Vivre Sans Vieillir

Et s'il devenait possible de vivre jusqu'à 100 ans, en pleine possession de ses moyens ? Possible et même banal. Ce rêve, la biologie commence à lui donner consistance. Car à force de percer les mystères du vieillissement, c'est la possibilité d'en retarder les effets qui se fait jour. Jusqu'à s'en affranchir totalement ?

Vieillir Moins Vite est Possible

Manger moins, penser plus, bouger plus : voici la recette miracle ! Juste du bon sens ? Pas seulement. Car pour les chercheurs, il s'agit désormais de certitudes scientifiques.

Injection de Botox, crèmes antirides, compléments alimentaires, suppléments hormonaux, antioxydants... Qui n'a pas entendu parler de ces produits qui promettent de remédier aux effets du temps ? Sauf que l'efficacité réelle de ces recettes miracles vantées par la paraphannacie ne dépasse pas les arguments marketing qui les précèdent. Dans le meilleur des cas, leur action s'avère cosmétique, quand ils ne sont pas bonnement sans effet ; au pire, ils peuvent se révéler toxiques...

Est-ce à dire que ralentir la flèche du temps est impossible ? Eh bien non. Car non seulement cela est possible, mais la méthode est simple et quasi gratuite : il suffit de manger moins, de bouger plus et de penser plus. Rien d'autre. Surpris, voire déçu ? Pourtant, il s'agit bel et bien de la seule et unique recette ayant pu démontrer une efficacité réelle contre le vieillissement. Ou, plus exactement, contre le rythme du vieillissement. Car il n'est pas question ici de promettre la fontaine de jouvence, de stopper ou, mieux, d'inverser les effets délétères du temps qui passe. Non, les trois méthodes citées fonctionnent naturellement sur le rythme d'apparition des principaux phénomènes qui précèdent ou accompagnent le vieillissement. Résultat : quelques années ou même des décennies gagnées sur des symptômes tels que le déclin cognitif, la fonte musculaire, le cancer ou les maladies cardiovasculaires. De fait, ce qui ressemble à de simples injonctions basées sur le "bon sens" a, ces dernières années, donné lieu à une pléiade d'expérimentations apportant la preuve de leur réelle efficacité.

DE L'INTUITION... À LA SCIENCE

Ainsi, la biologie moléculaire permet d'affirmer que "manger moins" limite les dommages induits sur l'ADN et sur les protéines de nos cellules par les fameux radicaux libres, ces éléments instables produits par la conversion des nutriments en énergie. Les progrès de la génétique dévoilent, eux, que "penser plus", en s'exposant tout au long de sa vie à des situations variées, aurait une action sur la structure tridimensionnelle de notre ADN et sur l'expression des gènes qui contrôlent la création de nouvelles connexions entre neurones. Enfin, l'observation des effets de l'activité physique pratiquée à un âge avancé montre une régénération des mitochondries des cellules musculaires. Or, l'altération de ces véritables usines à énergie de la cellule est considérée comme l'un des signes majeurs du vieillissement. Il aura ainsi fallu attendre le début du XXIè siècle, les grandes études épidémiologiques et les avancées en terme de génétique, de biologie cellulaire ou de neuroscience pour que ces intuitions se transforment en certitudes scientifiques. Explications.

C.T - SCIENCE & VIE > Décembre > 2007

Manger Moins Accroît la Longévité

Depuis une quinzaine d'années, tous les nutritionnistes nous conseillent de manger mieux, en nous efforçant de consommer moins d'aliments riches en graisses saturées et en sucres ajoutés, et plus de fruits et de légumes. La raison invoquée : ce type de régime, associé à un minimum d'exercice physique, est une sauvegarde contre les maladies cardiovasculaires et les multiples cancers qui accablent notre civilisation.

Mais une autre tendance a surgi plus récemment : il faut manger non seulement mieux, mais moins. Pour, là encore, éviter les pathologies liées à l'alimentation, certes, mais pas seulement : aussi étonnant que cela paraisse, c'est la longévité elle-même qui est aussi visée. Depuis les années 1930, les chercheurs ont en effet observé que des animaux qui reçoivent une ration calorique diminuée de 30 à 40 % durant une bonne partie ou toute leur vie adulte vivent de 20 à 50 % plus longtemps.

LA RESTRICTION CALORIQUE EXPÉRIMENTÉE CHEZ L'HOMME

En irait-il de même pour l'homme ? Le cas de l'archipel d'Okinawa, au Japon, où dès l'enfance les autochtones prennent l'habitude de s'arrêter de manger avant d'être rassasiés - ce qu'on appelle la restriction calorique -, semble aller dans le même sens : on y compte de trois à quatre fois plus de centenaires qu'ailleurs. Et ces vénérables vieillards restent souvent actifs et en bonne santé ! (Les habitants d'Okinawa, au Japon, battent des records de longévité ->). De là à penser qu'une restriction calorique suffisamment longue et bien dosée pourrait nous permettre de faire de bons vieux os... Qu'en est-il vraiment ? Pour répondre à cette question, il paraît vain de multiplier les expériences sur des mouches ou des rongeurs. C'est l'homme ou, faute de mieux, des singes proches de notre espèce, qu'il faut étudier. Le projet Calerie (Comprehensive Assessment of Long-term Effects of Reducing Intake of Energy), mené aux États-Unis depuis 2002 sous l'égide du National Institute on Aging, a justement cette ambition. Fait intéressant, l'une de ces études, publiée en mars dernier, confirme pour la première fois chez l'homme une hypothèse couramment avancée : manger moins limiterait les dommages induits sur l'ADN et sur les protéines de nos cellules par les fameux radicaux libres, les produits secondaires et toxiques qui sont issus de la conversion des nutriments en énergie.

L'ÎLE AUX CENTENAIRES
Les habitants d'Okinawa, archipel du Japon, pratiquent le "hara hachi-bu" : quitter la table lorsqu'ils sont à 80 % rassasiés. Ils privilégient les aliments pauvres en sucres raffinés et en graisses animales, mais denses en nutriments essentiels. En 2005, leur espérance de vie à 65 ans était de 24,1 ans pour les femmes et 18,5 ans pour les hommes, contre 22,5 ans et 17,6 ans dans le reste du Japon, et 19,3 ans et 16,2 ans aux États-Unis. En 2003, Okinawa comptait 43 centenaires pour 100.000 habitants, contre de 10 à 20 pour 100.000 dans les pays industrialisés. Les filles de centenaires y ont 2,5 fois plus de chances d'atteindre 90 ans, et les garçons 5,4 fois plus qu'ailleurs au Japon. Les plus de 90 ans d'Okinawa vivent plus longtemps de manière indépendante.

MOINS DE DOMMAGES SUR L'ADN

Une observation qui plaide en faveur d'un lien entre radicaux libres et vieillissement, lien qui n'est toujours pas clairement établi, même si l'on sait que ces éléments chimiques endommagent l'ADN. L'étude a mobilisé trente-six hommes et femmes d'environ 35 ans, tous en bonne santé mais en surpoids, à qui on a demandé de suivre différents régimes durant six mois. Un premier groupe recevait un régime alimentaire normal couvrant 100 % des besoins énergétiques. Un second était soumis à une restriction calorique de 25 %. Le dernier groupe consommait, lui, 12,5 % de calories en moins, mais en dépensant 12,5 % d'énergie en plus par de l'exercice physique. L'objectif ? Il s'agissait d'en savoir plus sur le fonctionnement des "centrales énergétiques" des cellules que sont les mitochondries. Plus précisément, les chercheurs voulaient vérifier si un régime de quelques mois, agrémenté ou non d'exercice, stimulait le fonctionnement des mitochondries dans le muscle. La réponse est positive ! Car alors que la consommation d'oxygène a diminué dans les deux groupes soumis à la restriction calorique, l'expression de gènes impliqués dans le fonctionnement des mitochondries augmentait, tandis que l'ADN subissait moins de dommages.
Conclusion des chercheurs ? La restriction calorique induirait un mécanisme adaptatif : la biogenèse de mitochondries "efficaces" dans le muscle. Laquelle, à son tour, réduirait la production de radicaux libres toxiques pour l'ADN (ce qu'on appelle le "stress oxydatif"). "Cette étude est intéressante car elle confirme chez l'homme l'effet de la restriction calorique sur les mitochondries, mis en évidence sur des modèles cellulaires et chez les rongeurs, commente Bertrand Friguet, professeur à l'université Pierre-et-Marie-Curie. Elle ne prouve cependant pas qu'il y a baisse de la production de radicaux libres sous restriction calorique. Il est possible que celle-ci joue aussi en stimulant les systèmes de réparation de l'ADN." Systèmes qui sont chargés de rectifier les erreurs qui surviennent au cours de la division cellulaire ou lorsque l'ADN est malmené (radiation, produits toxiques, etc.) et dont l'impact sur le vieillissement n'est pas négligeable. Mais par quel mécanisme la genèse de mitochondries se trouve-t-elle activée lorsqu'on mange moins ?

Comment les mitochondries se régénèrent grâce à une alimentation moins calorique
La suralimentation semble frapper les mitochondries, les centrales énergétiques de nos cellules. Leur cycle de production du carburant cellulaire, l'ATP, perd alors en efficacité et produit des radicaux libres, éléments toxiques connus pour leur effet vieillissant. En revanche, lorsqu'on mange moins, l'enzyme sirt1 entre en action. Elle activerait dans le noyau de nouveaux gènes, connus pour générer de nouvelles mitochondries et optimiser leur fonctionnement. Davantage d'ATP est produit... mais surtout moins de radicaux libres.

CONTRE LE STRESS OXYDATIF ?

Une enzyme, la sirtuine 1 (sirt1), semble ici jouer un rôle clé. Déjà identifiée chez l'animal, sa synthèse est dopée chez l'homme par la restriction calorique, indique l'étude Calerie. Cette enzyme stimule à son tour un activateur de la production et du fonctionnement des mitochondries, le pparggc1a (peroxisome proliferator-activated receptor gamma coactivator 1 alpha). Ce n'est pas tout. Car sirt1 est actuellement la cible de tous les regards : plusieurs études viennent de souligner son implication dans des fonctions qui paraissent liées au ralentissement du vieillissement. En particulier, l'équipe de David Sinclair et Li-Huei Tsai (Harvard Medical School et Massachusetts Institute of Technology, Boston) a récemment montré que l'administration de sirt1 dans l'hippocampe cérébral de souris modèles de la maladie d'Alzheimer induisait une résistance des neurones contre la neurodégénérescence. En conditions de restriction calorique, d'autres sirtuines semblent impliquées avec les mitochondries dans la résistance des cellules à la mort, selon des résultats récents. Par ailleurs, les chercheurs s'intéressent beaucoup à une molécule connue pour stimuler la production de sirt1, le resvératrol. Soit un polyphénol dont on sait déjà qu'il accroît la durée de vie de la levure et du ver nématode. Or, les polyphénols, que l'on trouve dans le vin rouge, les fruits et les légumes, sont des antioxydants. Et justement : une équipe du National Institute on Aging, pilotée par Mark Mattson et Rafael de Cabo, a découvert, en travaillant sur des cellules cérébrales de rat, que des conditions de restriction calorique stimulent les taux de deux antioxydants naturels, l'alpha-tocophérol et le coenzyme Q10... alors qu'ils déclinent normalement avec l'âge !
Faut-il donc attribuer l'effet bénéfique de la restriction calorique sur le vieillissement à son action "anti-stress oxydatif", y compris chez l'homme ? Ce n'est malheureusement pas si simple. Des recherches sur des singes ont été conduites aux États-Unis sans conclusion définitive ; d'autres sont en cours, notamment en France, sur un primate malgache, le microcèbe (projet Restrikal). Pour en avoir le cour net, il faudrait réaliser de grandes études prospectives sur plusieurs décennies.
Certes, une telle étude a déjà été menée durant trente-six ans à Hawaï, dans le cadre du Honolulu Heart Program, sur 1915 hommes âgés de 45 à 68 ans au début de l'étude. Coordonnée par Bradley J. Willcox, l'un des initiateurs de l'étude sur les centenaires d'Okinawa, elle a mis en évidence une mortalité plus basse parmi les hommes âgés qui avaient consommé de 15 à 50 % moins de calories que la moyenne. Mais cette étude utilisait la "méthode du questionnaire" pour évaluer la quantité de nourriture : on demandait simplement aux personnes étudiées de se souvenir de ce qu'elles avaient mangé pendant plusieurs semaines.
Une méthode approximative, qui peut biaiser fortement les résultats, et qui, surtout, n'a pas mesuré les paramètres biochimiques qui auraient permis de mettre en évidence le rôle de facteurs tels que les radicaux libres ou de la réparation de l'ADN. L'Okinawa Centenarians Study ne peut-elle cependant fournir les réponses qui nous manquent ? Il en ressort, c'est vrai, que la restriction calorique pratiquée sur l'archipel exerce vraisemblablement une influence sur la longévité en bonne santé. Néanmoins, impossible de séparer ce facteur d'autres influences possibles : les gènes, par exemple (la population d'Okinawa pourrait partager des gènes à effet protecteur), mais aussi le type d'alimentation consommée, à base de plantes riches en vitamines et minéraux et pauvres en graisses.

UNE ÉTUDE PLUS LONGUE ET PLUS COMPLÈTE EST NÉCESSAIRE

Comment savoir alors, indépendamment de l'effet probable des gènes, de la qualité de l'air, voire de la "joie de vivre" locale, si les Okinawiens vivent plus longtemps parce que leur régime alimentaire (riche en antioxydants) les rend moins sujets aux maladies mortelles, ou bien parce que la restriction calorique ralentit le vieillissement ? Les deux effets peuvent évidemment être concomitants et découler de mécanismes variés : outre l'effet antioxydant, des effets protecteurs des régimes moins caloriques contre l'inflammation, le vieillissement du système immunitaire, la mort cellulaire, le tissu graisseux, etc., sont régulièrement mis en avant par des résultats chez l'animal. Faute d'une étude longue et complète sur un grand nombre d'individus, les arguments en faveur de la restriction calorique restent donc indirects. En attendant mieux.

J.-J.P - SCIENCE & VIE > Décembre > 2007

Stimuler son Cerveau Ralentit le Déclin Cognitif

Le cerveau vieillit surtout si l'on ne s'en sert pas. Lire, échanger des idées, se passionner pour un jeu ou pour le bricolage... Toutes ces activités cérébrales seraient des facteurs de jouvence neuronale : elles auraient une action directe sur la structure tridimensionnelle de notre ADN, au point d'enclencher un remodelage de notre cerveau... qui contribuerait à contre-carrer les effets de son vieillissement !

Telle est l'audacieuse proposition que de jeunes neuroscientifiques américains ont publiée en avril dernier, en observant les étonnantes transformations de l'ADN contenu dans les neurones, à la suite d'un programme d'entraînement cognitif intense. Dans leur laboratoire du Massachusetts Institute of Technology (MIT, Boston), Andre Fischer, Matthew Doddin et Li-Huei Tsai ont pris des rongeurs déjà largement engagés sur la pente du déclin cognitif et ont réussi à faire remonter le temps à leurs cerveaux ! "Des souvenirs que l'on imaginait perdus sont réapparus, explique André Fischer. Surtout, nous avons montré comment la pratique de nouvelles activités peut réveiller des gènes que l'on croyait endormis, permettant à la structure du cerveau de s'adapter".

LA MORT NEURONALE, UN CLICHÉ

Une première. Car longtemps, le lien entre activité intellectuelle et ralentissement du déclin cognitif est resté intuitif. Jusqu'aux premières grandes études épidémiologiques des années 1990. Leurs conclusions sont sans appel. "Les personnes qui se confrontent régulièrement à des situations intellectuellement stimulantes ou inédites sont celles qui sont les mieux protégées contre ce déclin cognitif, mais aussi contre les maladies neurodégénératives comme l'Alzheimer", résume Jean-François Dartigues, le coordinateur de l'étude PAQUID, qui a suivi pendant plusieurs années une vaste population de personnes âgées. Oui, mais plusieurs points d'interrogation majeurs subsistaient encore.
Les deux zones du cerveau les plus résistantes au vieillissement sont également celles activées dans une situation stimulante ->.
Tous portant sur la nature des rouages biologiques qui peuvent ralentir le déclin de notre cerveau. Pour comprendre, il faut d'abord tordre le cou à une idée reçue. "Notre cerveau est doté d'environ 100 milliards de neurones à la naissance et, depuis les années 1950, on a expliqué les troubles de la mémoire dus au vieillissement normal par la perte massive de neurones, explique Serge Laroche, du laboratoire de neurobiologie de l'apprentissage et de la mémoire (Orsay, CNRS). Or, la dernière decennie de recherche a montré que la perte ne dépasse pas 10 ou 20% entre 20 et 90 ans. Une quantité négligeable au vu de nos capacités cérébrales, qui dépendent plus des connexions entre les neurones, les synapses, que de la taille de notre cerveau. En fait, seules les maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson...) provoquent la mort cellulaire en quantités importantes. Les dernières recherches sur le vieillissement "normal" se focalisent donc sur les boulerversements des connexions entre neurones, plutôt que sur leur mort. Mais une difficulté surgit ici : impossible d'évaluer le nombre exact de ces connexions dans le cerveau puisqu'un neurone peut en présenter une dizaine... et son voisin cent mille ! "Il y aurait au cours du temps des changements qualitatifs de ces connexions, précise Serge Laroche. On sait également que des connexions toutes neuves peuvent se former lorsque nous continuons à stimuler notre cerveau. L'enjeu est donc de savoir comment entretenir cette plasticité des synapses."
C'est ici qu'entre en jeu l'équipe du MIT, pilotée par Andre Fischer. S'appuyant sur l'ensemble de ces connaissances récentes, elle décide de remonter plus loin qu'aucune autre équipe auparavant, en traquant pour la première fois les effets de l'activité cérébrale sur l'ADN ! Les chercheurs ont d'abord manipulé un groupe de souris transgéniques, pour provoquer chez elles un vieillissement pathologique. Cela fait, ils les ont exposées à une situation désagréable répétée : placées sur une grille, les rongeurs recevaient un choc électrique. Résultat : dans les heures qui suivaient, il suffisait de les poser sur la grille pour les voir manifester des signes de peur (prostration, etc.). Mais quelques jours plus tard, les souris se montraient impassibles lorsqu'on les replaçait sur la grille. Comme si le souvenir douloureux s'était envolé. Commence alors la deuxième étape de l'expérience. Tandis que la moitié des souris est placée dans une cage banale, les autres sont installées dans un environnement très stimulant, alliant des jeux et des cachettes renfermant nourriture et eau. Quatre semaines plus tard, les chercheurs replacent les souris sur la grille, sans pratiquer le moindre choc électrique. Et constatent que la plupart des souris "stimulées" restent tétanisées dans un coin de la cage, effrayées, alors que les autres explorent placidement l'espace. Le premier groupe a donc de nouveau accès au souvenir désagréable associé à la grille. Ce qui signifie que la perte de mémoire n'était qu'apparente, et relevait plus d'un problème d'accessibilité que de "perte".

UN "INTERRUPTEUR BIOLOGIQUE"

"Ce phénomène peut être comparé à la mémoire fluctuante observée chez des personnes qui finissent par retrouver des souvenirs qu'elles pensaient enfuis", explique Andre Fischer. Mais le plus étonnant était à venir. Car selon Fischer et ses collègues, l'accès à cette mémoire à long terme s'expliquerait par l'établissement de nouvelles connexions entre neurones. "Le poids du cerveau est resté le même dans les deux groupes de souris, souligne Andre Fischer, ce qui semble indiquer que la quantité de neurones est inchangée. En revanche, la quantité de synaptophysine, une protéine indiquant le niveau d'activité et la proportion de nouvelles synapses, s'est révélée nettement supérieure pour le groupe privilégié". En résumé, tout se passerait donc comme si l'environnement stimulant pouvait appuyer sur des "interrupteurs biologiques" capables d'enclencher le remodelage des connexions neuronales ! Quels "interrupteurs" ? À cette question essentielle, les chercheurs du MIT apportent une réponse qui laisse pantois : il s'agirait de la structure tridimensionnelle de l'ADN. Les chercheurs américains soutiennent en effet que certains gènes responsables de la synaptogenèse se réveillent grâce à des modifications dans la forme de la molécule d'ADN. Une hypothèse stupéfiante... mais argumentée ! Car les jeunes neuroscientifiques s'appuient ici sur l'un des domaines les plus novateurs des sciences du vivant : l'épigénétique. Une discipline qui s'intéresse aux modifications transmissibles et réversibles dans le fonctionnement des gènes. Des modifications qui apparaissent sans provoquer de changements dans l'enchaînement des acides nucléiques qui forment l'ADN. Car notre ADN ne peut pas se résumer à sa double hélice, il est aussi défini par l'une structure complexe en trois dimensions. De fait, cette double hélice est repliée en pelotes, plus ou moins denses, autour de grosses protéines appelées les histones. Or, ces différents replis empêchent certains gènes d'être en contact avec la machinerie biologique (ARN, ribosome...) chargée de traduire leur information génétique en action concrète pour la cellule (production de protéine, activation d'autres gènes...). Ainsi, un gène situé sur une zone d'ADN fortement liée aux histones peut rester sous silence car il est caché dans un repli et donc inaccessible. Les scientifiques évoquent d'ailleurs de plus en plus souvent l'existence d'un "code des histones", influençant directement le fonctionnement du "code génétique" sous-tendu par les acides nucléiques de l'ADN. Ils estiment que le "code des histones" peut parfois être transmis au fil des générations et surtout qu'il est modifiable tout au long de la vie.

CIBLER LA SYNAPTOGENÈSE

Ainsi pourrait-on avancer cette maxime : "Je pense donc je modifie l'expression des gènes de mon cerveau". Pour démontrer la validité de cette théorie, les chercheurs ont examiné des coupes effectuées dans le cerveau des souris après l'expérience. Et effectivement remarqué, après analyse moléculaire, que des modifications du "code des histones" avaient eu lieu dans l'hippocampe, structure cérébrale liée à la mémoire à court terme, mais aussi dans le cortex préfrontal qui, lui, joue un rôle dans la reconstitution des souvenirs plus anciens. "Et nous ne pouvons pas exclure que d'autres zones du cerveau soient concernées par des modifications actives dans la structure 3D de l'ADN", souligne Andre Fischer. Car dans une dernière partie de leur expérience, les neuroscientifiques ont administré une molécule, l'inhibiteur d'histone désacétylase (HDACi), connue pour modifier l'attachement entre histone et ADN. Injectée quotidiennement aux souris, elle a permis d'obtenir le même résultat que l'environnement stimulant. "Ces résultats sont très importants, car c'est la première fois que l'on mime l'effet de l'activité biologique par une voie chimique, s'enthousiasme Jean-François Dartigues. Cela pennet d'envisager la mise au point de thérapies ciblant spécifiquement la synaptogenèse."

DEUX ÉTUDES, UN MÊME RÉSULTAT

Des résultats qui font écho à ceux obtenus par Béatrice Desgranges. En juillet dernier, cette chercheuse de l'Inserm spécialiste du vieillissement cérébral réussissait l'exploit de mettre en image le vieillissement cérébral normal chez l'homme. En utilisant la tomographie par émission de positons (TEP) et l'imagerie fonctionnelle par résonance magnétique (IRMf), l'activité et la densité du tissu nerveux chez 45 sujets âgés de 20 à 83 ans et en bonne santé, ont pu être comparées. Voilà comment la chercheuse a mis le doigt sur les régions qui sont le mieux préservées et celles qui sont le plus facilement atteintes au fils des années. Or, un constat s'impose : les deux zones les plus résistantes au vieillissement sont celles identifiées par Andre Fisher comme le siège de la synaptogenèse chez les souris stimulées. Certes, de l'homme à la souris, le chemin est encore bien long et semé d'embûches. Mais voilà qui ouvre indéniablement des pistes pour lutter contre le vieillissement de notre cerveau.

C.T. - S&V > Décembre > 2007

Bouger plus Freine le Vieillissement Musculaire

"Pour votre santé, pratiquez une activité physique régulière". Difficile d'échapper à cette injonction qui figure en tête des slogans des nombreuses campagnes de prévention orchestrées par les autorités sanitaires internationales.

Difficile, aussi, d'échapper au sentiment de culpabilité qui ne manque pas d'envahir l'esprit des éternels récalcitrants. Car l'activité physique est unanimement présentée comme un rempart contre nombre de processus délétères liés au vieillissement. Mais de quoi est-on vraiment certain ? Cette question se situe au centre du rapport sur les recommandations sur la pratique d'activités physiques remis en début d'année par l'Académie américaine des sciences.

LE SPORT, PROTECTEUR CONTRE CERTAINS CANCERS

Cette institution officielle édite régulièrement des avis se fondant sur ce que l'on appelle la "médecine basées sur les preuves" ou "Evidence-Based Medecine" (en anglais EBM). "Depuis le milieu des années 1990, il s'agit d'utiliser non seulement les connaissances théoriques et l'expérience, principales composantes de la médecine traditionnelle, mais également les 'preuves' scientifiques, explique Martine Duclos, physiologiste et endocrinologue, chef du service de médecine du sport au CHU de Clermont-Ferrand. Par 'preuves', on entend les connaissances qui sont déduites de recherches cliniques systématiques. Le document de l'Académie est ainsi une référence, une sorte de bible internationale." Pendant plusieurs mois, un panel d'experts a donc examiné des piles de publications afin de classer leurs recommandations selon trois niveaux (A, B et C). Le niveau "A" signifiant que les preuves d'un impact sur la santé de l'activité physique sont très solides. "C'est le cas pour l'effet protecteur contre les risques de cancer du sein et du côlon, mais également pour la préservation de la densité osseuse, la qualité du sommeil et bien évidemment contre les maladies cardiovasculaires ou encore pour limiter la fonte musculaire, liée au vieillissement", explique Martine Duclos. L'action protectrice contre le cancer de la prostate ou de l'endomètre (muqueuse de l'utérus) reste classée dans le niveau "B", nécessitant encore des études plus approfondies.
C'est sur le muscle que les données sont maintenant les plus riches. En mai dernier, une équipe de chercheurs américains démontrait même que "le vieillissement du muscle fait machine arrière lorsque l'exercice physique est régulier". L'équipe a en effet réussi à montrer que, chez des sujets âgés, un entraînement de type musculation, suivi pendant six mois, annihile l'un des processus cellulaires les plus spécifiques du vieillissement : le lent processus d'altération des mitochondries (accumulation de déchets, stress oxydatif...). Mark Tanaopolsky, grand spécialiste du métabolisme cellulaire et coauteur de l'étude, a observé que l'activité des principaux gènes liés au métabolisme est relancée chez les personnes âgées qui suivent le programme d'entraînement. Ce regain d'activité est mesuré à l'aide de procédés moléculaires (biopuces) permettant de visualiser avec quelle intensité la cellule utilise les fonctions d'un ou plusieurs gènes. "Cet effet 'machine arrière' pourrait bien avoir lieu également dans le cerveau, explique Martine Duclos. Mais cela reste à démontrer."

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Comment l'exercice physique régénère les cellules musculaires
Dans les muscles vieillissants, les mitochondries, usines à énergie des cellules, se dégradent. Mais la pratique régulière d'activité physique, quel que soit l'âge, annihile cette altération. En relançant la demande d'énergie, le sport réactive la fonction des mitochondries, luttant contre le stress oxydatif et l'accumulation de déchets. Il est donc possible de régénérer les cellules musculaires, et de compenser la perte qui s'opère dès la quarantaine. Sans activité physique, nos cellules musculaires se dégradent dès 40 ans. À partir de 40 ans, nous perdons 10 % de masse musculaire chaque décennie. En pratiquant une activité physique, le phénomène est réversible. Prenons l'exemple d'un sexagénaire qui pratique la musculation. En une décennie, il gagne 12 % de masse musculaire grâce au sport, mais en perd inexorablement 10% dus au vieillissement. Il a donc gagné 2 % de masse musculaire.

DES EFFETS SUR NOS NEURONES ?

Cette question est d'ailleurs l'une des plus âprement débattues au sein de l'Académie qui classe le bienfait du sport sur le cerveau dans le niveau "C", soit une suspicion d'efficacité sans preuves formelles. Or, en mars dernier, les deux neurologues américains Fred Gage, du Salt Lake Institut et Scott Small, de l'université Columbia, ont obtenu pour la première fois des images cérébrales qui suggèrent un lien entre la pratique de l'entraînement pendant quelques semaines et la naissance de nouveaux neurones dans une sous-région de l'hippocampe ! "Ces clichés obtenus par IRM montrent une augmentation localisée du débit sanguin, donc de l'activité dans l'hippocampe des volontaires, détaille Scott Small. Il s'agit d'une preuve indirecte, mais inédite, d'un effet potentiel de l'activité physique, même répétitive, sur la neurogenèse. D'ailleurs, soumis à des tests de mémoire, les volontaires ont obtenu de meilleurs résultats après l'expérience." Mais quel est l'impact exact de ce processus sur le rythme du déclin cognitif ? "Il est encore beaucoup trop tôt pour le déterminer, reconnaît Scott Small. Nous allons devoir suivre des patients pendant des années avant de pouvoir trancher".
Muscle, os, cour, cerveau... En ralentissant le rythme du vieillissement de tous ces organes, l'activité physique prolonge bel et bien la durée de vie en bonne santé des individus, mais peut-on dire qu'au final, elle allonge la durée de la vie globale ? Logique a priori, l'affaire fait pourtant toujours débat. Même si dans les années 1990, les résultats issus de la Framingham Heart Study (une vaste étude des habitants d'une ville des États-Unis commencée en 1948) portant sur 2498 hommes et 2870 femmes âgés de 30 à 74 ans estiment que ceux et celles qui dépensent en activité physique plus de 2000 calories par semaine vivent, en moyenne, deux ans de plus que les sédentaires. Mais ce qui est certain, c'est que l'activité physique régulière améliore la qualité de vie et permet de bien vieillir.

C.T. - SCIENCE & VIE > Décembre > 2007
 

   
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