L'Impression de Déjà-Vu

 Pourquoi avons-nous parfois une Sensation de Déjà-vu ?

Nous avons tous fait l'expérience de cette impression étrange d'avoir vécu une scène, et même de savoir ce qui va se passer alors que la situation est inédite.

L'hypothèse la plus récente et la mieux étayée pour expliquer ce sentiment est celle du neurologue français Fabrice Bartolomei, qui met en cause un dysfonctionnement de la zone rhinale, située sous l'hippocampe, au cour du cerveau. On la savait impliquée dans les crises d'épilepsie temporale, au cours desquelles les patients sont souvent sujets au déjà-vu. Cette zone détecte la nouveauté d'une scène vécue avant de la transmettre à l'hippocampe, où elle sera mémorisée. Or, une "panne" temporaire l'empêcherait de détecter la nouveauté : le souvenir tout juste enregistré se confondrait donc avec un souvenir ancien, provoquant l'impression de familiarité typique du déjà-vu. La cause de ce court-circuit reste à déterminer, même si l'on sait déjà que le stress et la fatigue favorisent ce phénomène.

J.L. - SCIENCE & VIE QUESTIONS RÉPONSES N°7 > Mai > 2012

 D'où vient l'Impression de Déjà-Vu ?

Selon l'universitaire américain Alan Brown, spécialiste du phénomène, 2 personnes sur 3 l'ont déjà expérimentée.

Erreur de la mémoire, défaut d'attention, trop-plein d'émotion... Les chercheurs proposent de nombreuses explications à ces étranges mais familières sensations qui déroutent notre cerveau...

Ce visage, cet environnement, cette situation... Vous êtes pratiquement certain(e) de les avoir déjà vus ou vécus. Pourtant, impossible de vous souvenir où, quand ni dans quelle circonstance... La sensation de "déjà-vu", qualifiée ainsi en 1876 par le physicien français Emile Boirac, n'est en général pas désagréable et apparaît même plutôt plaisante. Mais elle dérange et intrigue. Deux personnes sur trois disent l'avoir déjà rencontrée. Alors, d'où vient-elle ? D'une prémonition ou d'une réminiscence d'une vie antérieure, comme on l'a longtemps soupçonné ? "D'un déraillement de notre cerveau", préfèrent répondre aujourd'hui les neuroscientifiques. A chaque apparition d'un nouvel objet, à chaque nouvelle situation, le cerveau cherche un équivalent éventuel en mémoire. Et il en trouve... par erreur ! Il crée alors une sensation de familiarité et identifie l'objet ou la scène comme déjà connus. Mais la sensation ne dure que quelques secondes... Trop rare, fugace et éphémère pour que les outils scientifiques la captent en situation réelle. C'est pourquoi le phénomène est surtout étudié en laboratoire sous hypnose, ou chez des personnes qui y sont plus sujettes à cause de certaines affections pathologiques. Son étude ouvre néanmoins une fenêtre sur la façon dont notre mémoire fonctionne et lève un peu le voile sur les mystères de la conscience. Deux spécialistes mondiaux américains, le Pr Alan Brown, de l'université méthodiste à Dallas, et le Dr Akira O'Connor de l'université de Washington, à Saint-Louis, commentent les différentes explications scientifiques avancées pour ce phénomène.

Votre mémoire confond présent et passé

Par la fenêtre, vous apercevez un petit oiseau avec des couleurs vraiment originales. Pas de doute : vous avez déjà ressenti ce plaisir à le regarder, et avec les personnes présentes à ce moment précis avec vous ! En fait, un élément unique du passé qui vous a marqué (cet oiseau, vos grands-parents avaient le même quand vous aviez 4 ans) se mêle aux éléments du présent (la vue du volatile). Chaque fois que l'on rencontre une situation nouvelle, un nouveau groupe de neurones s'active. Si ces nouveaux neurones sont géographiquement proches, ou ont des connexions directes avec les neurones ayant gardé la trace d'une situation ressemblante, alors la confusion s'installe. En 2008, Anne Cleary, de l'université du Colorado, a fait l'expérience en laboratoire. La chercheuse présentait une première liste de mots. Peu après, elle en donnait une seconde, dont certains termes ressemblaient visuellement ou rimaient avec les premiers. Les sujets devaient déterminer s'ils avaient ou non vu les mots dans la première liste. Résultat : le chevauchement de certaines caractéristiques du mot suffisait à créer un sentiment de familiarité avec le nouveau mot. Pour le Dr Anne Cleary, la première liste a laissé une trace inconsciente en mémoire.

Vous prolongez votre rêve de la veille

Vous conduisez dans une ville où vous êtes certain de ne jamais être allé. Pourtant, les boutiques, les gens, des détails vous frappent... Tout à coup, vous pensez que quelqu'un va surgir près de vous. Vous vous retournez. Personne... "Bien des personnes disent ressentir quelque chose de comparable, note le Pr Brown. Il semble que ce soit le prolongement d'un rêve de la veille, auquel on ajoute les éléments de la réalité. Mais nous n'avons aucune façon de le prouver scientifiquement". Tout comme dans le cas d'un souvenir réel, le déclencheur est une stimulation sensorielle (la vue d'une boutique, un son...) qui rappelle le rêve, même si ce dernier reste inaccessible à la conscience. "Les sens stimulent les régions cérébrales de la mémoire, que le souvenir provienne d'un rêve ou de la réalité. Ainsi, les sensations provenant de la vue, de l'ouïe, du toucher ou de l'odorat peuvent provoquer du déjà-vu". A l'inverse, faut-il forcément voir ou entendre pour vivre un déjà-vu, ou un "déjà-perçu" ? Pas toujours. "En théorie, on pourrait ressentir le déjà-vu même en fermant les yeux ou avec des boules Quiès", précise Akira O'Connor. D'ailleurs, les aveugles peuvent très bien en faire l'expérience.

C'est votre inconscient qui a pris les devants

Une vieille dame traverse la route. Vous êtes sûr de l'avoir déjà vue, et justement en train de traverser devant vous. Pourtant, vous n'êtes jamais venu à cet endroit ! En fait, elle est dans votre vision périphérique depuis quelques minutes. Vous n'avez fait qu'anticiper sa traversée. "C'est une des théories les plus solides sur le déjà-vu", note le Pr Brown. La première image de la vieille dame en vision périphérique a été reçue sans attention consciente, très vite, et interprétée comme un souvenir présent en mémoire à long terme, c'est-à-dire comme un souvenir ancien. Il y a 20 ans, Larry Jacoby, un psychologue de l'université de Washington à Saint-Louis, recréait cette sensation en laboratoire. Il présentait très brièvement un mot, de façon que les participants à son étude ne puissent pas l'identifier, mais il laissait une trace dans le système visuel du cerveau. Résultat : quand on leur présentait à nouveau, ils avaient l'impression de l'avoir déjà vu.

Vous êtes ému

Vous vous trouvez face à l'affiche du nouveau film d'Harrison Ford. Bizarrement, elle ne vous est pas étrangère, et pourtant, elle est présentée en avant-premjère en France ! Comme vous adorez cet acteur et avez probablement pensé à lui ou revu l'un de ses films dans les jours précédents, la vue de l'affiche vous a ému. Selon Stefan Kohler, de l'université de Western Ontario, nos émotions interviennent dans les impressions de déjà-vu : il faut nécessairement qu'une émotion jaillisse, associée à un lieu, à une personne ou à un événement familiers, pour vivre une impression de déjà-vu. Lors d'une étude réalisée chez un patient épileptique, le chercheur canadien a mis en évidence le rôle de l'amygdale dans le déjà-vu. Or cette structure est fortement impliquée dans les processus émotionnels. Le Pr Brown n'est pas convaincu : "je ne suis pas sûr que le déjà-vu soit forcément lié à une émotion. En revanche, certaines émotions y sont plus particulièrement associées : la surprise, la confusion et l'étrangeté".

Vous rêvez les yeux ouverts

Vous captez un élément de votre environnement et, hop ! d'un coup, votre esprit vagabonde et s'envole. Pendant un bref instant, rêve et réalité se confondent et vous vivez un déjà-vu. Dans les années 1950, Wilder Penfield, un célèbre neurochirurgien de Montréal, stimulait électriquement des zones du cerveau de ses patients pendant une opération à crâne ouvert. En stimulant les lobes temporaux (près des tempes), il provoquait des rêves éveillés chez les patients. Or, il a découvert qu'ils reportaient, par ailleurs, des expériences de déjà-vu. Laisser son cerveau se balader au gré des songes le rend-il plus enclin à la sens ation de déjà-vu ? Il semble que oui : dans une étude réalisée par Uwe Wolfradt, de l'université Martin-Luther en Allemagne, 46 % des étudiants volontaires ont reconnu être dans un état mental de relaxation lorsque le déjà-vu apparaît. Par ailleurs, les cerveaux les plus "créatifs" et les plus "fantaisistes" se révèlent également de bons candidats.

Vous avez refoulé votre souvenir initial

Vous vous trouvez dans une soirée, et une odeur, un parfum vous envahissent. Ils vous évoquent des souvenirs lointains, flous. Et quand vous cherchez dans votre mémoire, ils vous échappent. Impossible de savoir s'ils ont vraiment existé ou si ce sont de bons ou de mauvais souvenirs. En fait, ce parfum fait partie de vos "vrais" souvenirs ! Mais ce souvenir est douloureux. Pendant une grande partie du XXè siècle, les scientifiques ont adopté la théorie freudienne de la "paramnésie". Dans cette théorie, le célèbre psychanalyste suggère que l'événement original est lié à une douleur, à une détresse. Il a donc été supprimé de la reconnaissance consciente et n'est plus accessible en mémoire. Ainsi, quand cet événement va se reproduire, on ne s'en souviendra plus clairement. Le déjà-vu pourrait aussi traduire le désir non conscient de renouveler une expérience pas sée, en lui donnant, cette fois, une issue positive.

Vous anticipez un événement hautement probable

Le cheval sur lequel vous avez misé arrive en tête de la course hippique. Vous l'aviez parié ! Pour vous, ce n'est pas une surprise, car vous avez l'impression d'avoir déjà vu ce cheval gagner dans cet hippodrome où vous venez pourtant pour la première fois... L'explication est claire : ce cheval était donné grand favori et vous n'avez fait que suivre les pronostics du journal ou les recommandations de quelques amis. Cette sensation de déjà-vu est née simplement parce qu'une situation qui a de grandes chances de se produire s'est effectivement produite. "C'est une spéculation intéressante très plausible ! note le Pr Brown. La personne a pu imaginer dans sa tête le scénario du cheval en train de gagner, et quand la scène s'est réellement produite, elle s'est superposée à la première stockée en mémoire, d'où l'impression de déjà-vu." Deux études publiées en 2007 ont démontré que les mêmes zones du cerveau s'activent lorsque l'on pense au passé et que l'on se projette dans le futur.

Vous êtes témoin d'un événement stressant

Devant vos yeux, un homme sort d'une bijouterie, un sac à la main. Il monte dans une voiture postée juste devant, qui démarre à toute vitesse. Un braquage vient d'avoir lieu. Vous êtes convaincu d'avoir déjà vu cet homme. Oui, mais où et quand ? Qui est-ce ? Impossible de vous en souvenir. Jusque-là, vous vivez un déjà-vu. Les spécialistes le reconnaissent : le stress influence le déjà-vu. Seulement voilà, si ce sentiment ne se dissout pas en quelques dizaines de secondes, il risque de se transformer en souvenir, qui peut vous conduire à faire un faux témoignage. C'est un cas fréquent et connu : si l'on est soumis à un stress intense et qu'on ne peut prendre le recul nécessaire, une sensation de déjà-vu peut s'ancrer dans la mémoire comme un (faux) souvenir. La différence ? "Le déjà-vu est toujours perçu comme quelque chose de familier, mais qui est en même temps inapproprié, incongru. Dans le cas du faux souvenir, on a l'impression d'une familiarité réelle", explique Akira O'Connor.

ON MANIPULE VOTRE CERVEAU

On vous fait apprendre une liste de mots. Puis, sous hypnose, on vous demande d'oublier la liste. Au réveil, en lisant ces mots, vous vivrez une impression de déjà-vu, sans vous souvenir comment vous les avez appris. Cela a été démontré par Akira O'Connor et ses collègues en 2008, qui ont, pour la première fois, recréé l'impression de déjà-vu en laboratoire sous hypnose. En réalité, cette technique a permis de montrer qu'on peut créer artificiellement un sentiment de familiarité tout en effaçant le souvenir.

VOUS SOUFFEZ D'UNE PATHOLOGIE

"La schizophrénie, certaines psychoses et la démence augmentent la probabilité d'expérimenter le déjà-vu ou le déjà-vécu", affirme le Dr O'Connor. Ceux qui souffrent d'une mauvaise perception du temps, sans pathologie avérée, ont aussi plus de chances de ressentir un sentiment de déjà-vu. Selon une étude réalisée au Japon en 2006, les caractéristiques du déjà-vu chez les schizophrènes ressemblent à celles des sujets sains. A quelques différences près : ils croient dur comme fer que leurs expériences de déjà-vu sont identiques à une situation passée, et ne les attribuent pas à des illusions. Par ailleurs, elles durent plus longtemps et sont plus monotones. Les patients se sentent aussi oppressés et jugent les expériences désagréables.

Les 10 facteurs qui favorisent son apparition...

1/ L'âge : Il est plus fréquent entre 15 et 25 ans et diminue au cours de la vie. Il faut une certaine maturité du cerveau pour qu'il se produise : la première expérience de déjà-vu a lieu à l'âge de 8 ou 9 ans.
2/ De hauts revenus.
3/ Un haut degré d'études.
4/ La fatigue.
5/ Les voyages.
6/ La musique, et tout ce qui éveille nos sens : odeurs, couleurs, goût particulier.
7/ Les intérieurs (en regardant à travers une vitre) plutôt que les extérieurs.
8/ Le fait d'être accompagné.
9/ Le moment de la journée : plus souvent en soirée que le matin et plutôt en fin de semaine.
10/ Avoir des opinions politiques et religieuses libérales plus que conservatrices.
N.B. Le déjà-vu touche autant les hommes que les femmes.

NOS RÉFÉRENCES
- "La Sensation de déjà-vu", Remo Bodel, éd. du Seuil, 2007.
- "The Déjà Vu Experience : Essays in Cognitive Psychology", Alan Brown, Psycholoqy Press, 2004.
- "Les Labyrinthes de la mémoire", M. Puel & C. Thomas-Antérion, éd. Privat, mars 2008.

Valérie Buron - ÇA M'INTÉRESSE > Décembre > 2009
 

   
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