|
Le Chromosome 4 Clé de la Longévité ? |
En explorant l'ADN de personnes très âgées, des chercheurs y ont découvert des gènes communs. Nous donneront-ils le moyen d'accroître l'espérance de vie ? Encore faudrait-il que longévité rime uniquement avec hérédité...
Les registres de l'état civil nous apprennent qu'en 1890 environ 1.600.000 bébés, avaient vu le jour en France. Un siècle plus tard seuls 3.760 d'entre eux étaient encore en vie, véritable poignée de rescapés ayant atteint le cap fatidique des cent ans d'existence. Partout dans le monde, des hommes et des femmes - un faible pourcentage dans une population - vivent jusqu'à un âge avancé, suscitant l'envie et l'admiration.
Quel est donc leur secret ? Pourquoi eux et pas les autres ? Pourquoi se rencontrent-ils dans certaines familles seulement ? Les scientifiques tentent depuis plusieurs années de répondre à ces questions, en s'intéressant en particulier au patrimoine génétique des centenaires. Parfois avec succès : ainsi, en août dernier, une équipe de chercheurs de la Harvard Medical School de Boston publiait dans la prestigieuse revue PNAS une étude, très remarquée, portant sur des personnes d'un grand âge, indiquant qu'elles avaient toutes en commun une même particularité génétique. En quoi a consisté précisément cette recherche ? À partir de 1997, les généticiens américains collectent de l'ADN auprès d'Américains âgés d'au moins 98 ans et possédant un ou plusieurs frères et soeurs ayant franchi le cap de 90 ans. Une fois constitué un groupe suffisamment important, composé de 322 personnes appartenant à 143 fratries, les chercheurs comparent alors leurs gènes, afin de mettre en évidence d'éventuels points communs. Pour cela, ils passent au crible l'ADN des volontaires, au moyen de 400 marqueurs correspondant à des zones connues du génome, selon la technique dite du "genome-wide sean", ou criblage génomique. Résultat : les nonagénaires possèdent en commun, entre les deux marqueurs D4S1572 et D4S406 situés sur le chromosome 4, un ou plusieurs gènes identiques.
Conclusion de l'équipe américaine ces quelques gènes permettent aux personnes qui les possèdent de vivre plus longtemps que la moyenne, en agissant selon des mécanismes biologiques qui restent encore à déterminer. "On pensait que la longévité était un phénomène très complexe, soumis à de nombreux paramètres, estiment Louis Kunkel et Thomas Perls, les principaux auteurs de l'étude. Sur la base de notre travail, il apparaît en fait que seuls quelques gènes sont capables de l'influencer".
Les généticiens américains viennent-ils de mettre la main sur le secret des centenaires, cadeau offert par la loterie de l'hérédité sous la forme d'un ou de quelques "gènes Mathusalem" qui se trouvent sur le chromosome 4 ?
RECHERCHE EXHAUSTIVE
Plusieurs chercheurs confirment en tous les cas le sérieux et la qualité de l'étude. "C'est, en effet, un travail intéressant et novateur, même si ce n'est pas la première fois que l'on recherche la présence de gènes associés à une grande longévité, estime ainsi le généticien Philippe Amouyel, du laboratoire Impact des interactions gène-environnement sur la santé de l'Inserm, à Lille. La nouveauté, c'est qu'il s'agit de la première recherche exhaustive sur l'ensemble du génome des personnes âgées, alors qu'on ne s'intéresse d'habitude qu'à la présence de certains gènes particuliers." Pour autant, ce généticien ne rejoint pas ses collègues de Boston lorsqu'ils affirment avoir montré que seuls quelques gènes contrôlent la longévité. Pour quelles raisons ?
"Tout d'abord, il semble que la méthode du criblage génétique laisse passer certains gènes dont on sait pourtant qu'ils sont associés à un âge avancé", répond Philippe Amouyel. Ainsi, le gène de l'ApoE, ou apolipoprotéine, n'a pas été mis en évidence au cours de cette étude, alors que l'on sait depuis plusieurs années que la présence de l'une de ces formes est clairement liée à une forte longévité (PROGRAMME CHRONOS encadré). L'autre incertitude concerne le nombre exact des séquences génétiques impliquées. La région du chromosome 4 isolé est longue de 20 millions de bases (les éléments qui constituent l'ADN) et contient des centaines de gènes. Il n'est donc pas impossible que des dizaines d'entre eux, ou plus encore, soient impliqués dans l'effet supposé sur la longévité. D'autres chercheurs sont, eux, plus sceptiques encore sur l'association avancée dans PNAS. "Le premier problème, c'est que le taux de liaison obtenu pour associer la présence de cette région du chromosome 4 et la longévité observée est à la limite de la significativité statistique, et ce d'autant plus que l'étude porte sur un nombre de personnes relativement réduit", observe ainsi Jean-Marie Robine, du laboratoire Démographie et santé de l'Inserm, à Montpellier, et coauteur d'un ouvrage consacré aux centenaires. "De plus, on a souvent montré par le passé un lien entre tel ou tel gène et une forte longévité sans que cela ne soit plus jamais confirmé ensuite par d'autres travaux, sauf pour le gène de l'ApoE. Ces résultats intéressants demandent donc à étre confirmés et reproduits par d'autres équipes, et étendus à d'autres groupes ethniques que celui des Américains descendant d'Européens sur lequel il porte, comme, par exemple, des Africains ou des Asiatiques."
Mais la question principale que soulève l'étude des chercheurs de Boston concerne les mécanismes biologiques liés à ces gènes, si leur rôle était confirmé. "Il resterait alors à les séquencer, puis à établir leur mode d'action, pour comprendre comment ils augmentent la durée de vie, prévoit Philippe Amouyel. Les centenaires possèdent-ils des gènes qui les protègent des grandes causes de mortalité que sont les cancers, les maladies cardio-vasculaires et neurodégénératives ? Ont-ils hérité d'un génome dont sont exempts des gènes de prédisposition à ces maladies ? Ou bien, plus directement, certains de leurs gènes agissent-ils directement sur une horloge biologique qui allongerait la durée de vie des cellules, et donc de l'organisme ? Nous ne connaissons pas la réponse à ces questions." C'est tout l'enjeu des recherches à venir, derrière lesquelles se profilent des traitements destinés à permettre, sinon de vivre plus longtemps, du moins de vieillir en bonne santé. "On pourrait imaginer à l'avenir de mimer, au moyen de molécules de synthèse, le mécanisme biologique sous-tendu par de tels gènes", espère Yves Christen, vice-président de la fondation Ipsen, à l'origine de la première étude sur les centenaires en France. Convaincus des espoirs que porte une telle stratégie et des bénéfices potentiels qu'elle représente, les auteurs de l'étude américaine n'ont d'ailleurs pas hésité à fonder, quelques semaines avant la parution de leur travail, une société de biotechnologie destinée à valoriser le résultat de leurs recherches. Baptisée Centagenetix, elle s'est fixé pour objectif de "comprendre la génétique de la longévité et mettre au point des traitements innovants contre les maladies liées à l'âge. Nous ne cherchons pas la fontaine de jouvence, mais la fontaine du bien-vieillir", ajoutent les business-généticiens.
La génétique au secours de nos vieux jours ? Peut-être bien, mais le chemin risque d'être plus long que prévu : "Chaque gène ayant une action sur la longévité agit nécessairement en interaction avec un ou plusieurs facteurs environnementaux, explique en effet Philippe Amouyel. Ainsi, on a montré que le rôle de l'ApoE est intimement lié au régime alimentaire, plus ou mois gras. Il faudra donc, pour chaque gène impliqué, mettre au point une stratégie thérapeutique qui tienne compte de ces facteurs, qu'ils soient alimentaires, liés au stress ou aux hormones." L'amélioration de l'hygiène et celle des conditions de travail ont joué un rôle majeur dans l'augmentation de l'espérance de vie depuis cinquante ans. La génétique humaine, elle, a encore tout à prouver.
LE PROGRAMME CHRONOS
Il y a dix ans, la France avait déjà mis en place un ambitieux programme de recherche destiné à identifier les gènes liés à la longévité. Baptisé Chronos, le projet débute, dès 1991, au Centre d'étude du polymorphisme humain (CEPH), à Paris, par les premières collectes d'ADN de centenaires. En quelques années, une importante banque de données est constituée, et les premiers résultats ne se font pas attendre. En 1994, les chercheurs français publient dans la revue Nature Genetics une étude qui fait encore référence (d'ailleurs citée dans l'article des PNAS) et montrant un lien entre longévité et présence d'une des formes du gène de l'apolipoprotéine E (ApoE). Mais, à partir de 1997, des problèmes internes et un différend judiciaire avec la société de biotechnologies française Genset, avec laquelle le CEPH avait passé un contrat portant sur la banque d'ADN, ralentissent le programme... "On a perdu l'occasion d'installer un grand laboratoire français en génétique du vieillissement", commente un spécialiste. Actuellement, cinq personnes travaillent au projet Chronos. Le programme se poursuit au CEPH et Gilles Thomas, son directeur, affirme : "Nous allons bientôt publier les résultats d'une étude du même type que celle des Américains, portant sur un échantillon plus large de 900 personnes." |
SCIENCE & VIE > Novembre > 2001 |
|
|
|