Voir l'Invisible : les Microbes dans notre Vie

Par qui notre Corps est-il Habité ?

ÇA M'INTÉRESSE Question N°49 > Janvier-Mars > 2025

Les Petites Bêtes qui Montent



NATIONAL GEOGRAPHIC HS N°70 > Octobre-Novembre > 2024

Vous ne verez plus votre Maison comme Avant

Tapis, meubles, cuisine, vécés... Dans une maison grouillent des milliards de microbes. Oui, mais ce sont les nôtres et ils nous préservent des agents pathogènes ! Tel est l'étonnant résultat d'une étude qui a scanné le microbiome d'un habitat. De quoi revoir notre idée du sale.

L'expérience aura duré 6 semaines. Chaque jour, une vingtaine de scientifiques amateurs "volontaires" ont effectué des prélèvements dans leur logement. Heure par heure, chacun a promené des Coton-Tige humides sur les poignées de porte, les interrupteurs, la table de la cuisine, la cuvette des toilettes, le sol. De quoi collecter des milliers d'échantillons qui ont tous été minutieusement étiquetés. Pourquoitant d'efforts ? Pour mener à bien le Home Microbiome Project (projet microbiote domestique). Pilotée par une équipe de l'université de Chicago, cette exploration est la plus complète jamais entreprise sur l'environnement domestique et le monde microbien qui le peuple.
Une première, puisque jusqu'à présent, les scientifiques s'étaient toujours concentrés sur les hôpitaux et autres lieux où la présence d'agents infectieux est redoutée ; là où l'objectif est le plus souvent la stérilité - c'est-à-dire l'absence complète de microbes. À l'inverse, les banals microbes de notre quotidien n'avaient jamais fait l'objet d'études approfondies. Certes, quelques cas particuliers, comme les télécommandes ou les téléphones, avaient bien été passés au crible, mais à l'échelle d'une maison ou d'un appartement tout entier, personne n'aurait pu répondre à ces trois questions simples : où sont exactement les microbes ? D'où viennent-ils ? Quelle est leur nature ? La relative ignorance de ce monde invisible, alors que nous y sommes quotidiennement plongés, n'étant pas sans conséquence : elle incite depuis le XIXè siècle et les découvertes de Pasteur à percevoir notre envitonnement comme une menace diffuse, venue de l'extérieur... Autour de nous grouillent les microbes, justifiant des rêgles d'hygiène fondées sur l'usage de détergents et d'eau de Javel depuis plus d'un siècle.

DES GEYSERS MICROBIENS

Or, surprise ! Les conclusions du Home Microbiome Project, piloté par Jack Gilbert, de l'Argonne National Laboratory (université de Chicago), viennent prendre l'exact contrepied de ces a priori négatifs. Non que les microbes soient moins nombreux qu'on ne le croirait : l'abondance de notre univers microbien domestique est au contraire phénoménale ! Les mesures montrent que chaque cm² de nos maisons est recouvert de centaines de milliers de bactéries, le groupe le plus largement prédominant, mais aussi de champignons et de virus. Surtout, l'étude révèle que l'origine de cet univers microbien... c'est nous. Telle est l'une des découvertes les plus sidérantes de cette étude : loin d'être menacés par l'extérieur, nos logements nous reflètent parfaitement. La signature microbienne de chaque maison peut sans ambiguité être rattachée à ses occupants, et même, pour l'essentiel, à leur peau.
Il faut ici savoir que le concept de "signature microbienne" date d'une dizaine d'années, lorsque les scientifiques ont découvert que chaque être humain porte sur sa peau un mélange spécifique de bacteries appartenant à quelque 600 espèces différentes. Une faune propre à chacun, unique, résultat à la fois de nos gènes et de notre histoire microbienne personnelle : rencontres, maladies, mode devie... D'où l'idée de l'équipe de Jack Gilbert de demander aux participants d'effectuer aussi des prélèvements à la surface de leur propre peau pour les comparer avec les échantillons récupérés sur les meubles, les sols ou les objets de leur foyer. Le verdict a surpris les chercheurs, tellement chaque participant, même en parfaite santé, s'est révélé être une inépuisable fontaine microbienne inondant tout sur son passage. Chacun projetant autour de lui, sans discontinuer, une nuée de quelque 15 millions de micro-organismes par heure ! "C'est plus que les chiens ou les chats, commente Jack Gilbert, car nous sommes l'une des très rares espèces de mammifère à peau nue, dont l'épiderme se renouvelle du coup très activement". Un seul toucher sur une surface humide transfère plus d'un million de bacteries. Si l'équipe de Jack Gilbert a révélé que ce geyser microbien caractérise et identifie les habitants, elle a aussi souligné que la faune microbienne n'est pas fixée une fois pour toutes ; au contraire : elle évolue.

DES MICROBIOTES FAMILIAUX

"Notre étude a montré que le fait de vivre ensemble fait converger nos signatures bactériennes qui, dans une même famille, deviennent très homogènes, note Jack Gilbert. Et quand il y a un chien dans cette famille, ses membres se rapprochent microbiologiquement, sans doute parce que les caresses et les léchages de l'animal transfèrent des micro-organismes"... Si l'empreinte de chacun reste unique, elle tend tout de même à se rapprocher de celles des autres habitants. Et même pas besoin de lien familial. Une simple cohabitation suffit à être un puissant facteur de convergence des microbiotes, les colocataires acquérant manifestement des populations entières de microbes les uns des autres. L'un des participants de l'expérience, un étudiant qui louait une chambre dans l'appartement d'un couple, s'est ainsi avéré très proche microbiologiquement de ses hôtes.
"De plus, comme nous nous étions arrangés pour échantillonner aussi des familles qui déménageaient, nous avons constaté que la vitesse à laquelle nous apposons notre signature sur le lieu de vie est incroyablement élevée, s'émerveille Jack Gilbert. Au bout d'une heure, on peut voir que quelqu'un de nouveau est arrivé dans un logement. 24 heures après, c'est comme s'il avait toujours vécu... Du point de vue microbien s'entend". L'expérience a même été conduite pour l'un des participants dans une chambre d'hôtel, avec le même résultat. Cette importance de l'occupant du logement, l'étude la démontre comme aucune ne l'avait fait jusqu'ici. Soulignant un fait essentiel : notre extraordinaire productivité microbienne se déploie dans un environnement bâti d'où, décennie après décennie, nous avons éliminé toute source de micro-organismes autre que nous-mêmes.

DES MICROBES NÉCESSAIRES

Les villes s'agrandissent, se goudronnent au point de rendre impossible tout contact avec la terre ; les matériaux (cartelage, verre, alliages...) deviennent de plus en plus stériles ; les techniques de nettoyage et les produits ménagers sont sans cesse plus performants. Résultat, 80 à 85 % des microbes des maisons modernes sont d'origine humaine. Qu'en déduire pour notre santé ? Que s'obstiner à stériliser à tout bout de champ notre habitat ne serait pas si benéfique. Au contraire. Dans une étude parue en movembre 2014, le chercheur Scott Kelley, de l'université de Californie, à San Diego, a montré, en échantillonnant des toilettes publiques, qu'après une désinfection à l'eau de Javel, les microbes digestifs et génitaux, qui contiennent de nombreux pathogènes, dominaient la faune du sol avec des concentrations dépassant 100.000 par cm². Mais lorsque, peu à peu, les bactéries cutanées sont revenues, au bout de 4 à 5 heures elles ont formé un tapis microbien inoffensif qui a littéralement submergé les pathogènes, moins aptes à résister au dessèchement et à la lumière.
"Nous ne savons pas encore ce qu'est un environnement microbien optimal, et nous ne savons pas non plus comment le favoriser, indique honnêtement Jack Gilbert. Mais on voit bien que les individus malades présentent presque systématiquement un microbiote appauvri et dominé par un petit nombre d'espèces opportunistes proliférantes. Tandis qu'énormément de données suggèrent qu'une faune microbienne abondante et diversifiée a des effets protecteurs". Pour de nombreux chercheurs la leçon est claire : en temps normal, c'est davantage de bactéries qu'il faut dans nos maisons pour neutraliser les pathogènes présents - et non moins.

DIVERSIFIER SON MICROBIOME

Certes, ces scientifiques ne contestent pas qu'en cas d'attaque par une bactérie dangereuse, ou bien autour d'un patient immunitairement affaibli, il puisse être utile de stériliser radicalement l'environnement. Mais dans la vie normale, ils estiment avec Jack Gilbert que, "sur le plan sanitaire, on devrait pouvoir passer avec profit d'environ 600, le nombre d'espèces de bactéries actuellement présentes dans nos maisons, à 4000 ou 5000 espèces différentes". Autrement dit, augmenter la diversité des apports bacteriens et ne pas compter uniquement sur notre peau pour alimenter la faune microbienne de nos maisons (voir l'encadré ci-contre). Comme le déclarait récemment Julia Segre, de l'Agence américaine de la santé, auteure d'un article récent dans Science consacré à l'effet positif des microbes de la peau sur notre système immunitaire, "les gens mangent des yogourts parce qu'ils ont integré que les microbes du tube digestif leur procurent un bénéfice, mais ils continuent à désinfecter leur peau et à steriliser leurs mains. Pourtant les microbes cutanés procurent aussi un bénéfice". En effet, même si Jack Gilbert reconnait que "l'hygiène est l'invention qui au cours du dernier siècle a sauvé le plus de vies humaines", pour Julia Segre et lui, ce nouveau paradigme favorable aux microbes finira par s'imposer. Sans remettre en cause les mesures d'hygiène auxquelles de nombreuses populations des pays pauvres n'ont pas encore accès (sanitaires, eau potable...), une nouvelle génération de chercheurs est désormais décidée à montrer que le culte actuel de la stérilité est, dans notre environnement quotidien, à la fois vain et nocif. Et déterminée à chercher un meilleur équilibre avec ce monde de l'invisible que peu à peu, enfin, elle nous aide à discerner.

5 Pistes pour mieux Vivre avec les Microbes Chez Soi
Avoir un ou des animaux de compagnie. Les chiens, en particulier, ont des effets bénéfiques documentés au niveau de la prévention de l'allergie chez l'enfant. Ils rapportent dans le logement de nombreux microbes inoffensifs.
Mettre des plantes dans toutes les pièces. Ce sont des êtres vivants qui favorisent la biodiversité microbienne. Les sols dans lesquels elles poussent constituent également un habitat fertile.
Ouvrir les fenêtres tous les jours. Non pour tuer les microbes, comme on l'entend parfois, mais pour faire entrer la faune microbienne en suspension dans l'atmosphère.
Laver raisonnablement, sans désinfecter. Garder sa maison propre n'est évidemment pas critiquable, mais les désinfectants puissants souvent utilisés à tour de bras sont inutiles, voire nocifs. Laver régulièrement au savon suffit, y compris pour les sanitaires.
Multiplier les tapis. Ce sont des habitats très riches pour les bons microbes.

Y.S. - SCIENCE & VIE N°1169 > Février > 2015

Des Intrus Démasqués

Pasteur, au XIXè siècle, l'a clairement établi : le monde grouille d'invisibles champignons et microbes, qui se reproduisent en toute discrétion. Tous ne sont pas nos amis.

Bacilles de la tuberculose, du choléra... Les médecins mènent depuis plus d'un siècle une lutte sans merci pour les éradiquer, quant à l'hôpital qu'au foyer. Et pour les révéler, ils s'arment d'incubateurs et d'une batterie de colorants qui les font ressortir, pour les identifier ensuite au microscope, qu'il soit optique ou, aujourd'hui électronique. Gardons-nous pourtant de sombrer dans la paranoïa. Car si certains microbes sont nuisibles, la plupart - comme la foule d'acariens qui partagent notre lit - sont inoffensifs. Et d'autres nous sont même indispensables. Sans les milliards de bactéries que contient notre intestin, nous aurions bien du mal à digérer nos aliments. Et ce sont également des bactéries qui nous procurent yaourts, fromages, vins, etc. Ou décomposent nos déchets. Plutôt que de tout stérilisé, mieux vaut donc apprendre à vivre en bonne intelligence avec ce monde microscopique.

S.F. - SCIENCE & VIE Hors Série > Septembre > 2010
 

   
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