Manger Moins Accroît la Longévité

Mieux Manger pour Vivre plus Longtemps

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Manger moins et Vivre Vieux

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Jeûner pour Rester Jeune

SCIENCE ET AVENIR HS N°184 > Janvier-Février > 2016

Être Frugal ne Profite pas à Tout le Monde

Manger moins permet de vivre plus longtemps, et en meilleure santé : le concept est vérifié chez de nombreux animaux de laboratoire. Pourtant, la question reste en suspens pour les primates.

Une observation significative requiert plus de 20 ans : c'est le temps qu'a duré l'étude de singes rhésus du National Institute of Aging (Maryland). Et les résultats sèment le trouble. “Entre les animaux nourris normalement et ceux qui reçoivent une ration calorique réduite de 30 %, les courbes de survie sont comparables”, explique Julie Mattison. De plus, la survenue des maladies liées à l'âge est comparable entre les groupes. Pourtant, au National Primate Research Center du Wisconsin, qui publie conjointement ses résultats, des singes rhésus mis à la diète ont gagné en espérance et qualité de vie. Le régime de base dans ce centre était plus abondant et moins diversifié : les singes témoins sont plus gros et meurent plus jeunes que leurs cousins du Maryland. Pour Julie Mattison, “ces expériences complémentaires nous permettent d'explorer les mécanismes du vieillissement en lien avec l'alimentation sur un modèle proche de l'homme”. Ainsi, la restriction calorique serait efficace pour les personnes en surpoids qui mangent trop et mal. Mais elle n'aurait que peu d'effet sur des personnes minces qui se nourrissent correctement.

O.C - SCIENCE & VIE > Octobre > 2012

Manger Moins Accroît la Longévité

Depuis une quinzaine d'années, tous les nutritionnistes nous conseillent de manger mieux, en nous efforçant de consommer moins d'aliments riches en graisses saturées et en sucres ajoutés, et plus de fruits et de légumes. La raison invoquée : ce type de régime, associé à un minimum d'exercice physique, est une sauvegarde contre les maladies cardiovasculaires et les multiples cancers qui accablent notre civilisation.

Mais une autre tendance a surgi plus récemment : il faut manger non seulement mieux, mais moins. Pour, là encore, éviter les pathologies liées à l'alimentation, certes, mais pas seulement : aussi étonnant que cela paraisse, c'est la longévité elle-même qui est aussi visée. Depuis les années 1930, les chercheurs ont en effet observé que des animaux qui reçoivent une ration calorique diminuée de 30 à 40 % durant une bonne partie ou toute leur vie adulte vivent de 20 à 50 % plus longtemps.

LA RESTRICTION CALORIQUE EXPÉRIMENTÉE CHEZ L'HOMME

En irait-il de même pour l'homme ? Le cas de l'archipel d'Okinawa, au Japon, où dès l'enfance les autochtones prennent l'habitude de s'arrêter de manger avant d'être rassasiés - ce qu'on appelle la restriction calorique -, semble aller dans le même sens : on y compte de trois à quatre fois plus de centenaires qu'ailleurs. Et ces vénérables vieillards restent souvent actifs et en bonne santé ! (Les habitants d'Okinawa, au Japon, battent des records de longévité ->). De là à penser qu'une restriction calorique suffisamment longue et bien dosée pourrait nous permettre de faire de bons vieux os... Qu'en est-il vraiment ? Pour répondre à cette question, il paraît vain de multiplier les expériences sur des mouches ou des rongeurs. C'est l'homme ou, faute de mieux, des singes proches de notre espèce, qu'il faut étudier. Le projet Calerie (Comprehensive Assessment of Long-term Effects of Reducing Intake of Energy), mené aux Etats-Unis depuis 2002 sous l'égide du National Institute on Aging, a justement cette ambition. Fait intéressant, l'une de ces études, publiée en mars dernier, confirme pour la première fois chez l'homme une hypothèse couramment avancée : manger moins limiterait les dommages induits sur l'ADN et sur les protéines de nos cellules par les fameux radicaux libres, les produits secondaires et toxiques qui sont issus de la conversion des nutriments en énergie.

L'ÎLE AUX CENTENAIRES
Les habitants d'Okinawa, archipel du Japon, pratiquent le "hara hachi-bu" : quitter la table lorsqu'ils sont à 80 % rassasiés. Ils privilégient les aliments pauvres en sucres raffinés et en graisses animales, mais denses en nutriments essentiels. En 2005, leur espérance de vie à 65 ans était de 24,1 ans pour les femmes et 18,5 ans pour les hommes, contre 22,5 ans et 17,6 ans dans le reste du Japon, et 19,3 ans et 16,2 ans aux États-Unis. En 2003, Okinawa comptait 43 centenaires pour 100.000 habitants, contre de 10 à 20 pour 100.000 dans les pays industrialisés. Les filles de centenaires y ont 2,5 fois plus de chances d'atteindre 90 ans, et les garçons 5,4 fois plus qu'ailleurs au Japon. Les plus de 90 ans d'Okinawa vivent plus longtemps de manière indépendante.

MOINS DE DOMMAGES SUR L'ADN

Une observation qui plaide en faveur d'un lien entre radicaux libres et vieillissement, lien qui n'est toujours pas clairement établi, même si l'on sait que ces éléments chimiques endommagent l'ADN. L'étude a mobilisé 36 hommes et femmes d'environ 35 ans, tous en bonne santé mais en surpoids, à qui on a demandé de suivre différents régimes durant six mois. Un premier groupe recevait un régime alimentaire normal couvrant 100 % des besoins énergétiques. Un second était soumis à une restriction calorique de 25 %. Le dernier groupe consommait, lui, 12,5 % de calories en moins, mais en dépensant 12,5 % d'énergie en plus par de l'exercice physique. L'objectif ? Il s'agissait d'en savoir plus sur le fonctionnement des "centrales énergétiques" des cellules que sont les mitochondries. Plus précisément, les chercheurs voulaient vérifier si un régime de quelques mois, agrémenté ou non d'exercice, stimulait le fonctionnement des mitochondries dans le muscle. La réponse est positive ! Car alors que la consommation d'oxygène a diminué dans les deux groupes soumis à la restriction calorique, l'expression de gènes impliqués dans le fonctionnement des mitochondries augmentait, tandis que l'ADN subissait moins de dommages.
Conclusion des chercheurs ? La restriction calorique induirait un mécanisme adaptatif : la biogenèse de mitochondries "efficaces" dans le muscle. Laquelle, à son tour, réduirait la production de radicaux libres toxiques pour l'ADN (ce qu'on appelle le "stress oxydatif"). "Cette étude est intéressante car elle confirme chez l'homme l'effet de la restriction calorique sur les mitochondries, mis en évidence sur des modèles cellulaires et chez les rongeurs, commente Bertrand Friguet, professeur à l'université Pierre-et-Marie-Curie. Elle ne prouve cependant pas qu'il y a baisse de la production de radicaux libres sous restriction calorique. Il est possible que celle-ci joue aussi en stimulant les systèmes de réparation de l'ADN." Systèmes qui sont chargés de rectifier les erreurs qui surviennent au cours de la division cellulaire ou lorsque l'ADN est malmené (radiation, produits toxiques, etc.) et dont l'impact sur le vieillissement n'est pas négligeable. Mais par quel mécanisme la genèse de mitochondries se trouve-t-elle activée lorsqu'on mange moins ?

Comment les mitochondries se régénèrent grâce à une alimentation moins calorique
La suralimentation semble frapper les mitochondries, les centrales énergétiques de nos cellules. Leur cycle de production du carburant cellulaire, l'ATP, perd alors en efficacité et produit des radicaux libres, éléments toxiques connus pour leur effet vieillissant. En revanche, lorsqu'on mange moins, l'enzyme sirt1 entre en action. Elle activerait dans le noyau de nouveaux gènes, connus pour générer de nouvelles mitochondries et optimiser leur fonctionnement. Davantage d'ATP est produit... mais surtout moins de radicaux libres.

CONTRE LE STRESS OXYDATIF ?

Une enzyme, la sirtuine 1 (sirt1), semble ici jouer un rôle clé. Déjà identifiée chez l'animal, sa synthèse est dopée chez l'homme par la restriction calorique, indique l'étude Calerie. Cette enzyme stimule à son tour un activateur de la production et du fonctionnement des mitochondries, le pparggc1a (peroxisome proliferator-activated receptor gamma coactivator 1 alpha). Ce n'est pas tout. Car sirt1 est actuellement la cible de tous les regards : plusieurs études viennent de souligner son implication dans des fonctions qui paraissent liées au ralentissement du vieillissement. En particulier, l'équipe de David Sinclair et Li-Huei Tsai (Harvard Medical School et Massachusetts Institute of Technology, Boston) a récemment montré que l'administration de sirt1 dans l'hippocampe cérébral de souris modèles de la maladie d'Alzheimer induisait une résistance des neurones contre la neurodégénérescence. En conditions de restriction calorique, d'autres sirtuines semblent impliquées avec les mitochondries dans la résistance des cellules à la mort, selon des résultats récents. Par ailleurs, les chercheurs s'intéressent beaucoup à une molécule connue pour stimuler la production de sirt1, le resvératrol. Soit un polyphénol dont on sait déjà qu'il accroît la durée de vie de la levure et du ver nématode. Or, les polyphénols, que l'on trouve dans le vin rouge, les fruits et les légumes, sont des antioxydants. Et justement : une équipe du National Institute on Aging, pilotée par Mark Mattson et Rafael de Cabo, a découvert, en travaillant sur des cellules cérébrales de rat, que des conditions de restriction calorique stimulent les taux de deux antioxydants naturels, l'alpha-tocophérol et le coenzyme Q10, alors qu'ils déclinent normalement avec l'âge !
Faut-il donc attribuer l'effet bénéfique de la restriction calorique sur le vieillissement à son action "anti-stress oxydatif", y compris chez l'homme ? Ce n'est malheureusement pas si simple. Des recherches sur des singes ont été conduites aux Etats-Unis sans conclusion définitive ; d'autres sont en cours, notamment en France, sur un primate malgache, le microcèbe (projet Restrikal). Pour en avoir le cour net, il faudrait réaliser de grandes études prospectives sur plusieurs décennies.
Certes, une telle étude a déjà été menée durant 36 ans à Hawaï, dans le cadre du Honolulu Heart Program, sur 1915 hommes âgés de 45 à 68 ans au début de l'étude. Coordonnée par Bradley J. Willcox, l'un des initiateurs de l'étude sur les centenaires d'Okinawa, elle a mis en évidence une mortalité plus basse parmi les hommes âgés qui avaient consommé de 15 à 50 % moins de calories que la moyenne. Mais cette étude utilisait la "méthode du questionnaire" pour évaluer la quantité de nourriture : on demandait simplement aux personnes étudiées de se souvenir de ce qu'elles avaient mangé pendant plusieurs semaines.
Une méthode approximative, qui peut biaiser fortement les résultats, et qui, surtout, n'a pas mesuré les paramètres biochimiques qui auraient permis de mettre en évidence le rôle de facteurs tels que les radicaux libres ou de la réparation de l'ADN. L'Okinawa Centenarians Study ne peut-elle cependant fournir les réponses qui nous manquent ? Il en ressort, c'est vrai, que la restriction calorique pratiquée sur l'archipel exerce vraisemblablement une influence sur la longévité en bonne santé. Néanmoins, impossible de séparer ce facteur d'autres influences possibles : les gènes, par exemple (la population d'Okinawa pourrait partager des gènes à effet protecteur), mais aussi le type d'alimentation consommée, à base de plantes riches en vitamines et minéraux et pauvres en graisses.

UNE ÉTUDE PLUS LONGUE ET PLUS COMPLÈTE EST NÉCESSAIRE

Comment savoir alors, indépendamment de l'effet probable des gènes, de la qualité de l'air, voire de la "joie de vivre" locale, si les Okinawiens vivent plus longtemps parce que leur régime alimentaire (riche en antioxydants) les rend moins sujets aux maladies mortelles, ou bien parce que la restriction calorique ralentit le vieillissement ? Les deux effets peuvent évidemment être concomitants et découler de mécanismes variés : outre l'effet antioxydant, des effets protecteurs des régimes moins caloriques contre l'inflammation, le vieillissement du système immunitaire, la mort cellulaire, le tissu graisseux, etc., sont régulièrement mis en avant par des résultats chez l'animal. Faute d'une étude longue et complète sur un grand nombre d'individus, les arguments en faveur de la restriction calorique restent donc indirects. En attendant mieux.

J.-J.P - SCIENCE & VIE > Décembre > 2007
 

   
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