Les Vrais Pouvoirs de l'Hypnose |
Les Vrais Pouvoirs de l'Hypnose |
1, 2, 3, dormez ! En tournée depuis deux mois en France, l'hypnotiseur Messmer fascine ainsi les foules. Hypnose ou grand spectacle ? Notre reporter mène l'enquête...
En tant que journaliste scientifique, j'ai un esprit plutot rationnel. Quand on me dit télépathie, je pouffe. Pouvoirs psychiques ? Je glousse. Hypnose ? J'explose ! C'est donc un sourire ironique aux lèvres que je m'installe dans la salle du théatre Sébastopol, à Lille, en janvier dernier. Je vais assister au spectacle de Messmer, un célèbre hypnotiseur québécois. Avec 25 ans de carrière et 70.000 victimes au compteur, c'est une superstar outre-Atlantique. Et je suis bien décidé à disséquer ses prétendus pouvoirs et à mettre au jour ses trucs. Vingt minutes plus tard, mes certitudes vacillent quand une femme préhistorique se jette sur moi, fourrage dans mes cheveux jusqu'à saisir entre le pouce et l'index une mouche imaginaire qu'elle observe avec gourmandise avant de la gober. De toute évidence, cette jeune femme en jeans, portant queue-de-cheval, boucles d'oreille et maquillage, n'est pas née à l'âge de pierre. C'est une spectatrice, tout comme la quinzaine d'énergumènes qui, sous l'emprise de Messmer, se prennent pour des Néandertaliens insectivores. Ils ne peuvent pas tous être ses complices ! Je repense aux vidéos que nous avons regardées en boucle à la redaction de Science & Vie Junior. On y voit l'hypnotiseur endormir une dizaine de personnes en une minute chrono, effacer le chiffre 7 de la mémoire d'un comptable ou persuader un spectateur qu'il est Rocky sur le ring. Par écran interposé, cela nous semblait gros, trop gros. II y avait forcément une astuce. Mais en voyant Messmer de mes propres yeux, je doute. Est-il vraiment possible de prendre le contrôle d'une autre personne grâce à de simples paroles ?
Ça marche... dans les salles d'opération ! Direction l'hôpital de Liège (Belgique), où m'attendent près de 9000 preuves vivantes que l'hypnose n'est pas une imposture. C'est le nombre approximatif de patients opérés après avoir été anesthésiés par le docteur Marie-Elisabeth Faymonville (photo). Sa méthode est un peu particulière : "Je plonge les patients dans une transe hypnotique pour bloquer la douleur", explique-t-elle. L'hypno-sedation, comme elle l'appelle, consiste à remplacer une anesthésie générale par une anesthésie locale très légére, acoompagnée d'une plongée en hypnose. Les yeux fermés, le patient se concentre sur les paroles de l'anesthésiste. Celles-ci le plongent dans un souvenir heureux, choisi à l'avance, comme des vacances au bord de la mer ou une balade en forêt. En un quart d'heure, le patient est en transe et le chirurgien peut commencer son travail. L'anesthésiste continue à parler pendant l'intervention, détournant l'attention du patient de la salle d'opération, créant pour lui un monde illusoire. Tant qu'il y reste plongé, il ne ressent aucune douleur, même pour des chirurgies lourdes telles que l'ablation d'une tumeur ou d'un organe, comme l'utérus. Une telle performance, sur des patients qu'on peut difficilement soupçonner de simulation, me force à l'admettre : oui, l'hypnose recèle bien certains pouvoirs...
La preuve de son action sur le cerveau a en fait été établie dès 1993, toujours à Liège. Les progrès de l'imagerie cérébrale ont alors permis de "filmer" le cerveau d'une personne sous hypnose. Le neurologue Steven Laureys, qui participait à l'étude, n'avait jamais rien vu de tel : "Comparé à l'état de veille, se souvient-il, le cerveau semble suractivé. À l'exception d'une zone très précise située à l'arrière du cerveau, appelée précuneus. Sous hypnose, elle est éteinte". Or, le précuneus est normalement actif à l'état de veille : c'est lui qui permet d'être conscient de son corps et de son environnement. Débranchez-le, et votre attention au monde qui vous entoure diminue. D'ailleurs, il s'éteint quand on dort... "La transe hypnotique nous plonge donc dans ce qu'on appelle un état de conscience modifiée, poursuit le neurologue. Comme chez un somnambule, l'hypnotisé interagit avec le monde environnant d'une façon tout à fait différente qu'à l'état d'éveil". Comment se sent-on quand on est en hypnose ? Pour Antoine Bioy, psychologue au centre hospitalier universitaire de Bicêtre, près de Paris, et responsable scientifique de l'Institut français d'hypnose, "il est facile de s'en faire une idée car nous expérimentons tous les jours des états similaires". Un exemple : quand vous allez au collège toujours par la même route et que vous laissez vos pieds vous guider, vos pensées se mettent alors à vagabonder... et vous vous retrouvez devant la grille sans avoir eu conscience du chemin parcouru.
On vit tous des épisodes d'hypnose ! Tant que vous étiez perdu dans vos pensées, vous vous rendiez à peine compte de ce qui se passait autour de vous. "L'hypnose, poursuit Antoine Bioy, ne fait que renforcer ce manque d'attention au monde. Elle crée ce qu'on appelle une dissociation de l'esprit. Vous êtes à la fois ici et ailleurs. Un peu comme quand vous racontez un film à un ami : vous êtes avec lui et en même temps plongé dans les scènes que vous évoquez. Deux réalités se superposent. Eh bien, une personne hypnotisée par Messmer qui rampe sur la scène en se prenant pour un bébé vit, elle aussi, dans deux réalités simultanées. Elle sait que le monde réel est là, elle entend les rires des spectateurs, mais elle n'y porte pas vraiment son attention".
En 2000, une équipe de l'universlté de Stanford (États-Unis) a voulu comprendre comment l'hypnose débranchait ainsi le cerveau. Elle a comparé l'activité cérébrale chez des sujets, hypnotisés ou non, à qui l'on présentait des images sur un écran. Dans les deux cas, la zone du cerveau impliquée dans la reconnaissance des couleurs s'activait quand on présentait une image colorée, et s'éteignait lorsque l'écran passait au gris. Mais quand les experimentateurs demandaient aux sujets d'imaginer que l'écran était gris alors qu'il était coloré, cette zone s'éteignait chez les sujets hypnotisés, et seulement chez eux ! Malgré toute la force de leur imagination, les sujets non hypnotisés ne pouvaient pas s'empêcher de percevoir les couleurs. Les hypnotisés, eux, prenaient la suggestion au pied de la lettre : ils ne voyaient bel et bien qu'un écran gris ! Ces preuves qui s'accumulent commencent à me faire peur... L'hypnotiseur peut donc nous plonger dans un univers imaginaire. Alors pourquoi ne pourrait-il pas, en prime, nous manipuler comme une marionnette ? "Les pouvoirs de l'hypnose ne vont pas jusque-là, rassure Antoine Bioy. Pour commencer, la personne hypnotisée n'oublie jamais totalement la réalité qui l'entoure. Les victimes de Messmer qui sont censées dormir sur scène à ses pieds entendent la foule, les spectateurs. Et la femme préhistorique qui vous cherchait des mouches sur la tête n'a pas oublié sa véritable personnalité ni ses goûts culinaires. Seulement, elle était suffisamment en confiance pour glisser dans la transe hypnotique et "jouer le jeu". Il en aurait été tout autrement si elle s'était trouvée en pleine rue ou si Messmer lui avait demandé de se déshabiller ou de tuer quelqu'un : elle se serait réveillée aussitôt".
Ouf ! Les hypnotisés ne sont pas des zombies ! Ils ont toujours le choix de sortir de transe... et aussi d'y entrer. D'ailleurs, la plupart des personnes qui assistent à un spectacle d'hypnose ont déjà fait le premier pas vers l'acceptation. Comme me le confiait Messmer lui-même dans sa loge, quelques minutes avant le spectacle : "C'est comme quand vous allez voir un spectacle comique. Vous avez payé pour ça. Avant même la première blague, vous êtes déjà en condition pour rire. Dans les spectacles d'hypnose, c'est la même chose : il y a forcément des gens qui ont envie de jouer le jeu, de vivre l'expérience".
Mes doigts lui obéissent ! L'hypnotiseur n'est donc pas encore apparu sur scène que le public est déjà acquis à sa cause. Au début du spectacle, profitant de cette bienveillance de la foule, Messmer va alors opérer un tri parmi les spectateurs. Car tout le monde n'est pas égal devant l'hypnose. "Il n'existe pas de chiffres officiels, mais on estime que 5 % de la population à une réponse rapide et spectaculaire à la suggestion", note le psychologue Antoine Bioy. Pour repérer les bons candidats, Messmer commence par un "test de réactivité". La salle entière est invitée à tenir ses mains jointes, index levés, et à fixer l'espace entre ces derniers. Comme tous les spectateurs, je m'exécute. "C'est une façon de se concentrer et de faire abstraction du monde alentour", explique Messmer avant de lancer sa première suggestion : "Vos doigts se rapprochent, comme s'ils étaient serrés par une vis". Et là, surprise, mes doigts lui obéissent ! Je doute un instant, avant de me rappeler l'explication d'Antoine Bioy : "En réalité, lorsque vos doigts se retrouvent dans cette position, la fatigue musculaire suffit à les rapprocher". Pour ceux qui vivent la scène, voir son corps obéir à distance au maître de cérémonie a de quoi troubler ! Toute la salle se retrouve bientôt les index soudés l'un à l'autre. Messmer enfonce alors le clou : "Il vous devient impossible de les détacher. Vous êtes bloqué". Cette fois, la majorité des 1400 spectateurs (dont votre serviteur) parvient à détacher ses doigts... Mais une cinquantaine de personnes se retrouvent bel et bien coincées. Parce qu'elles sont déjà sous l'emprise de Messmer ou parce qu'elles ont envie de s'amuser ?
Les bons clients ! Le tri n'est pas fini. L'hypnotiseur invite les "bloqués" à monter sur scène et à former une file. Et là, il les endort à la chaine. C'est stupéfiant : sur la trentaine de personnes qui sont montées, quinze s'effondrent, chacune en moins de dix secondes... Ces quinze-là sont la crème de la crème, ce qu'on appelle des "bons clients". Et c'est avec eux qu'il s'amusera pendant l'heure suivante, dans une lente escalade de delire. Messmer sort alors le grand jeu et déploie un veritable arsenal de manipulation psychologique. En effet, l'enchainement du spectacle suit à la lettre une méthode éprouvée par des milliers de quêteurs de rue : la technique du "pied dans la porte". Le principe est simple : quand une personne vous demande un petit quelque chose qu'il ne vous viendrait pas à l'esprit de lui refuser (lui donner l'heure, par exemple), vous acceptez beaucoup plus facilement par la suite de lui céder sur un point plus engageant (lui donner une pièce).
Messmer commence donc par demander à ses cobayes montés sur scène des choses relativement anodines - tendre les bras vers le ciel, par exemple -, ce qui lui permet ensuite d'imposer des actes plus farfelus, comme de demander à un homme de vivre un accouchement ! L'heureux papa ne se serait jamais prêté au jeu sans y avoir été amené par de nombreuses étapes intermédiaires. Deuxième arme psychologique : le groupe. Quand Messmer aligne les candidats pour les endormir à la chaîne, il place toujours en tête un sujet particulièrement réceptif. Lorsque vient l'heure de faire dodo, ce très bon client tombe aussi sec. Mettez-vous un instant dans la peau de celui qui se trouve juste derrière lui dans la file. Vous voyez ce premier type tomber, et voilà que Messmer vous fixe avec intensité et s'approche de vous. En plus, vous êtes sur scène, une foule de spectateurs vous regarde. Votre cour s'accélère. Lorsque l'hypnotiseur pose sa main sur votre nuque et vous suggère "dors", qu'est-ce qui vous semble le plus facile ? Résister et descendre de scène, ou bien faire ce qu'on attend de vous, c'est-à-dire la même chose que celui qui vous a précédé ? Faire comme les autres, bien sûr !
L'autorité du maître ! Messmer déploie ici une technique psychologique extrêmement efficace : notre pente naturelle pour le conformisme. Lorsque vous faites partie d'un groupe, si l'ensemble de ses membres agit d'une certaine manière, vous avez de fortes chances de vous comporter comme eux... même si vous estimez qu'il aurait fallu vous conduire autrement. En laboratoire, des sujets à qui l'on demandait de répondre à un problème dont ils connaissaient la solution donnaient une réponse erronée dans 75 % des cas lorsque 6 autres personnes qui les précédaient, complices des expérimentateurs, donnaient une même réponse fausse. Messmer ne s'en cache pas. Il fait grand usage de cette pression de groupe. "C'est aussi pour cela que je privilégie les numéros collectifs, precise-t-il. Si une personne commence à décrocher, elle est ramenée dans le délire par la pression du groupe". Enfin, Messmer peut compter sur une dernière arme à la puissance de frappe démentielle : l'autorité. Une fameuse expérience de psychologie expérimentale, menée par l'Américain Stanley Mllgram dans les années 1960, a montré que la majorité des gens peut être poussée à délivrer des décharges électriques mortelles à de parfaits inconnus, à condition qu'un représentant de l'autorité le leur ordonne avec assez de fermeté.
Sur la scène de son spectacle, Messmer est la figure même de l'autorité, et il fait tout pour l'imposer, avant même le lever du rideau. Un étrange clip vidéo est en effet diffusé en ouverture : sur 2 écrans défilent des images de célébrités que Messmer a fait tomber : Nagui, Arthur, Romain Duris... "Plus je suis connu, plus cela devient facile pour moi d'hypnotiser les gens, me confiait-il dans sa loge. Avant même que j'arrive sur scène, ils sont déjà persuadés de mon pouvoir". Et en fin psychologue, il fait tout pour renforcer cette certitude. Chapeau l'artiste ! Pour ma part, j'avoue que j'ai été ébranlé par son spectacle. Si vous voulez vous faire une idée par vous-même, Messmer l'hypnotiseur sera de retour en France cet automne.
J.B. - SCIENCE & VIE JUNIOR N°294 > Mars > 2014 |
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