rétrocontrôle de la libération de dopamine. L'alcool affecte la mémoire, la prise de décision et les réflexes, il entraîne ébriété puis somnolence, parfois des nausées. Risque de coma éthylique à forte dose.
TOLÉRENCE ET DÉPENDANCE : Au fil du temps, le foie dégrade de mieux en mieux l'éthanol (réduction de la durée de l'ivresse). Le cerveau module la quantité et la sensibilité des récepteurs neuronaux, réduisant la phase de sédation et augmentant les effets de l'ivresse : la perturbation du processus de rétrocontrôle de la dopamine rend le circuit de la récompense hypersensible. Les membranes des neurones se rigidifient, et s'imperméabilisent. Pour retrouver l'ébriété, les prises d'alcool devront être plus importantes (tolérance) mais leurs effets seront d'autant plus intenses (on parle alors de sensibilisation).
DANGERS : L'alcool entraîne un afflux excessif de calcium dans les neurones et rigidifie leur membrane, perturbant les échanges avec leur environnement. Nombre de cellules nerveuses en meurent. L'ensemble des facultés cognitives est affecté (surtout la mémoire, le raisonnement et la concentration). Troubles psychiques, anxiété, dépression peuvent apparaître. La toxicité générale se manifeste par des troubles cardio-vasculaires, des altérations des fibres nerveuses et musculaires, des maladies du foie, des cancers du tube digestif. L'alcool entrave le bon développement du fotus.
SEVRAGE :
Symptômes aigus du manque : À l'arrêt de la consommation chronique, la baisse de la libération d'opioïdes internes est à l'origine d'un état de mal-être qui peut entraîner une rechute. La modification des équilibres se manifeste par une dépression (baisse de la libération de la dopamine) et par un comportement agité (hyperactivité neuronale). La complexité des mécanismes mis en jeu explique la difficulté du sevrage. Hypertension, tachycardie, troubles du sommeil, anxiété, convulsions, hallucinations sensorielles, désorientation temporelle... les symptômes aigus du manque peuvent durer une semaine. Dans certains cas apparaissent délires, fièvre, dépersonnalisation.
Prise en charge : Le traitement s'effectue auprès d'un médecin alcoologue et/ou dans des structures spécialisées. Aide psychologique et anxiolytiques sont souvent nécessaires pour éviter certains symptômes de sevrage.
Risque de rechute : très fort. 50 % à six mois.

C A N N A B I S
ACTION SUR LE CERVEAU : Fumée ou ingérée, quand elle atteint le cerveau, la molécule active du cannabis (THC) altère la fluidité des membranes neuronales. Elle se fixe sur les récepteurs cannabinoïdes CB1, situés sur de nombreux neurones, entraînant une réaction beaucoup plus intense que les cannabinoïdes internes naturellement présents dans le cerveau. Cela renforce la libération de dopamine (euphorie) bien que les neurones à dopamine ne possèdent pas de récepteurs CB1. En fait, ces neurones sont inhibés par des neurones à GABA qui, eux, en sont pourvus. Cette drogue empêche également la récupération de la dopamine, augmentant sa concentration dans les synapses. Perturbateur du système nerveux central, le THC modifie les perceptions sensorielles (troubles de l'équilibre et de la coordination, désorientation spatiotemporelle et, parfois, hallucinations et dépersonnalisation). Souvent : gonflement des vaisseaux sanguins (yeux rouges) et assèchement des muqueuses. Le cannabis peut avoir deux effets opposés. 1) L'euphorie, qui s'accompagne d'une accélération du rythme cardiaque, d'une augmentation de la tension, de difficultés de mémorisation, de concentration, de vigilance et une grande facilité relationnelle. 2) La sédation, pendant laquelle le fumeur ressent fatigue, anxiété, nausées, vertiges et maux de tète. Dans certains cas survient une psychose cannabique (confusion mentale, amnésie des faits récents, hallucinations et parfois crises de schizophrénie ou de paranoïa).
TOLÉRENCE ET DÉPENDANCE : L'organisme s'adapte à une exposition prolongée au cannabis par une diminution de la réponse à la stimulation des récepteurs CB1 : ils sont progressivement moins sensibles et moins nombreux, mais cela n'entraîne qu'une tolérance moyenne. Si la dépendance reste modeste, elle s'accompagne souvent d'une dépendance à la nicotine du tabac mélangé au cannabis.
DANGERS : L'usage régulier engendre une atrophie cérébrale et la mort de neurones. Cependant, la répartition de ses récepteurs, peu nombreux dans les zones du cerveau impliquées dans les fonctions vitales, rend le cannabis peu toxique. À long terme, il entraîne des maladies respiratoires (toux, bronchites, cancers des bronches), des difficultés de concentration et de mémorisation, des crises d'anxiété et un état dépressif. Il peut aussi aggraver certaines maladies comme la schizophrénie. Et si le THC n'engendre qu'une faible toxicité générale, le tabac, lui, est extrêmement toxique.
SEVRAGE :
Symptômes aigus du manque :
Ils durent 5 jours avec plus ou moins de troubles du sommeil, anxiété, dépression, nausées.
Prise en charge :Pas nécessaire ; des anxiolytiques peuvent être associés à une aide psychologique.

M É D I C A M E N T S   P S Y CH O A C T I F S
ANXIOLYTIQUES (Tranquilisants) et HYPNOTIQUES (Somnifères)
ACTION SUR LE CERVEAU : Comme l'alcool, les anxiolytiques et les hypnotiques se fixent sur l'ensemble des récepteurs du GABA et les maintiennent activés, freinant les échanges entre les neurones. Les anxiolytiques réduisent ainsi l'anxiété et entraînent un état de sédation du cerveau. Dans le circuit de la récompense, ils libèrent indirectement de la dopamine. Leur action relaxante (ralentissement du rythme cardiaque, hypotension, dépression respiratoire, baisse de la vigilance et des réflexes, somnolence), peut provoquer une modification des perceptions sensorielles et des délires.
TOLÉRENCE ET DÉPENDANCE : Le cerveau s'adapte en réduisant le nombre et la sensibilité des récepteurs du GABA. Pour empêcher l'apparition de troubles anxieux, l'usager doit augmenter les doses (la tolérance est forte). Avec la famille des benzodiazépines, les premiers signes de dépendance peuvent apparaître en 3 mois.
DANGERS : La consommation régulière de somnifères ou de tranquillisants affecte la concentration, le raisonnement et la mémorisation ; elle provoque irritabilité, dépression, problèmes de coordination des mouvements, troubles du comportement alimentaire, maladies du foie (hépatite). La toxicité générale reste très faible (sauf prédisposition à la maladie de Parkinson).
SEVRAGE :
Symptômes aigus du manque :
Il dure de 2 à 10 jours ; douleurs, hyperthermie, troubles psychiques parfois graves.
Prise en charge : la brutalité du sevrage nécessite le recours à une structure médicale. Le traitement progressif fait appel à des benzodiazépines moins puissantes.
A N T I D E P R E S S E U R S
ACTION SUR LE CERVEAU : Tous stimulent l'humeur. Les "inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine" (ISRS), les plus prescrits, laissent s'accumuler ce neurotransmetteur dans les synapses, amplifiant ainsi son action. Les anti-dépresseurs "tricycliques" (ADT) stimulent les voies de la sérotonine et de la noradrénaline. Les "inhibiteurs de la monoamine oxydase" (IMAO), plus rares, diminuent l'activité de l'enzyme qui dégrade la dopamine, la noradrénaline et la sérotonine. Les antidépresseurs accélèrent le rythme cardiaque, diminuent la tension artérielle et entraînent perte de vigilance, somnolence et excitation.
TOLÉRENCE ET DÉPENDANCE : L'organisme s'adapte aux fortes concentrations de sérotonine et de noradrénaline en réduisant le nombre et la sensibilité de leurs récepteurs.
DANGERS : La toxicité générale est très faible, mais il existe des risques de prise de poids, de rétention urinaire, de signes d'anxiété, de troubles psychiques (délires, suicides) et des dysfonctionnements sexuels.
SEVRAGE :
Symptômes aigus du manque :
Les récepteurs de la sérotonine et de la noradrénaline retrouvent leur sensibilité ce qui provoque une hyperactivité. Apparaissent aussi anxiété, insomnies. Le sevrage des ADT entraîne des douleurs abdominales ; l'arrêt des ISRS peut modifier les perceptions sensorielles ; le sevrage des IMAO, plus difficile, entraîne difficultés de mémorisation et de raisonnement, délires (symptômes semblables au délire alcoolique) et idées suicidaires.
Prise en charge : un suivi médical et psychologique est nécessaire.



La Montée des Addictions Sans Drogue

Ils sont de plus en plus à être "accros" au casino, au Net, au sexe... Car il s'agit bien de toxicomanies quand les mêmes zones cérébrales sont activées que lors de la prise de drogue. Ce qui éclaire d'un nouveau jour les arcanes de l'addiction.

Nous sommes dans un petit casino de la côte normande. Dans la salle des machines à sous, des hommes, des femmes, de tous âges, les yeux rivés sur l'écran de leurs appareils, n'en finissent plus de miser. Leurs gestes sont précis, vifs, mécaniques. Nombre d'entre eux resteront jusque tard dans la nuit, indifférents à ce qui se passe autour d'eux... Sur la totalité de ces joueurs, de 2 à 6 %, au moins sont victimes de ce que les psychiatres nomment le "jeu pathologique". Soit une dépendance d'un genre très particulier puisqu'elle n'implique aucune substance telle qu'alcool, cocaïne on autres : "Ces individus sont dépendants du plaisir que l'espérance du gain leur procure, explique le psychiatre Marc Valleur, directeur de l'hôpital Marmottan (Paris) et spécialiste du sujet. Et il s'agit bien d'une dépendance en ce sens qu'ils consacrent à cette activité de plus en plus de temps, au point qu'elle échappe complètement à leur contrôle". En d'autres termes, ces accros sont de véritables toxicomanes... sans drogue. Si le jeu est la forme la plus répandue de ce comportement pathologique - il concerne entre 1 et 3 % de la population totale -, il n'est pas la seule de ces "addictions sans drogue". Loin s'en faut. Les psychiatres estiment en effet qu'il existe des formes de dépendance à Internet (ils parlent de cyberdépendance quand l'individu ne parvient plus à limiter le temps qu'il passe sur la Toile), au travail (ces workaholics qui ne peuvent s'empêcher de consacrer la quasi-totalité de leur temps à leur activité professionnelle), ou aux achats compulsifs, qui voit ses victimes procéder à des dépenses inconsidérées, sans rapport avec le budget dont elles disposent réellement.
"On connaît aussi des personnes dépendantes à une relation amoureuse pathogène, comme dans le cas d'une femme attachée contre sa volonté à son conjoint alcoolique et violent", remarque Marc Valleur. Sans oublier les dépendants au sexe, une véritable pathologie caractérisée par le besoin compulsif d'avoir une activité sexuelle extrêmement soutenue. Ni, plus répandue, l'addiction au sport, qui pousse le joggeur à préférer l'effort physique à sa vie familiale et sociale. Cette multitude d'addictions sans drogue ne doit pas tromper : toutes ont en commun une même perte de contrôle du comportement. Et Marc Valleur d'expliquer : "Comme pour les toxicomanies classiques, ce type de dépendance se caractérise par la perte de la liberté de s'abstenir, pour reprendre l'expression forgée en 1955 par le médecin français Pierre Fouquet. C'est-à-dire que le sujet est onscient de son comportement, reconnaît qu'il lui pose des problèmes, mais ne parvient pas à y mettre un terme, même lorsqu'il s'y évertue". Un peu comme si une force obscure, plus forte que la volonté, contraignait à s'adonner indéfiniment au même comportement. Avec, à la clé, des conséquences sociales aussi avérées que dans la toxicomanie à l'alcool ou à l'héroïne : perte d'emploi, divorce, difficultés financières...

LA CHIMIE DU CERVEAU EN CAUSE

Or, même s'ils ne disposent pas de statistiques qui le démontreraient clairement, les spécialistes s'accordent à dire que ce type d'addictions est de plus en plus fréquent. Un phénomène qui serait directement lié à la profusion grandissante de situations favorables aux comportements de dépendance, telles que la multiplication des jeux d'argents, le développement d'Internet, l'incitation à la consommation, etc. À tel point que depuis une dizaine d'années, des stuctures médicales ouvrent des services de soins spécialisés dans ce type d'addictions.
Impossible d'accuser ici la moindre substance, puisqu'il n'y en a pas. Comment expliquer alors une telle emprise sur ceux qui en sont victimes ? Par la chimie du cerveau, répondent les scientifiques. Certes, ils n'en ont pas la preuve formelle, mais les quelques études menées vont dans ce sens. Les chercheurs ont observé que l'attente du gain se solde par l'activation de plusieurs aires cérébrales, dont le noyau accumbens ; or, ces aires sont connues pour être activées lors de la prise de drogues euphorisante. Par ailleurs, en 1998, le Pr Montserrat Estorch, de l'hôpital de Santa Creu (Barcelone), a montré que le fait d'effectuer une seule course à pied multiplie par trois le taux sanguin de bêta-endorphines, des neurotrausmetteurs qui procurent une atténuatiou de la douleur et une sensation de plaisir. Cette activité cérébrale, qui implique la libération de dopamine dans le cerveau, serait particulièrement intense chez les personnes dépendantes. Ce serait finalement la stimulation de ces circuits que ces addicts rechercheraient sans relâche.
Mais comment expliquer que passer ses nuits au casino ou s'adonner à la course à pied puisse activer les mêmes zones cérébrales et libérer les mêmes neurotransmetteurs que dans le cas où il y a prise de substance ? Où se situe exactement le mécanisme déclencheur ? Pour l'heure, les scientifiques n'avancent que des hypothèses.
Reste une certitude, l'impact sur la santé physique est bien moindre que celui des drogues. L'usage abusif des machines à sous n'augmente pas le risque de cancer des poumons ou de cirrhose. Idem en ce qui concerne la pratique compulsive du sport ou l'addiction au sexe, même si l'une peut entraîner des blessures et l'autre exposer à des infections sexuellement transmissibles.

DYSFONCTIONNEMENT PRÉCOCE

Quant aux conditions qui favorisent l'apparition d'une addiction sans drogue, elles semblent du même ordre que dans le cas des toxicomanies classiques. En effet, les psychiatres s'accordent ici pour pointer, à côté de la composante biologique, voire génétique, la composante psychologique, notamment les difficultés issues de l'enfance. "Chez les individus dépendants avec ou sans drogue, nous découvrons très souvent l'existence d'un "dysfonctionnement précoce dans la relation entre l'individu et les personnes - ses parents la plupart du temps - qui étaient censées le protéger et subvenir à ses besoins matériels et affectifs lorsqu'il était très jeune, résume Marc Valleur.

Un Médicament Antiparkinson pousse au jeu
C'est la preuve qu'un dérèglement de la chimie du cerveau est bien à l'origine des addictions sans drogue. L'histoire remonte au début des années 2000, lorsque de premiers cas ont été identifiés, telle cette femme de 59 ans atteinte de la maladie de Parkinson depuis 12 ans qui s'est découverte une passion pour le casino, un mois après avoir commencé un nouveau traitement. Pour financer ses pertes, elle a emprunté, vendu ses bijoux, volé sa famille. Pourtant, elle n'avait jamais eu aucun intérêt pour le jeu. Sur les conseils d'un neurologue, elle a arrêté son traitement... et vu son addiction disparaître en quelques semaines ! Les traitements de la maladie de Parkinson consistent à administrer à forte dose des substances qui miment l'action de la dopamine, au point de déséquilibrer le systéme de la récompense très dépendant de la dopamine, explique le Pr Paul Krack (CHU Grenoble). Plus qu'au jeu, il s'agit d'une addiction à la dopamine pour ses patients." Depuis fin 2006, les notices de médicaments préviennent de ces effets secondaires...

N.R. - SCIENCE & VIE > Mai > 2007
 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net