L'appel du Chef Raoni pour la Forêt Amazonienne

Raoni est le leader du mouvement de défense de la forêt amazonienne. Pour cette cause, il a risqué de nombreuses fois sa vie. Grâce à l'aide de ses amis du monde entier et après de longues années de guerres et de promesses non tenues, le Brésil lui a rendu officiellement la terre de ses ancêtres. Le territoire, grand comme le tiers de la France, est désormais protégé et délimité. Mais le danger rôde autour de la réserve et il veut désormais créer un institut pour la sauvegarder. Il nous explique pourquoi.

"Sauver la forêt c'est nous sauvez nous-mêmes". Raoni avait 20 ans lorsqu'il a vu le premier homme blanc. C'était un garimpeiro, un chercheur d'or. Il était à cheval et Raoni a pensé que les Blancs étaient curieux parce qu'ils avaient quatre jambes et deux têtes. Depuis, il est devenu le plus respecté et le plus redouté des chefs Kayapos. Longtemps considérés comme les Indiens les plus dangereux d'Amazonie, ils massacraient tous les bûcherons, les orpailleurs et les ramasseurs de caoutchouc qui osaient s'aventurer sur leurs terres. Les envahisseurs ont tout fait pour les exterminer. Mais Raoni veille. À son seul commandement, les tribus locales peuvent se dresser contre les destructeurs de la forêt. D'un mot, il peut aussi atténuer les tensions et ramener la paix. Il a unifié son peuple et fait le tour du monde pour plaider sa cause. Trois cents générations séparent la fin de la préhistoire de l'ère spatiale... Raoni a franchi cette arche du temps en une seule vie. Il a rencontré les puissants de ce monde, mais il habite une simple hutte et ne possède rien sinon son nom, son bien le plus précieux, dit-il souvent, car il ne peut être vendu...

JONAS : Raoni, je me suis toujours demandé ce qu'il y a d'écrit sur votre passeport ?
RAONI : Cacique, chef. Je suis le chef des Indiens Kayapos...

JONAS : Qu'est-ce qu'un chef Kayapo ?
RAONI : Notre conception de l'autorité est différente de la vôtre. Un chef ne donne jamais d'ordres. Il ne commande personne. Il écoute et il ne fait que suggérer. Il doit être un exemple pour son peuple. Il ignore ses intérêts personnels. Il doit être généreux, calme, efficace, brave. Et avoir le courage de séparer les hommes pour les empêcher de se battre.

JONAS : Vous portez un labret, ce plateau de bois inséré dans votre lèvre inférieure...
RAONI : Il servait jadis à terrifier nos ennemis. Je le porte, comme mon père l'a porté, et avant lui mon grand-père. C'est le signes des hommes qui sont prêts à mourir pour leur terre.

JONAS : Comment décririez-vous votre pays ?
RAONI : C'est un territoire immense. Il est plein de gibier, de fleurs et de fruits. C'est la plus belle des forêts. Mais elle est menacée et je suis inquiet.

JONAS : Par qui ?
RAONI : Tout autour de la réserve, là où le soleil se lève et là où il se couche, la forêt brûle. À partir du mois d'août, un brouillard bleu envahit le village et les enfants toussent. Ils attrapent des maladies pulmonaires. Des halos nimbent la nuit. Les fermiers blancs mettent le feu à la jungle. Dans l'épaisseur du ciel, les flammes illuminent le manteau vert et l'horizon disparaît sous un voile noir. Alors, les perroquets se mettent à voler entre les cimes des arbres. Les jaguars, les tapirs, les pécaris fuient le brasier en longeant les berges des rivières. Les arbres partent en fumée et avec eux les oiseaux, les insectes, les plantes. La forêt meurt de la folie des hommes blancs.

JONAS : Votre terre est protégée par la loi...
RAONI : En principe oui, mais il est très difficile de la contrôler. Les bûcherons, les chercheurs d'or et les fermiers blancs ne la respectent pas. Il leur faut de la terre, encore de la terre, toujours de la terre. Ils la fouillent comme des cochons. Ils veulent la transformer en prairie pour élever des vaches. Ils souillent l'eau avec le mercure pour en extraire l'or. Ils tirent sur le gibier pour le plaisir et le laissent mourir sur place. Si on faiblit, ils nous écrasent.

JONAS : Une loi brésilienne stipule que si une terre est achetée en Amazonie et que l'on y découvre l'existence d'une tribu, elle devient automatiquement une réserve et l'acquéreur perd tous ses droits...
RAONI : Oui, mais certains Blancs sans scrupules achètent à bas prix de grandes étendues de forêt et s'assurent qu'aucune tribu n'y subsiste en engageant des pistaleras, des nettoyeurs qui attirent les Indiens avec des cadeaux et les massacrent. On a découvert des charniers contenant des dépouilles d'hommes, de femmes et même de chiens.

JONAS : Mais vous vous êtes défendu. En 1980, vous avez lancé vos guerriers à l'assaut des grandes fermes implantées sur votre territoire. Il y a eu 14 morts. Vous avez pris en otage quelques fonctionnaires de la Funai, la fondation brésilienne pour l'Indien et confisqué deux avions Cessna en réclamant 5000 hectares de plus pour votre réserve. Plus tard, en 1985, vous avez lutté contre une nouvelle vague de chercheurs d'or. Il y a encore eu des morts.
RAONI : À cette époque, nous avions fait confiance aux Blancs qui avaient delimité notre territoire. Et puis sans prévenir, ils ont construit une route au milieu. Elle a apporté la maladie. Les enfants ont commencé à mourir de la grippe. Ils tombaient comme des mouches. Des vêtements infectés de variole ont même été jetés depuis des avions au-dessus des villages. On voulait nous éliminer. Nous avons décidé de montrer notre détermination. Aujourd'hui, on ne tue plus les Blancs qui violent notre territoire. On les déshabille et on les renvoie à la ville.

JONAS : Vous n'aimez pas notre civilisation, n'est-ce pas ?
RAONI : Elle ne nous a rien apporté de bon. Avant l'arrivée des Blancs, il y avait 5 millions d'Indiens. Aujourd'hui, il en reste à peine 250.000. Lorsque nous avons commencé à faire entendre nos voix dans les années 80, des Indiens ont été renvoyés de Brasilia où ils étaient venus demander une audience au président. On leur a dit qu'il ne pouvait pas les recevoir parce qu'ils ne portaient pas de cravate.

JONAS : La civilisation ne vous a-t-elle rien apporté ?
RAONI : Si. Les médicaments pour soigner les maladies qui ont été amenées par les colons. Les Indiens ont donné aux Blancs le curare, qui est utilisé dans votre médecine et la quinine pour soigner la malaria. En retour, ils ont reçu la mort et l'injustice.

JONAS : N'y a-t-il pas un objet qui trouve grâce à vos yeux ?
RAONI : Le magnétophone. Un de nos chefs en a toujours un avec lui pour enregistrer les promesses des Blancs qui ne sont jamais tenues. Il y a la vidéo aussi. Elle nous permet d'enregistrer nos traditions avant qu'elles ne se perdent. Notre culture se transmet oralement. Nous n'avons pas de langage écrit. La caméra est un bon témoin visuel pour que nos enfants et nos petits enfants puissent connaître notre histoire.

JONAS : Vous avez voyagé dans le monde entier pour plaider votre cause. Comment nous voyez-vous ?
RAONI : L'homme blanc est étrange. Il ne prend pas le temps de rêver, de méditer, de célébrer la beauté de la terre. Il ne connait pas la naissance de l'aube, la douceur de la rivière lorsqu'on s'y baigne au crépuscule. Il ne regarde pas les étoiles. Il lui faut de l'argent, toujours de l'argent. Il court jusqu'à sa mort, et sa vie lui passe sous le nez. Il lui faut même payer l'eau dont il se désaltérer. Il ne vit pas. Il survit dans un monde qui nous est incompréhensible. Dans les villes, on ne peut pas respirer. Il me semble que l'homme blanc ne sait pas qui il est. Il ne partage pas. J'ai vu des mendiants dans les rues. Et des gens qui passaient à côté sans les voir. Vous n'avez pas de bons chefs. Dans notre société, il n'y a pas de mendiants. Nous nous aidons les uns les autres. Peut-être sommes-nous plus humains que vous.

JONAS : Pourquoi vouloir créer un institut ?
RAONI : Pour éduquer les enfants et les préparer à affronter votre monde. Nous voulons prendre notre temps pour nous adapter à ce que vous appelez la civilisation. Sans perdre notre identité, ni notre dignité.

JONAS : Quels sont les dangers ?
RAONI : Mon peuple ne connaît pas assez les blancs et ils pensent que leur vie est facile. Les jeunes se font tromper par vos miroirs. Si un Indien reçoit une lampe torche par exemple, il aura besoin de nouvelles batteries. Il devra chasser pour les obtenir. Il devra tuer non pas pour se nourrir, mais pour de l'argent. Et ainsi de suite. Les tribus pensent mal. Ce ne sont plus les mêmes Indiens. Ils laissent exploiter leurs terres contre de l'argent et quand ils les retrouvent saccagées, polluées, brûlées, ils n'ont plus d'endroit où aller. Ils vont vers les villes où ils doivent mendier la nourriture. Ils oublient la vie de leur père, de leur grand-père. Je les plains. À part la terre, l'Indien n'a rien.

JONAS : Que dites-vous aux hommes politiques que vous rencontrez ?
RAONI : Que nous ne sommes pas des spécimens pour anthropologues. Ni de nobles sauvages. Nous voulons simplement être libres d'être ce que nous sommes. Nous avons vécu pendant des milliers de lunes sans l'homme blanc. Et nous pouvons beaucoup vous apprendre sur la façon de vivre en harmonie avec la nature. Notre mode de vie est le résultat d'une longue tradition qui nous a conduits vie après vie à connaître chaque plante et chaque animal de la forêt. Et par là, à les respecter. La nature est comme l'homme : le sol est sa peau, la forêt sont ses cheveux, les rivières sont ses veines. Comment voulez-vous conserver le sol si les arbres sont coupés ? Où vous abriterez-vous lorsqu'il n'y aura plus d'ombre ?

JONAS : Vous êtes inquiet pour la forêt ?
RAONI : Oui. Ici déjà, les sécheresses sont plus longues. Il y a moins de pluies. Les rivières sont plus basses. Je le vois. Et puis il y a tous ces feux qui détruisent la vie. Nous n'avons pas les moyens de protéger cette immense forêt dont nous sommes les gardiens pour vous tous. J'ai appris que vous aussi, à présent, êtes inquiets. Les grands vents sont venus et ont détruit votre forêt. Vous connaissez la peur que nous connaissons. Je vous le dis, si l'homme continue à détruire la forêt, ces vents vont revenir avec encore plus de force. Pas une fois. Mais plusieurs fois. Si l'on coupe les forêts, ils ne seront plus arrêtés par les arbres. Ils vont nous tuer. Imprere, le Grand Esprit, qui est le même pour tous, est venu me rendre visite dans mes rêves. Il m'a dit que la planète va devenir sèche. Qu'il n'y aura plus d'eau.

JONAS : Que faut-il faire ?
RAONI : Nous respirons tous un seul air. Nous buvons tous une seule eau. Nous vivons tous sur une seule terre. Nous devons tous la protéger. Aidez-nous. Aidez-vous avant qu'il ne soit trop tard. La forêt est la mère de la vie. La sauver, c'est nous sauver nous-mêmes.

À lire de Jean-Pierre Dutilleux : Raoni, le monde premier (Ed. Au même Titre).

Un institut pour l'Amazonie

La réserve Kayapo et le parc national du Xingu couvrent à eux deux 180.000 km², à cheval sur les états du Mato Grosso et du Para, au Brésil. Dans cette zone protégée, qui est la plus grande réserve de forêt tropicale du monde, vivent 10.000 Indiens répartis en seize tribus. Aujourd'hui, toutes ont conscience que leur avenir ne peut se concevoir dans l'isolement mais ils ne veulent pas perdre leur culture. Ce territoire est de plus en plus menacé par les sociétés agricoles, forestières et minières... Après deux ans de concertation entre les Indiens et les experts, le projet de création d'un institut Raoni a été choisi comme la solution la mieux adaptée. Il comportera un centre hospitalier, un centre de recherche sur l'ethnobotanique, l'ethnologie et la biodiversité, un centre culturel, une école primaire et secondaire pour les Indiens, un centre de communication, et un centre d'hébergement pour les scientifiques.

J.-P.D. - JONAS > Septembre > 2001
 

   
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